Peut-on tirer du spinozisme une politique pour aujourd'hui ?

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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philalethe
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Peut-on tirer du spinozisme une politique pour aujourd'hui ?

Messagepar philalethe » 04 mai 2005, 17:28

Bonjour,

Il me semble que le spinozisme nourrit plutôt une politique d'extrême-gauche (Negri, Deleuze,Balibar etc). Mais j'ai l'idée que cette lecture ne va pas de soi et que par exemple ce ne serait pas incohérent d'être spinoziste et en faveur de la peine de mort (ça m'intéresse si qqn ici me fait la "démonstration" de l'incohérence - encore une fois je ne suis pas du tout un expert ès Spinoza...). Par exemple Colson dans le Petit lexique philosophique de l'anarchisme s'approprie largement Spinoza (via Deleuze et Negri, je crois) mais la question de l'Etat ne me paraît pas être tranchée dans un sens anarchiste par Spinoza (il me paraît plus près de Hobbes en tout cas que de Bakounine). J'aimerais avoir les avis des uns et des autres sur les possibles politiques spinozistes. On peut prendre aussi le problème par le petit bout de la lorgnette: être spinoziste, est-ce voter dans un sens déterminé le 29 Mai ?

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Messagepar reprobate » 04 mai 2005, 18:26

Si "une politique d'extrême-gauche" peut inclure des marchés libres avec discretion individu sur les biens rares (un condition de democratie selon Spinoza), bien que oui. Pace Althusser, on droit souvenir que Spinoza n'était pas un proto-communiste; il était un républicain liberal.

Je ne veux pas être ironique; je pense que c'est possible d'avoir une politique anarchiste, au gauche, qui est fondée sur un économie de discretion de l'individu (sans corporations autant que sans syndicats). Le gauche était originairement le position des économistes, n'est-ce pas? Mais si on veut prendre avantage de la sagesse Spinozistique, on ne peut pas adhérer trop fidèle aux "positions" contemporaines.

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Messagepar Miam » 05 mai 2005, 03:09

Je pense que son ontologie supporte fort bien une lecture gaucho-marxiste, en particulier par l'usage infiniment large qu'il donne a la notion de production. Par contre ce que l'on sait de la forme democratique spinozienne telle qu'on la lit dans le TP (inacheve) est plutot, comme on l'a dit "republicaine liberale". Toutefois il s'oopose a Rousseau et au mythe d'un contrat social en rupture avec la puissance naturelle. Et en cela on peut le qualifier d'anarchiste si l'on veut bien voir par la autre chose qu'un type le couteau entre les dents assis sur un tonneau de poudre. Il faudrait egalement s'interroger sur le statut et la vie des artisants specialises comme Spinoza a son epoque. Le travail a domicile avait developpe, en particulier en Hollande, une sorte de proletariat. Mais Spinoza etait fort specialise et plutot que de produire des marchandises de mauvaises qualite et a bon marche dont les Provinces Unies inondaient alors le monde, il fabriquait un produit de luxe fort particulier. On pourrait peut-etre comparer son statut a celui des ouvriers typographes au 19e siecle. Enfin je crois mais je ne connais pas assez la situation sociale dans les Provinces Unies a son epoque.

Spinoza s'oppose totalement a Hobbes sur le plan politique, sinon que leur fondement commun est machiavelien. Il s'opposerait tout autant a Bakounine et a son panslavisme anarchico-eschatologique.

Quant a la constitution europeenne, qu'aurait-il pu en dire? Moi-meme qui ne dois pas voter mais suis ne dans la capitale de l'Europe, avec la hausse des prix que cela a occasionne et ses suites sociales (vous seriez degoutes), je ne saurais que faire a votre place. Il est certain que la structure des institutions europeenne est peu democratique (la publicite des textes de loi n'est meme pas obligatoire). Il est certain que l'Europe se veut economique avant d'etre sociale. Et cette constitution n'en est pas une: une constitution est produite par une assemblee constituante, cad par le "peuple". Ce texte, par contre, n'est qu'un traite entre des gouvernements. Mais il est vrai aussi d'autre part que si l'Europe se decompose, on n'aura rien a opposer aux Etats-Unis. Peut-etre cela pourrait il etre une position spinoziste, qui soutient De Witt, defenseur de l'independances des provinces et des municipalites, tout en souhaitant une victoire de la flotte hollandaise dans la guerre qui l'oppose aux Anglais? En verite a votre place je ne saurais quoi voter. Il faudrait tout recommencer depuis le depart et c'est impossible. La question demeure: un "non" veut-il dire un affaiblissement de l'Europe? Et la reponse suit...

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bardamu
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Re: Peut-on tirer du spinozisme une politique pour aujourd'h

Messagepar bardamu » 05 mai 2005, 17:19

philalethe a écrit :Bonjour,

Il me semble que le spinozisme nourrit plutôt une politique d'extrême-gauche (Negri, Deleuze,Balibar etc). Mais j'ai l'idée que cette lecture ne va pas de soi et que par exemple ce ne serait pas incohérent d'être spinoziste et en faveur de la peine de mort (ça m'intéresse si qqn ici me fait la "démonstration" de l'incohérence - encore une fois je ne suis pas du tout un expert ès Spinoza...).

Salut,
a priori, l'essentiel de la pensée politique de Spinoza se trouve dans son Traité Politique : http://www.spinozaetnous.org/telechargement/TP.pdf

Il ne semblait pas contre la peine de mort :

Chapitre VIII, De l'aristocratie, article 25 :
Enfin, pour que toutes les lois absolument fondamentales de l’État soient éternelles, il sera établi que si dans l’Assemblée suprême quelqu’un soulève une question sur une loi de cette nature en proposant par exemple de prolonger le commandement d’un général d’armée, ou de diminuer le nombre des patriciens, ou telle autre chose semblable, à l’instant même il soit accusé du crime de lèse-majesté, puni de mort, ses biens confisqués, et qu’il reste, pour la mémoire éternelle de son crime, quelque signe public et éclatant du supplice.

Mais Spinoza me semble souvent assez expéditif dans ses réflexions. Il part du principe assez rationnel que l'Etat est une sorte de super-individu assurant la vie de ses composants et il en vient à rechercher des règles de conservation de cet Etat. Mais il n'a pas, par exemple, de réflexion sur le pénal et sur l'efficacité de la sanction. Il est assez "moyenâgeux" dans cette idée des vertus d'un bon supplice public.

En fait, je trouve sa pensée politique assez faible et se contentant de faire une liste de ce qu'il connait sans chercher si il y a possibilité de faire mieux par rapport à ses observations éthiques. Le dernier texte du TP, concernant les femmes, me semble symptomatique de cette forme de soumission à une sorte de "sens commun", d'ordre moyen qu'il faudrait suivre parce qu'il serait révélateur d'une nature de l'humain.
Le problème, selon moi, c'est que les principes développés dans l'Ethique montrent que la nature humaine en tant que nature de l'individu "Humanité" n'a pas à être plus fixe que ne l'est la nature d'un individu "Homme". Et de même qu'il admet qu'une personne puisse difficilement être considéré comme étant la même entre son enfance et son âge mature, l'humanité peut évoluer vers une forme autre que celle qui lui était connu ou qui nous est aujourd'hui connue.
Le dynamisme propre de l'ontologie interdit de fermer la nature humaine à ce qu'on en constate ici et maintenant.
L'essence de l'humanité se fermera lorsque l'humanité disparaitra de l'existence.
philalethe a écrit :Par exemple Colson dans le Petit lexique philosophique de l'anarchisme s'approprie largement Spinoza (via Deleuze et Negri, je crois) mais la question de l'Etat ne me paraît pas être tranchée dans un sens anarchiste par Spinoza (il me paraît plus près de Hobbes en tout cas que de Bakounine). J'aimerais avoir les avis des uns et des autres sur les possibles politiques spinozistes.

L'introduction du Traité Politique montre bien pourquoi Spinoza parle de politique : "s’imaginer qu’on amènera la multitude ou ceux qui sont engagés dans les luttes de la vie publique à régler leur conduite sur les seuls préceptes de la raison, c’est rêver l’âge d’or et se payer de chimères."
Si idéal il devait y avoir, ce serait une sorte de "république des savants", l'anarchie des gens raisonnables qui vivent très bien ensemble sans autre loi que la Raison.
Mais comme la réalité montre que peu d'hommes parviennent rationnellement à cette sociabilité bien que celle-ci soit leur avantage, il s'agit de poser les moyens de l'établir malgré l'inconstance humaine.
philalethe a écrit : On peut prendre aussi le problème par le petit bout de la lorgnette: être spinoziste, est-ce voter dans un sens déterminé le 29 Mai ?
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Faudrait faire un sondage...

Pour ma part, je voterai "oui".
En voisin de l'Espagne, j'ai vu que le système européen leur apportait ce qu'ils désiraient, et je pense que cela donnera la même chose pour les nouveaux entrants. Au final, ils auront plus de sécurité sociale, de PlayStation, de portables, de télé-réalité, de cheese burger, de voitures, et tous ces biens indispensables à l'honnête homme d'aujourd'hui.

Et j'ai hélas le sentiment que tous ceux qui veulent voter "non" le font par peur. Si au moins on voyait un projet positif derrière ce "non", mais pour l'instant je n'ai vu que des slogans et des jeux malsains sur l'inquiétude naturelle de la multitude.

TP, chap. 5, Art. 6 : (...) Une multitude libre, en effet, est conduite par l’espérance plus que par la crainte ; une multitude subjuguée, au contraire, est conduite par la crainte plus que par l’espérance. Celle-là s’efforce de cultiver la vie, celle-ci ne cherche qu’à éviter la mort ;

Il n'y a pas grand chose à craindre de ce traité, au pire cela renforcera le très libéral Guillaume Sarkozy dans ses demandes de protection contre le libéralisme sauvage des communistes chinois.

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Messagepar Miam » 05 mai 2005, 19:37

La citation de Bardamu sur la "peine de mort" concerne l'Etat aristocratique. On ne saurait en faire une opinion de Spinoza qui demeure democrate. Quant a ses opinions sur les femmes: d'accord. Mais il avait peu d'experience en la matiere et on peut lui pardonner pour cette raison. Je ne crois pas que l'on puisse mettre les ecrits politiques de Spinoza a la poubelle. Au contraire - c'est le premier democrate digne de ce nom que je connaisse.

Sur l'Europe et l'Espagne d'accord. Sauf que je ne crois pas que l'Europe accorde plus de securite sociale. Cela c une prerogative du gouvernement. L'Europe n'a jamais ete contraire au detricotage de la securite sociale. Par aileurs le redressement de l'Espagne en terme de chomage n'infirme en rien ce que j'ai dit. Est-ce qu' un non serait dommageable a l'unification europeenne et a l'Espagne? Rien n'est moins sur. N'est ce pas plutot les partisans du oui qui se fondent sur la peur de voir l'Europe se decomposer? Entendons-nous: l'Europe est necessaire, mais pas cette Europe. Si j'etais Francais je crois que je ne voterais pas. Par contre je voterais pour un parti qui exige une Europe plus sociale et plus democratique (et avec de la bonne vraie biere et du vrai bon chocolat, pas cette merde de standard europeen :) )

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Messagepar Henrique » 05 mai 2005, 19:40

Je viens de publier un article sur le parti de Spinoza selon moi, ce qui répond à la première question de Philalethe. Je pense à un article sur la constitution européenne en rapport avec un texte du TP. De mon côté, je suis plutôt favorable au non même si je ne suis pas définitivement fixé.

Mais je voudrai répondre à Reprobate sur le terme de "républicain libéral". Ces deux mots peuvent avoir de multiples interprétations, mais d'après le fort accent de Reprobate, on peut penser qu'il entend par là la pensée politique de G. Bush, à savoir le parti républicain plutôt que démocrate et le libéralisme économique qu'on appelle néolibéralisme depuis sa résurrection avec Tatcher et Reagan plutôt que le libéralisme politique.

Note pour info de ce que je pense savoir sur la question : le néolibéralisme est un refus de (presque) toute intervention de l'Etat en matière économique, ce qui n'interdit pas par ailleurs une intervention de l'Etat dans les domaines moraux, religieux, sociaux, cf. l'intervention de Bush par rapport à la question de l'euthanasie ou encore son discours et ses prises de positions publiques en matière religieuse. Le libéralisme politique auquel s'identifient les démocrates est un refus de l'hégémonie de l'Etat dans les domaines sociaux, moraux, religieux et économiques. Cela s'oppose aux politiques tendant à mêler religion et espace public par exemple. Mais cette position ne s'interdit pas cependant un rôle régulateur. Par exemple, l'Etat peut dans ce cadre s'attacher à garantir les conditions de la coexistence des libertés religieuses en s'attachant toujours à ne pas prendre parti publiquement dans ce domaine. De même dans le domaine économique, la politique économique keynesienne (sociale démocrate - même de Gaulle faisait une politique keynesienne) qui a dominé en occident de 1929 à 1979, a été celle de l'Etat "providence" (par opposition au libéralisme économique qui croit en une providence naturelle du marché au service de l'homme), providence parce qu'il y a intervention de l'Etat dans le cours naturel des événements économiques sans qu'il y ait pour autant substitution d'une logique purement politique à la logique économique.

Cette idée de Reprobate selon laquelle Spinoza serait un républicain libéral (je dois dire que je ne comprends pas très bien l'ensemble du message), si cela veut bien dire une conception politique essentiellement de droite, j'apporte des éléments pour en discuter dans l'article susmentionné. Mais il est vrai que cette idée vient de loin, le courant néoconservateur qui est aujourd'hui la ligne idéologique de l'administration Bush, s'est constitué à partir des années 40 par des disciples d'un certain Léo Strauss qui était un lecteur bien connu de Spinoza. Ces disciples étaient des déçus du communisme, qui se sont retournés vers le conservatisme.

Léo Strauss leur avait montré avec sa lecture de Spinoza qu'un Etat qui prétend se substituer aux forces relevant de la puissance naturelle, ne peut que tomber dans ce que nous appelons aujourd'hui le totalitarisme, une prétention de l'Etat à contrôler toutes les sphères de la vie humaine en les absorbant plutôt qu'en les régulant. Prétention qui ne peut que conduire à la violence sociale et politique, négation même du contrat social. A cet égard, Spinoza et sa démonstration de la nécessité de la liberté de penser et de s'exprimer en toute organisation politique, au nom même de la viabilité de cet Etat, est effectivement une arme contre tous les totalitarismes. Mais de là à croire qu'il n'y a qu'un choix possible entre le conservatisme et le totalitarisme, les disciples de Léo Strauss ont sans doute été un peu trop vite.

Sur la peine de mort et pour commencer à répondre à Bardamu, il est vrai qu'il y a dans la pensée politique de Spinoza des concessions à l'esprit de son temps qui semblent relever d'un manque de continuité de Spinoza lui-même par rapport aux avancées de sa philosophie générale, comme j'en avais parlé dans un article sur les femmes. Du point de vue du droit naturel, on a le droit, c'est-à-dire n'importe qui peut supprimer celui qui le menace comme on tue le chien enragé. Mais du point de vue du droit civil, l'équité doit prévaloir. Or l'équité, ce sont "les actions qui produisent la concorde" (E4, app. 15), c'est-à-dire l'entente des hommes sur ce qu'ils ont d'essentiel en commun, au delà de leurs divergences nécessaires. L'équité est tout ce qui permet la coexistence des individualités. Donc tout ce qui supprime ou tend à supprimer une individualité quelle qu'elle soit ne peut relever du droit civil bien compris. Les chatiments dans une société d'hommes soumis aux passions mais organisés selon un modèle qui soit le plus rationnel possible ne peuvent donc inclure la peine de mort.

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Messagepar bardamu » 05 mai 2005, 23:06

Henrique a écrit :(...)L'équité est tout ce qui permet la coexistence des individualités. Donc tout ce qui supprime ou tend à supprimer une individualité quelle qu'elle soit ne peut relever du droit civil bien compris. Les chatiments dans une société d'hommes soumis aux passions mais organisés selon un modèle qui soit le plus rationnel possible ne peuvent donc inclure la peine de mort.

Bonjour Henrique,
c'est effectivement la déduction que je fais aussi de l'Ethique (cf E4 App. 15 que tu as cité, et E4P37 Scolie I) mais Spinoza prolonge-t-il sa méthode rationnelle de l'Ethique à la politique ?

TP I-3
je suis très-convaincu que l’expérience a déjà indiqué toutes les formes d’État capables de faire vivre les hommes en bon accord et tous les moyens propres à diriger la multitude ou à la contenir en certaines limites ; aussi je ne regarde pas comme possible de trouver par la force de la pensée une combinaison politique, j’entends quelque chose d’applicable, qui n’ait déjà été trouvée et expérimentée.

TP I-7
Enfin, comme les hommes, barbares ou civilisés, s’unissent partout entre eux et forment une certaine société civile, il s’ensuit que ce n’est point aux maximes de la raison qu’il faut demander les principes et les fondements naturels de l’État, mais qu’il faut les déduire de la nature et de la condition commune de l’humanité;

Et peut-on dire clairement que Spinoza se prononce en faveur de la démocratie ? Ne se félicite-t-il pas d'avoir conçu un gouvernement aristocratique valable et éternel ?

TP X-10
Je puis donc affirmer d’une manière absolue que le gouvernement aristocratique, non pas seulement celui d’une seule ville, mais aussi celui de plusieurs villes ensemble, est un gouvernement éternel, c’est-à-dire qu’il ne peut être ni dissous ni transformé par aucune cause qui tienne à sa constitution intérieure.

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Messagepar Henrique » 06 mai 2005, 03:33

Hello Bardamu,
TP I-3
je suis très-convaincu que l’expérience a déjà indiqué toutes les formes d’État capables de faire vivre les hommes en bon accord et tous les moyens propres à diriger la multitude ou à la contenir en certaines limites ; aussi je ne regarde pas comme possible de trouver par la force de la pensée une combinaison politique, j’entends quelque chose d’applicable, qui n’ait déjà été trouvée et expérimentée.

Spinoza ne fait ici que dire que ce qui est applicable, ce sont les régimes monarchiques, aristocratiques ou démocratiques parce qu'ils ont effectivement existé. A part l'anarchie, qui est en dernière analyse une sorte de démocratie directe sans corps politique, et qui suppose comme nous l'avons dit une communauté de sages, que vois tu d'autre comme régime viable ?

Sur cette base, Spinoza ne dit pas que rien d'autre que ce qui a existé déjà ne peut exister, puisque sa façon de décrire la meilleure aristocratie ou la meilleure monarchie possibles ne correspond à rien qui ait existé avant lui en tout points. L'expérience sert de base en politique : elle sert à indiquer ce qu'il faut penser mais cela n'exclut pas le raisonnement. Aussi, on ne peut déduire à partir de la constitution de la meilleure monarchie possible, par exemple, quelles devront être les décisions du roi en toutes situations. C'est toujours un mélange d'expérience, de connaissances factuelles d'un côté et de réflexion rationnelle de l'autre qui permettront d'agir de façon viable.

TP I-7
Enfin, comme les hommes, barbares ou civilisés, s’unissent partout entre eux et forment une certaine société civile, il s’ensuit que ce n’est point aux maximes de la raison qu’il faut demander les principes et les fondements naturels de l’État, mais qu’il faut les déduire de la nature et de la condition commune de l’humanité;

Mais justement, je pense que nous déduisons de la nature et de la condition commune de l'humanité, mieux que Spinoza lui-même, quel principe s'impose en matière de peine de mort. Dire que supprimer un individu s'oppose au principe d'une coexistence des individualités, ce n'est pas partir d'une valeur désincarnée et purement rationnelle comme dans la Cité de Platon. Cette coexistence n'est pas seulement une valeur de l'esprit, c'est d'abord une nécessité de fait. Après, Spinoza pris dans l'ère du temps, n'a pas nécessairement pensé à faire le lien.

Et peut-on dire clairement que Spinoza se prononce en faveur de la démocratie ?

Dans le TP, il y a des passages sur les dangers de la monarchie comme de l'aristocratie qui montrent plus ou moins explicitement que la démocratie reste le régime le plus fiable à long terme. Et d'ailleurs on voit ici que Spinoza ne reste pas rivé à l'expérience car à son époque les expériences de régimes démocratiques avaient été assez éphémères.

La préférence de Spinoza pour la démocratie se voit surtout dans le TTP :
"Voici maintenant la règle suivant laquelle une société peut se former sans que le Droit naturel y contredise le moins du monde, et tout pacte être observé avec la plus grande loyauté ; il faut que chacun transfère à la société toute la puissance qui lui appartient, de façon qu'elle soit seule à avoir sur toutes choses un droit souverain de Nature, c'est-à-dire un pouvoir de commandement auquel chacun sera tenu d'obéir, soit librement, soit par crainte du dernier supplice. le droit d'une telle société est appelé Démocratie, et celle-ci se définit ainsi : l'union des hommes en un tout qui a un droit souverain collectif sur tout ce qui est en son pouvoir."

"Dans un Etat démocratique, l'absurde est moins à craindre, car il est presque impossible que la majorité des membres d'un tout, si ce tout est considérable, s'accordent en une absurdité ; cela est peu à craindre en second lieu à cause du fondement et de la fin de la démocratie qui n'est autre que de soustraire les hommes à l'irrationalité du désir et de les maintenir, autant que possible, dans les limites de la Raison, pour qu'ils vivent dans la concorde et la paix."

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Messagepar reprobate » 10 mai 2005, 02:55

Henrique,

Vous avez dites:

Henrique a écrit :Mais je voudrai répondre à Reprobate sur le terme de "républicain libéral". Ces deux mots peuvent avoir de multiples interprétations, mais d'après le fort accent de Reprobate, on peut penser qu'il entend par là la pensée politique de G. Bush, à savoir le parti républicain plutôt que démocrate et le libéralisme économique qu'on appelle néolibéralisme depuis sa résurrection avec Tatcher et Reagan plutôt que le libéralisme politique.


Je suis désolé que mon français ne sera pas sufficient à expliquer ce que je veux dire. Mais je n'ai jamais mentionné Bush, ni Thatcher ni Reagan, ni Strauss, ni ce que s'appelle "néolibéralisme", ni aucun parti Américain. (Aujourd'hui il n'y a réprésentation significant de libéralisme en sens que j'intends dans les États Unis, le pays le plus régulé en histoire. Même les "dérégulations économiques" sont sourtout un objet rhétorique, pas un fait, et fonctionnent à obscurer un aggrandissement du rôle de l'état et des corporations, qui derniers ne sont pas institutions privées proprement dire.)

J'ai dit seulment que la discretion des individus est central à la conception de la démocratie chez Spinoza. Si c'est le même chose de la propriété, et si on peut pensé de la propriété seulement sous le chapitre du Droit, Spinoza est un philosophe au Droit. Mais je veux dire qu'on ne droit pas penser de la discretion privée comme ça.

Je veux dire emphatiquement que je ne pense pas de Spinoza comme penseur du Droit. Mais en tout cas, il est un penseur de la république libéral, même dans l'économie autant que dans la vie civile. On ne peut pas le nier que c'est une thème centrale du Traité Politique, et je pense que c'est aussi implicite dans les références à l'économie dans l'Éthique et dans le Traité Théologico-Politique.

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Messagepar bardamu » 13 mai 2005, 21:50

reprobate a écrit :(...)
J'ai dit seulment que la discretion des individus est central à la conception de la démocratie chez Spinoza. Si c'est le même chose de la propriété, et si on peut pensé de la propriété seulement sous le chapitre du Droit, Spinoza est un philosophe au Droit. Mais je veux dire qu'on ne droit pas penser de la discretion privée comme ça.

Je veux dire emphatiquement que je ne pense pas de Spinoza comme penseur du Droit. Mais en tout cas, il est un penseur de la république libéral, même dans l'économie autant que dans la vie civile. On ne peut pas le nier que c'est une thème centrale du Traité Politique, et je pense que c'est aussi implicite dans les références à l'économie dans l'Éthique et dans le Traité Théologico-Politique.

Bonjour,
après quelques recherche, je crois avoir cerné un petit problème de traduction.
Tu dis :
"la discretion des individus est central à la conception de la démocratie chez Spinoza" et "un économie de discretion de l'individu "

En français, nous avons l'expression : "à la discrétion de" ou "au pouvoir de discrétion de" qui correspondent un peu au sens de tes phrases. Mais en dehors de ces formes, "discrétion" s'emploie plutôt dans le sens de "réserve, timidité, circonspection, secret". La "discrétion des individus" voudrait plutôt dire "la timidité des individus".
Dans le sens où tu veux l'employer, je pense qu'il vaudrait mieux parler de "libre choix", "volonté individuelle" ou bien utiliser l'expression complète, "pouvoir de discrétion".

Et donc, si je comprend bien, tu voulais dire :
J'ai dit seulement que le libre choix des individus est central dans la conception de la démocratie chez Spinoza. Si c'est la même chose pour la propriété, et si on peut penser la propriété seulement sous le chapitre du Droit, Spinoza est un philosophe du Droit. Mais je veux dire qu'on ne doit pas penser la liberté individuelle comme ça.

Je veux dire emphatiquement que je ne pense pas Spinoza comme penseur du Droit. Mais en tout cas, il est un penseur de la république libéral, même dans l'économie autant que dans la vie civile. On ne peut pas le nier que c'est un thème centrale du Traité Politique, et je pense que c'est aussi implicite dans les références à l'économie dans l'Éthique et dans le Traité Théologico-Politique.

J'ai interprété "discretion privée" par "liberté individuelle" parce qu'il me semble que c'est l'équivalent en français de l'expression "private discretion" que j'ai soupçonné que tu avais en tête.

Et plus haut :
Si "une politique d'extrême-gauche" peut inclure des marchés libres avec pouvoir de discrétion de l'individu sur les biens rares (une condition de democratie selon Spinoza), eh bien, oui. Pace (?) Althusser, on doit se souvenir que Spinoza n'était pas un proto-communiste; il était un républicain liberal.


Pour aller dans ton sens d'une circulation libérale des biens, je citerais le Traité Politique, chapitre VII :

Spinoza, TP VII a écrit :8. Une autre condition de grande importance pour le maintien de la paix et de la concorde, c’est qu’aucun citoyen n’ait de biens fixes (voyez l’article 12 du chapitre précédent). Par ce moyen, tous auront à peu près le même péril à craindre de la guerre. Tous en effet se livreront au commerce en vue du gain et se prêteront mutuellement leur argent, pourvu toutefois qu’à l’exemple des anciens Athéniens on ait interdit à tout citoyen par une loi de prêter à intérêt à quiconque ne fait pas partie de l’État. Tous les citoyens auront donc à s’occuper d’affaires qui seront impliquées les unes dans les autres ou qui ne pourront réussir que par la confiance réciproque et par le crédit ; d’où il résulte que la plus grande partie du Conseil sera presque toujours animée d’un seul et même esprit
touchant les affaires communes et les arts de la paix. Car, comme nous l’avons dit à l’article 4 du présent chapitre, chacun ne défend l’intérêt d’autrui qu’autant qu’il croit par là même assurer son propre intérêt.


Mais pour le côté "communiste", nous avons :
Spinoza TP, VI-12 a écrit :12. Que les champs et tout le sol et, s’il est possible, que les maisons elles-mêmes appartiennent à l’État, c’est-à-dire à celui qui est dépositaire du droit de l’État, afin qu’il les loue moyennant une redevance annuelle aux habitants des villes et aux agriculteurs. A cette condition tous les citoyens seront exempts de toute contribution extraordinaire pendant la paix. Sur la redevance perçue, une portion sera prise pour les besoins de I’État, une autre pour l’usage domestique du Roi ; car en temps de paix il est nécessaire de fortifier les villes en vue de la guerre, et en outre de tenir prêts des vaisseaux et autres moyens de défense.


Je vois donc ça comme la création par l'Etat d'un espace d'égalité entre citoyens où le libre échange assure une sorte de cohésion, de co-responsabilité, de co-gestion.
Encore faut-il qu'effectivement aucun citoyen n'ait de biens fixes (la propriété est-elle du vol ?) pour éviter la situation "marxienne" d'une maîtrise financière des capacités de production menant à la tyrannie capitaliste.
En France, un contrat de travail est aussi un contrat de subordination ( http://www.ac-versailles.fr/cerpeg/ress ... ail.htm#A3 ) et même si tout le monde semble trouver ça normal, cela me semble un archaïsme hérité du bon vieux temps des grands bourgeois se prenant pour les nouveaux aristocrates règnant sur leurs serfs.
A la limite, c'est normal pour les fonctionnaires de l'Etat puisque l'Etat c'est tout le monde, mais je suis d'avis que pour le privé, il faudrait s'orienter vers des formes d'entreprise coopératives (en France nous avons les SCOP : http://www.scop-entreprises.tm.fr/ ) ou de participation salariale.

En fait, en prenant en compte la théorie de Spinoza et son mode de vie, je verrais une démocratie du libre échange, démocratique non seulement au niveau étatique mais aussi dans les rapports socio-économiques qui doivent être des rapports de responsabilité d'égal à égal. Il est absurde que des travailleurs aillent demander des augmentations à leur patron comme ils iraient en prière à l'Eglise, ou l'arme au poing à la guerre. Ils devraient être eux-mêmes associés à la responsabilité des comptes et voir eux-mêmes si augmenter les dépenses est cohérent.

D'ailleurs, je ne comprends pas trop qu'il n'en soit pas ainsi dans nos pays et que les salariés ne soient pas tous passés en co-gestion au moins dans les nombreuses branches de services ou de production "dématérialisés" (médias, logiciel etc.). Là, ce n'est pas une question de moyens, puisque les moyens de productions sont assez réduits et qu'il suffit que les commerciaux se mettent d'accord avec les productifs pour que le patron devienne inutile.
Tout Vivendi Universal pourrait passer à une production libre et se débarrasser de la pression des actionnaires par une action concertée des salariés.
Révolution libérale ?


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