Le principe de causalité

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Alexandre_VI
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Le principe de causalité

Messagepar Alexandre_VI » 22 juil. 2014, 01:38

Bonjour,

Un des débats en philosophie concerne le principe de causalité et la façon dont on peut le justifier.

On peut le formuler ainsi : tout contingent est causé.

Il est entendu qu'un être contingent est un être qui aurait pu ne pas exister, ou encore exister autrement que maintenant.

Quant à ce qui est causé, on comprend qu'il s'agit d'une relation de dépendance, pas nécessairement chronologique, de l'effet par rapport à un être ou un ensemble d'êtres ayant un certain pouvoir.

Selon Spinoza, les modes sont causés par des modes antérieurs et ainsi de suite à l'infini. Cependant, il n'y a pas de relation de causalité entre les différents attributs de la substance, d'où le concept de parallélisme.

Selon Malebranche, les créatures n'ont en soi aucun pouvoir causal : c'est Dieu, par son omnipotence, qui est la cause universelle des changements dans l'univers.

Selon Leibniz, le principe de raison suffisante, d'où on peut tirer le principe de causalité, est un des deux principes fondamentaux de la pensée (l'autre étant le principe de non-contradiction). La philosophie de Leibniz est un déterminisme rationaliste universel où rien n'est laissé au hasard, à l'absurde ou à l'irrationnel.

Selon Hume, c'est l'habitude de voir des phénomènes constamment associés entre eux qui finit par nous convaincre qu'il y a une connexion nécessaire entre ces phénomènes (Hume utilise l'exemple d'une boule de billard qui en pousse une autre). Mais en réalité, dit Hume, on ne perçoit rien de cette connexion nécessaire. C'est une illusion d'une réflexion inattentive. Donc pour Hume, l'expérience et le raisonnement ne nous donnent aucune garantie concernant la validité du principe de causalité.

Selon Kant, la causalité est une catégorie de pensée innée du sujet, catégorie qui ne peut s'appliquer validement qu'au monde sensible. Un usage métaphysique du principe de causalité est exclu, mais son usage scientifique (selon la manière dont on comprenait la science alors), est permis.

Selon Sartre, d'après ce que j'en ai compris, l'être existe de façon brute et n'a aucune raison d'être. Les choses sont "de trop", il est vain de chercher à donner une explication rationnelle à l'être en termes de causalité et de nécessité. L'être existe comme fait absurde.

Donc voilà ma question : existe-t-il une démonstration de la validité du principe de causalité?

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Vanleers
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Re: Le principe de causalité

Messagepar Vanleers » 22 juil. 2014, 19:02

A Alexandre_VI

Je vous ai déjà envoyé une citation de Raymond Boudon en :

viewtopic.php?f=12&t=1509&start=10

Je la répète :

« Le philosophe et sociologue allemand Hans Albert a popularisé le rouet de Montaigne à partir d’une référence à un conte populaire. Selon le trilemme de Münchhausen, vouloir démontrer un principe c’est, à l’instar du célèbre baron, vouloir se sortir d’un étang en se soulevant par les cheveux. Il s’agit bien d’un trilemme, car tout principe confronte celui qui y adhère à trois possibilités également insatisfaisantes : 1) chercher à démontrer le principe en question à partir d’autres principes et ainsi à l’infini, 2) chercher de façon circulaire à le démontrer en s’appuyant sur ses conséquences, 3) prendre le principe en question pour argent comptant et renoncer à le démontrer »

Je tiens le principe de causalité (rien n’est sans cause) pour indémontrable mais nécessaire.
Si on le nie, je ne vois pas quel discours nous pourrions tenir, à part, peut-être, le célèbre « Ha ha » de Bosse-de-Nage chez Jarry. (« Ha ha » disait-il en français; et il n’ajoutait rien davantage. »)

C’est un peu court (même s’il en reste assez pour faire un bon psychanalyste).

Bien à vous

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Re: Le principe de causalité

Messagepar Alexandre_VI » 23 juil. 2014, 03:08

Bonjour,

Vanleers a écrit :A Alexandre_VI
Il s’agit bien d’un trilemme, car tout principe confronte celui qui y adhère à trois possibilités également insatisfaisantes : 1) chercher à démontrer le principe en question à partir d’autres principes et ainsi à l’infini, 2) chercher de façon circulaire à le démontrer en s’appuyant sur ses conséquences, 3) prendre le principe en question pour argent comptant et renoncer à le démontrer »

Je tiens le principe de causalité (rien n’est sans cause) pour indémontrable mais nécessaire.
Si on le nie, je ne vois pas quel discours nous pourrions tenir, à part, peut-être, le célèbre « Ha ha » de Bosse-de-Nage chez Jarry. (« Ha ha » disait-il en français; et il n’ajoutait rien davantage. »)

C’est un peu court (même s’il en reste assez pour faire un bon psychanalyste).

Bien à vous


Pourtant le fait qu'il ait été mis en doute par des philosophes sérieux comme Hume, Kant et Sartre nous pousserait à chercher un principe encore plus fondamental dont on pourrait le tirer. Ok il paraît évident dans la vie quotidienne et dans les sciences*, mais on peut questionner son extension universelle, par exemple au-delà des limites de l'univers...

Je suis d'accord avec le trilemme et je ne dis pas qu'il faut chercher une régression à l'infini des principes de démonstration. Il faut bien s'arrêter quelque part, se contenter d'évidences de départ. Mon problème est de savoir si le principe de causalité est un principe indémontrable réputé évident ou s'il y a "quelque chose" d'antérieur logiquement à lui.

* Mais il arrive aux physiciens de parler d'événements qui se produisent sans cause, comme la désintégration radioactive ou la naissance de certaines particules à partir d'une sorte de potentiel quantique. Je ne suis pas tout à fait sûr que ces physiciens parlent alors en philosophes... Il me paraît douteux de prétendre prouver empiriquement une absence de cause derrière tel phénomène. Une cause pourrait bien être indétectable.

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Re: Le principe de causalité

Messagepar sescho » 23 juil. 2014, 13:06

A Alexandre VI :

Quelques réflexions "à la volée" qui me viennent sur ce sujet tout-à-fait fondamental :

- "un être qui aurait pu ne pas exister, ou encore exister autrement que maintenant" n'a aucun sens. Il n'y a rien de contingent dans la Nature : tout y est nécessaire et appartient éternellement à la nature de la Nature. Ce qui fait un mode c'est qu'il est et est conçu - et donc défini - non en lui-même mais en autre chose. Un étant est conçu dans l'Être, un corps dans l’Étendue, une idée, un désir, une émotion dans la Pensée ; le fini (délimité) dans l'infini et le temporel dans l'éternel. Par ailleurs, seul ce dont la définition / essence / nature implique l'existence, et donc seul ce qui se conçoit par soi, une substance, peut être dit existant nécessairement (d'où la démonstration de l'existence nécessaire de Dieu de Spinoza) : c'est l'existence même, en fait, indépendamment de la variété de ses manifestations. Seul Dieu-Nature existe par nature : l'existence appartient à la nature de Dieu-Nature seulement. Quand ce n'est pas le cas (cela ne l'est que pour la substance) l'existence n'est pas nécessaire en regard de la définition, c'est tout : elle se constate quand elle est là, point.

- Il y a chez Spinoza deux causalités et non pas une : 1) la causalité immanente, ou raison, et 2) la causalité transitive, soit ce que nous appelons généralement "causalité" aujourd'hui. Schopenhauer récuse l'usage du terme de "causalité" dans le premier sens pour ne lui laisser que le terme de "raison", et plus exactement pour le ramener au Principe de raison (suffisante). Il donne à ce principe une quadruple racine, dont la causalité (transitive, donc) est l'une. Note : personnellement, tout en appréciant grandement la vigueur de l'esprit de Schopenhauer en général, poser quatre racines me semble esthétiquement tout-à-fait incongru...

- Toute démonstration exigeant des prémisses, il est d'une nécessité absolue que les prémisses premières soient établies d'emblée : elles sont à la fois fondamentales et n'entrant pas dans l'ordre démonstratif : ce sont des intuitions primitives (bases de la vie consciente même) pures.

- Ce qui est premier (effectivement) ne dépend (donc) de rien, s’impose en soi et se conçoit par soi. Il est forcément éternel (antérieur au temps - qui lui-même n'est pas soumis au temps...)

- La causalité immanente, ou raison, ou Principe de raison est des deux la fondamentale. Pour moi elle forme un « tout resserré » avec "L’Être est, le non-Être n’est pas" (ou "« non-Être » est contradictoire" / "« non-Être » est la plus élémentaire / grave des contradictio in terminis"), "ce qui est EST", "A est A" (base intuitive de la Logique), "Rien ne vient de rien" : donné par Spinoza comme l’exemple de vérité universelle n’existant que dans l’esprit. Il l’utilise dans plusieurs démonstrations. J’y ajoute encore Dieu-Nature, qui n’est autre que l’être concret de tout ce qui est, soit l’Être, donné immédiatement de manière univoque avec tout ce qui est (en passant : séparer l’être universel du fini est une incompréhension grave en conséquence : l’être est le concret même, et le fini est un mode, une manière, d’être, c’est tout.) Voir E2P47. Le très puissant Louis Lavelle y associe même aussi l’Argument ontologique, avec grande hauteur de vue (le balayement du même argument d’un revers de main avec haussement d’épaules étant l’exact négatif de cette hauteur...)

- En fait tout cela n’apparaît que comme variations d’une pure affirmation d’existence, « il y a », qui ne peut pas cohabiter avec, et qui ne peut donc se transformer en « il n’y a pas », et inversement. Tout ce qui est (Nature naturée) est la manifestation de l’Être, nécessaire (Nature naturante.)

- La causalité transitive (telle évolution – temporelle, donc – dans un système défini a été induite par une pression sur lui de son environnement : l’Orient associe Espace-Temps-Causalité) est une dérivation du principe précédent à une vision du monde en modes individuels (vus quelque part comme statiques.) Elle apparaît avec la nécessité de prendre les modes tels qu’ils sont – et ils ne sauraient être déduits des choses universelles (Dieu-Nature, Mouvement, etc.) –, outre donc par la constatation de l’existence dans la manifestation d’individus effectivement discernables en quelque part. Elle est introduite par Spinoza avec E1P28 alors qu’il vient de passer aux choses singulières depuis E1P24 (le texte de E1P28, qui saute en particulier de « cause » à « chose », est quelque peu difficile ; on peut y voir éventuellement un simple constat d’interdépendance à un instant donné.) Pour moi, la causalité transitive est largement imaginaire, tout au moins quand elle prétend relier des évènements qui ne sont pas simultanés, outre de pousser à substantialiser les modes, etc. Maintenant, les individus étant donnés, c’est une approximation peut-être nécessaire, et qui ne porte pas à conséquence si la vision première et universelle de Dieu-Nature reste présente.

- La vision des choses singulières comme causées par simple englobement (« poupées russes » traduit en terme de causalité) est très discutable (et déjà discuté, en particulier la validité de E2P13L7S) ; Dieu-Nature n’a pas besoin de cela et par ailleurs l’individu de fait a une base beaucoup plus forte de réalité qu’une simple délimitation arbitraire dans l’espace. Mais Spinoza l’utilise surtout pour les idées, dans E2P9 en dérivation de E1P28 en particulier, afin de gérer le postulat du parallélisme s’agissant des idées vraies et éternelles en Dieu mais dont les sensations telles que perçues par le sujet ne sont que des troncatures, etc.

- Plus proche de la causalité immanente m’apparaît être le "modèle physique" : basé sur des substrats et des lois de mouvement (virtuellement) universels et éternels - causalité instantanée -, tout ce qui bouge s’en déduit pourtant. Ceci, outre l'incertitude qui règne sur les lois et leur extension, n’est cependant pas suffisant non plus pour établir ab initio la variété des individus de la Nature...
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Re: Le principe de causalité

Messagepar Vanleers » 23 juil. 2014, 16:55

A Alexandre_VI

Vous écrivez :

« Mon problème est de savoir si le principe de causalité est un principe indémontrable réputé évident ou s'il y a "quelque chose" d'antérieur logiquement à lui. »

Quel est, selon vous, l’enjeu éthique de ce problème ?

Spinoza n’a pas cherché à faire œuvre de science mais à construire une éthique.

Bien à vous

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Re: Le principe de causalité

Messagepar Alexandre_VI » 24 juil. 2014, 00:43

Vanleers a écrit :A Alexandre_VI

Vous écrivez :

« Mon problème est de savoir si le principe de causalité est un principe indémontrable réputé évident ou s'il y a "quelque chose" d'antérieur logiquement à lui. »

Quel est, selon vous, l’enjeu éthique de ce problème ?

Spinoza n’a pas cherché à faire œuvre de science mais à construire une éthique.

Bien à vous


Bonjour,

Il me semble que Spinoza s'intéresse autant aux problèmes spéculatifs qu'aux problèmes pratiques...

Qu'entendez-vous par enjeu éthique? Pour moi il serait assez insensé de nier l'existence de la causalité dans la vie quotidienne (à moins d'être un leibnizien qui pose une harmonie préétablie, mais qui est leibnizien aujourd'hui?), mais la question la plus intéressante, c'est d'évaluer la portée du principe de causalité. De cela dépend la possibilité d'une métaphysique au sens classique du terme.

Il faut aussi déterminer d'où nous vient notre assurance spontanée quant à la validité de ce principe, ce que Kant appellerait un jugement synthétique a priori... Hume a une théorie. Kant en a une autre. Et les sciences cognitives pourraient sans doute nous éclairer.

Dans la mesure où la métaphysique servait de fondement aux systèmes éthiques classiques, la justification du principe de causalité peut avoir des conséquences indirectes en éthique. Mais depuis Rawls, on essaie souvent de séparer éthique et métaphysique.

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Re: Le principe de causalité

Messagepar Alexandre_VI » 24 juil. 2014, 01:27

Bonjour Sescho,

- "un être qui aurait pu ne pas exister, ou encore exister autrement que maintenant" n'a aucun sens. Il n'y a rien de contingent dans la Nature : tout y est nécessaire et appartient éternellement à la nature de la Nature.


On t'a sans doute déjà posé la question, mais... Est-ce que la physique quantique et son indéterminisme n'a pas réfuté, ou en tout cas relativisé, le déterminisme universel de Spinoza?

C'est d'ailleurs peut-être le spinozisme d'Einstein qui l'a empêché toute sa vie d'adhérer à la physique quantique...

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Re: Le principe de causalité

Messagepar Vanleers » 24 juil. 2014, 10:42

A Alexandre_VI

Ce qui intéresse Spinoza, ce n’est pas tellement la question de savoir si tout effet a une cause mais d’affirmer que toute cause a un effet et d’en tirer les conséquences éthiques.
C’est ce que nous comprenons en lisant les axiomes 3 et 4 de la partie I de l’Ethique :

« Axiome 3 : Étant donnée une cause déterminée, l'effet suit nécessairement ; et au contraire, si aucune cause déterminée n'est donnée, il est impossible que l'effet suive.
Axiome 4 : La connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause, et elle l'enveloppe. »

Dès lors, la question éthique importante devient celle de l’adéquation de la cause, telle qu’elle est définie au début de la partie III :

« Définition 1 : J'appelle cause adéquate celle dont l'effet peut être clairement et distinctement expliqué par elle seule, et cause inadéquate ou partielle celle dont l'effet ne peut par elle seule être conçu. »

En effet, le projet éthique de Spinoza est de libération et nous sommes libres lorsque nous agissons, au sens de la définition 2 :

« Quand quelque chose arrive, en nous ou hors de nous, dont nous sommes la cause adéquate, c'est-à-dire (par la Déf. précéd.) quand quelque chose, en nous ou hors de nous, résulte de notre nature et se peut concevoir par elle clairement et distinctement, j'appelle cela agir. Quand, au contraire, quelque chose arrive en nous ou résulte de notre nature, dont nous ne sommes point cause, si ce n'est partiellement, j'appelle cela pâtir. »

Comment être cause adéquate alors que lorsqu’une « chose arrive, en nous ou hors de nous », c’est toujours par l’effet de causes extérieures en raison du déterminisme intégral de Spinoza ?
En effet, lorsque notre corps produit telle ou telle modification dans l’étendue ou lorsque notre esprit conçoit telle ou telle idée, cela s’explique TOUJOURS par des causes extérieures. Mais il peut arriver que cela puisse s’expliquer AUSSI par notre corps seul ou par notre esprit seul. Dans ce cas, nous faisons cause commune avec les causes extérieures qui nous déterminent.

L’éthique de Spinoza ne vise qu’à nous rendre cause adéquate ou plus adéquate de ce qui « arrive en nous ou hors de nous »
Spinoza privilégie la voie de l’esprit comme le signale, par exemple, la proposition 4 de la partie V :

« Il n'y a pas d'affection du corps dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct. »

Mais il y aurait lieu, aujourd’hui, d’explorer également la voie du corps car nous ne savons pas « ce dont le corps est capable » (E III 2 sc.).
Comment le corps peut-il devenir cause adéquate, ou plus adéquate, de ce qu’il produit ? Mais ceci est un autre sujet.

Bien à vous

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Re: Le principe de causalité

Messagepar sescho » 24 juil. 2014, 13:10

Bonjour Alexandre VI

Alexandre_VI a écrit :Bonjour Sescho,

On t'a sans doute déjà posé la question, mais... Est-ce que la physique quantique et son indéterminisme n'a pas réfuté, ou en tout cas relativisé, le déterminisme universel de Spinoza?

C'est d'ailleurs peut-être le spinozisme d'Einstein qui l'a empêché toute sa vie d'adhérer à la physique quantique...

Oui, nous en avons déjà discuté, mais bien que l'introduction de la Mécanique Quantique ait un air de plaisanterie en la matière (qui s'en est déjà très bien passé pendant des millénaires, comme par ailleurs de la neurobiologie, sans pour autant paraître manquer de fond), ce qui se tient derrière est néanmoins de haute portée potentielle.

En passant, j'ai d'ailleurs un autre sujet délicat qui est lié à la Physique : l'entropie, en ce qu'elle apparaît comme la seule grandeur "universelle" marquant intrinsèquement "la flèche du temps" (voir Prigogine & Stengers pour l'association de cela avec la Mécanique Quantique), alors que tout le reste peut s'utiliser virtuellement indifféremment "en suivant ou en remontant le temps." Or, comme rien ne vient de rien, Dieu-Nature, l'Univers, ne change pas de nature d'un iota quoiqu'il s'y déroule. Donc une allégation comme "l'entropie de l'Univers ne peut faire qu'augmenter" soit est fausse, soit plus probablement l'entropie (qui est liée elle-aussi dans le détail à des considérations statistiques, outre à l'indiscernabilité quantique des molécules : sujet qui interpelle pour le moins aussi, en passant...) n'est pas purement représentative de l'univers.

En plus Spinoza dit que nous imaginons le temps, et cela aussi est bon à discuter... :-)

A noter en outre en Mécanique Quantique qu'avec la corrélation de "particules" à distance aussi grande que l'on veut, la décorrélation est réputée se transmettre absolument immédiatement "de l'une à l'autre", et donc soit conteste la localité, et donc l'Espace, soit la relativité restreinte qui stipule qu'absolument rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière quel que soit le référentiel (outre que Relativité et Mécanique Quantique ne sont pas compatibles sur la gravitation, et qu'on ne sait toujours pas résoudre ce problème, que l'on ne sait pas relier la Mécanique Quantique à la Mécanique classique, etc., etc.) L'Espace et le Temps "prennent aussi un coup" en Relativité... C'est dire si le préjugé physicaliste sent la bouse...

Réflexions en vrac, à nouveau :

- La Métaphysique est d'une exigence totale en matière de Philosophie dans ce qu'elle ne tolère pas qu'on utilise une quelconque notion sans l'avoir d'abord placée avant de manière parfaitement discernée dans la hiérarchie ontologique. Pas d'autorisation de paradigmes, de sous-entendus, etc. possible : le travail en serait immédiatement gâché dès l'origine. Pas question d'accepter quoi que ce soit a priori sans en avoir examiné la pertinence absolue compte tenu de ce qui est déjà posé. Autrement dit en particulier : ce qui arrive en premier (et il s'agit de la vraie vie, pas d'un jeu quelconque, mathématique ou autre) selon l'intuition pure doit nécessairement être posé en premier, et le reste relativement à cela. Il n'y a pas de dérogation acceptable en la matière, puisque cela lui est directement contraire.

Comme dit Spinoza, par exemple, quand on a développé la Philosophie en partant d'un prétendu pur en-soi des modes, on ne peut plus prendre pleine conscience de Dieu-Nature. Idem avec un départ sur le couple sujet-objet, a fortiori avec un préjugé physicaliste, etc. Plein de développements philosophiques sont viciés dès l'origine (et Kant, par exemple, qui part d'une scission du couple sujet-objet, est lui-même réfuté par nombre de ses suivants, dont même Schopenhauer, et Nietzsche, Lavelle qui a pourtant reçu un enseignement kantien, etc.)

A contrario, bien sûr, placer en tête une élaboration tardive de la pensée est d'emblée se tirer un missile dans le pied...

- "La Matière" est une pensée, et même une pensée d'élaboration tardive, et la Physique n'est pas la Matière, comme il est absolument évident, mais une pensée sur la Matière, donc une pensée discursive sur une pensée déjà élaborée, laquelle est nécessairement basée sur une pensée primitive... Vouloir "expliquer" la Pensée par la Matière est évidemment dans ce cadre une totale idiotie ; a fortiori par la Physique. La preuve la plus radicale est qu'aucune sensation prise en elle-même, en tant que ressentie, ne peut être traduite en autre chose sans perdre sa nature : la Physique ne pourra jamais dire ce que c'est que voir, entendre, etc. Bien plus : au contraire, c'est "la Matière" qui est construite sur la base de ces sensations ; a fortiori la Physique...

On peut encore ajouter, outre les contradictions et vides de la Physique, que ceux qui s'intéressent à la structure fine de la Matière finissent par dire (avec abus, mais on en comprend bien l'origine) "en fait, la Matière n'existe pas..." La Matière existe seulement comme représentation d'un sujet, dépendant irréductiblement de la disposition générale et particulière de ce sujet, mais elle est tout en même temps objective, et surtout il y a partout perçu de l'être-là, qui n'est donc pas rien...

- L'homme n'est pas la Nature, mais seulement un de ses modes : il est impossible qu'il puisse s'y égaler, et encore moins se la représenter absolument (on sent bien que dire cela est même totalement insensé) c'est à dire l'égaler par quelque chose qui donc serait différent d'elle-même, et qui la regarde, et que pourtant elle doit contenir... 8O

- Même l'espace et le temps se discutent, et même doivent se discuter d'abord. Il est nécessaire et "suffisant" (mais il faut un cerveau d'une rigueur d'airain pour ne jamais se prendre les pieds dans le tapis...) de respecter scrupuleusement l'ordre ontologique pour traiter intelligemment de tout cela.

Donc : une élaboration tardive sur des bases incertaines, incomplètes, etc. n'est pas de nature à contredire une vérité universelle, comme "rien ne vient de rien," sauf à pouvoir dérouler scrupuleusement tout le tapis dans ses moindres implications jusqu'à trouver une contradiction. Ce n'est pas ce qu'une base mal établie peut faire.

Une décomposition nucléaire se produit à un rythme irrégulier (mais avec une demi-vie en moyenne quand-même) sans aucune cause apparente à l'Homme ? Bon, peut-être que ce mouvement apparent apparemment circonscrit ne change rien à l'univers par lui-même, sans compensation ailleurs ; peut-être que l'Homme est absolument incapable de voir un élément de causalité, une certaine dimension de l'être, etc.

- Une vérité absolue, et apparemment la seule, est : il y a. C'est forcément le point de départ de tout : l'existence pure, qui se confond avec la pensée pure, qui est "connaissance intuitive pure d'existence", et que l'on accorde de façon univoque à tout ce qui est ; et comme on n'admet rien de réel qui ne soit existant, absolument impossible de remonter plus haut...

Il semble cependant (c'est la question de départ) que "rien ne vient de rien" n'ait pas la même pureté - évidence - absolue, et soit plus ou moins le résultat d'un raisonnement : si quelque chose peut devenir rien, ou rien devenir quelque chose, sans cause aucune, il ne peut pas y avoir une chose plutôt qu'une autre : donc il n'y aurait rien. Ou : c'est quoi le passage de rien à quelque chose : rien ou quelque chose ? Ou : s'il n'y a pas de cause, pourquoi y aurait-il changement (et il faut percevoir de façon stable pour voir un mouvement, etc.) ?

Mais il est plus probable que c'est l'encombrement mental, le "mal" psychologique même, qui fait douter de la chose : même un chien cherche sa balle perdue comme ne pouvant disparaître, et donc se trouvant nécessairement quelque part...

Outre qu'il ne sert de rien de discuter de quoi que ce soit si ce qui était vrai il y a un milliardième de seconde peut ne plus l'être (même dire cela est insensé...)

P.S. Et on peut aussi demander : quelles certitudes vous permettent d'affirmer - sans le remettre en cause immédiatement... - qu'une décomposition nucléaire se produit sans cause ?
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Re: Le principe de causalité

Messagepar Alexandre_VI » 25 juil. 2014, 19:10

à Vanleers,

Merci, je comprends mieux le projet de Spinoza.

Comme j'ai dit, il n'y a guère de doute sur la validité du principe de causalité dans la vie de tous les jours. Le seul problème est de distinguer les causalités réelles des liens imaginaires de causalité (le sophisme "post hoc, ergo propter hoc"). Une bonne partie de la science se consacre justement à chercher des causalités réelles et à écarter des causalités imaginaires. Donc si Spinoza se contente de manier la causalité dans le cadre limité de la vie quotidienne, il n'y a pas grand-chose qu'on puisse lui opposer.

Deuxièmement, comme tu dis, Spinoza part de la cause alors que le problème classique de la justification de la causalité part de l'effet pour se demander s'il y a une connexion nécessaire avec la cause.


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