Commentaires de l'article "Fondements spinozistes ...&a

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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bardamu
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Commentaires de l'article "Fondements spinozistes ...&a

Messagepar bardamu » 14 mai 2005, 12:38

Le forum étant plus pratique pour poursuivre les discussions et que s'expriment les passions :twisted: , je me permets de reprendre les échanges qui ont eu lieu en commentaire de l'article "Fondements spinozistes d'un Non au traité constitutionnel Giscard" de Henrique.
Ce message sera suivi d'un second reprenant la lutte finale entre moi-même et le féroce Miam.

Série 1
AUgustindercrois a écrit :Cher henrique,
Votre article est louable, mais je ne suis pas sûr qu'il faille faire dire à Spinoza ce qu'il ne dit pas. D'abord, parce que les avancées sociales en vigueur dans l'Europe du XXIème siècle n'existaient pas au XVIIème siècle.
Cette constitution reste mauvaise, mais elle est meilleure que ce qui précédait et notamment le Traité de Nice. Pourquoi refuser un progrès? Cela me semble absurde.
Cette constitution est un compromis entre libéraux et sociaux libéraux. Des avancées sociales seont prises en compte. Pourquoi s'en priver?
Sur les conditions de révision du TCE: elles sont plus souples que celles d'un Traité....
Voir la réponse de Monsieur Bastien François à M. Etienne Chouard.:
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/2 ... ncois2.pdf
Comme vous, je ne suis pas un néo- libéral.
Pourtant, je considère que cette constitution ajoute plus qu'elle ne détruit.
Bien à vous,
Ader

Cher Ader,

Je n'ai pas dit que ce que le personnage Spinoza aurait voté aujourd'hui, ce serait effectivement assez absurde et peu intéressant au fond. D'ailleurs cet auteur a pris certaines positions (par exemple l'inégalité des femmes) que je réfuterais à partir de sa philosophie même. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment la théorie spinozienne, qu'elle soit politique ou éthique d'ailleurs, peut nous éclaircir dans nos prises de décisions pratiques quotidiennes ou historiques.

Votre argument maintenant pourrait se fonder sur un principe qui peut à la fois valoir en éthique et en politique : "Entre deux biens, la raison nous fait choisir le plus grand ; et entre deux maux ; le moindre." (Ethique IV, 65). Vous dites 'la constitution Giscard n'est pas bonne mais le traité de Nice est encore pire', donc préférons le moins mauvais. C'était aussi ce que je pensais et avec un fédéralisme que je veux réaliste (je répondrai à Bardamu sur ce point), c'était ce qui faisait que j'avais un a priori positif pour ce traité.

Mais, et c'est là que la philosophie générale seule ne peut nous aider à décider, il faut aussi tenir compte des détails : j'utilise le même principe pour justifier le rejet de ce traité. Entre le mal qui consisterait à rejetter les légères avancées de ce traité et le mal qui consiste à constitutionnaliser la politique sociale et économique de la partie III (quelle qu'elle soit d'ailleurs), interdisant par la suite toute alternance politique, ce qui est un déni profond des principes mêmes de toute démocratie, je choisis le moindre mal qui consiste à refuser de petits pas vers le social car cela permet en même temps d'éviter un grand bon en avant vers le déni de démocratie réelle inhérent à l'ultralibéralisme.

Un compromis "entre libéraux et sociaux libéraux", c'est bien cela, mais quid d'une véritable sociale démocratie ? D'autre part, il y a de bons et de mauvais compromis. Ce n'est pas parce que c'est un compromis que c'est forcément ce qu'on est en droit d'attendre de mieux. Les "avancées sociales" sont toujours cadrées par des articles qui les rendent très peu contraignantes ou soumises selon une logique ultralibérale au principe de "concurrence libre et non faussée". En revanche, les politiques néolibérales de la partie III sont désormais constitutionnalisées. Ce qui signifie que si demain ou après demain une majorité sociale démocrate se dégage en Europe et se propose une politique de régulation politique des marchés, elle n'aura pas le droit constitutionnel de le faire. Et il suffira d'un seul pays resté néolibéral pour bloquer toute modification de la constitution (ce qui de toutes façon serait très long) le permettant.

Je veux bien que les procédures aient été légèrement assouplies mais elles restent à la double unanimité ce qui est unique au monde pour une constitution. Et maintenant qu'ils vont avoir leur constitution quasi inviolable, la fin de l'Histoire est atteinte pour les néolibéraux, pourquoi accepteraient-ils, même ultraminoritaires de changer quoique ce soit de ce qui exprime tous leurs crédos ?

Si ce traité est ratifié, il deviendra la "constitution pour l'Europe", aucun juge n'aura compétence comme Bardamu pour juger que le mot "constitution" est usurpé, il donnera raison aux néolibéraux contre toute tentative de politique de type keynesienne par exemple. Si les démocrates laissent passer cela, ce sera, selon la logique même du texte - = je ne joue pas les Mme Mirza -, un véritable coup d'arrêt au progrès de la démocratie en Europe, c'est-à-dire la simple possibilité d'une alternance politique.

Pour rendre possible ce plus grand bien que serait la mise en place d'une confédération de nations assemblées autour de véritables valeurs démocratiques (certainement pas à 25 dans un premier temps), il faut refuser ce moindre bien d'une pseudo-démocratie qui ne contrôle rien et qui sacralise le marché comme principe régulateur fondamental. Car si on dit oui aujourd'hui, la possibilité d'une Europe véritablement démocratique sera mise en berne pour plusieurs décennies : "La raison nous fera préférer un plus grand bien à venir à un moindre bien présent, et désirer un moindre mal présent qui est la cause d'un plus grand bien à venir." Ethique IV, 66.

Maintenant, quand je vois le martelage, que dis-je, le marteau piqueur médiatique en faveur du oui, la désinformation systématique allant dans ce sens, et pour ce qui est, ici, du petit jeu des pronostics, le non est mal parti.

Pour finir sur les objections de Bastien François à Chouard, il faut aussi citer les réponses que ce dernier y apporte, ainsi que celles de Jean-Jacques Chavigné :
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Echanges.htm [etienne.chouard.free.fr]

Amicalement,
Henrique

Serie 2

Bardamu a écrit :Crois-tu vraiment que nous soyons menacés par les hordes fascistes prêtent à nous lancer dans une 3e guerre mondiale ?

Finalement, entre l'apocalypse néolibérale soutenue par le fascisme des désespérés et l'apocalypse d'une Europe tombant en ruine face au refus des Français, je ne sais que choisir...

"la crainte naît de l'impuissance de l'âme, et par conséquent ne se rapporte point à la vie raisonnable ; et j'en dis autant de la commisération, bien qu'elle semble quelquefois revêtir le caractère de la piété."

Aussi, sans peur et sans pitié, je crois que je vais en rester à mon idée comme quoi ce texte n'est pas une constitution d'Etat (c'est évident puisqu'il sera ratifié par des Etats souverains), qu'il ne menace pas grand chose parce qu'il exprime plus ou moins le mode de vie désiré par les européens (du pouvoir d'achat et des retraites mais plus ou moins de déficit étatique selon les tendances), et qu'il aura la vertu d'accélérer les choses.

Je crois que personne ne peut prévoir les effets (si il y en a...) de ce texte, et je n'oserai mettre en doute les vertus social-démocrates de Delors ou de Simone Veil, par rapport aux membres d'une glorieuse base ("quand ils sont bien informé" puisque chacun sait que toute personne pour le "oui" est soit un dirigeant vendu soit un homme de la base mal informé).

Là où Spinoza a sans doute raison, c'est dans son discours sur l'art machiavélique de maîtriser la multitude à défaut de la réformer : de la religion, de l'affect, des espoirs et des craintes.
Mais objectivement, personne ne peut dire ce qu'il adviendra.
Blair, en dépit de son libéralisme, n'a ni de problème de chômage, ni de problème d'extrême-droite ou d'êxtrême-gauche, et a été réélu par ses concitoyens.
Et si il avait raison ? Si il fallait en passer par 20 ans de perte d'acquis pour que l'Europe s'équilibre pour le plus grand bénéfice de tous ?
Qui peut savoir quel effort sera nécessaire pour que nos voisins daignent ne pas venir casser le supermarché géant dans lequel nous discutons ?

Et quelle importance que nous perdions de l'argent ? "pour ceux qui connaissent le véritable usage de l'argent et règlent sur leurs besoins la mesure de leurs richesses, ils savent vivre de peu et vivre contents." Après tout, tant que les français arrivent à mettre 15% de leur richesse de côté, c'est qu'il doit bien y avoir 10% de marge pour servir les autres.

Et donc, bien que me considérant comme spinoziste, je ne vois pas dans ce texte plus d'atteinte à la démocratie que pour l'ONU (va-t-on refuser l'ONU parce que ce n'est pas de la démocratie directe ?), pas de problème de révision puisque les Etats ont volontairement fait en sorte qu'aucune volonté extérieure ne s'appliquerait à leurs citoyens sans leur accord, pas de retour à l'état de nature (comment serait-ce possible avec un traité qui dépend par essence d'un état de droit ?) et pas de menace pour la paix et la sécurité, tout mouvement d'uniformisation allant dans le sens de la paix (qui se ressemble s'assemble...).

Par contre, étant sans doute tendance anarcho-libéral (salaire = esclavage), peu attiré par une social-démocratie aussi tranquille qu'ennuyeuse, et allergique au dirigisme, il est sans doute normal que je ne fasse pas le même usage que toi de Spinoza.

Je ne crois rien, Fabien, je vois simplement la montée des extrêmes droites partout en Europe à mesure qu'augmente l'impuissance politique à réguler les conditions socio-économiques d'existence des peuples. C'est purement factuel.

Par ailleurs, pour choisir, il y a aussi l'argument central du déni de démocratie que j'ai expliqué et réexpliqué à Ader. Mais si tu te considères comme anarcho-libéral, je peux difficilement de suggérer la logique du bien préférable à un moindre bien ici puisqu'au fond tu te défies de la démocratie comme Proudhon. Seulement, si vraiment tu te considères comme tel, tu devrais logiquement ne même pas voter du tout. Pour un anarcho-libéral cohérent, "élection, piège à con".

La crainte, il faut aussi le rappeler, est "une tristesse mal assurée, née aussi de l'image d'une chose douteuse" (E3P18, S2). Il n'y a aucune tristesse dans mon propos, il y a simplement la mise en évidence d'un risque réel, déductible du texte même (renonciation à la régulation politique au niveau européen dans une situation historique où elles ne sont plus possibles aux niveaux nationaux = impuissance politique = défiance des peuples vis-à-vis de leurs représentants = tentation de l'homme providentiel, séduction des discours protestataires).

Contrairement aux discours incantatoires d'un Chirac qui convoque les grandes valeurs de l'histoire pour justifier le oui, je m'appuie uniquement sur le texte et ce qu'il a déjà produit puisqu'il est la reprise d'une politique déjà ancienne. Certes, ce texte comme aucun ne fera pas tout et ne permet pas de juger de l'avenir. Mais il constitue un élément déterminant allant dans ce sens. Ne pas vivre dans la crainte ne signifie pas vivre en aveugle, quand bien même notre vue est limitée.

Sur le caractère constitutionnel ou non de ce traité, je te répondrai sur le forum.

Tu sembles me prêter des propos bien exagérés sur ce que je pense des partisans du oui à gauche. Il y a aussi des dirigeants mal informés qui se contentent intellectuellement d'un suivisme confortable et il y a des militants de base qui sont vendus au parti du grand capital ! J'les appelle des social traitres d'ailleurs !

Quant à Blair, il faut y voir de plus près. Il a certes joué une carte tatchérienne sur certains points stratégiques, destinés à complaire au marché, mais il a mis en place des politiques résolument sociales, notamment sur le plan de la santé. Son déficit public a d'ailleurs largement dépassé les 3,5 %, mais à lui on ne lui dit rien parce qu'il n'est pas dans la zone euro ! Son peuple a donc l'impression, au moins relative, d'un dirigeant possédant une puissance politique. Quant au chômage, son chiffre de 5% est pas mal trafiqué. L'extrême pauvreté et la précarité se sont accrus.

Pour ce qui est d'une harmonisation générale entre tous les pays européens, quitte à y perdre des avantages matériels, je suis pour. C'est ce qui s'est produit avec le passage de 12 à 15, ou encore dans un autre cadre lors de la réunification de l'Allemagne, mais cela a demandé justement des sacrifices, des moyens publics. Or maintenant rien n'est fait dans ce sens et la constitution accentue les difficultés.

Et si c'est à moi que tu demandes de perdre de l'argent pour vivre dans ton grand rêve anarcho-libéral, tu sais bien que ce n'est pas mon problème sur le plan éthique. Mais nous parlons de politique et ici le principe de simplicité que tu rappelles ne vaut pas pour gouverner la multitude. Si on lui demande de faire des sacrifices, elle peut cependant l'accepter mais à condition que ce sacrifice puisse lui paraître équitable et permette d'envisager clairement une amélioration pour tous. Le problème aujourd'hui est que nous avons une Europe plus riche que jamais avec des citoyens "de base" à qui on a jamais autant demandé de sacrifices vis-à-vis de leurs (maigres) avantages existants (en dehors des guerres s'entend). Tu ne vois pas que cela peut être à plus ou moins long terme une situation explosive ?

Le principe de sagesse des lois que j'ai mis en avant dans cet article avec Spinoza est un principe qui nous amène à évaluer le caractère potentiellement dangereux des lois. Cela implique la nécessité de faire quelques prospectives. Non des prévisions. Mais quand un risque existe de fait, la question est alors de savoir si le jeu en vaut la chandelle. Je ne vois rien dans ce texte où la concurrence libre et non faussée est érigée en valeur en soi qui puisse justifier ce risque.

Le libéralisme classique d'Adam Smith n'a jamais considéré que la libre concurrence pouvait être une fin en soi, contrairement à l'ultralibéralisme de cette constitution qui en fait un objectif de l'union au même titre que la paix ou le bien être. Pour les libéraux classiques, ce n'est qu'un moyen. Et de plus un moyen qui ne vaut pas dans tous les secteurs d'activité. Comment te dire ? Si tu fais de ce principe de libre concurrence une valeur en soi, cela signifie qu'elle ne peut avoir de limite. Or à quoi nous mène une concurrence infinie, logiquement ? A la destruction mutuelle, que ce soit une destruction purement physique, mais aussi et cela suffit bien souvent, une destruction économique, médiatique, sociale. C'est ce que Spinoza appelle l'état de nature.

Certes, c'est comme l'histoire de la grenouille qu'on plonge d'abord dans l'eau tiède et qui ne se rend pas compte qu'elle va se faire bouillir, cela peut très bien se passer très progressivement. Nous avons donc avec le modèle ultralibéral une société qui se dissout petit à petit. En France, cela s'appelle par exemple montée des communautarismes.

Et je ne dis pas bien sûr que c'est ce que veulent clairement les anarcho-libéraux. Je dis seulement qu'ils nous mènent là où ils n'ont pas très bien réfléchi. Je crois que je fais en fait beaucoup moins confiance que toi dans la nature humaine spontanée.

Amitiés
Henrique
Miam a écrit :Il est en effet certain que plus le pouvoir semblera loin de la population, plus celle-ci sera poussée à se jeter dans les bras des démagogues populistes et/ou fascistes. Le problème, c'est que plus le pouvoir s'éloigne, plus le tissu social se déchire; non pas que celui-ci ait besoin du pouvoir: au contraire c'est le pouvoir éloigné qui tire sa puissance de la désocialisation. Mais il laisse un gros vide. Car si l'on détruit les organisations syndicales (puisqu'elles n'ont plus rien a dire au niveau national) et si l'on promeut un style de vie (stupide) "de classe moyenne", qui va tenir la rue sinon les démagos fascistes ? Il est vrai que Bardamu se fout de la rue. La réalité, pour lui, c'est ce qui s'écrit sur son ordinateur...

Bardamu a écrit :Salut Henrique,
Plutôt que de démagogie ou de démocratie, il s'agirait d'une "démologie", discours sur et pour le peuple. Mais je n'ai ni envie de diriger la majorité (démagogie), ni envie que la majorité me dirige (démocratie).

Il est vrai que je n'ai pas parlé de tes analyses philosophiques parce que ce n'est pas là que je vois de sujet à discussion.
Il me semble que ton propos est de dire que Spinoza est plus ou moins un social-démocrate et que cette constitution n'est ni sociale ni démocrate.
Je veux bien admettre que Spinoza est social-démocrate, avec toutes les réserves que 3 siècles de distance imposent, mais reste la question de savoir si cette constitution l'est ou pas.
Pour toi, elle ne l'est pas, pour moi, elle est relativement équilibrée au niveau social, et ne remet pas en cause la démocratie bien que celle-ci ne soit pas ici une démocratie directe (mais c'est pareil pour l'ONU).

Et quelles qu'aient été les expériences du passé, nous sommes entrés dans un processus de mondialisation qui change beaucoup de choses. Peut-on vraiment tirer enseignement pour aujourd'hui de la situation des années 30 ? Y'a-t-il encore en Europe un "Grand Capital", une lutte des classes, des nationalismes militaristes (nous n'avons même plus de service militaire...) ?
Ce que tu dis sur la période 81-83 et une analyse de Jacques Généreux ( http://www.lexpansion.fr/art/6.0.114425.0.html ) se rejoignent, pour moi, dans le constat qu'il n'y a plus d'économies indépendantes.
Décider d'une économie keynesienne alors que le reste du monde fait autre chose peut-il fonctionner ? Je ne suis pas assez bon économiste pour le savoir et je ne suis pas sûr que ce soit une question vraiment politique. C'est d'ailleurs un problème pour moi que la politique se réduise à l'économique que ce soit sous sa forme sociale (retraites par répartition, 35h...) ou sa forme libérale (retraite par capitalisation, libre choix des heures de travail...).

Tu dis "libéralisation signifie dérégulation, flexibilisation", mais est-ce le cas en Europe ? Pour moi, l'Europe libéralise le marché intérieur, détruit les frontières nationales, pour le réguler de manière supra-nationale.

Et du point de vue des habitants de l'Est, ceux qui ont le pouvoir économique ce sont les habitants de l'Ouest.
...les hommes sont de nature très diverse (ceux qui vivent selon la raison étant en bien petit nombre), et malgré cette diversité, la plupart sont envieux et plus enclins à la vengeance qu'à la miséricorde.
Il me semble que notre souci principal devrait être de faire en sorte que les tentations de nos voisins ne les poussent pas vers une "envie" excessive. Libéraliser le marché intérieur, c'est dire à nos partenaires : maintenant nous sommes à égalité, nous lions notre destin au vôtre.
Je ne vois pas dans cette libéralisation une ruse d'ultra-libéraux désirant ramener l'homme à l'état de nature, mais l'affirmation d'une volonté de co-développement plein et entier. Les astuces où on affirme verbalement le soutien aux pays plus pauvres puis la mise au point de mesures contraires à leur développement, ne fonctionneront plus.

Donc, la question reste la même : ce texte est-il ultra-libéral ou pas ? renvoie-t-il à l'état de nature ou pas ? menace-t-il la démocratie ?
N'est-il pas plutôt l'expression du système occidental tel qu'il s'est développé depuis 50 ans, mélange de démocratie à limite de l'oligarchie, de libéralisme économique tempéré (rôle des subventions) et de pensée unique ? Affirmation universelle de la volonté de paix et de justice, d'une volonté de confort pour tous, d'une volonté d'environnement sain etc. et pouvoir de politiciens de carrière associés à la technocratie pour mener l'humanité vers ce bonheur.
...ceux qui vivent selon la raison étant en bien petit nombre

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Messagepar AUgustindercrois » 14 mai 2005, 14:50

Cher Henrique,

Contrairement à ce que disent les ouiistes de mauvaise foi, je ne pense pas que le non français aura des conséquences apocalyptiques. On réintroduira par la bande, au moyen de ratifications parlementaires, l'essentiel du contenu des parties I et II, qui constituent des améliorations sensibles et d'ailleurs techniques ( élragissement de la codécission et du principe de majorité qualifiée par exemple).

En revanche, je pense que la critique souverainiste des noniens est délétère. L'Europe, et son idéal de paix, demeure une valeur essentielle à mes yeux. Je me souviens d'un beau texte de Kant à ce sujet, et vous qui êtes prof de philo devez l'avoir en mémoire mieux que moi.

Je m'aperçois que mon oui est plus l'affirmation d'un idéal que la reconnaissance d'une réalité (anti - sociale). Il y a quelque chose de tragique dans mon oui, lucide, qui en connît les conséquences plutôt désastreuses, et qui persiste cependant, identique en lui- même. Persévérance anti - conaturelle.

C'est d'ailleurs pour cela que j'apprécie Spinoza: l'énigme du conatus, tel que défini dans l'Ethique, me fascine.

Mais là n'était pas votre sujet. Vous vous placiez d'un point de vue social.
Et il est vrai que ce Traité n'est pas social.

Cependant, ne craignez - vous pas que votre non soit associé au non souverainiste, fasciste et ultra - réactionnaire?

C'est cette crainte ( au sens spinoziste, qui était rappelé, peut - être par vous) qui m'anime aujourd'hui.

Amicalement,

Ader

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Messagepar AUgustindercrois » 14 mai 2005, 14:56

Cher Henrique,


Pourriez - vous m'indiquer où SPinoza est aussi mysogine ( comme d'ailleurs la plupart de ses contemporains)? Cela m'intéresse pour l'ouvrage que je rédige sur ses mémoires imaginaires.

Amicalement,

Ader

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Messagepar Henrique » 15 mai 2005, 01:36

Cher Ader,
Il est clair que le oui de gauche, s'il respecte le "devoir de vérité" comme disait Delors, ne peut qu'être résigné à la domination actuelle du néolibéralisme. Le pseudo enthousiasme qu'on voit ça et là à gauche ou dans la droite héritière du gaullisme, relève au mieux d'une lecture erronnée du texte. Reste, quand on sait lire, le calcul. Celui-ci consiste à se dire qu'en créant un espace politique européen, caractérisé par un ensemble de règles consistant précisément à ôter a priori toute puissance politique aux peuples et à leurs représentants (puisque pas d'alternance possible et pas de moyens financiers propres etc.), alors l'Europe se révélera vite ingérable (on ne peut même pas parler de gouvernance) notamment en cas de crise économique importante, alors la nécessité d'une Europe enfin politique se ferait jour. Dans une optique finalement assez similaire, Toni Negri fait campagne pour le oui.

Je suis d'accord avec vous sur le souverainisme. Pour sortir de l'état de nature entre les nations, autrement dit la menace permanente de la guerre, il faut que celles-ci établissent entre elles un contrat social propre à offrir une paix et une sécurité durables et autant que possible "perpétuels" pour parler comme Kant. A cet égard, le terme de cette logique n'est pas l'Europe mais l'espace cosmopolitique mondial.

Mais je vous rappelle à nouveau ce texte de Spinoza sur la paix : "la paix, ce n’est pas l’absence de guerre ; c’est la vertu qui naît de la vigueur de l’âme, et la véritable obéissance est une volonté constante d’exécuter tout ce qui doit être fait d’après la loi commune de l’État. Aussi bien une société où la paix n’a d’autre base que l’inertie des sujets, lesquels se laissent conduire comme un troupeau et ne sont exercés qu’à l’esclavage, ce n’est plus une société, c’est une solitude.
Lors donc que je dis que le meilleur gouvernement est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, j’entends par là une vie humaine, une vie qui ne se définit point par la circulation du sang et autres fonctions communes à tous les animaux, mais avant tout par la véritable vie de l’âme, par la raison et la vertu."

La paix que nous "offre" ce traité, c'est celle qui existe aujourd'hui à bien des égards, puisque sa fameuse partie III ne fait que reprendre les traités antérieurs. Cette paix et cette sécurité deviennent de plus en plus une simple absence de guerre ou d'atteintes à l'intégrité physique des personnes. A la guerre militaire, le néolibéralisme tend à substituer une seule réponse possible, la guerre économique. C'est sans doute un progrès : voir ses conditions de travail s'intensifier, augmenter en temps, baisser en salaire, se précariser, subir la menace permanente du chômage etc. tandis que la richesse globale n'a jamais été aussi importante (eh oui, il faut bien financer la retraite à 55 ans et l'indemnité de plusieurs millions d'euros de chefs de multinationales comme Carrefour) et s'entendre dire malgré tout qu'on n'est toujours pas assez "compétitifs" parce qu'il y a encore trop de charges sociales, trop de services publics etc. tout cela semble moins grave que la guerre militaire.

Cette paix, l'absence de guerre civile actuelle, ce n'est pas l'obéissance aux lois dont on saurait qu'elles servent véritablement l'intérêt général et qu'elles sont porteuses d'une vision d'ensemble assez belle pour orienter toute une collectivité. Cette paix, ce n'est que la résignation à des lois qu'on nous dit inévitables, naturelles (on se demande alors pourquoi elles ont eu besoin d'être instituées et écrites mais on en est plus là). Cette paix, ce n'est pas la paix.

Alors que les libéraux classiques comme Smith avaient compris avec raison que le commerce international permet de pacifier les peuples, mais n'est cependant qu'un simple moyen, le dogmatisme néolibéral fait de la libre concurrence une fin en soi (c'est dans les "objectifs" du TCE). Dans cette logique là, il ne faut pas alors oublier que le commerce sans aucun contrôle politique peut très bien faire bon ménage avec la guerre, comme d'ailleurs le préconise la constitution elle-même : "Les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires" (I-41-3) (aucune politique de désarmement international n'est alors envisageable et d'autres articles sur le terrorisme peuvent très bien être interprété par les atlantistes d'Europe (GB et pays de l'est) comme allant dans le sens des guerres "préventives" des USA contre le terrorisme). Et il ne faut pas oublier l'inénarable art. III-131 qui indique que "en cas de trouble intérieur grave affectant l’ordre public, en cas de guerre ou [...] de menace de guerre", les Etats se consultent "pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté". On apprend donc qu'on pourra se faire égorger dans son pays mais que l'Europe sera là et fera tout pour nous "offrir" le maintien d'un espace de "concurrence libre et non faussée".


Ader, je ne sais quel âge vous aviez en 92, mais à l'époque j'avais voté oui au traité de Maastricht. Je voyais bien que commencer par l'union économique plutôt que par l'union politique était dangereux et au fond d'une efficacité incertaine pour garantir l'idéal de paix et de sécurité entre les peuples qui est le mien. Que dis-je "idéal" ? C'est simplement une nécessité liée à tout conatus bien compris. Mais j'avais pensé qu'un petit pas valait mieux que rien. Seulement 12 ans après, on n'a fait aucun pas vers une Europe ayant la moindre chance de devenir socialement progressiste, et cette constitution s'apprête à enterrer définitivement cette simple possibilité.

C'est pourquoi en politique, l'idéal ne suffit pas, il faut aussi connaître les réalités empiriques en présence (cf. TP, chapitre I). D'autant plus que cet idéal peut être exploité, avec quelques belles formules qui n'engagent à rien, par ceux-là même qui ne se situent pas dans la logique d'une concorde entre les peuples et les gens, mais dans une logique de domination - qu'elle ait été par le passé politique, ou qu'elle soit aujourd'hui encore militaire et qu'elle soit surtout économique.

Aussi, j'ai mis un moment à me décider, car dans la logique qui était la mienne et qui est la vôtre, j'étais a priori favorable à l'actuel traité. Mais vous voyez il est possible de changer d'avis même et surtout si on est fédéraliste. Car une constitution qui va nous enfoncer dans plusieurs décennies de néolibéralisme, qui verrouille soigneusement toutes les possibilités d'adaptation ultérieure du dogme monétariste du premier traité de Rome à la réalité socio-économique mondiale, ce n'est pas vraiment un bon calcul...

Remarquez bien que ce que je demande avec les fédéralistes de gauche, ce n'est pas un traité "social" ou encore moins "socialiste". C'est simplement une véritable règle du jeu politique qui précise les conditions de l'exercice politique sans pour autant en décider l'issue a priori. C'est le seul bon compromis possible avec les néolibéraux. Non pas une constitution de gauche et de droite (quand bien même cela aurait été équilibré, ce qui n'est pas le cas : à la gauche les déclarations d'intentions purement formelles, au néolibéralisme les politiques socio-économiques contraignantes), mais une constitution qui réellement ne soit ni l'une ni l'autre, qui se contente de fixer des objectifs acceptables par tous (la paix, la sécurité, la liberté des personnes...) sans préjuger des moyens politiques, en définissant simplement comment se met en place le jeu des pouvoirs.

C'est pourtant l'évidence même, quand on se dit démocrate. C'est l'évidence lumineuse. Comment accepter de dire oui "pour une durée illimitée" (IV) à une politique qui non seulement s'est avérée bien peu efficace en termes sociaux et aussi économiques mais qui en plus sera la même pendant des décennies, quelles que soient les évolutions du monde ? (le rôle des représentants se limitant alors une simple adaptation gestionnaire des aléas du siècle, faisant fi de toute "volonté générale" des peuples) C'est non seulement antidémocratique, économiquement stupide mais aussi humainement absurde. Mon conatus en tout état de cause ne peut se résoudre à vouloir l'absurdité même.

Alors, est-ce que mon vote ne sera pas associé aux souverainistes, fascistes et réactionnaires ? J'ai plusieurs réponses à cela.
- D'abord, est-ce que le jour où Le Pen déclarera qu'il faut boire de l'eau chaque jour pour vivre, il faudra renoncer à se désaltérer pour ne pas être du côté des réactionnaires ? Evitons ce piège. Qu'il y ait de mauvaises raisons de voter non n'empêche pas qu'il y en ait de bonnes et c'est la raison qui compte plus que la question de savoir ce que voteront tel ou tel.
- Ensuite, votre oui sera associé à celui des ouiistes de l'UMP qui pour combattre le FN n'ont rien trouvé de mieux que de mettre en oeuvre leur programme politique en matière d'immigration ou de sécurité, en y ajoutant il est vrai quelques formes, pour ne pas dire simplement quelques formules, pour faire "plus humain". N'oubliez pas aussi votre oui sera celui de Berlusconi qui n'a pas hésité à gouverner avec l'extrême droite ou encore de Jurg Heider le gentil néonazi d'Autriche, bon chic bon genre...
- A la fin du compte, ce n'est pas Le Pen, Fabius, Laguillier qui se prononcent seuls, c'est le peuple français souverain. Ce sera alors au chef de l'Etat d'interpréter ce vote et d'en faire quelque chose en cas de non. S'il décide de ne rien faire, ne pas lancer de renégociations, il déroge à son rôle de porte parole de la nation. Alors - argument complètement éculé - sur quelle base va-t-il faire cette interprétation ? Le Pen, Besancenot etc. ? Forcément sur la base des demandes des partisans les plus proches de la notion même de projet constitutionnel pour l'Europe. Si après le 29 mai un traité acceptable pour les (sociaux) démocrates réellement soucieux de démocratie est proposé, alors dans le camp du non, il n'y aura plus que les souverainistes. Quand avec l'UMP qui si elle veut rester cohérente doit respecter le choix populaire et rester européenne devra alors être pour le oui, quand Hollande continuera de pratiquer le suivisme qui le caractérise, quand Fabius, Mélenchon, Montebourg mais aussi les "dissidents" des verts qui sont aujourd'hui pour le non appelleront à voter oui à un traité qui soit juste démocratique, alors la victoire du oui sera assurée et justifiée.

Pour ce qui est de Spinoza et les femmes, voici un article où j'en ai traité : http://www.spinozaetnous.org/article9.html
Vous y trouverez des références.

Amitiés,
Henrique
Modifié en dernier par Henrique le 15 mai 2005, 02:18, modifié 1 fois.

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AUgustindercrois
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Messagepar AUgustindercrois » 15 mai 2005, 01:57

Cher Henrique,

Sur le rapport de Spinoza avec les femmes, j'ai l'intuition fondamentale ( et peut - être totalement fausse) qu'il y a dû se passer quelque chose dans sa vie. Steven Nadler évoque l'éventualité d'un amour de jeunesse alors qu'il se formait avec un maître hollandais sous la houlette duquel il joua un rôle dans une pièce de théâtre.

Voilà une énigme bien passionnante.

Sur vos considérations politiques, je vous répondrai plus amplement car votre longue réponse mérite réflexion. Simplement, j'ai voté pour la première fois de ma vie en 92... Pour le traité de Maastricht avec une sorte d'enthousiasme incroyable. Quand je vois les conséquences sur les plus pauvres, aujourd'hui, notamment en matière immobilière, en matière de biens vitaux ( alimentation notamment), je m'interroge.

Voilà la première partie de ma réponse. Pour la seconde, je vous recontacterai demain.

Amicalement,

Ader

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Messagepar DGsu » 15 mai 2005, 10:01

Chers discuteurs passionnés,

Je n'avais pas conscience de la campagne de Negri pour le oui et j'en reste un peu pantois. Morceaux contradictoires:

Parce que la Constitution est un moyen de combattre l’Empire
où d'un côté il accorde une place centrale à cette Constitution, utilisant encore ce concept qui commence déjà à être galvaudé (ne l'a-t-il pas été dès le départ ?).

Ils mythifient une Constitution qui n’est qu’un passage
où par ailleurs il prétend qu'elle ne constitue pas un danger de déchaînement des forces libérales à long terme.

Peut-on m'expliquer la distinction ?

En gros dans la suite de l'entretien, on ne trouve pas grand argument sinon que
Je passe pour un obscur, mais ce sont les autres qui le sont. Moi, je suis clair : il faut être imbécile pour croire qu’on peut construire l’égalité à partir d’une Constitution.
où "je" pense bien et "les autres" mal. Ca me rappelle l'amusant L'Europe des crétins de Michel Onfray.

Il reste malgré tout une question, qu'on dise oui ou non: qu'attendons-nous de cette Constitution ? Et si elle était différente, en quoi le serait-elle ? Le non est-il autre chose qu'une opposition ?

Spinoza et les femmes. Est-il finalement lui aussi victime d'une expérience malheureuse et déterminante pour la suite de sa pensée, comme Nietzsche par exemple ? Par une action mécanique, une expérience malencontreuse peut-elle être le source d'un raisonnement ? D'après ce que je peux lire dans le texte d'Henrique, Spinoza ne semble pas considérer l'incapacité des femmes à se voir confier des fonctions politiques comme un défaut de nature, mais plutôt comme une constatation très actuelle pour lui. N'était-ce pas simplement appelé à changer dans son futur ? Les femmes sont aussi incapables que les hommes à gouverner. Ce n'est pas ce qu'on leur demande!

Bien à vous,
DG

<edit> Je constate que ce referendum est la source de nombreuses discussions et d'une espèce de prise de conscience politique collective, donc pas seulement sur un forum spécialisé comme celui-ci. C'est déjà un excellent effet quelle que soit l'issue du vote. Dans la monarchie consitutionnelle qu'est la Belgique, le referendum national est rigoureusement interdit par la consitution. Il n'y a donc pas de débat passionné, mais une morne apathie intellectuelle que nous connaissons d'ahbitude et qui se ressent par exemple dans les médias papier et radio (j'évite la télévision).

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Messagepar bardamu » 15 mai 2005, 13:06

Salut Henrique,
Henrique a écrit : Dans une optique finalement assez similaire, Toni Negri fait campagne pour le oui.

Ouf ! On peut se dire révolutionnaire et voter "oui"...
Henrique a écrit :(...)j’entends par là une vie humaine, une vie qui ne se définit point par la circulation du sang et autres fonctions communes à tous les animaux, mais avant tout par la véritable vie de l’âme, par la raison et la vertu."

La paix que nous "offre" ce traité, c'est celle qui existe aujourd'hui à bien des égards, puisque sa fameuse partie III ne fait que reprendre les traités antérieurs. Cette paix et cette sécurité deviennent de plus en plus une simple absence de guerre ou d'atteintes à l'intégrité physique des personnes.

Peut-on penser qu'une "véritable vie de l'âme, par la raison et la vertu" dépende de la structure administrative ?
La "zomibification" n'est-elle pas un problème culturel plutôt que du cadre socio-économique ?
Nous pouvons faire un paradis social sans que la vie intérieure ne soit jamais garantie. La vie intérieure dépend d'une responsabilisation, d'une autonomie de chacun. Pour moi, cela implique au moins quelques grandes évolutions dans notre mentalité notamment de cesser de considérer l'homme politique comme un "représentant du peuple", cette idée produisant une pseudo-légitimité et un paternalisme qui déresponsabilise l'électeur.
Il faut dire aux hommes politiques qu'ils ne sont là ni pour représenter le peuple, ni pour le diriger, mais pour le servir. Ils sont chargés d'un service public parce qu'ils ont la force et la vertu suffisante pour accomplir ce service et sans avantages particuliers.
Je rejoins un peu Spinoza lorsqu'il dit dans le TP :
Quant aux images, aux triomphes, et aux autres encouragements à la vertu, ce sont les signes de l’esclavage plutôt que de la liberté. Car c’est chez les esclaves et non chez les hommes libres que l’on récompense la vertu. Je conviens que ce sont là pour les hommes des aiguillons très-puissants. Mais si, dans le principe, on décerne ces récompenses aux grands hommes, plus tard, lorsque l’envie s’est fait jour, on les donne à des hommes lâches et enflés de la grandeur de leur fortune, à la grande indignation des gens de bien. Ensuite ceux qui peuvent mettre en avant les images et les triomphes de leurs pères croient qu’on leur fait injure quand on ne les préfère pas aux autres. Enfin, pour me taire sur le reste, il est certain que l’égalité, sans laquelle la liberté commune tombe en ruine, ne peut subsister en aucune façon, dès que le droit public de l’État veut que l’on attribue des honneurs extraordinaires à un homme illustre par sa vertu.
Henrique a écrit :A la guerre militaire, le néolibéralisme tend à substituer une seule réponse possible, la guerre économique. (...)

Je ne crois pas que le discours sur la guerre économique soit limité aux néo-libéraux. A gauche, il y a exactement la même chose, et quasiment tout le monde adhère à l'idée de compétitivité, d'innovation, de protection contre le "péril jaune", de croissance etc. sans jamais proposer un véritable programme de redistribution des richesses alternatif à ces idées.
On n'ose plus s'attaquer aux très riches parce qu'ils partent ailleurs et on n'ose plus demander aux "riches" parce qu'ils sont trop nombreux et sont donc un risque pour le politicien voulant séduire.

Quelques chiffres (INSEE) :
Pourcentage de la population dont le salaire est supérieur ou égal à la moyenne (cadres, professions intermédiaires) : 20 %
Pourcentage de la population dont le salaire est inférieur à la moyenne : 30 %
Pourcentage de la population sans salaire :
retraités : 30%
sans activité : 15%
(Je n'ai pas compté les agriculteurs et autres, qui font 5%)

Dans cette situation, l'effort sur une redistribution devrait être demandé aux 20% supérieurs, mais ces 20% représentent 40% de la population active, c'est monsieur-tout-le-monde, aussi bien l'électorat de gauche que de droite. Il n'y a plus de petite caste de riches en lutte contre la majorité pauvre.
Donc, selon moi, aucun effort réel de redistribution n'est demandé et on préfère promouvoir l'idée d'une croissance qui fera remonter tout le monde, le tout dans un climat absurde de peur du lendemain (provoqué par les 15% de pauvres ?) qui mène les non-pauvres (c'est mieux que "riche" ?) à épargner et à entretenir les déséquilibres, la peur etc.
Henrique a écrit :(...) Dans cette logique là, il ne faut pas alors oublier que le commerce sans aucun contrôle politique peut très bien faire bon ménage avec la guerre, comme d'ailleurs le préconise la constitution elle-même : "Les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires" (I-41-3) (aucune politique de désarmement international n'est alors envisageable et d'autres articles sur le terrorisme peuvent très bien être interprété par les atlantistes d'Europe (GB et pays de l'est) comme allant dans le sens des guerres "préventives" des USA contre le terrorisme).

TP VI-4 : L’armée doit être formée sans exception des seuls citoyens. Il faut donc que tous les citoyens aient des armes et que nul ne soit admis au nombre des citoyens qu’après s’être formé aux exercices militaires et avoir pris l’engagement de continuer cette éducation guerrière à des époques déterminées.

L'Ethique et le Colt ?
Henrique a écrit : Et il ne faut pas oublier l'inénarable art. III-131 qui indique que "en cas de trouble intérieur grave affectant l’ordre public, en cas de guerre ou [...] de menace de guerre", les Etats se consultent "pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté". On apprend donc qu'on pourra se faire égorger dans son pays mais que l'Europe sera là et fera tout pour nous "offrir" le maintien d'un espace de "concurrence libre et non faussée".

Je crois plutôt qu'il s'agit de faire en sorte que si, hypothèse absurde, un pays européen comme le Royaume-Uni, l'Espagne ou l'Italie, avaient l'idée saugrenu de faire la guerre à un autre pays, disons l'Irak, cela ne se ferait pas au préjudice des autres Etats signataires. L'argent est le nerf de la guerre, et si certains veulent jouer aux gendarmes du monde, autant que cela ne se fasse pas en ponctionnant le potentiel du voisin.
Henrique a écrit :(...)
Car une constitution qui va nous enfoncer dans plusieurs décennies de néolibéralisme, qui verrouille soigneusement toutes les possibilités d'adaptation ultérieure du dogme monétariste du premier traité de Rome à la réalité socio-économique mondiale, ce n'est pas vraiment un bon calcul...

Remarquez bien que ce que je demande avec les fédéralistes de gauche, ce n'est pas un traité "social" ou encore moins "socialiste". C'est simplement une véritable règle du jeu politique qui précise les conditions de l'exercice politique sans pour autant en décider l'issue a priori.
C'est le seul bon compromis possible avec les néolibéraux. Non pas une constitution de gauche et de droite (quand bien même cela aurait été équilibré, ce qui n'est pas le cas : à la gauche les déclarations d'intentions purement formelles, au néolibéralisme les politiques socio-économiques contraignantes), mais une constitution qui réellement ne soit ni l'une ni l'autre, qui se contente de fixer des objectifs acceptables par tous (la paix, la sécurité, la liberté des personnes...) sans préjuger des moyens politiques, en définissant simplement comment se met en place le jeu des pouvoirs.

Si je comprends bien, tu prônes un texte uniquement structurel gérant "l'administration" européenne ceci sans une quelconque référence aux traités économiques antérieurs qui resteront actifs et aux désirs fédéralistes ou obligations sociales nouvelles qui gèneraient les libéraux européens.
Et si tu ne veux pas introduire un mouvement fédéraliste, on en resterait donc à un pouvoir des Etats-nations, chacun indépendant, liés ni par une réalité de fait (marché intérieur), ni par une Constitution qui les laissera libre en droit.
Que signifiera "mettre en place le jeu des pouvoirs", quels seront les pouvoirs de cette entité, les compétences exclusives de l'Union ?
Dans le texte actuel, la Cour de Justice traitera des points définis dans la partie III. Si il n'y a plus de partie III, que fera la Cour de Justice ? Exit le pouvoir judiciaire ?
Henrique a écrit :C'est non seulement antidémocratique, économiquement stupide mais aussi humainement absurde. Mon conatus en tout état de cause ne peut se résoudre à vouloir l'absurdité même.

L'absurdité ne nait que si on voit ce que tu vois : un engagement sur une politique néo-libérale et une atteinte à la démocratie. C'est bien là qu'est la divergence et je ne vois pas dans tes arguments ce qui, par exemple, contesterait l'engagement social de l'article III-210.
Concernant la démocratie, elle ne sera certes pas directe, elle passera par les gouvernements des Etats, mais j'insiste dessus parce que je trouve l'argument efficace : ce n'est pas pire que l'ONU. Aurais-tu refusé l'ONU parce que ce n'était pas basé sur des statuts démocratiques ? Il aurait fallu attendre un gouvernement mondial au suffrage universel ?
Personnellement, je ne vois pas de néolibéralisme triomphant et je vois plutôt un condensé de la pensée socio-économique partagée à gauche et à droite sur des idées de co-développement par la croissance. Toute modification sérieuse de cet état d'esprit passerait par une modification de l'esprit de la majorité des européens, voire du monde, ce qui n'est pas gagné.
Pour l'heure, il s'agit de permettre une évolution sensible vers la communauté de destin ("Tous en effet se livreront au commerce en vue du gain et se prêteront mutuellement leur argent...") et éventuellement d'établir un contre-pouvoir économique cohérent à l'hégémonie américaine ou peut-être, demain, chinoise, bien que ce ne soit pas pour moi l'essentiel.

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Messagepar AUgustindercrois » 15 mai 2005, 17:12

Cher Henrique, cher Bardamu,

Je pense que nous sommes d'accord sur les fins (une meilleure répartition des richesses, une plus grande démocratie etc.), mais que nous divergeons sur les moyens.

Bardamu et moi - même, à l'instar de Negri, optons pour le oui. Henrique se prononce en faveur du non.

Le pire, c'est que le 29 mai 2005, et par la suite, personne ne saura qui a eu raison, puisque l'autre alternative aura, par définition, été écartée. Dilemme qui ne se résoud pas.

Finalement, je me dis que mêler Spinoza à tout ça est parfaitement inutile, puisqu'il est impossible de faire une interview virtuelle.

Bien amicalement à vous.

Emmanuel

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Messagepar infernus » 17 mai 2005, 17:31

La passionnée et passionnante discussion entre Henrique et Bardamu quant à leurs opinions sur la constitution européenne en rapport avec le spinozisme me donne matière à penser. Tous deux connaissent largement assez la pensée de Spinoza pour pouvoir s’accorder sur les articulations conceptuelles du système philosophique. Il n’en reste pas moins que la discorde est grande lorsqu’il faut décider de ce qu’un traité proposant des articles normatifs concrets du vivre ensemble convient ou non avec les valeurs « philosophiques » fondamentales. Il apparaît alors la complexité d’opérer un jugement sur des propositions de lois : pouvoir s’y retrouver implique d’être capable : _d’articuler des valeurs existentielles auxquelles on croit (quelles soient prétendument fondées en raison ou sur une quelconque révélation d’origine surnaturelle) à des propositions langagières visant l’établissement de « droites » normes politiques ; _ mais aussi de pouvoir projeter les conséquences factuelles et matérielles de ces lois à court et long terme.
Spinoza s’est donné pour fin fondamentale, à mon sens, de fonder l’éthique, discours sur ce qui doit être au plan de l’agir humain relativement à ce qui est, sur une ontologie. Si deux spinozistes s’accordent à penser l’origine immanente de l’humanité à travers une substance unique et infinie, qu’est-ce qui inclinera l’un à accorder le primat aux libertés individuelles, croyant aux régulations naturelles des interactions individuelles, et l’autre à privilégier un interventionnisme plus conséquent de l’Etat visant le maintien du plus haut niveau de vie possible de la totalité de la société ? ( je simplifie grossièrement les deux positions par manque de temps) Sans doute les deux feront appel à la même substance divine, à la même croyance optimiste en la raison, à la même conception du conatus comme effort pour persévérer dans son être, tous deux viseront une éthique de la « joie »… Comment la philosophie spinoziste qui s’adresse à l’individu et lui propose « la connaissance de l’union mentale avec toute la nature » peut-elle réellement se déployer dans l’exercice politique producteur de normes et servir de fondement à l’élaboration des lois concrètes régissant la multitude ? Ne subsiste-t-il pas un irréductible hiatus entre l’éthique professée par le prophète/philosophe à tout un chacun, et l’exercice politique concret des forces au pouvoir ?
Et si le philosophe-roi de Platon reste une chimère, quid du peuple soumis à ses passions les plus grégaires et à qui l’on demande d’accepter ou non un traité produit par un grand nombre de spécialistes dont l’activité quotidienne est de réfléchir au développement des conditions de possibilités du vivre ensemble ?


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