Pour une éthique spinoziste de la discussion

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
aldo
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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar aldo » 15 juin 2015, 16:46

Bon, j'essaie de récapituler...

D'accord avec la deuxième partie de ton speech (je ne dis pas autre chose), qui reprend d'ailleurs ton post du haut de page : viewtopic.php?f=11&p=21812&sid=d9732eaa780481707a8600e93d344279#p21796

On arrive aux mêmes conclusions quant à l'objectivité en général, et ceux qui s'y référent au sein d'un débat : il n'y a pas de dialogue possible dès que quelqu'un arrive et dis : "je sais".
(je ne reviens pas sur les détails de l'histoire spécifiques à Spinoza... je crois que les choses sont claires entre toi et moi là-dessus)


Ensuite, tu dis : 'Il (Spinoza) pensait avoir trouvé une voie dont la compréhension pouvait convenir à certains.
Mais pas l'équation universelle de la béatitude
".
L'équation universelle de la béatitude, c'est exactement le discours du gourou, qui (donc) dit : "suivez le chemin que j'ai tracé et vous serez heureux".

Et là, je remets l'interprétation de Vanleers et la phrase (que tu sembles avoir oublié) dont il est question depuis un moment :
Vanleers a écrit :Spinoza nous dit en effet : si vous êtes malheureux, c’est que vous ne comprenez pas bien la nature des choses ; la joie naît de la connaissance adéquate de soi, de la Nature et des autres et je vous propose un chemin pour y parvenir.

Et là, franchement, je ne vois pas l'ambiguïté, il y a une simple logique de causes à effets :
La cause du malheur, c'est de ne pas comprendre la nature des choses, OR quand on connaît cette nature (connaissance adéquate de soi + de la Nature + des autres), ALORS on est heureux (joyeux). Et moi, je vous donne un mode d'emploi (chemin) pour y parvenir.

Soit en substance : si vous êtes malheureux, c'est qu'il y a quelque chose que vous ne comprenez pas !

Absurde.
... ou donc d'une naïveté confondante.
(je ne dis donc pas que Spinoza se prend pour un gourou puisque j'envisage la naïveté... et je rappelle qu'on est toujours dans l'optique où il aurait dit ce genre de truc, ce que ma méconnaissance de sa philo ne me permet pas d'affirmer).
Mais on peut parler d'une dimension de sagesse, pourquoi pas.
Si je comprends bien, Spinoza relie la sagesse à la compréhension. Jusque là, rien à objecter : c'est son droit. Je répète que je suis d'accord pour dire que "comprendre, ça aide". C'est pas ça le problème : le tout est de savoir jusqu'où ça aide. Parce que quand la sagesse se mêle de nous dire qu'elle apporte le bonheur, on rentre dans un tout autre discours.

Je résume : que la sagesse apporte une dimension de bonheur, pourquoi pas.
Qu'elle apporte LE bonheur, niet !

Car ça, c'est le discours du gourou. Un gourou, c'est pas un type qui vient vous donner des "bons" conseils, qui vient vous faire profiter de son expérience, tout en comprenant que votre expérience n'est pas la sienne, à la manière par exemple d'un père attentif au développement individuel de son enfant ; qui lui expliquerait simplement qu'il y a quelque chose à tirer de ce qu'il dit parce que ce qu'il dit, c'est pas rien, ça fait du sens.

À l'opposé, un type qui arrive, qui dit : faites comme moi et vous serez heureux", c'est l'illuminé.
Et l'illuminé pense que son discours transcende le réel... au point qu'en appliquant sa doctrine, on n'aurait plus de problème avec le réel : on serait HEU-REUX !

Dit autrement : pour l'illuminé, la compréhension transcende le réel.

Et ces types-là sont dangereux !

Or (et d'après Deleuze : désolé, j'ai pas d'autre référence), la grâce de la philosophie de Spinoza serait au contraire d'avoir construit une philosophie magnifique d'immanence !

Bref, on serait en plein contre-sens.

Alors ?

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar hokousai » 15 juin 2015, 23:58

Si je comprends bien, Spinoza relie la sagesse à la compréhension.
A vrai dire ce qu'il lie par cause et effet à la compréhension c'est la joie (versus la tristesse ). Ce que Deleuze à parfaitement compris. C' est l'augmentation d'intensité causée par la compréhension qui cause la joie.

Je suis d'accord avec ce qu' écrit là, Vanleers, sur Spinoza
Vanleers a écrit :Spinoza nous dit en effet : si vous êtes malheureux, c’est que vous ne comprenez pas bien la nature des choses ; la joie naît de la connaissance adéquate de soi, de la Nature et des autres et je vous propose un chemin pour y parvenir.


Vaste programme ( ce que je souligne ...y compris de la Nature et des autres !!!).
.....................

Mais tu admets bien que comprendre ça aide.
Le programme est " programmatique "( si j ose dire) donc ouvert. Spinoza propose SA compréhension. Pas plus illuminée que celle de bien d'autres philosophes. Pas plus illuminée que celles de Leibniz ou de Malebranche ou Newton, ses presque contemporains.
...................
Maintenant tous les philosophes ( y compris Deleuze ) sont plutôt persuadés de leur compréhension.
Il est indéniable que Spinoza est auto- persuadé par sa compréhension ...mais il ne vient pas nous mettre le couteau sous la gorge. On le dit même, à juste titre, grand défenseur de la liberté de pense en un temps bien plus périlleux sous ce rapport que le notre .
...................

Deleuze aime bien la compréhension qu'a Spinoza de la Nature et il le loue.
On loue ceux qui pensent comme nous plutôt que ceux qui ne pensent pas comme nous (c'est humain ça) :wink:

Qu' il le loue parce qu'il a cru comprendre qu'il y avait un philosophie d' immanence chez Spinoza, c'est très probable.
Libre à Deleuze de lire et de comprendre Spinoza comme il le veux.
S'il veut y voir plus d'immanence que chez les contemporains cités plus haut ou que chez Descartes, c'est sa problèmatique. C est son interprétation.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar aldo » 16 juin 2015, 02:11

Mouais... tu évites quand même le cœur de ce que j'ai dit, à savoir que quand on est malheureux, aucun type de compréhension des choses ne nous rend heureux (en outre, tu te débrouilles pour caser en douce le terme "d'illuminés" sur qui serait persuadé de sa compréhension du monde, ce qui n'est pas du tout ainsi que je les ai définis : bel effort, Hokousai).
Mais bon, basta. J'ai dit ce que j'avais à dire.

Sinon, ce que j'en retire, c'est qu'encore une fois, ça serait bien de traduire tous ces mecs en français (y compris Deleuze d'ailleurs) : c'est quand même étonnant que même après des siècles de lecture et de recul, les interprètes des philosophes ne soient pas foutus de s'entendre pour dire leurs philosophies avec clarté.
Il y a quand même un réel problème, là !
Du coup, selon Deleuze, Spinoza est une merveille d'immanence, et selon Tartemolle, c'est quasiment un mystique... et ensuite on s'étonne que les gens se détournent de la philo !

(ça vaudrait un fil, ce sujet)

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar hokousai » 16 juin 2015, 11:02

Aldo a écrit :Mouais... tu évites quand même le cœur de ce que j'ai dit, à savoir que quand on est malheureux, aucun type de compréhension des choses ne nous rend heureux


Je ne te donne pas mon idée sur le bonheur, je te dis que je pense être l' idée de Spinoza. Ce que j évite c'est de donner mon opinion là dessus ( on s'éloignerait vraiment trop du sujet du fil ).


Comme je n'ai pas vraiment compris l'image que tu as de Spinoza j' ai tilté sur illuminé (qui ne me semble pas trop différent dans ton esprit de gourou )

On peut très bien avoir l'image de de Spinoza comme d'un père attentif au développement individuel de son enfant ; qui lui expliquerait simplement qu'il y a quelque chose à tirer de ce qu'il dit parce que ce qu'il dit, c'est pas rien, ça fait du sens.
Ce serait TA manière de l'appréhender.
...............................

et ensuite on s'étonne que les gens se détournent de la philo !
C' est difficile la philosophie. je te propse de lire le derniers paragraphe de l'Ethique § à défaut de lire le premier :D

Spinoza a écrit :J'ai épuisé tout ce que je m'étais proposé d'expliquer touchant la puissance de l'âme sur ses affects et la liberté de l'homme. Les principes que j'ai établis font voir clairement l'excellence du sage et sa supériorité sur l'ignorant qui est uniquement conduit par ses désirs charnels. Celui-ci, outre qu'il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l'âme, vit dans l'oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c'est cesser d'être. Au contraire, l'âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'être ; et la véritable paix de l'âme, il la possède pour toujours. La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.


Je ne dis pas que tu refuses l'effort.
Deleuze est particulièrement difficile à comprendre.
Pour mieux le comprendre à mon avis il faudrait en repasser par les philosophes qu'il a étudié. En avoir une idée ( même approchée ). (au moins Spinoza, Hume, Kant, Nietzsche et Bergson... et Leibniz)

Je ne pense pas que ce soit le cas de tous les philosophes. Platon, Descartes et Spinoza, Nietzsche ou Bergson sont d' un abord qui ne demandent pas (ou moins ) de pré-requis ou d'apports extérieurs. Mais pas Deleuze.

( il y a bien d'autres philosophes que je ne citent pas là qui, je dirais, se suffisent à eux mêmes... et d'autres qui ont en référence plus ou moins explicite un autre ou d'autres. Si on ne connait pas du tous ces autres on ne comprend pas.
Je pense à Schopenhauer difficile à comprendre si on ne connait pas Kant.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar aldo » 16 juin 2015, 13:26

Je n'ai pas d'image très claire de Spinoza. Via la confiance que j'ai en Deleuze, disons que je lui accorde a priori d'avoir trouvé un système d'une grande cohérence et qui a le mérite de ne pas faire intervenir de la transcendance dans ses rouages. J'ai conscience que c'est un a priori, mais je n'en reste pas moins méfiant quant aux interprétations qui en font à mon sens quelqu'un de si différent selon les uns et les autres (autant dire que je rejette tes injonctions finales, qui consistent à dire que pour comprendre Deleuze, il faudrait passer par mille philosophes dont personne n'est foutu de donner une image claire).

Mais mon opinion n'a aucun intérêt. Ceci dit, j'entends les relents de sagesse qui semblent parsemer la philosophie de Spinoza et qui me rendent dubitatif. Disons que je les rapporte à "l'air du temps" (donc sans plus juger que ça).
De toutes façons, pour moi, philosopher c'est chercher à comprendre, pas expliquer comment atteindre le bonheur (je ne vois pas pourquoi, sinon, la philosophie grecque aurait voulu se démarquer des écoles de sagesse de l'époque). Donc dans un sens, oui je préfère clairement celui qui me dira comment éviter au mieux la souffrance que celui qui me vantera sa recette de bonheur... c'est pour moi là la limite de la sagesse.

Je lis ce texte de Spinoza qui sonne très juste sur la première partie, et là je n'ai pas de problème avec le "sage", en tant qu'identifié à l'opposé de "celui qui est uniquement conduit par ses désirs charnels". N'empêche que je tilte quand j'entends que l'âme du sage ne pourrait qu'à peine être troublée etc : je me méfie de tous ces discours. Balance au sage toute la misère du monde et on verra bien ce qu'il restera de sa sagesse ; envoie-le vivre la Shoah et on verra bien le discours sur la béatitude qu'il en ressortira...
La sagesse, c'est bien gentil : sans la chance (et donc le contexte extérieur), ça vaut ce que ça vaut.

Ma contribution sur ce fil tire à sa fin, et je ne suis intervenu que pour te répondre (tout ça est largement digressif). Pour ce qui est de Deleuze, je reprendrai sur l'autre fil.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar hokousai » 16 juin 2015, 22:42

(autant dire que je rejette tes injonctions finales, qui consistent à dire que pour comprendre Deleuze, il faudrait passer par mille philosophes dont personne n'est foutu de donner une image claire).

Pas mille. Moi je te donne mon avis.
Deleuze au moins dans différence et répétition mais après aussi, suppose une connaissance de certaines problématiques.
Différence et répétition est une thèse d' état et l' auteur suppose que ce dont il parle est connu, il n y a pas à tout ré-expliquer dans le détail.
Ses excellents cours sont un peu trompeurs. Il se montre pédagogue, certes, mais si on ne connait pas les auteurs dont il parle on ne peut pas exercer un esprit critique. Du coup sans le vouloir il a un statut de gourou.
Deleuze n'a jamais souhaité qu'on ne s'informe pas sur Kant, Bergson ou/et d'autres, il en a même fait des livres... jusqu' à la fin (sur Leibniz).

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar aldo » 16 juin 2015, 23:32

Sans doute que je ne comprends pas toutes les arcanes philosophiques par lesquelles passe Deleuze, mais il se trouve que je me pose les mêmes problèmes que lui et en pense la même chose que lui. Alors tant pis pour ce qui m'échappe, ça ne me traumatise pas. Par contre, quand je vois la façon absurde dont des auteurs aussi connus et plein de savoir philosophique que Badiou arrivent à en parler (jusqu'à en faire un livre), ça me conforte dans la compréhension que j'en ai.

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Re: Pour une éthique spinoziste de la discussion

Messagepar NaOh » 09 juil. 2015, 16:43

NaOh a écrit :A Henrique,

Dommage...Ma solution en terme de "sémantique" me plaisait bien...

Notez tout de même que la définition de Dieu qu'utilise Spinoza n'a pas été reçue de son temps comme étant compatible avec la définition vulgaire de Dieu: à preuve les accusations d'athéisme dont il se défend dans la préface du TTP (si je me souviens bien).

Bien à vous

EDIT: A bien y réfléchir les accusations d'athéisme ont plus à voir avec son exégèse biblique qu'avec sa définition de Dieu, je retire donc ma précédente remarque, écrite précipitamment.
EDIT BIS: Décidément ce post est une catastrophe! Nulle trace de ce que j'avance dans la préface du TTP



J'ai enfin retrouvé le lieu où Spinoza fait une liaison entre l'accusation d'athéisme dont il est la victime de la part du "vulgaire" et la publication du traité théolocico-politique. Il s'agit de la lettre XXX à Oldenburg. Par ailleurs la lettre XLII de Velthuysen à Jacob Osten montre quelle fût la réception du traité par les contemporains de Spinoza. Elle se termine en effet, après ce qui me semble un exposé correct des thèses du TTP, par les mots suivants: "je pense donc ne m'être pas beaucoup trompé et n'avoir point fait de tort à l'auteur, en le dénonçant comme enseignant subrepticement l'athéisme pur et simple par une voie détournée".


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