Peut-on tirer du spinozisme une politique pour aujourd'hui ?

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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AUgustindercrois
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Messagepar AUgustindercrois » 15 mai 2005, 16:59

Chers tous,

L'analyse de Blandine kriegel et, semble -t-il des lectures historiques de sa philosophie (malgré toutes les objections que l'on pourra m'opposer et que je sens déjà poindre ici ou là), avec quelqu'un comme Guéroult, par exemple, semblent indiquer que SPinoza était de gauche à son époque, puisque non monarchiste.

Reprenons ce texte essentiel à mes yeux, chapitre XX du Traité théologico - politique:

"Le fin de l'Etat est en réalité la liberté."

Ou encore, ibidem, chapitre XVI: "je pense avoir assez montré les fondements de l'Etat démocratique, duquel j'ai parlé de préférence à tous les autres, parce qu'il semblait le plus naturel et celui qui estle moins éloigné de la liberté que la nature reconnaît à chacun."

Dire que SPinoza est démocrate est nécessaire. Et c'est révolutionnaire au XVIIème siéècle.

Le courant anarchiste ou révolutionnaire dans la philosophie des années 1970 a bien senti la dimension révolutionnaire de la pensée de Spinoza, sa dimension subversive (et là je rejoins Miam).

Mais si Spinoza revenait, serait - il encore révolutionnaire? Première option: il constaterait qu'il aurait la liberté de penser en paix, et donc se contenterait d'une position neutre. Reconnaissons - le ous: la simple présence de nos entretiens prouve la réalisation du projet spinoziste. J'imagine le preux Baruch lui - même surfer sur le Net, lui qui était amateur de technologies nouvelles ( n'oublions pas que polir des verres de lunette à l'époque, c'est comme travailler sur la fusée Ariane aujourd'hui) Seconde option: il constate les limites à l'expression de la volonté générale, les manques et les imperfections de nos démocraties européennes.

Il m'apparaît clair que nul ne peut trancher ce débat, que nos spéculations dépendent en partie de la situation dans laquelle Spinoza se trouverait lui - même aujourd'hui, et que nous ne pouvons envisager raisonnablement.

Je vote en France, et suis heureux que le peuple ait à trancher sur une question aussi importante.

Mon coeur dit non, et ma tête dit oui. J'ai voulu dire non dans un premier temps, dans un mouvement de défiance à l'égard de la technocratie. Je me résigne au oui sans enthousiasme, mais en contemplation des conséquences du non, identiques à mon sens à celles du refus de la Communauté Européenne de Défense par la France en 1954: l'ajournement de l'avènement d'une Europe affermie face aux Etats - Unis.

Comme Toni Negri, je pense que cette constitution est un progrès, minime certes, mais un progrès tout de même (notamment sur le référendum d'initiative populaire, qui n'est pas un gadget).

Bien à vous tous, chers internautes spinozistes, philosophes de bon aloi.

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Messagepar reprobate » 18 mai 2005, 03:12

Bonjour bardamu, et merci beaucoup, beaucoup pour les corrections. Oui, par "discretion" j'ai voulu dire le pouvoir de discrétion de l'individu, c'est-à-dire leur libre choix comme individu. (En anglais le mot "discretion" peut dire même le choix libre, même la circonspection polie ou professionelle. Le mot "private" a ces deux senses aussi.)

J'ai voulu dire que le pouvoir de discrétion des biens rares est essentiel dans la conception de la démocratie chez Spinoza.

Je dois faire des excuses ; j'ai exagéré mon cas en ce qui concerne l'appui textuel que je peux réclamer. Spinoza n'a rien dites explicitement concernant l'économie démocratique dans le TP. Mais je pense qu'on peut extrapoler.

Vous avez citer TP chapitre 6 article 12. Mais le sujet du 6me chapitre, c'est la monarchie, pas la démocratie. Spinoza dit : Si on veut avoir une constitution monarchique, une économie collective est meilleur. Mais dans un autre état, une économie à la liberté individuelle peut être meilleure. C'est vrai pour une aristocratie, par exemple (TP chapitre 8 article 10).

Puisque la justification qu'il appelle dans le cas d'un aristocratie est également présente dans une démocratie, qui bien contraste avec la monarchie de la même manière, je prends cet argument pour une raison de cette forme d'économie dans une démocratie. Et puisque la démocratie est la meilleure forme de société, je le prends aussi comme argument en faveur de l'économie à la liberté individuelle. Je pense que cette interprétation est en accord avec ses autres remarques au sujet de l'économie dans l'Éthique et le TTP, et même avec ce que nous savons de lui comme citoyen.

Je ne veux pas commenter aux circonstances légales au France, puisque je ne sais pas vos lois. Et puisque mon français est peu plus proficient que celui d'un robot, j'ose pas l'essai pour faire combattre Spinoza contre Proudhon ou Marx dans ce forum-ci. Pour le moment, je veux juste suggérer :

1. qu'il y a d'évidence raisonnable pour la proposition que Spinoza pense l'économie à la liberté (et responsabilité) individuelle comme centrale à la démocratie ;

2. que l'évidence au contraire (qu'il pense l'économie collective comme centrale) est atténué ;

3. que Spinoza est un penseur de la république libéral bourgeois, mais ce fait-ci ne lui fait nécessairement penseur du Droit (rappelant particulièrement l'époque).

Ça fait-il du sens?

ps. "Pace" est un mot latin qu'on utilise en anglais à dire que la personne (ici, Althusser) a dit au contraire, mais on doit être avec respect en désaccord.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 28 mai 2005, 18:41

AUgustindercrois a écrit :Ou encore, ibidem, chapitre XVI: "je pense avoir assez montré les fondements de l'Etat démocratique, duquel j'ai parlé de préférence à tous les autres, parce qu'il semblait le plus naturel et celui qui estle moins éloigné de la liberté que la nature reconnaît à chacun."
Dire que SPinoza est démocrate est nécessaire. Et c'est révolutionnaire au XVIIème siècle.


Cher Augustin,
Je vois entre ta citation même et ta conclusion une contradiction : si l'Etat démocratique est le plus naturel - parce qu'il est le mieux à même d'exprimer adéquatement la source même de toute puissance politique, à savoir la société même - alors il n'est pas révolutionnaire en soi de déclarer que la démocratie est préférable à tous les autres régimes : elle accomplit mieux que les autres la réalité politique, il n'y a donc pas une logique de rupture avec l'ordre naturel.

Dans ce sens je citerai Tocqueville qui disait dans son traité sur la Démocratie en Amérique : "Le principe de souveraineté du peuple, qui se trouve toujours plus ou moins au fond de presque toutes les institutions humaines, y demeure d'ordinaire comme enseveli. On lui obéit sans le reconnaître, ou si parfois il arrive de le produire un moment au grand jour, on se hâte de le replonger dans les ténèbres du sanctuaire".

Quand je dis d'ailleurs que l'esprit de gauche consiste à comprendre que seul l'homme est en mesure de faire sa providence, qu'il n'y a pas à compter sur l'ordre naturel des choses, ce n'est pas contradictoire. Certes il y a une vision extrême de la gauche qui consiste à prétendre rompre avec la nature et à mettre en oeuvre une rationalité humaine niant la rationalité même de la nature. Mais dire que le meilleur régime est celui qui est le plus adéquat à la nature humaine, ce n'est pas rompre avec la nature en généralmais c'est affirmer que la logique proprement humaine du désir s'affirme au mieux dans une compréhension de la nature humaine qui ne se soumet pas à ce qui le nie mais affirme sa logique propre par une compréhension générale de la nature. En revanche, c'est certainement rompre avec la vision idéologique - libérale - de la nature comme principe suffisant d'ordre et de justice. Dans ma conception, l'homme et sa rationalité font partie de la nature et constituent à cet égard un principe de puissance pouvant s'opposer à d'autres puissances naturelles comme la passion, l'imagination et leurs conséquences économiques et viser non à les supprimer mais à les cultiver dans un sens plus adéquat à l'utile commun que sans intervention de la raison.


Mais si Spinoza revenait, serait - il encore révolutionnaire?


Dans les réponses que j'ai faites à tes commentaires sur mon article "Spinoza était de gauche", je te réponds déjà que ce genre de question ne me semble pas en soi des plus intéressantes.

Première option: il constaterait qu'il aurait la liberté de penser en paix, et donc se contenterait d'une position neutre. Reconnaissons - le ous: la simple présence de nos entretiens prouve la réalisation du projet spinoziste.


Je pense que tu veux surtout parler de la liberté d'exprimer ses pensées. Et le problème qui demeure aujourd'hui, c'est celui de la diffusion de sa pensée même. Il suffit de voir le débat référendaire tel qu'il est traité par les médias de masse pour voir comment toute pensée tend à n'y être réduite qu'à quelques slogans et petites phrases. D'où cette tentation des politiques de répéter jusqu'au bout des mantras incantatoires ne prouvant pas grand chose du genre "ce traité ne présente aucun recul, il ne comporte que des avancéééées". Et par rapport à cette impuissance de fait de la pensée de se diffuser, Spinoza aurait sans doute eu quelques réflexions intéressantes.

J'imagine le preux Baruch lui - même surfer sur le Net, lui qui était amateur de technologies nouvelles ( n'oublions pas que polir des verres de lunette à l'époque, c'est comme travailler sur la fusée Ariane aujourd'hui) Seconde option: il constate les limites à l'expression de la volonté générale, les manques et les imperfections de nos démocraties européennes.


Le problème, c'est surtout les mécanismes de formation de la volonté générale, la fabrication du consentement comme disait Chomsky, qui en l'absence de contrepoids à la pensée de l'autozapping permanent, tend trop facilement à tomber dans la propagande en faveur du camps auquel on appartient naturellement. Les journalistes et surtout les rédacteurs en chefs sont plus spontanément du côté des gagnants de la mondialisation, d'où une information particulièrement partiale en faveur du oui. Mais reste pour la multitude son expérience sociale immédiate et la capacité de faire le lien entre certaines réalités simples, d'un côté la sanctuarisation de principes comme la libre concurrence, la dérégulation des marchés lisibles textuellement dans le traité, de l'autre le chômage incompressible, les délocalisations, les chantages et toutes les manoeuvres de culpabilisations sociales.

Il m'apparaît clair que nul ne peut trancher ce débat, que nos spéculations dépendent en partie de la situation dans laquelle Spinoza se trouverait lui - même aujourd'hui, et que nous ne pouvons envisager raisonnablement.

Encore une fois chercher à savoir ce que Spinoza aurait pensé aujourd'hui n'est pas très intéressant, il aurait pu se tromper comme tout le monde et surtout l'intérêt de sa philosophie est de nous fournir des instruments conceptuels pour trancher par nous-mêmes.


Mon coeur dit non, et ma tête dit oui. J'ai voulu dire non dans un premier temps, dans un mouvement de défiance à l'égard de la technocratie. Je me résigne au oui sans enthousiasme


Eh bien moi, mon coeur a d'abord dit oui, parce que sur la voie de l'Etat cosmopolite, démocratique et fédéral, la construction européenne représente l'image d'une étape décisive. Mais comme ce gaulliste philosophe revenu du oui de droite (http://genereux.fr/news/148.shtml), c'est chez moi la tête qui qui dit non. Car en regardant le texte d'assez près, j'y trouve la constitutionnalisation du néolibéralisme mondialisé qui est précisément une des raisons pour laquelle j'aspire à un Etat cosmopolite.

Selon moi le néolibéralisme consiste à priver les peuples de leur souveraineté, de leur liberté même de s'autodéterminer : ce n'est plus la volonté générale qui gouverne mais ce sont les mécanismes économiques du marché mondial. Certes le néolibéralisme prétend travailler à la liberté et au bien être de tous, mais tout comme tous les dictateurs du monde aussi bien que les vrais démocrates, cela ne veut donc rien dire. Il faut s'informer, aller chercher l'information au delà des médias de masse pour se rendre compte de l'étendue des dégâts du néolibéralisme dans le monde. Donc la raison, qui commande avant tout d'être cohérent avec soi-même, ne saurait approuver ce que l'on combat. Pour établir une souveraineté de l'humanité sur elle-même, contre la domination d'une seule partie sur le reste, l'Etat cosmopolite démocratique et fédéral est la voie la plus cohérente et adéquate.

Que Bardamu, se réclamant du libéralisme, trouve de nombreuses vertus à ce Traité, l'approuve, c'est cohérent. Mais que toi, qui te réclame de gauche, le fasse, ça l'est déjà beaucoup moins. D'où une certaine circonspection de ma part quand tu opposes la sentimentalité du non et la rationalité du oui.

D'autre part le fatalisme que tu préconnises n'a rien à voir avec la raison spinoziste. Etre enthousiaste n'est pas plus contraire à la raison que la morne résignation n'est signe de rationalité. (Voir sur cette question mon article sur la liberté dans "Etre humain").

mais en contemplation des conséquences du non, identiques à mon sens à celles du refus de la Communauté Européenne de Défense par la France en 1954: l'ajournement de l'avènement d'une Europe affermie face aux Etats - Unis.


La CED refusée en 54, il faut savoir qu'une moitié des socialistes dont Mendès France n'en avait pas voulu avec les communistes et les gaullistes et pour cause, une puissance militaire continentale sans Etat continental pour la contrôler était apparue à beaucoup comme une absurdité dangereuse ! C'est bien beau de reprendre les arguments habituels de Strauss-Kahn ou de Hollande...

Comme Toni Negri, je pense que cette constitution est un progrès, minime certes, mais un progrès tout de même (notamment sur le référendum d'initiative populaire, qui n'est pas un gadget).


Toni Negri n'est certainement pas aussi naïf que toi en ce qui concerne le droit de pétition qui n'a strictement aucune valeur démocratique dès lors qu'aucune suite politique (autre qu'une justification verbale) n'a à être donnée par la commission et surtout du fait que les demandes formulées ne peuvent en aucun cas être recevables si elles sont jugées non conformes à la constitutiton (donc aucune révision de la constitution, c'est-à-dire du néolibéralisme en tant que seul horizon politique possible, n'est par ce biais envisageable, ce qui dans l'esprit d'un Negri est un véritable appel à l'insurrection armée pour que la parole populaire soit sérieusement entendue).

Toni Negri pense selon un vieux schéma révolutionnaire marxiste qu'il faut d'abord laisser l'impérialisme capitaliste aller jusqu'au bout de sa logique pour qu'il implose et s'affaiblisse suffisamment en vue de permettre l'insurrection armée contre le pouvoir du capital et les expropriations qui s'en suivent. En créant un espace européen global, Negri pense que le capitalisme crée son propre champ de ruine. Je pense d'abord que ce genre de spéculation représente un véritable mépris pour ceux qui souffrent dès aujourd'hui de la mondialisation et qui n'ont pas précisément besoin de nouveaux lendemains qui chantent. Les révolutionnaires de conversation de ce genre ne sont pas ceux qui sont le plus directement touchés par ce qu'ils dénoncent, il leur est alors facile de faire du prophétisme politique en stigmatisant le réformisme de gauche (même le vrai réformisme, celui qui vise à agir sur les causes et pas seulement à adoucir les effets du capitalisme). D'autre part, quand bien même cette stratégie serait fondée, ce dont je doute fort, je ne crois pas aux révolutions qui en prétendant établir brutalement le changement ne font que faire passer dans d'autres mains le pouvoir. Je crois plutôt aux mutations progressives. Enfin, si on nous proposait avec cette constitution un programme nazie, tu l'accepterais aussi sous prétexte que ce serait bon an mal an une étape vers un espace politique européen ?

Je crois en fait qu'étant de gauche, tu adhères rapidement, par prévention à tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une étape dans la réalisation de l'internationalisme, et ici cela y ressemble surtout de loin. Tu ne sembles donc pas pouvoir voir que cette pseudo étape peut en fait être ce qui détruira pour très longtemps le projet même d'une Europe politique en vidant l'idée même d'Etat cosmopolite de tout son contenu authentiquement démocratique. C'est donc l'imagination qui semble te guider bien plus qu'un raisonnement suffisamment clair et informé, je pense.

Amitiés,
Et bon vote ! Contrairement à Raffarin qui dit qu'un bon "non" est un non qui s'abstient et va à la pêche, je préfère un vote oui qui s'exprime et devra dès lors assumer les conséquences de ses choix à un vote oui qui s'abstient.

Henrique

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bardamu
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Messagepar bardamu » 28 mai 2005, 22:38

Henrique a écrit :Que Bardamu, se réclamant du libéralisme, trouve de nombreuses vertus à ce Traité, l'approuve, c'est cohérent. Mais que toi, qui te réclame de gauche, le fasse, ça l'est déjà beaucoup moins. D'où une certaine circonspection de ma part quand tu opposes la sentimentalité du non et la rationalité du oui.

Hola !
Halte-là ! Je ne me réclame pas du tout du libéralisme au sens où tu l'entends, et si je vote "oui" c'est que je considère que la Constitution va dans le sens d'un développement social-démocrate alors que tu considères le contraire.
Pour moi, cette Constitution n'est pas un méchant libéralisme, mais la gestion raisonnée, contractuelle et ambitieuse d'un espace économique unique à l'échelle européenne, d'une unité de fait. Je te serais donc gré de ne pas me coller une étiquette qui correspond à la volonté de réduire les règles alors que justement je vote parce que ce texte introduit de nouvelles règles sociales et démocratiques.
Et si le "Non" l'emporte, on verra bien si les tenants du "non de gauche" parviennent à obtenir plus que ce traité ou si on en reste ad vitam aeternam au traité de Nice.

Pour ce qui est des considérations droite-gauche, en fait j'ai du mal à m'y situer vu que je ne sais pas qui est représentatif de la gauche pour toi. Ce n'est pas le parti socialiste mais est-ce un autre parti ?
Faut-il parler d'une gauche proprement henriquienne ou bien adhères-tu pleinement à un mouvement particulier ?

Sinon, je ne sais pas si tu connais "Mille Plateaux" de Deleuze et Guattari, mais il y a là une analyse du capitalisme et de l'Etat contemporain qui me semble très pertinente.
Dans leur thèse, inspirée de Marx, le Capitalisme est un système axiomatique qui organise la circulation de flux entre des Sujets quelconques et des Objets quelconques. L'objet-marchandise est la forme matérielle du travail des sujets. Tout ce qui compte est donc ces rapports de circulation sans qu'on ne se soucie de leur sens, d'un investissement symbolique, d'un code social particulier, comme cela pouvait avoir lieu dans les périodes où régnaient la religion, l'Empereur-Dieu ou le tabou tribal.
Le Capitalisme est l'axiomatique des flux dé-codés, des flux réduits à des valeurs nominales.
Les Etats contemporain ne seraient pour le Capitalisme que des modes d'application particuliers. Démocratie française, despotisme chilien, , tyrannie théocratico-pétrolière des Saoud ou même, en son temps, empire soviétique, ne sont pour le capitaliste que des zones d'aménagement de flux fondamentalement similaires.
Les Etats peuvent rajouter des axiomes, sans que cela ne change rien : l'économie de Keynes, le New Deal, le plan Marshall, les mesures pour les pauvres, les chômeurs, les vieux, les femmes etc. sont des variations sur le thème de la circulation des flux. Le bon capitaliste saura toujours où se placer pour capturer le maximum si il le désire, plan d'épargne logement, chèque emploi service, ticket restaurant, c'est la même idée, le même souci.
Deleuze et Guattari, Mille Plateaux a écrit :On pourrait définir un pôle d'Etat très général "social-démocratie", par cette tendance à l'adjonction, à l'invention d'axiomes, en rapport avec des domaines d'investissement et des sources de profit : la question n'est pas celle de la liberté ou de la contrainte, ni du centralisme ou de la décentralisation, mais de la manière dont on maitrise les flux. Ici, on les maîtrise par multiplication des axiomes directeurs.
La tendance inverse n'est pas moindre dans le capitalisme : tendance à retirer, à soustraire des axiomes. On se rabat sur un très petit nombre d'axiomes qui règlent les flux dominants, les autres flux recevant un statut dérivé de conséquence (fixé par les "théorèmes" qui découlent des axiomes), ou laissés dans un état sauvage qui n'exclut pas l'intervention brutale du pouvoir d'Etat, au contraire. C'est le pôle d'Etat "totalitarisme" qui incarne cette tendance à restreindre le nombre d'axiomes et qui opère par promotion exclusive du secteur externe, appel aux capitaux étrangers, essor d'une industrie tournée vers l'exportation de matériaux bruts ou alimentaires, effondrement du marché interieur. L'Etat totalitaire n'est pas un maximum d'Etat mais bien plutôt, suivant la formule de Virilio, l'Etat minimum de l'anarcho-capitalisme (cf Chili).

Je suis assez d'accord que tous nos Etats sont capitalistes (c'est en cela que je disais que les critiques participent à ce qu'ils critiquent). Notre réflexion reprend le langage économiste, on ne parle que de taux de croissance, d'impôts, de consommation et de pouvoir d'achat, ceci en guise de Politique.
Concernant les Etats totalitaires, il s'agit des Etats de l'époque Pinochet et autres petits dictateurs africains et non pas des Etats staliniens ou fascistes qui ont leur propre dynamique. La Chine est sans doute dans ce mouvement d'anarcho-capitalisme sauvage (note : qui n'est pas le mien.)

L'adoption de la Constitution me semble ainsi plutôt un mouvement social-démocrate qui ajoute des règles à l'état actuel d'application du capitalisme. C'est un texte de plus avec des règles sociales en plus, et non pas la réduction des règlements. Tu voudrais peut-être en rajouter de nouvelles et enlever celles qui pour toi en empêche, mais pour moi c'est plutôt de l'ordre du détail.
Cela ne change rien à l'état d'esprit général du citoyen occidental qui est pris dans des idées capitalistes. A leur époque, Deleuze et Guattari pouvait encore opposer les Etats du Plan, les Etats soviétiques aux Etats capitalistes.
Aujourd'hui, si je cherche des Etat franchement anti-capitalistes, je vois Cuba, la Corée du Nord et l'Iran : l'axe du Mal.
Les mouvements jihadistes s'affirment aussi contre le capitalisme, en cela qu'ils placent une loi ascétique au-dessus des axiomes de la gestion du "ventre". Le Pape aussi, d'ailleurs...

Une politique anti-capitaliste devrait soumettre les considérations de production-consommation à d'autres notions.
Dès lors que je ne vois que des discours du type "Il faut trouver un boulot", "Pauvres chômeurs...", "A quand le plein emploi ?", "La Chine va nous dépasser", "Il faut revaloriser les retraites", "Il faut relancer la croissance" etc., je considère que nous sommes dans un système capitaliste qu'il se veuille social ou pas.

Quand on aura d'autres notions en tête, peut-être qu'au lieu de voir un syndicaliste de chez Total réclamer au nom des salariés sa part des 9 milliards de bénéfices, l'entendra-t-on demander quelle est l'origine de ces 9 milliards, à qui à été pris le pétrole et pour quoi faire.

Je crois que l'Etat traduit la mentalité dominante et que celle-ci est, globalement, en accord avec un american way of life, avec un bonheur identifié à la petite maison dans la prairie, mélange de propriété privé, d'aimable voisinage et de paternelle protection publique sous l'égide de la parfaite Constitution.
C'est tout à fait respectable, et je ne me sens pas le droit de m'attaquer à ça même si j'y vois le terreau de l'indifférence des pays riches vis à vis du reste du monde, mal cachée par les bons sentiments humanitaires de quelques opérations médiatiques.
Concrètement, on se souci d'acheter des produits pas trop cher, made in China, dans la grande surface XXXX "qui se bat pour notre pouvoir d'achat", et de passer un bon moment devant Star Wars, avec de temps en temps quelques manif contre "ces salauds d'américains" qui font la guerre en Irak ou le sort fait au Tibet par la Chine.

En matière d'attitude anti-capitaliste, voit-on, par exemple, beaucoup de gens qui soutiennent que l'obtention de la Béatitude passe par la connaissance vraie et que c'est là l'essentiel de leur vie ?
Quelle proportion pense à leur cotisations retraites et à leur plan d'épargne pour assurer leur bonheur plutôt qu'à la connaissance vraie ?

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Messagepar AUgustindercrois » 28 mai 2005, 22:51

Cher Henrique,

Ta longue réponse a éclairci bien des points.

Je vois entre ta citation même et ta conclusion une contradiction : si l'Etat démocratique est le plus naturel - parce qu'il est le mieux à même d'exprimer adéquatement la source même de toute puissance politique, à savoir la société même - alors il n'est pas révolutionnaire en soi de déclarer que la démocratie est préférable à tous les autres régimes : elle accomplit mieux que les autres la réalité politique, il n'y a donc pas une logique de rupture avec l'ordre naturel.

Dans ce sens je citerai Tocqueville qui disait dans son traité sur la Démocratie en Amérique : "Le principe de souveraineté du peuple, qui se trouve toujours plus ou moins au fond de presque toutes les institutions humaines, y demeure d'ordinaire comme enseveli. On lui obéit sans le reconnaître, ou si parfois il arrive de le produire un moment au grand jour, on se hâte de le replonger dans les ténèbres du sanctuaire".


Je pense que ton point de vue est philosophique. pour toi, comme pour moi, et nous en sommes d'accord, du point de vue de la philosophie politique, la démocratie et la révolution sont incompatibles. Je n'en disconviendrai pas.

Ce que je sous- entendais, c'était la mise en son contexte de la position spinoziste. Prôner la démocratie au XVIIème siècle est une attitude dangereuse, une position radicale, dont la radicalité même s'apparente à une révolution pour les puissants, monarchistes. POurquoi descartes s'écarte-t- il du débat? C'est qu'il a peur; il y a une sorte de lâcheté chez lui. Cette radicalité spinoziste est donc révolutionnaire, non pas au sens propre, au sens philosophique, "en soi", comme tu l'entends, mais bien quant à l'ordre établi des idées. Une révolution est un "changement dans l'ordre des choses" ( Littré). La pensée de Spinoza change les choses, et les change si bien que Spinoza se méfie quant à la publication de ses idées, dont il pressent la dangerosité pour son intégrité...


Quant tu évoques le conformisme des médias classiques, je te rejoins entièrement. Le débat a été longtemps monopolisé par les tenants du oui. Mais que les partisans du non ne jouent pas pour autant les victimes. Le débat a été intense et équilibré. Chacun pouvait trouver les info dont il avait besoin, s'il allait sur le net. Le débat à la radio et sur les télés fut pitoyable. Sur le net, on pouvait aller très loin.

Cet espace de liberté me fait penser à l'extraordinaire effervescence des journaux pré- révolutionnaires dans les années 1780.

Je ne suis pas plus néolibéral que toi. Je pense simplement que l'on peut, à partir du texte constitutionnel, faire évoluer les choses. Le rappel de la partie III est indifférent à cet égard. Je me sens proche de Delors, en cela, ou de Rocard. Adopter une charte sociale est toujours possible dans le cadre de la constitution proposée. Les partisans du non ne peuvent pas me démontrer le contraire...

D'autre part le fatalisme que tu préconnises n'a rien à voir avec la raison spinoziste. Etre enthousiaste n'est pas plus contraire à la raison que la morne résignation n'est signe de rationalité. (Voir sur cette question mon article sur la liberté dans "Etre humain").


J'avoue: ce fatalisme est une "tendance naturelle" de ma personnalité, que la fréquentation de SPinoza m'aide à combattre.

La CED refusée en 54, il faut savoir qu'une moitié des socialistes dont Mendès France n'en avait pas voulu avec les communistes et les gaullistes et pour cause, une puissance militaire continentale sans Etat continental pour la contrôler était apparue à beaucoup comme une absurdité dangereuse ! C'est bien beau de reprendre les arguments habituels de Strauss-Kahn ou de Hollande...


Les effets de la CED? Réarmement de l'Allemagne sans la coopération que la CED aurait pu introduire. j'ignorais que Mendès avait refusé la CED. Cela me chagrine. J'aurais aimé savoir ce qui l'avait déterminé.

Généreux, effectivement, me semble être le partisan du non le plus éclairé que j'aie pu entendre.

Sur Toni Negri: effectivement, je ne voyais pas les choses sous cet angle... Je ne peux rejoindre cette position, bien sûr. On ne doit jamais souhaiter les cendres ni les ruines.

Mais ta conclusion me semble polémique, et non pas philosophique. Tu me dis que je serais victime de mon imagination au nom de l'internationalisme dont se sont prévalus les socialistes, notamment au XIXè siècle. L'internationalisme est impossible en l'état actuel des choses. Je ne l'ignore pas. Il me semble que tu ne crois plus en l'Europe. Or, tu avais voté oui à Maastricht. Moi, j'y crois encore? Voilà ce qui nous sépare. Je vois que nous pouvons aller à Amsterdam sans devoir changer notre monnaie, par exemple. Il y a des choses concrètes et positives en Europe. Notamment la solidarité interrégionale. On n'en a pas assez parlé. Cette solidarité a permis à des pays comme l'Eire, l'Espagne ou le Portugal de décoller économiquement. C'est positif.

En même temps, je suis le premier à déplorer, par exemple, la privatisation des secteurs publics énergétiques, qui passent leur temps à spéculer en Bourse au lieu d'investir afin de répondre aux défus de demain.
Il me semble que le bilan est contrasté.

Connaître, c'est connaître l'enchaînement des causes et des effets, nous dit SPinoza. Or, n'y -t-il pas une aporie fondamentale dans ta position? Car tu attribues à la politique européenne des conséquences en termes sociaux depuis Maastricht. Or, imaginons que l'Europe dans sa version antémaastrichtienne ait continué à exister. Comment vois - tu les choses?

Enfin, sur la "Constitution européenne pro nazie", là, je crois que tu te laisses aller à la passion, à ta fougue espagnole, Henrique... Or, il convient de ne pas se laisser aller à la passion, selon Spinoza. La présente constituion n'est pas nazie. Je constate que tu voteras la même chose que ses héritiers plus ou moins avoués.

En fait, puisque tu te dis social - démocrate, je pense que tu rejoins la position de Fabius?

On le voit, les conséquences de ce référendum divisent profondément la gauche...

Ceci dit, cher Henrique, bon vote à toi aussi.

Ader


PS; je regrette, comme Cohn Bendit, que l'on n'ait pas fait un référendum au niveau européen, avec l'exigence d'une majorité de votants au niveau européen, et d'une majorité de 3/4 des pays.

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MarcJB
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Messagepar MarcJB » 29 mai 2005, 14:46

Je crois qu'il faut aussi tenir compte du § 4 du chapitre XI du traité politique :

"Mais, me demandera peut-être quelqu’un, est-ce par une loi naturelle ou par une institution que les femmes sont sous la puissance des hommes ? Car si ce n’est que par une institution humaine, assurément aucune raison ne nous oblige à exclure les femmes du gouvernement. Mais si nous consultons l’expérience, nous verrons que l’exclusion des femmes est une suite de leur faiblesse. [...] s’il était naturel que les femmes fussent égales aux hommes et pussent rivaliser avec eux tant par la grandeur d’âme que par l’intelligence qui constitue avant tout la puissance de l’homme et partant son droit, à coup sûr, parmi tant de nations différentes, on en verrait quelques-unes où les deux sexes gouverneraient également, et d’autres où les hommes seraient gouvernés par les femmes et élevés de manière à être moins forts par l’intelligence. Comme pareille chose n’arrive nulle part, on peut affirmer sans restriction que la nature n’a pas donné aux femmes un droit égal à celui des hommes, mais qu’elles sont obligées de leur céder [...]"

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Henrique
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Messagepar Henrique » 29 mai 2005, 15:24

Cher Augustin,

Ce que j'essaye d'argumenter depuis le début, c'est certes qu'il y a de bonnes raisons pour voter oui aussi bien que non, d'où l'intérêt du débat, mais bien sûr que les raisons de voter non me semblent supérieures d'un point de vue spinoziste. En effet, les raisons de voter oui relèvent de notions générales comme la paix ou l'unité que l'idée même d'une constitution commune semble rendre plus cohérente alors que celles que j'avance se rapportent d'abord à des faits concrets comme le chômage, les délocalisations, l'accroissement des inégalités sociales ou encore la désaffection civique de la participation politique qui suit de ce qui précède, tout cela s'étant révélé incompréssible depuis le milieu de années 80 en Europe, ce qui a justement coïncidé avec une relance de la construction européenne dans un sens clairement et exclusivement néolibéral.

Puisque voter oui, c'est clairement se prononcer en faveur d'une construction européenne néolibérale, il me semble particulièrement inconséquent de le faire d'un point de vue de gauche (puisque la gauche consiste à affirmer la nécessité d'une puissance commune plutôt que celle des intérêts privés) et d'un point de vue démocratique (puisque la démocratie suppose l'alternance possible). Voter non, c'est alors décider de donner un coup d'arrêt à cette construction européenne là, lui donner les chances de repartir sur de nouvelles bases plus démocratiques et plus soucieuses de l'élément social : non pas rompre avec le principe même d'une construction européenne, mais se donner, comme dit Oskar Lafontaine, social démocrate allemand, le temps de respirer pour retravailler sur ses bases, se donner la possibilité d'une Europe plus juste et plus démocratique.

Maintenant, pour ce qui est du mot révolution, c'est vrai que je le prenais au sens de "changement brusque et violent du régime politique et social d'un Etat". Si on le prend au sens beaucoup plus général d'un "changement dans l'ordre des choses", il y a peu d'actions éthiques ou politiques qui ne soient révolutionnaires, puisque par définition l'action est ce qui vise à changer le cours naturel des choses. Et même toute action au sens spécifiquement spinoziste est révolutionnaire en ce sens puisqu'il la définit comme l'activité dont nous sommes la cause adéquate, ce qui tranche avec l'ordre habituel des événements où nous ne sommes que cause inadéquate. Le terme qui me semble plus adéquat pour désigner ce changement, c'est celui de conversion du regard. Mais ce n'est qu'une question de mots.

Sur le net, on pouvait aller très loin.


Quant à ce que tu dis toi même des médias de masse, les tenants du non peuvent justement dénoncer le déséquilibre en faveur du oui. Ce qui me semble le pire dans ce sens, ce n'est même pas la multiplication des intervenants politiques pour le oui, c'est la propagande menée par des chaînes comme France 2 (le JT) ou M6 (l'émission de Chain) - pour TF1 je ne sais pas, je ne regarde pas - sous couvert d'objectivité journalistique. Heureusement pour le non, il y a tout de même l'expérience sociale que quelques reportages orientés ne peuvent effacer et il y a le texte lui-même. C'est vrai que la grande différence par rapport à 92, c'est Internet, l'accès à une information beaucoup moins contrôlée par les pouvoirs politiques ou économiques en place. Certains sites comme celui d'Etienne Chouard auront été déterminants sur un pourcentage non négligeable de votants. Tout cela a effectivement un parfum d'insurrection démocratique contre un certain ordre établi. Mais Internet reste un média largement minoritaire par rapport à la radio ou la TV.

Je ne suis pas plus néolibéral que toi. Je pense simplement que l'on peut, à partir du texte constitutionnel, faire évoluer les choses. Le rappel de la partie III est indifférent à cet égard.

Tu crois que la partie III est là pour faire joli ? Et pourquoi alors aurait-elle été intégrée à la constitution, au lieu d'en faire un traité à part de la rénovation des institutions européennes comme le bon sens l'aurait voulu ?

Je me sens proche de Delors, en cela, ou de Rocard. Adopter une charte sociale est toujours possible dans le cadre de la constitution proposée. Les partisans du non ne peuvent pas me démontrer le contraire...

Comment l'Europe pourrait-elle faire concrètement du social (et pas seulement verbalement, je pense que c'est ce que tu veux dire) si elle ne compte que sur la libre concurrence et la libéralisation des marchés pour cela ? Comment une politique de relance keynesienne, s'attaquant donc aux causes de l'injustice sociale et pas seulement aux effets, est-elle possible avec les articles 1-4, 1-5 qui interdisent toute politique budgétaire nécessaire à une telle démarche, et l'article III-210-2 qui interdit toute harmonisation politique, autre que celle qui est censée se faire par la libre concurrence et qui se fait donc par le bas ?

j'ignorais que Mendès avait refusé la CED. Cela me chagrine. J'aurais aimé savoir ce qui l'avait déterminé.

A vrai dire, il n'a pas simplement refusé la CED, c'est lui qui l'a enterrée en la proposant à la ratification parlementaire à un moment où il savait que le rapport de force avec les gaullistes, les communistes et les socialistes contre la CED était clairement en défaveur du traité. Les raisons ? "En août, à Bruxelles, il cherche en vain à obtenir de ses alliés européens des concessions qui diminueraient les contraintes supranationales du traité. Devant l'impossibilité de trouver un compromis, il refuse de traîner plus longtemps ce boulet et décide de poser la question au Parlement, mais sans engager la responsabilité de son gouvernement sur un projet qui n'est pas le sien et qu'il n'a pas réussi à amender. Le 30 août, dans une atmosphère survoltée, la CED est rejetée par 319 voix contre 264. La division des socialistes (53 pour et 50 contre) a joué un rôle déterminant. Mais certains ténors politiques favorables au traité ne pardonneront jamais au président du Conseil «le crime du 30 août». "

Mais ta conclusion me semble polémique, et non pas philosophique. Tu me dis que je serais victime de mon imagination au nom de l'internationalisme dont se sont prévalus les socialistes, notamment au XIXè siècle. L'internationalisme est impossible en l'état actuel des choses. Je ne l'ignore pas. Il me semble que tu ne crois plus en l'Europe. Or, tu avais voté oui à Maastricht. Moi, j'y crois encore? Voilà ce qui nous sépare. Je vois que nous pouvons aller à Amsterdam sans devoir changer notre monnaie, par exemple. Il y a des choses concrètes et positives en Europe. Notamment la solidarité interrégionale. On n'en a pas assez parlé. Cette solidarité a permis à des pays comme l'Eire, l'Espagne ou le Portugal de décoller économiquement. C'est positif.


Cette conclusion était disons psychologique plus que philosophique, c'est vrai. Mais la psychologie a un rôle politique indéniable, une philosophie de la politique ne peut donc le négliger. Ce que tu me dis ne me permet pas tellement de corriger mon analyse des raisons psychologiques du oui de gauche : tout ce que tu présentes de "positif" en Europe comme la monnaie unique n'est pas remis en cause par le vote non. Ce qui est remis en cause, c'est la façon de construire et d'utiliser les institutions européennes dans un sens uniquement libéral et ce même quand une majorité de gouvernements sont à gauche comme ce fût le cas à la fin des années 90. Quant à l'Espagne, le Portugal et l'Irlande, j'ai déjà montré que les fonds structurels qui avaient pu être trouvés pour harmoniser par le haut ne pourront plus l'être avec les nouveaux entrants. C'est bien de vouloir l'élargissement, mais cette augmentation en extension de la puissance d'exister de l'Europe, doit pour être crédible augmenter en compréhension or les attributs qui conviendraient à l'affirmation d'une telle puissance sont inexistants : BCE indépendante, et donc hors de portée de toute impulsion politique, budget ridicule etc.

Mais ne dis pas que "je ne crois plus à l'Europe" et à l'internationalisme, au contraire, c'est parce que je pense qu'une union des peuples demeure possible par delà les intérêts financiers dominants que je fais confiance au non plutôt que de me résigner à la domination d'intérêts privés. Il ne s'agit pas de renoncer à la construction européenne mais de se donner la possibilité d'envisager une autre Europe, plus démocratique et pouvant être plus sociale.

Aussi je ne regrette pas d'avoir voté oui à Maastricht : à cette époque, on pouvait encore croire au système de l'engrenage vertueux d'une construction économique qui entraînerait une construction politique, puis sociale. Mais aujourd'hui, on nous demande de ratifier l'exact contraire de ce plan : une Europe qui ne compte que sur la libre concurrence pour parvenir à ses objectifs sociaux, une Europe qui n'a aucune puissance politique, c'est-à-dire budgétaire et monétaire, pour faire autre chose que d'attendre les lendemains qui chantent de l'ultralibéralisme. Tout ce que je prends la peine de préciser va jsutement dans le sens d'une connaissance de l'enchaînement des causes (libéralisation des marchés, dérégulations, compétition sans régulation) et des effets (chômage, accroissement des inégalités etc.)

Enfin je n'avais bien sûr pas voulu dire que la constitution que tu auras ratifiée aujourd'hui était nazie. Je voulais dire avec cet exemple que le contenu du traité importe autant que les intentions que tu mets derrière. J'ai l'impression que tu dis que tu n'es pas d'accord avec le contenu néolibéral de ce traité mais qu'il est important pour toi de ne pas arrêter la construction européenne (comme si on ne pouvait pas s'arrêter un temps pour mieux repartir ensuite). Donc je te disais "et si le contenu était nazi, tu l'aurais adopté au nom de la construction européenne ?". Bien sûr tu me dis, non, et et ce traité n'est pas nazi. Mais si tu n'aurais pas accepté un contenu nazi, alors c'est bien que ce dernier compte et que l'objectif de la construction européenne ne peut se faire à n'importe quel prix. Il faut donc bien tenir compte du contenu et se demander s'il y a un sens à construire et renforcer (le libéralisme en europe) ce que l'on se propose justement de combattre (en tant que gens de gauche).

Par ailleurs je t'ai déjà répondu sur la culpabilisation par la comparaison avec le vote du FN : tu ne m'as pas répondu à ces arguments. Alors je les reformule, ça m'intéresse de savoir ce que tu en penses - étant entendu que si le résultat de la campagne avait été ce qui nous obnubilait au premier chef nous aurions été ailleurs pour essayer de convaincre. Si un jour Madelin était au pouvoir en France, faisait un référendum pour savoir s'il faut maintenir le Smic, et que Le Pen, - pour de mauvaises raisons - disait qu'il faut le maintenir, tu voterais pour la mesure Madelin pour éviter de mettre le même bulletin dans l'urne que Le Pen ? D'autre part, l'extrême droite italienne et autrichienne votent oui à ce traité, je constate que tu voteras (ou a voté) la même chose que les héritiers des pays mêmes où sont nés le fascisme et le nazisme !

Puisque tu me demandes mes sympathies particulières au PS, je te répondrai que c'est d'Arnaud Montebourg que je me sens le plus proche sur le plan démocratique, et de Mélenchon sur le plan social. Cela veut dire que pour moi ce serait bien que les courants NPS et Nouveau Monde arrivent à fusionner. Rien n'est donc gravé dans le marbre s'il y a victoire du non, et ce qui m'intéresse plus c'est le mouvement des idées plutôt que celui des personnes en la matière. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine, c'est pourquoi il y a tant d'affects comme l'observe justement Pierre (à qui tu poses par ailleurs des questions cruciales pour un spinoziste, je pense).

Amitiés,
Henrique

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Messagepar bardamu » 29 mai 2005, 16:59

Henrique a écrit :(...)D'autre part, l'extrême droite italienne et autrichienne votent oui à ce traité, je constate que tu voteras (ou a voté) la même chose que les héritiers des pays mêmes où sont nés le fascisme et le nazisme !

La pique est un peu de mauvais goût, trouve-je. Cela laisse entendre que l'extrême-droite est héréditairement pire chez les autrichiens et les italiens que chez les français...

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Messagepar DGsu » 29 mai 2005, 17:27

bardamu a écrit :
Henrique a écrit :(...)D'autre part, l'extrême droite italienne et autrichienne votent oui à ce traité, je constate que tu voteras (ou a voté) la même chose que les héritiers des pays mêmes où sont nés le fascisme et le nazisme !

La pique est un peu de mauvais goût, trouve-je. Cela laisse entendre que l'extrême-droite est héréditairement pire chez les autrichiens et les italiens que chez les français...

Pour ma part, ce n'est pas ce que j'ai entendu. Cela signifie que tu peux voter "non" bien que l'extrême droite française le fasse ou tu peux "oui" bien que l'extrême-droite autrichienne le fasse. Ce n'est pas cela qui doit peser dans la balance. Nous savons tous que la pensée réactionnaire a des racines profondes en France. :wink:

<edit> et puis cela vous amusera de lire ceci dans l'Humanité
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

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Messagepar bardamu » 28 juin 2005, 20:20

Préface de Léon Bourgeois à La Politique radicale de Ferdinand Buisson, 1908
Léon Bourgeois a écrit :(...)
Le parti radical a un but : il veut organiser politiquement et socialement la société selon les lois de la raison, c'est-à-dire en vue de l'entier développement de la personne humaine dans tout être humain, en vue de l'entière réalisation de la justice dans tous les rapports entre êtres humains.

Le parti radical a une méthode. C'est celle de la nature elle-même. Il sait que tout organisme naturel tend à se développer vers un état supérieur par l'évolution régulière de chacun de ses éléments coordonnés. Il attend donc de l'évolution morale et intellectuelle de chacun des individus l'amélioration progressive de la société. Et c'est pour la hâter qu'il fait de l'éducation publique le premier devoir de l'Etat puisque c'est le premier intérêt de la nation. Il y voit le ressort essentiel du progrès, celui qui doit désormais remplacer les révolutions violentes, nécessaires jadis pour briser l'obstacle matériel de la force monarchique et césarienne, inutiles au contraire et injustifiables dans un temps où s'exerce librement la volonté de tous.

Le parti radical a une morale et une philosophie. Il part du fait indiscutable de la conscience. Il en tire la notion morale et sociale de la dignité de la personne humaine. Il en conclut pour celle-ci un droit et un devoir : le droit de chercher, par l'effort de la raison, les conditions de son propre développement et les lois de ses rapports avec les autres êtres ; le devoir d'observer vis-à-vis des autres les règles d'existence qu'elle a ainsi librement déterminées. L'égalité des droits entre tous les êtres humains, l'obligation pour eux de pratiquer rationnellement le régime de la solidarité mutuelle sont les corollaires nécessaires de la doctrine. Ce sont les nouveaux commandements de l'Ecole, les tables de la Loi et de la démocratie.

Le parti radical a une doctrine politique. Il va de soi que c'est la doctrine républicaine. Mais la République qu'il a en vue est la République démocratique qui, seule, permet à tous les citoyens de rechercher ensemble, sans privilège pour aucune catégorie d'entre eux, les arrangements légaux les plus propres à réaliser ce gouvernement de la raison.

Le parti radical, enfin, a une doctrine sociale. Et cette doctrine se résume en ce mot l'association. Il ne croit pas, en effet, que le bien de la nature puisse se réaliser définitivement par la lutte des individus et des classes, pas plus que le bien de l'humanité par la lutte des nations. II affirme que le véritable instrument de tous les perfectionnements sociaux, c'est l'association des individus et l'association des groupes humains consentant à des règles que les uns et les autres jugent et sentent conforme au bien, parce qu'elles sont à l'intérêts de tous. C'est par l'association ainsi entendue que s'est fondée la cité, c'est par elle que s'est fondée la patrie.

Ces principes posés, notre parti ne recule devant aucune de leurs conséquences. Il reconnaît que l'association fondée sur l'équité, en d'autres termes, sur le libre consentement à un échange de services reconnus équivalents, limite la liberté humaine. Il n'admet donc pas la prétendue liberté de l'exploitation de l'homme par l'homme ; il n'admet pas davantage un régime de liberté absolue de la concurrence qui permettrait indirectement à la puissance financière d'abuser de sa force au détriment du plus faible. Et pourquoi notre parti n'autorise-t-il pas ces prétentions à l'omnipotence, de quelque part qu'elles viennent ? C'est qu'il a bien compris que l'homme n'est vraiment libre qu'après avoir accompli son devoir social, après avoir payé sa dette. Quelle dette ? Tout simplement sa part, sa juste part de la dette même de la nation. La nation ne jouira de la paix que lorsqu'elle aura créé un ensemble complet d'assurances qui garantisse tout individu contre les risques de la maladie, des accidents, du chômage, de l'invalidité, de la vieillesse. De là, la nécessité de lourdes charges pour la collectivité. N'est-il pas juste que tous y participent ? Mais ne jouons pas sur les mots. Ils doivent y contribuer, non pas comme aujourd'hui dans des proportions empiriques, le plus souvent favorables à ceux qui ont le moins besoin d'être favorisés, mais selon une progression qui imposera nettement à chacun une charge véritablement correspondante aux bénéfices qu'il tire de la société. Réformes fiscales et assurance sociale, ce sont donc bien les deux articles essentiels et inséparables par lesquels se caractérise la politique immédiate de notre parti.

source : http://www.prg64.org/modules/xoopsfaq/i ... t_id=4#q47


Raison, nature, association, à part la notion de dette qui pour moi se fonde sur une tristesse (contemplation de notre impuissance qui nous impose une dépendance), je trouve que c'est assez spinoziste.


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