Pour en revenir au Dieu de Spinoza.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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YvesMichaud
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Messagepar YvesMichaud » 05 sept. 2003, 07:48

Bonjour,

Spinoza, dans son Court Traité, donne trois preuves de Dieu. J'aimerais donner mon avis là-dessus.

1. La première preuve est une version de la célèbre preuve ontologique de l'existence de Dieu, qui consiste à déduire l'existence de Dieu de son concept. Spinoza la formule ainsi:

« Tout ce que nous concevons clairement et distinctement appartenir à la nature d’une chose 1, peut être, avec vérité, affirmé de cette chose. Or l'existence appartient à la nature de Dieu.»

Spinoza apporte cette précision:

« J'entends la nature déterminée d'une chose, par laquelle elle est ce qu'elle est, et qui ne peut en aucune façon être séparée d'elle sans que la chose soit détruite par cela même : par exemple, il appartient à l'essence de la montagne d'avoir une vallée ; ou, plus brièvement, c'est là l’essence même de la montagne, essence éternelle et immuable, et qui doit toujours être contenue dans le concept d’une montagne, lors même qu’une telle montagne n'existerait pas, ou n'eût jamais existé.»

2. Le problème dans cette preuve est la confusion fondamentale entre l'essence (la nature) et le concept. L'essence est du côté des êtres, le concept est du côté de l'entendement. L'essence est l'élément quidditatif d'un être (ce par quoi il est ce qu'il est) tandis que le concept est la représentation mentale abstraite d'une chose.

3. Il est admis que nous concevons un Être dont la nature est d'exister nécessaire. En d'autres termes, nous avons bien le concept d'un Être dont la nature est d'exister, et qui ne peut pas n'exister pas, de même que la montagne ne peut pas n'avoir pas de vallée.

Il est aussi admis chez les théologiens que l'existence appartient à la nature de Dieu. Dieu est donc un Être dont la nature est d'exister, et il ne peut pas n'exister pas, à la différence des objets de ce cosmos.

Peut-on prouver quelque chose de ces deux faits? Non. Parce que quand je me fais un concept, c'est-à-dire une représentation mentale abstraite de Dieu, je n'appréhende pas réellement Dieu et sa nature. Je n'ai pas perçu Dieu pour ensuite analyser sa nature (auquel cas nul ne douterait de l'existence de Dieu). Je me suis formé un concept, assez confus, de Dieu, en combinant d'autres concepts, issus directement ou indirectement de l'expérience. Je suis parvenu à un concept de Dieu en joignant plusieurs éléments (existence - nécessaire) que j'avais d'abord conçus séparément.

Il y a deux façon pour moi de concevoir les cent thalers de Kant. Soit je perçois la pièce de cent thalers, je l'analyse et mon entendement se représente mentalement ce qu'est cet objet. Auquel cas je peux dire avec certitude que ce concept est issu de quelque chose de réel. Soit je combine des concepts précédemment formés (le concept de la centaine et le concept de thaler, sans tenir compte de l'expérience). Dans ce cas, je me retrouve avec un concept sans savoir si quelque chose de réel répond à ce concept. C'est ce qui se produit avec l'idée d'un extra-terrestre. C'est de cette seconde façon que je parviens à un concept de Dieu.

En théologie, quand je porte un jugement sur l'essence de Dieu, je suppose que celui-ci existe, je ne le prouve pas.

En fait, j'ai énormément de difficulté à comprendre comment vous pouvez surmonter la critique, déjà traditionnelle, de la preuve dite ontologique.


Cordialement[size=50][ Edité par YvesMichaud Le 05 September 2003 ][/size]

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ghozzis
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Messagepar ghozzis » 05 sept. 2003, 10:13

Bonjour a tous,
Moi aussi , cette demonstration de l existenc de dieu me preoccupe. Je n ai pas lu tout votre precedent debat, mais pour moi l erreur de cette preuve est la suivante.
on dit 1) il appartient a la nature de Dieu d exister
2) Or ce qui a pour nature d exister existe
3) donc dieu existe

La proposition 2) est manifestement fausse. Je peux me former le concept suivant: "triangle existant", et je dirais "je ne peux pas penser le `triangle existant´comme non existant, donc il existe".
Ou bien est ce que je me trompe dans ma refutation, merci de m aider!
PS: svp ne me repondez pas que je peux concevoir le triangle comme non existant, puisque j ai forme le concept "triangle existant" et non pas "triangle".
Merci!

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sescho
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Messagepar sescho » 07 sept. 2003, 10:39

Bonjour,

Voilà mon simple avis d’amateur :

- Premièrement, pour Spinoza, « Dieu » équivaut à « la Nature », « principe premier et éternel » de toute chose. Dans ce cadre, en quoi l’affirmation :

L'existence appartient à la nature de la Nature.

pose-t-elle un problème ?

Personnellement, je ne peux même pas imaginer que la Nature n’existe pas.

L’ancienneté des critiques n’est pas une preuve de pertinence, et Spinoza n’en avait cure à son époque. Dans ce même premier chapitre du Court Traité :

« Dieu cependant, la première cause de toute choses, et même la cause de lui-même, Dieu doit se faire connaître lui-même par lui-même. C'est pourquoi le mot de Thomas d'Aquin n'a pas grande valeur : à savoir que Dieu ne peut pas être prouvé a priori, parce qu'il n'a pas de cause. »

Le problème de la preuve ontologique pour moi, c’est en fait qu’on trouve le besoin même de l’exprimer. Elle ne peut se justifier que dans un mouvement didactique, de même que, dans toutes les voies spirituelles, on finit toujours par dissoudre les concepts qui nous ont supportés jusqu’alors.

Version de Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbéry ; 1033-1109) dans Proslogue ou Allocution sur l'Existence de Dieu et sur ses Attributs (www.JESUSMARIE.com) :

« Cet être suprême existe si bien qu'il est impossible de concevoir sa non-existence. En effet, on peut avoir l'idée de quelque chose qui existe nécessairement et d'une manière absolue ; or ce mode d'existence est supérieur à celui qui caractérise les êtres contingents. Si donc on pouvait concevoir la non-existence de l'être suprême et faire de lui un être contingent, la pensée serait libre de concevoir au-dessus de lui quelque chose dont l'existence serait nécessaire ; par conséquent il ne serait plus l'être par excellence, ce qui implique contradiction. Il existe donc un être suprême, et cet être suprême existe si bien que la pensée ne peut concevoir sa non-existence. »

- Quant au « concept » : il n’y a pour Spinoza que des idées adéquates et des idées inadéquates. Je ne vois pas qu’on puisse saisir l’essence (éternelle) d’une chose autrement que par l’entendement, qui recouvre l’ensemble des idées (de plus, quoique ce ne soit pas vraiment explicité par Spinoza : on ne peut avoir d’idée adéquate de l’essence d’une chose singulière). La vérité contenue dans une idée adéquate ne se démontre pas à proprement parler, elle se vit : la vérité se fait connaître d’elle-même. De plus, toute démonstration exige des prémisses, or il s’agit ici des prémisses fondamentales.

Ainsi s’exprime Spinoza, par exemple, dans la lettre 4 à Oldenburg :

« […] je conviens qu’en effet de la définition d’une chose quelconque on ne peut inférer l’existence de la chose définie ; cela n’est légitime (comme je l’ai démontré dans le Scholie que j’ai joint aux trois propositions) que pour la définition ou l’idée d’un attribut, c’est-à-dire, suivant ce que j’ai clairement expliqué en définissant Dieu, pour une chose qui est conçue par soi et en soi. Si je ne me trompe, j’ai aussi, dans ce même Scholie, assez clairement expliqué, surtout pour un philosophe, la raison de cette différence. Je suppose, en effet, qu’on n’ignore pas la différence qui existe entre une fiction de l’esprit et un concept clair et distinct, non plus que la vérité de cet axiome : que toute définition ou toute idée claire et distincte est vraie. »

ou dans la lettre 10 à Simon de Vries :

« […] l’expérience n’est requise que pour les choses dont la définition n’emporte pas l’existence, par exemple, pour les modes, l’existence d’un mode ne résultant jamais de sa seule définition ; mais l’expérience est inutile pour les êtres en qui l’existence ne diffère pas de l’essence et dont la définition par conséquent implique l’existence réelle. L’expérience n’a rien à voir ici ; elle ne nous donne pas les essences des choses ; le plus qu’elle puisse faire, c’est de déterminer notre âme à penser exclusivement à telle ou telle essence déterminée. Or l’existence des attributs ne différant pas de leur essence, il s’ensuit qu’aucune expérience n’est capable d’y atteindre.
Vous me demandez ensuite si les êtres et leurs affections sont aussi des vérités éternelles. - Oui sans doute. - Mais pourquoi, direz-vous, ne pas les appeler vérités éternelles ? - Pour les distinguer, comme c’est l’usage universel, de ces principes qui n’ont point de rapport aux êtres ni à leurs affections, celui-ci, par exemple : Rien ne vient de rien. Ces propositions et autres semblables se nomment proprement, je le répète, vérités éternelles ; par où l’on entend qu’elles n’ont point d’autre siège que l’âme. »[size=50][ Edité par sescho Le 07 September 2003 ][/size]

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Henrique
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Messagepar Henrique » 09 sept. 2003, 00:10

Bonjour à tous,
(Pour prendre connaissance de notre échange passé sur l'existence de Dieu, aller [url=http://www.spinozaetnous.org/modules.php?op=modload&name=Forum&file=viewtopic&topic=24&forum=2&16]ici[/url]).

Pour compléter la réponse de Serge, j'ajouterai pour répondre d'abord à Ghozzis que sa 'réfutation' de la mineure 'ce qui a pour nature d'exister existe' ne correspond pas à l'argument de Spinoza. Son argument est ''Tout ce que nous concevons clairement et distinctement appartenir à la nature d’une chose, peut être, avec vérité, affirmé de cette chose'' : ce n'est pas ''tout ce que nous concevons clairement distinctement appartenir à la nature de la chose peut [b]être dit exister[/b]''. La vallée appartient nécessairement à la montagne parce que c'est une propriété de sa nature, mais l'existence ne saurait appartenir à la montagne nécessairement, car son concept est celui d'un être fini, dépendant de l'existence d'autre chose, ne pouvant donc être cause de soi : son essence ne saurait envelopper l'existence.

A cet égard, les exemples du triangle ou des 100 thalers sont nuls et non avenus pour 'réfuter' l'argument dit ontologique. Comme le dit la lettre citée par Serge, il est clair qu'on ne saurait déduire l'existence de l'essence d'une chose quelconque, càd une chose qui est une modification de l'étendue par exemple, parce que l'existence d'une telle chose s'explique nécessairement par l'existence d'autres choses et non par son essence. Ainsi si je pose le 'concept' d'un 'triangle existant', je ne pose pas un concept mais deux concepts différents que je relie synthétiquement sans qu'il y ait d'identité permettant de les relier [i]a priori[/i] : quoiqu'on veuille, l'idée d'une figure à trois côtés ne contient pas l'idée même d'existence. Et pour cause, il faut pour comprendre cette idée avoir eu auparavant l'idée d'étendue, puis de figure, puis de côté, puis de trois : l'existence formelle de cette idée dans mon esprit dépend de l'existence d'autre chose qu'elle-même.

Mais Dieu n'est pas une chose quelconque à ce titre qu'on entend par ce mot un être absolument infini. Pour avoir le concept d'absolue infinité, je ne saurais partir de 1, +1, +1 et ainsi de suite, ce qui ne me donne que le concept d'une série voir d'un être indéfini (voir la
[url=http://www.spinozaetnous.org/modules.php?name=Sections&sop=viewarticle&artid=73]lettre sur l'infini[/url]). Je le conçois tout d'un coup comme affirmation pure, dénuée de toute négativité, ou je ne le conçois pas du tout.

D'autre part, si l'idée qu'il s'agit ici de penser est exprimée par des mots différents (absolu, infini), elle est absolument simple en elle-même, composée uniquement de cette identité pure, pour peu qu'on y prête suffisamment attention. Or un être qui peut ne pas exister est un être qui comporte une part de négativité, on n'accède donc pas à son concept tant qu'on imagine qu'il pourrait ne pas exister, tant qu'on se situe à vrai dire dans la fiction plutôt que dans le concept.

Prenons par exemple l'étendue, qui est un des aspects par lesquels l'entendement peut concevoir l'essence de la substance a. i. : c'est l'idée d'une puissance absolument infinie de s'étendre ou encore d'occuper des dimensions. Je ne saurais avoir cette idée en partant d'un corps, dont j'imagine qu'il peut y en avoir un plus grand et ainsi de suite indéfiniment. Peut-on concevoir que l'étendue pourrait ne pas exister ? On imaginera peut-être qu'un dieu qu'on se représente confusément comme tout puissant aurait pu faire que l'étendue n'existe pas, mais on ne concevra alors rien clairement et distinctement, on ne sera pas dans le concept mais dans la fiction. Si je conçois clairement l'étendue, je ne puis rien trouver qui la limite : un corps étendu peut en limiter un autre, mais l'étendue elle-même ne peut être limitée par rien. Or, pour pouvoir ne pas exister, il faudrait qu'il existe quelque chose d'extérieur à l'étendue pouvant en limiter l'existence.

L'étendue ne saurait donc être conçue autrement que comme cause d'elle-même, ce qui revient à dire que son essence enveloppe son existence ou encore que son essence et son existence sont une seule et même chose, ce qui rend superflue toute recherche d'une preuve supplémentaire de son existence, autre que celle qui est contenue dans son concept.

Le concept ou l'idée adéquate d'étendue donne en ce sens accès de manière intuitive (bien que non expérimentale, et pour cause, il ne s'agit pas d'appréhender un être fini) à son existence : puisque dans l'étendue, essence (= contenu d'un concept) et existence coïncident, concevoir adéquatement l'étendue, c'est appréhender en même temps son existence directement, sans médiation et donc intuitivement puisqu'il n'y a pas de moyen terme entre son essence et son existence. Pour le dire d'une autre façon, l'intuition intellectuelle que je puis avoir de l'étendue en tant que pouvoir infini de s'étendre, c'est l'idée autosuffisante que l'étendue entièrement présente dans chaque portion d'étendue (l'étendue de la main est absolument la même que celle de la montagne) en tant que rien ne peut venir dans mon esprit limiter cette affirmation de soi.

Je dirais qu'on procède ici à peu près de la même façon que pour comprendre le principe d'inertie. Dans l'expérience courante, je ne vois jamais de corps qui continuent indéfiniment leurs mouvement. Pourtant, à partir du concept de corps en tant qu'il enveloppe la possibilité du mouvement, je comprends intuitivement (=je ne m'explique pas seulement discursivement) très bien que tant qu'aucun corps extérieur ne vient limiter son mouvement, il conservera la même quantité de mouvement indéfiniment.

Pour autant, il n'y a pas ici prétention ni besoin de prétendre connaître directement ce que Kant appelait la "chose en soi" derrière la représentation. Il faudrait ici développer ce que Spinoza appelle 'idée adéquate', mais ce post est déjà trop long. D'un mot cependant, l'idée 'adéquate' n'est pas adéquate à une réalité extérieure à la pensée mais à elle-même, ce qui lui confère toutes les propriétés de l'idée vraie qui, elle, est adéquate à l'objet réel. L'intellect peut être intuitif par ce qu'il est la connaissance de la pensée par elle-même. Pour comprendre cela, il faut mettre entre parenthèses le schéma empiriste naïf qui veut que la pensée soit une sorte de résidu de l'expérience sensible et lire la deuxième partie de l'[i]Ethique[/i], mais ce n'est plus mon propos.

Ainsi, pour répondre à Jean-Yves, un concept tel que Spinoza le définit n'est en aucun cas une idée 'abstraite', c'est-à-dire une idée générale qui n'est au fond que le résultat du dépassement de mon pouvoir d'imaginer une multitude d'objets ayant certains points communs (cf. [url=http://www.spinozaetnous.org/ethiq/ethiq2.htm#p40]E2P40, scolie I[/url] : les idées abstraites sont des idées inadéquates). Si 'je me suis formé un concept, assez confus, de Dieu, en combinant d'autres concepts, issus directement ou indirectement de l'expérience', c'est que de ce point de vue je ne me suis en réalité formé aucun concept, mais plutôt une image effectivement confuse.

Ce qu'on peut appeler concept ou idée adéquate avec Spinoza, c'est une idée qui contient elle-même une détermination suffisante pour que les propriétés qu'on lui adjoint puissent être déduites clairement et distinctement. Dans le cas de Dieu, j'ai avec l'idée d'être absolument infini, une idée qui se suffit entièrement à elle-même sans quoi ce n'est pas d'un E.A.I. que j'ai l'idée mais d'autre chose d'inférieur. D'un tel être, toutes les propriétés peuvent être déduites sans dépendre de l'idée d'autre chose, sinon c'est tout simplement que je n'ai pas encore réussi à distinguer l'infini de l'indéfini (et j'insiste sur ce point : il ne s'agit pas ici de partir de l'existence, puis de la nécessité mais de l'idée d'être infini au sens absolu, ce qui malgré la multiplicité des mots utilisés ici pour les besoin de l'analyse n'est qu'une seule idée). Si pour parvenir au concept de Dieu, je procède de la même façon que lorsque je me forge l'idée d'un extra-terrestre, c'est bel et bien que je n'ai pas encore procédé à une 'emendatio' de l'intellect suffisante pour faire le départ requis ici entre le conceptuel et l'imaginaire.

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Messagepar YvesMichaud » 16 sept. 2003, 01:59

Salut,
Je ne comprends pas entièrement vos discours mais je comprends que la philosophie spinoziste est éloignée des cadres scolastiques et cartésiens qui me sont familiers.

Pourtant, une idée, si riche et féconde soit-elle, doit se conformer aux choses pour être vraie, et seule la conformité aux choses peut décider de la vérité ou de la fausseté d'une idée. (en fait, dans la logique aristotélicienne, il n'y a pas de vérité ou d'erreur dans les idées, mais seulement dans les jugements) Peut-être bien que Dieu n'est pas 100 thalers, mais ce n'est pas davantage une pure abstraction géométrique, située dans le monde des essences immuables. Dieu est bien dans le monde des existences, monde auquel nous avons accès par nos sens.

Enfin, la preuve ontologique, j'aurais tendance à dire que plus personne n'y croit excepté vous... Et une preuve qui ne convainc personne n'est plus une vraie preuve...


Cordialement,
Yves M

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Messagepar ghozzis » 16 sept. 2003, 12:35

Bonjour Yves et Henrique,
Yves, tu parles de la conformité du jugement aux choses, mais comment le sujet pourrait il sortir de lui meme pour voir directement les choses? En réalité, et pour peu que tu y réflechisses, tu verras que le sujet n a jamais affaire qu a ses propres pensées, non aux choses memes;
meme l espace et le temps ne sont pas des choses, mais tout simplement des modes de notre pensée;
pour revenir à la notion de cause de soir, il est intéressant de noter que chez spinoza l etendue est cause de soi, et chez Kant l espace; la seule différence est que chez spinoza l etendue a une réalité (quoique il dit aussi que cest ce que l ENTENDEMENT percoit de la substance comme etant son essence) alors que chez Kant l espace n est qu une détermination du sujet;
tout cela pour dire que j ai du mal à comprendre comment on peut faire de la métaphysique pré-kantienne après kant?
la question que je me pose toujours, quand je vois des explications de la métaphysique de Spinoza est: est ce que celui qui explique croit à ce qu il dit? Henrique par exemple, lorsque tu essaies d expliquer la métaphysique spinoziste, est ce que tu as en meme temps en tete le fait qu elle a recu une réfutation un siecle plus tard, en la personne de Kant? Ou bien penses tu que Kant lui meme s est trompé?
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Messagepar Henrique » 18 sept. 2003, 18:01

Oui Ghozzis, je pense - mais pas tout seul - que Kant s'est trompé. Hegel a quant à lui, et avant moi, réfuté la réfutation de Kant et réhabilité l'argument ontologique dans [i]Les preuves de l'existence de Dieu[/i].

Et quand bien même je serais seul, l'accord universel qu'implique une preuve rationnelle ne saurait jamais exister qu'en droit, jamais à titre d'unanimité de fait. Par ailleurs, ce n'est pas le dernier qui a parlé qui a automatiquement raison, comme on a tendance à le croire quand on s'imagine que telle une providence, l'histoire progresse nécessairement vers le mieux et le vrai. Ce qui ne m'empêche nullement de connaître Kant puisque la moitié de mon propos sur cette question, si tu le suis bien, est une réponse à l'argumentaire kantien.

Qu'est-ce donc qu'une preuve ? C'est ce qui nous permet de connaître avec certitude l'existence de quelque chose. Mais prouver n'est pas éprouver. Car je peux croire éprouver l'existence de quelque chose du moment que je crois percevoir un rapport entre l'idée que je me fais de son essence et sa rencontre dans l'existence : je peux ainsi croire que j'ai rencontré un spectre dans ma cave dès lors que cela cadre avec l'idée que je m'en fais, ne doutant pas qu'il peut en fait très bien s'agir d'autre chose, i.e. d'une autre essence, voir à cet égard les lettres de Spinoza à Boxel.

De ce point de vue, je ne 'crois' pas à l'argument ontologique. Croire, c'est admettre l'existence de quelque chose parce que je n'ai pas envisagé de raison d'en douter. Comprendre quelque chose avec certitude, c'est en revanche être dans l'impossibilité d'en douter. Or qu'est-ce qui fait qu'un jugement [au passage, chez Spinoza, une idée peut très bien être la conjonction de plusieurs idées], qu'est-ce qui fait qu'un jugement est douteux ? C'est qu'il contient une part d'indétermination. Si je dis 'les extra-terrestres existent', je ne sais pas pour autant, à partir de ce jugement, pourquoi ils devraient nécessairement exister. Si je dis 'la planète Mars tourne autour du soleil', je peux en être certain si j'ai compris la théorie de l'attraction universelle sans pour autant avoir pris un vaisseau pour le constater [i]de visu[/i]. Si encore je dis qu'une fois posé, un chiliogone doit être composé de 498500 diagonales, je peux le savoir à partir d'un raisonnement purement logique sans qu'il ne soit nécessaire d'aller compter une par une toutes ces diagonales. (attention, je ne dis pas qu'un chiliogone - polygone à 1000 côtés - existe mais que dans son concept une fois posé existent nécessairement toutes ces diagonales, sans qu'il soit nécessaire de les éprouver empiriquement).

Si enfin j'énonce la proposition 'un être absolument infini existe nécessairement', j'ai là l'idée la plus déterminée qu'il soit possible d'avoir. C'est l'idée d'un être fini qui peut être indéterminée, du fait que son existence doit se rapporter à l'existence d'autre chose et que je n'ai pas la connaissance de ce qui détermine effectivement son existence. Avec l'idée d'un être qui ne serait que relativement infini, il y a une part d'indétermination : la droite A est infinie dans l'esprit du géomètre mais elle n'est pas la droite B, reste donc à savoir ce qui pourrait rendre nécessaire son existence dans une étendue A' plutôt que celle de B pour savoir si elle existe ou non. En revanche, avec l'idée d'un être absolument infini, il n'y a pas à chercher de cause extérieure pouvant expliquer son existence sinon, c'est tout simplement que je n'ai pas encore saisi ce que désigne cette formule. C'est donc une idée entièrement déterminée par elle-même, de telle sorte que l'affirmation de son existence est [i]ipso facto[/i] contenue dans son essence.

La critique kantienne ignore largement tout cela ou feint de l'ignorer - la confusion du 'concept' des 100 thalers avec le concept de Dieu étant tout de même assez grossière.

Que cette pseudo-réfutation ait rencontré un grand succès ne m'étonne guère. Kant a selon ses propres mots voulu réhabiliter la foi contre de supposées prétentions trop grandes de la raison. Ainsi peut se conserver un des préjugés les plus tenaces de l'esprit humain : le libre arbitre vis-à-vis de cette question fondamentale. Cela rassure beaucoup et à bon compte en effet de pouvoir se dire au moyen de quelques thalers que c'est moi qui peut décider de 'croire' ou non en l'existence de Dieu, et que dès lors je peux me fabriquer le dieu qui me convient. Cet argument a eu beaucoup de succès aussi, comme l'avait bien vu Hegel, parce qu'il flatte l'empirisme naïf qui confond allègrement existence et expérience et par là même justifie la paresse intellectuelle.

Spinoza montre qu'on ne peut qu'illusoirement feindre d'ignorer l'existence de Dieu et croire ce qui nous chante à son égard, il est clair alors que cela ne plaît pas spontanément à tout le monde.

Ce que tu me dis Ghozzis me fait l'effet d'une réflexion du style ''hé, pourquoi s'embêter à lire et à comprendre la métaphysique puisqu'il y a un gars vachement intelligent qui a écrit un super gros bouquin vachement sérieux qui 'prouve' que tout ça, c'est du vent''. Eh bien, la 'preuve' que le concept d'un être absolument infini ne contient pas nécessairement la certitude de l'identité de son essence et de son existence, je ne l'ai toujours pas trouvée.

Henrique

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Messagepar ghozzis » 18 sept. 2003, 19:08

Salut Henrique,
oublions Kant si tu le veux bien, et retournons à la preuve ontologique.
Tu dis que d un etre absolument infini, il n y a aucune raison de douter qu il existe. Mais moi, je ne vois pas de contradiction à dire "l etre absolument infini n existe pas" .
En fait j avoue que je ne comprends pas ce qu est un etre infini.
Je ne parviens qu à me représenter des etres finis; pour tout dire ce ne sont meme pas des etres, mais des représentations;
quand à la droite, je ne me représente pas une droite infinie, mais plutot un segment dont je sais que je peux le prolonger autant que je veux;
par conséquent je le redis, je ne vois pas ce que c est qu un etre infini; en mathématique, je comprends, parce que la droite n a pas d existence, elle n est en quelque sorte qu un prolongement sans fin, qui ne peut avoir lieu qu en mathématique, non dans la réalité (je ne vois pas comment l infini pourrait etre en acte);
mais pour l etre infini, je n arrive pas à le penser; peux tu me dire ce que je dois entendre par ce terme "etre infini"? <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_redface.gif">
A bientot j espere

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Messagepar YvesMichaud » 20 sept. 2003, 06:47

Il y a néanmoins une preuve de Spinoza que je suis certain d'avoir réfutée. Il s'agit de la troisième démonstration de la proposition 11 de l'Éthique, que Spinoza appelle «a posteriori».

«««Autre Démonstration : Pouvoir ne pas exister, c'est évidemment une impuissance ; et c'est une puissance, au contraire, que de pouvoir exister. Si donc l'ensemble des choses qui ont déjà nécessairement l'existence ne comprend que des êtres finis, il s'ensuit que des êtres finis sont plus puissants que l'être absolument infini, ce qui est de soi parfaitement absurde. Il faut donc, de deux choses l'une, ou qu'il n'existe rien, ou, s'il existe quelque chose, que l'être absolument infini existe aussi. Or nous existons, nous, ou bien en nous-mêmes, ou bien en un autre être qui existe nécessairement (voir l'Axiome 4 et la
Propos. 7). Donc l'être absolument infini, en d'autres termes (par la Déf. 6) Dieu existe nécessairement. C. Q. F. D.»»»

Discussion:

La preuve peut se comprendre ainsi: Les êtres finis existent et pouvoir exister c'est une puissance. Or, les êtres finis sont par définition moins puissants que l'être infinis. Mais si l'être infini n'existait pas, et que les êtres finis existaient, les êtres finis seraient plus puissants que l'être infini, ce qui est absurde. Donc, il faut que l'être infini existe.

Or, cette démonstration contient une affirmation exprimant une relation du moins au plus entre les êtres finis et l'être infini. On peut l'exprimer, soit en disant que:

1) les êtres finis sont moins puissants que l'être infini

ou ce qui est équivalent:

2) l'être infini est plus puissant que les êtres finis.

La démonstration n'est valable si cette affirmation, qui est au principe de la démonstration, est valable. Est-elle valable? Non. Il s'agit d'une pétition de principe. C'est-à-dire que la démonstration suppose prouvé ce qui était à prouver. La relation qui est énoncée suppose déjà que l'Être infini existe, ce qu'il s'agit de prouver. Considérons attentivement l'énoncé de la relation 2)

La copule «est» dans une proposition affirmative comme celle-ci a une double fonction. Poser l'existence du sujet et joindre à ce sujet un attribut.

Si on dit par exemple que «mon chat est gros», on veut dire par là que «mon chat existe, avec cette détermination qu'il est gros». La copule «est» pose l'existence du sujet «mon chat», et elle y joint un attribut «gros». Si on dit que «Mike est moins cave que mon chat», on veut dire que Mike existe avec cette détermination qu'il est moins cave que mon chat.

Or, dans la proposition «L'être infini est plus puissant que les êtres finis», on voudrait dire que l'Être infini avec cette détermination qu'il est plus puissant que les êtres finis. Mais que l'Être infini existe, c'est ce qui est à prouver! La «démonstration» est une pétition de principe.

On pourrait objecter:

Dans l'affirmation, «l'Être infini est plus puissant que les êtres finis», la copule «est» ne joue qu'un rôle: joindre l'attribut au sujet. Elle ne pose pas tout de suite l'existence du sujet comme réel, mais seulement comme possible. Il ne s'agit donc pas d'une pétition de principe

Je réponds. S'il faut ainsi comprendre l'affirmation, il faudra comprendre de la même façon l'équivalent de cette affirmation: «Les êtres finis sont moins puissants que l'Être infini», c'est-à-dire qu'on s'interdira d'affirmer l'existence des êtres finis. Mais si on s'interdit, au principe de la preuve, d'affirmer et l'existence des êtres finis, et l'existence de l'Être infini, on ne peut plus rien prouver. Encore dans ce cas, la démonstration n'est pas valable.

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ghozzis
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Messagepar ghozzis » 21 sept. 2003, 00:52

Bonjour Yves,
Quant à moi, j' ai l'impression que toutes les preuves de l'existence de Dieu sont des pétitions de principe.
'Si Dieu existe, alors il existe'
Par ailleurs je n ai aucune représentation claire d' un etre infini, c' est pourquoi tout discours sur l' etre infini me parait douteux; <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_lol.gif"> <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_redface.gif"> <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_rolleyes.gif">


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