La notion d essence chez Spinoza

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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ghozzis
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Messagepar ghozzis » 29 août 2003, 11:48

Bonjour,
Spinoza utilise souvent la notion d essence. Il suppose en particulier qu il existe une essence de notre corps. Comment sait il qu elle existe?
L enjeu de la question est de taille, car s il n existe pas d essence de notre corps, les defintions de spinoza pour le desir et pour la liberte s effondrent.
Merci de me faire part de vos reflexions a ce sujet.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 30 août 2003, 13:54

Bonjour,
L'essence d'une chose, c'est ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est et pas autre chose, 'ce sans quoi, elle ne peut ni être, ni être conçue' (E2D2, voir aussi le vocabulaire de ce site). Ce qui revient à dire que si une chose donnée n'a pas d'essence, c'est tout simplement qu'elle n'est rien. Une pure existence, un quelque chose qui serait sans pour autant 'être quelque chose', càd avoir une essence, n'est qu'une absurdité !

Quant à l'essence de l'homme et de son corps, c'est son conatus (et la conscience de ce conatus, le désir). Spinoza le 'sait' par la démonstration qui est apportée en E3P9 et le scolie qui s'ensuit, mais aussi parce que cet effort de persévérer dans son être est présent à chaque instant de sa vie. Une expérience intime et immédiate peut en être faite à tout moment pourvu qu'on y prête attention. Si je cessais de persévérer dans mon être, c'est tout simplement que je cesserais d'exister (le suicidaire ne faisant que persévérer dans son être d'une façon particulièrement inadéquate).

Henrique

PS : je suppose que c'est vous qui avez proposé un texte d'article sur les essences chez Spinoza. Vous avez bien fait d'apporter le débat sur le forum, les "articles" étant sur ce site des textes d'au moins une centaine de lignes. Merci de votre compréhension.

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Messagepar ghozzis » 05 sept. 2003, 09:58

Merci henrique.
J avais poste une reponse a ton message mais elle n a jamais ete publiee!
Comme je en veux pas tout reecrire, je vais faire court. Je ne crois pas a la notion d essence. Spinoza la postule, a savoir, IL EXISTE DES ESSENCES, et pourtant cela ne figure NI DANS LES POSTULATS, NI DANS LES AXIOMES!
Spinoza aurait du l etablir comme postulat , et alors chacun se serait rendu compte que cette notion est au plus au point douteuse. Des lors, a mon avis, le systeme de Spinoza est tout aussi douteux (si ce n est plus) que cette notion d essence.
Qu en pensez vous?

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Messagepar Henrique » 06 sept. 2003, 12:51

Je pense qu'il ne faut pas croire que l'Ethique prétend formaliser totalement son propos. Il y a des points qui sont précisés sous forme d'axiomes ou de postulats, parce que pour évidents qu'ils soient une fois formulés, il ne sont pas pour autant faciles à percevoir spontanément.

Or pour Spinoza, il est non seulement évident qu'il existe des choses et que ces choses ont une essence (Notez qu'il n'est jamais question d'essences pures, comme chez Platon, qui existeraient sans qu'elles soient l'essence de quelque chose) mais de plus, cela lui paraît très facile à comprendre une fois qu'on a bien compris ce qu'il appelle essence et ce qu'il appelle chose.

Spinoza a-t-il supposé quelque chose qui aurait du être démontré ? Je te renvoie alors à ce que j'ai dit l'autre fois : une chose qui n'a pas d'essence est une chose qui n'est rien, c'est donc une chose qui n'existe pas ! Maintenant, il est possible que tu entendes par essence autre chose que ce que Spinoza définit comme tel (l'important ici n'étant pas les mots mais les idées).


Pour info, voici le texte auquel tu fais allusion, je pense (comme je l'avais dit, il est un peu court pour faire un article, mais peut très bien être publié ici - et par ailleurs, il me semble que je réponds précédemment à cette objection) :

Ghozzis : ''Malgre toute l admiration que chez pour Spinoza, j avoue que je n ai jamais pu parcourir ses demonstrations de A a Z. Pourquoi? Entre autres raisons pour celle ci: il emploie sans cesse le terme "essence". Or je ne me sens pas forcé d accepter qu il existe des "essences". Il parle de "l essence du corps", mais je me demande ou il a vu qu il existait une telle essence. De l´essence du corps, il deduit le desir (perseverer dans son etre), la liberte (agir selon sa propre nature) etc...mais encore une fois, je ne sais pas comment il peut parler "d essence du corps". Il explique que lorsque divers corps maintiennent entre eux un certain rapport et conservent dans l ensemble une certaine forme globale, on peut parler d un seul individu. Et des lors cet individu aurait une nature, ou essence propre? Il me semble que Spinoza est resté prisonnier de conceptions scolastico-aristotéliciennes, et qu il n a pas osé faire le pas vers une vision strictement mecanique des choses, depourvue d essences.''

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Messagepar ghozzis » 08 sept. 2003, 20:59

Salut Henrique.
Comme je te lai dit, j admire avec quel serieux tu reponds a tous les messages, et c est vraiment agreable d avoir un dialogue profond sur Internet. maintenant je passe au debat.
Tu dis qu´il n y a pas d essence sans individu, ni d individu sans essence.
Ou plutot, l essence de l individu, ce n est rien d autre que l individu lui meme.
Mais la encore, Spinoza suppose qu il existe des individus.
Personnellement, je ne vois rien d evident dans cette affirmation.
Spinoza nous demanderait il d admettre quelque chose qui n a rien d evident?
Merci de ta (vos) reponse(s)

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Messagepar YvesMichaud » 08 sept. 2003, 22:15

Bonjour,
Il me semble parfaitement évident qu'il existe des individus, en qui se trouve réalisée une certaine essence. L'essence ne peut pas exister, sinon à l'état individuel, contrairement à ce que prétend Platon. Chaque individu est pour ainsi dire un mode sous lequel une essence donnée est réalisable. Toi et moi sommes des humains, mais pas de la même façon. Chez les animaux et les végétaux, on reconnaît clairement les individus. Chez les minéraux, il est plus dur de reconnaître et de distinguer les individus. La cohésion interne d'un individu y est plus faible, pourrait-on dire; ses limites sont plus vagues et instables. Souvent un élément est absorbé dans une structure (disons l'atome dans la molécule) et c'est cette structure qu'il faudrait regarder comme l'individu.

De toute façon, affirmer que des individus existent est infiniment plus vraisemblable qu'affirmer le contraire, et ce sont plutôt les platoniciens (théorie des Idées et de l'homme en soi), les hylozoistes (le cosmos conçu comme un organisme), les monistes (la multiplicité conçue comme illusion, le cosmos conçu comme le grand Tout) qui doivent se justifier et tenter de prouver le contraire de ce qu'on admet spontanément.

Note: je ne prétends pas parler au nom de Spinoza.

Cordialement,
Yves M

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Messagepar Henrique » 09 sept. 2003, 00:44

Je suis d'accord sur le fond avec Yves, une fois n'est pas coutume :wink:. Mais lui se place de son point de vue empiristico-thomistique, alors qu'il me semble que tu te poses la question sur le plan purement rationnel. Sans doute faudrait-il que tu expliques en quoi tu doutes qu'il y ait des individus. Mais Spinoza ne prétend pas poser qu'il y a des individus comme ça, sans raison, tu t'en doutes bien. Voir la définition spinozienne de l'individu et les propriétés qui s'en suivent pour savoir de quoi nous discutons : <!-- BBCode auto-link start -->[url=http://www.spinozaetnous.org/ethiq/ethiq2.htm#db]http://www.spinozaetnous.org/ethiq/ethiq2.htm#db[/url]<!-- BBCode auto-link end -->
Voir ensuite jusqu'au lemme 7.

Pour répondre brièvement à Yves sur le thème du monisme, l'illusion que dénonce Spinoza est l'idée aristotélicienne selon laquelle chaque individu est une substance, un être qui ne se conçoit pas en autre chose. Spinoza admet la multiplicité infinie des individus à titre de modes de la substance unique. A ce titre, le qualificatif de monisme ne lui convient que partiellement.

Note : je ne prétends pas non plus parler au nom de Spinoza, mais simplement en tant que lecteur, davantage animé je dois le reconnaître par un souci de philosophie que par un souci de fidélité historicisante à la lettre même des textes de cet auteur. Ce qui m'intéresse chez Spinoza, ce n'est pas vraiment la personne mais ses textes, en tant qu'instruments intellectuels pour penser la vie.

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Messagepar YvesMichaud » 09 sept. 2003, 03:51

Cher Henrique,
À propos de substance et de monisme, il me semble qu'il y a une certaine confusion chez Spinoza.

Une substance, dit Spinoza, est «ce qui est conçu par soi, c-a-d ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose pour être formé.»

On dirait que Spinoza veut dire, d'abord que la Substance n'existe pas dans un autre, à titre de détermination d'un sujet (elle n'a pas d'existence dans un autre), ensuite que la Substance existe de par soi, c-a-d sans dépendre d'un autre dans son existence. C'est la «res quae ita exsistit ut nulla alia re indigeat ad exsistendum». Le nom de substance ici revient seulement à Dieu.

Mais Spinoza confond ce que les aristotéliciens distinguent (à juste titre). Il confond le cas de l'accident. et le cas de l'être contingent.

L'accident est l'être à qui il échoit d'exister dans un autre. Cet autre, c'est ce qu'on appelle dans l'École «un sujet d'inhésion». L'accident existe à titre de détermination de ce sujet. C'est moins un être qu'une façon d'être d'un sujet, un mode d'un sujet («ens entis» dit S. Thomas).

Il est bien sûr que l'accident est relatif à autre chose, le sujet d'inhésion, et qu'en un sens, il ne se conçoit pas sans un autre (ce sujet).

L'être contingent est l'être qui n'a pas en lui-même de quoi rendre compte de son existence. Il n'a pas la «raison suffisante» de son existence, et si on veut rendre compte de l'existence de l'être contingent, il faut admettre un autre être (l'Être nécessaire, Dieu). L'être contingent, lui non plus, ne se conçoit pas sans un autre (Dieu).

Chez les aristotéliciens aussi, Dieu est une substance. Mais l'être contingent peut exister comme substance, au sens où l'entendent les aristotéliciens. Il n'existera pas alors de la même façon que l'accident. Il existera en soi, n'étant pas la détermination d'autre chose, mais lui-même susceptible de déterminations (d'accidents), et néanmoins, il n'existera pas de par soi: il n'aura pas en lui-même de quoi rendre compte de son existence.

La substance contingente est donc autonome sous un certain rapport (elle a l'autonomie qui manque à l'accident), et dépendante sous un autre rapport (elle a besoin de Dieu pour exister).

Bref, dans l'ontologie thomiste, l'Être se présente sous trois grands modes:

1. La substance nécessaire (Dieu)

2. La substance contingente, affectée d'accidents (les individus) La substance contingente ne peut exister sans accidents.

3. L'accident (détermination, manière d'être qu'assume l'individu)

Cordialement,
Yves M

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Messagepar YvesMichaud » 09 sept. 2003, 05:35

Il faudrait ajouter à cela, pour compléter le tableau, la matière première et la fameuse forme substantielle, qui ne sont pas des êtres entiers, mais des principes constitutifs, ce par quoi - id quo - une substance corporelle est ainsi.

La multiplicité des substances, qui est inconcevable pour Spinoza (voir début de l'Éthique) se justifie chez S. Thomas par la matière première, principe constitutif de toute substance corporelle.

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Messagepar ghozzis » 11 sept. 2003, 18:22

Bonjour q tous les deux
Si yves se place du point de vue empirico thomiste, qu il me soit permisd de me placer du point de vue idealokantien;
nous n avons affaire qu a des phenomenes, pas des individus; ce livre ci que je tiens de vant moi est un phenomene, et si je tourne autour de lui, je vois un autre phenomene; je ne peux pas affirmer que c est le meme livre; d ailleurs, quand bien meme je le voudrais, je ne pourrais jamais savoir ce qu est le livre (personnellement, je pense que ce livre n a pas d existence, car je ne crois qu aux phenomenes, mais c est autre chose)
mais meme en dehors de kant, et pour me placer sur le terrain de spinoza, je ferai cette critique: il dit en gros que quand les mouvements se conservent et que les parties gardent la meme forme globale, on peut parler d un individu; et alors si la pierre A est un individu et la pierre B egalement, et que je les colle avec une colle tres forte, est ce que j obtiens un individu C??
si je colle un corps a mon corps est ce que je forme un individu avec ce corps??
spinoza a ete un peu rapide sur ce point; leibniz a ete beaucoup plus loin, car il a fonde dans l ame l unite reelle de notre corps, alors que pqr exemple la pierre n aurait pas d unite reelle;
mais spinoza ne parle pas de ca, et en parlant d individus, il me semble qu il reste au niveau du sens commmun, et que par la un certain flou s en ressent dans toute sa philosophie;
:-)


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