Déterminisme et système judiciaire

Questions et débats d'ordre théorique sur les principes de l'éthique et de la politique spinozistes. On pourra aborder ici aussi les questions possibles sur une esthétique spinozienne.
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g_perigois
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Déterminisme et système judiciaire

Messagepar g_perigois » 24 juin 2005, 15:51

Bonjour à tous,

Je m’interroge sur le déterminisme spinozien et aimerais confronter mon point de vue avec vous.

Spinoza nie-t-il bien la liberté si l’on définit que la liberté est une notion qui désigne d'une manière négative l'absence de soumission, de servitude et de détermination, c'est-à-dire qu'elle est une notion qui qualifie l'indépendance de l'être humain ?

La philosophie de Spinoza serait alors une philosophie déterministe, où le libre-arbitre n’existerait pas. Celui-ci se révélerait être une illusion dont il conviendrait de se débarrasser. Je constate que peu de personnes partagent ce point de vue déterministe, et je comprends leur hostilité devant une théorie niant si clairement le libre-arbitre.

L’être humain n’échapperait donc pas à l’engrenage des causalités. On se rapprocherait - dans une certaine mesure - de la notion de destin. Mais d’un destin "pur", c'est à dire total et irrésistible. Est-ce bien cela ?

En ce sens, je trouve que la philosophie de Spinoza est profondément « libératrice » du fardeau des regrets, de celui de la tristesse mais aussi de la responsabilité. Et là, l’affaire se corse.

Qu’en serait-il d’un système judiciaire spinozien ? Ne serait-ce pas un système pénal ou la culpabilité côtoierait l’irresponsabilité ? Bien que cette position ne me gêne aucunement théoriquement et bien que je la trouve honnête et courageuse – surtout replacée dans son contexte historique – cette proposition me semble difficile à mettre en pratique. Qu’en pensez-vous ?

Cordialement,

GP

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réponse (I)

Messagepar AUgustindercrois » 24 juin 2005, 23:20

Cher gp,

POur moi, il faut distnguer entre le Spinoza politique et le Spinoza métaphysicien

D'un côté, le Spinoza métaphysicien de l'Ethique, qui explique le déterminisme de l'univers, du monde physique, du monde psychologique.

D'autre part, le Spinoza qui ne cesse de s'interroger: comment puis - je philosopher en paix, loin des tumultes de l'oppression ( des orangistes, des théologiens, des catholiques et des protestants, voire même des cartésiens faux - culs qui craignent ceux - ci et s'accrochent à leurs places)? Réponse de Spinoza: la démocratie est le régime le plus libre et le plus apte à la liberté.

D'où la modernité radicale de Spinoza à l'époque, qui préfigure Rousseau (quoi qu'en dise une lecture plus libertaire ou plus marxisante).

Voilà pour la premieère partie de la réponse.

Bien à vous,

Ader

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bardamu
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Re: Déterminisme et système judiciaire

Messagepar bardamu » 25 juin 2005, 01:14

g_perigois a écrit :Bonjour à tous,

Je m’interroge sur le déterminisme spinozien et aimerais confronter mon point de vue avec vous.

Spinoza nie-t-il bien la liberté si l’on définit que la liberté est une notion qui désigne d'une manière négative l'absence de soumission, de servitude et de détermination, c'est-à-dire qu'elle est une notion qui qualifie l'indépendance de l'être humain ?

La philosophie de Spinoza serait alors une philosophie déterministe, où le libre-arbitre n’existerait pas. Celui-ci se révélerait être une illusion dont il conviendrait de se débarrasser. Je constate que peu de personnes partagent ce point de vue déterministe, et je comprends leur hostilité devant une théorie niant si clairement le libre-arbitre.

L’être humain n’échapperait donc pas à l’engrenage des causalités. On se rapprocherait - dans une certaine mesure - de la notion de destin. Mais d’un destin "pur", c'est à dire total et irrésistible. Est-ce bien cela ?

En ce sens, je trouve que la philosophie de Spinoza est profondément « libératrice » du fardeau des regrets, de celui de la tristesse mais aussi de la responsabilité. Et là, l’affaire se corse.

Qu’en serait-il d’un système judiciaire spinozien ? Ne serait-ce pas un système pénal ou la culpabilité côtoierait l’irresponsabilité ? Bien que cette position ne me gêne aucunement théoriquement et bien que je la trouve honnête et courageuse – surtout replacée dans son contexte historique – cette proposition me semble difficile à mettre en pratique. Qu’en pensez-vous ?

Cordialement,

GP

Bonjour,
Spinoza a une philosophie déterministe et redéfinit donc la notion de liberté, qui n'est pas le libre-arbitre.
La liberté est plus une affaire de rapport intérieur à ce qui nous arrive, une question de savoir ce qu'on fait de ce qui nous arrive : va-t-on faire de ce qui arrive une occasion d'augmenter notre capacité d'action, une occasion d'être un peu plus nous-même, ou bien va-t-on se retrouver accaparé par ce qui arrive, paralysé, enrégimenté, simple instrument d'une force qui nous utilise (pub, armée, patron...) et/ou nous détruit ?

Au niveau de la responsabilité, chaque être étant une expression de Dieu (l'Etre libre), chaque être est responsable en tant que c'est en lui que s'exprime une puissance libre.
Même les animaux sont responsables de ce qu'ils font et si un requin vous attaque il est tout à fait naturel que vous le tuiez pour vous défendre.
L'ordre social se met donc en place dans une idée de responsabilité générale malgré qu'on soit dans un déterminisme.
Par contre la culpabilité n'est qu'affaire de convention. Personne n'est coupable par rapport à lui-même puisque chacun exerce son droit naturel à étendre sa puissance.

Au final, je verrais plutôt le système judiciaire spinozien à rebours de ce que vous proposez, à moins que vous considériez "culpabilité" dans un sens de faute par rapport à une loi conventionnelle.
Pour moi, le système spinozien serait un système de la responsabilité sans culpabilité.

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Messagepar Miam » 25 juin 2005, 10:47

A Augustindercroix (nom révélateur)

Ah bon ? Lorsque Spinoza considère les relations communautaires humaines dans la quiatrième partie de l'Ethique, il ne parle pas de politique ? Lorsqu'il parle de Dieu dans le TTP, il ne fait pas de philosophie, ni lorsqu'il parle de puissance naturelle dans le Traité politique ? Bref : il n'y a pas de philosophie politique chez Spinoza ? Pas plus que chez Rousseau d'ailleurs puisque selon vous - sans que vous le montriez d'ailleurs - Spinoza est le précurseur de Rousseau ?

C'est en effet une constante de la droite de séparer la politique de la manière d'exister quotidienne. Pourquoi ? Parce que sans cette distinction le peuple pourrait comprendre qu'il fait de la politique tous les jours. Pire ! Il pourrait faire de la politique sans passer par les canaux électoraux seulement. Il faut donc pour vous laisser la politique aux seuls professionels de la politique. Vous disiez démocratie ?

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Messagepar AUgustindercrois » 25 juin 2005, 17:15

Cher Miam,

Toujours cette véhémence immense... :D

D'abord, c'est Dercrois avec un s comme Spinoza....

Ensuite, la quatrième partie de l'Ethique ne traite pas de la politique au sens philosophique du terme. Elle est psychologique, en premier lieu. Mais c'est vrai que dans E IV prop 37 et les scolies, il ya une réflexion importante sur la politique.
Je n'ai jamais affirmé qu'il n'y avait pas de philosophie politique chez Spinoza. (L'engagement pour la démocratie, véritable révolution pour l'époque, est d'ailleurs dangereux pour lui, de manière très concrète, puisque le TP et le TTp sont rédigés alors que de Witt le libéral est progressivement mis à l'écart de la vie politique, de la mnière tragique que l'on sait...)
Je crois que la philosophie politique de Spinoza est au coeur de ses préoccupations concrètes.

Vos dites: " C'est en effet une constante de la droite de séparer la politique de la manière d'exister quotidienne. Pourquoi ? Parce que sans cette distinction le peuple pourrait comprendre qu'il fait de la politique tous les jours. Pire ! Il pourrait faire de la politique sans passer par les canaux électoraux seulement. Il faut donc pour vous laisser la politique aux seuls professionels de la politique. Vous disiez démocratie ?" J'adhère à cette thèse. tout est politique. L'irruption citoyenne dans le récent débat démocratique qui s'est tenu en France le prouve bien. mais, quant à la démocratie que vous évoquez, je ne suis pas sûr que cela soit celle de Spinoza. Avez - vous un texte là dessus?

Le but de SPnoza, c'est de déterminer quelle est la forme d'Etat la plus libre. "La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté" écrit -il dans TTP, chapitre XX, Oeuvres GF tome 2 p. 329.

En outre, la limite de la délégation de pouvoir à l'Etat réside dans la liberté de pensée et de parole. cette insistance sur la liberté est fondamentale chez SPinoza, et je vous défie amicalement de me prouver le contraire...

Cette recherche de la liberté, on la retrouve aussi chez Rousseau, dans la huitième lettre écrite de la montagne, dans le contrat social (par le pasage à l'"état civil).

l'importance de la liberté est manifeste tant chez Spinoza que chez Rousseau, eux qui ont été opprimés directement par une société fort directive.

Amicalement,

Ader

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Messagepar g_perigois » 25 juin 2005, 23:52

Bonjour a tous,

Tout d'abord, merci de vos apports respectifs. Ensuite, je vous prie de m'excuser de l'absence d'accent dans le message ci-dessous : j'utilise un clavier QWERTY.

J'aimerais poursuivre plus avant notre mise au point concernant le concept spinozien de la responsabilite, laissant temporairement de cote celle relative a un systeme judiciaire.

Merci Bardamu pour cet argument tres juste qui m'avait totalement echape : ''chaque être étant une expression de Dieu (l'Etre libre), chaque être est responsable en tant que c'est en lui que s'exprime une puissance libre. '' Et la, c'est le drame. En une phrase, vous venez de faire basculer deux ans de self-philosophie (en dilletante) avec le 'Spinoza' d'Alain en contrefort. Et je vous en suis reconnaissant.

Mais lorsque vous dites ''L'ordre social se met donc en place dans une idée de responsabilité générale malgré qu'on soit dans un déterminisme. '' je ne vous suis plus. Selon Spinoza, l'homme serait donc un instrument (un relais) du libre-arbitre de Dieu ? Ou diable peut-il y avoir une responsabilite dans une chaine de causalites ?

Apres reflexion, je crois deceler un indice. Selon vous, un maillon de la chaine est un maillon responsable de par sa presence meme dans la chaine. C'est une conception ''mecanique'' a laquelle j'adhere mais je n'entendais pas le mot ''responsable'' dans ce sens. J'entendais plutot responsable dans le cadre du concept de libre-arbitre. D'ou ma deduction de l'irresponsabilite de l'homme.

Quant-a la culpabilite, je la considerais bien dans le sens de faute par rapport a une loi conventionnelle - et ceci dans le cadre d'une reflexion sur une logique judiciaire spinozienne. Mais peut-etre mes allusions a la tristesse et aux regrets ont-ils prete a confusion.

Pour en revenir a la responsabilite, je resume ici ma pense :
enchainement des causalites comme ordre de la Nature -> l'homme n'a pas de libre-arbitre ->il est irresponsable (ce n'est pas son choix) -> mais il peut etre considere comme coupable dans un systeme social determine qui tend a sa propre sauvegarde.

Je suis un peu perdu : je vais reflechir a tout cela. Merci encore a vous tous,

Cordialement,

GP

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Messagepar g_perigois » 26 juin 2005, 19:16

Bonsoir,

Je suis alle visiter la basilique Sainte Sophie (Aya Sofia) d'Istanbul cet apres-midi (edifiee en 537 par Justinien qui la consacra non a une sainte mais a la Sainte Sagesse) et en suis revenu inspire d'une interrogation relative a la discussion de ce forum : quelle difference faites-vous entre le determinisme et la necessite ?

Cordialement,

GP

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bardamu
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Messagepar bardamu » 27 juin 2005, 00:48

g_perigois a écrit :(...)quelle difference faites-vous entre le determinisme et la necessite ?

Bonjour,
personnellement, je ne fais guère de différence.
Sinon, je crois que vous avez bien posé l'alternative sur responsabilité et culpabilité. Ensuite, il faut voir si on se sent plutôt dans une idée de libre-arbitre ou de déterminisme.

Ce qu'il faut bien voir avec Spinoza c'est que son déterminisme est absolu ce qui signifie que même Dieu (c'est-à-dire la Nature) n'a pas le choix.
La responsabilité ne peut donc pas être définie comme "avoir le choix".

La responsabilité est alors une affaire de "justice immanente" : lorsque vous conduisez, si vous êtes irresponsable, vous avez un accident et vous mourez. La Nature a une justice expéditive...
La responsabilité, c'est la prudence, le souci de soi et de l'autre, l'attention.
"Caute" la devise de Spinoza signifie Prudence en latin.

Ensuite, il y a toute une éthique qui découle de sa philosophie et qui explique de manière utilitaire, pratique, en quoi la vie sociale est bénéfique mais cela demanderait des développements plus long.

Bonne recherche !

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hokousai
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Messagepar hokousai » 27 juin 2005, 17:58

à bardamu """"""""personnellement, je ne fais guère de différence""""""""""

Est déterminée une chose qui a une cause .Le réseau dans lequel elle s’inscrit est en positif (réseau ou contexte ou ordre ou chaîne de causes et d’effet )tout profite à la choses .

Est nécessaire une chose qui n’a pas de cause l’empêchant d’exister (.scolie pro 11 partie 1)le réseau ou le contexte empêchant d’exister est absent ,en négatif .Rien ne nuit à la chose .

Une chose ou un acte est tout autant concevable sous le premier rapport (détermination) que sous le second (nécessité).
Sous le premier rapport les causes sont absolument agissantes sous le second absolument inagissantes .
…………………………………………………………………………………………..

Voila pourquoi on parle de liberté.( et Spinoza parle de Dieu considéré en tant que cause libre )

Spinoza quand il parle du troisième genre de en prop 35 partie 5 renvoie à cette pro 11 partie 1
ainsi qu à la proposition 32 (partie 5)

Voilà aussi pourquoi la cinquième partie est nommé de la liberté humaine .

hokousai

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Henrique
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Messagepar Henrique » 29 juin 2005, 15:50

La distinction d'Hokousai est trompeuse.

Ethique I, 33, scol. : "Une chose est dite nécessaire, soit sous le rapport de son essence, soit sous le rapport de sa cause. Car l'existence d'une chose résulte nécessairement, soit de son essence ou de sa définition, soit d'une cause efficiente donnée. C'est aussi sous ce double rapport qu'une chose est dite impossible, soit que son essence ou sa définition implique contradiction, soit qu'il n'existe aucune cause extérieure déterminée à la produire. Mais une chose ne peut être appelée contingente que relativement au défaut de notre connaissance."

En d'autres termes, une chose est nécessaire, c'est-à-dire classiquement qu'elle est absolument affirmée (= elle ne peut pas ne pas être, contrairement au contingent qui peut être ou ne pas être), soit en raison de sa nature propre (par exemple je m'efforce de respirer parce que je m'efforce de persévérer dans l'être), soit en raison d'une cause extérieure (ex., je tombe parce que Paul m'a poussé). Dans les deux cas, il y a pleine positivité du mouvement : ce n'est pas d'abord parce que "rien ne m'empêche de respirer" que je respire mais parce que je suis un être de désir.

On pourra cependant considérer qu'on pourrait me boucher le nez, qu'une cause quelconque pourrait le faire. Si cela arrive, l'enchaînement total des causes de la nature le rendait inévitable. On ne sort donc pas de la nécessité, c'est seulement qu'il y a des enchaînements de causes divers qui peuvent se contrecarrer. Et la rencontre de ces deux chaînes causales produira un effet non moins nécessaire : je chercherai à me débattre pour supprimer ce qui m'empêche de respirer.

Mais on pourra alors admettre qu'en ce qui concerne les étants finis, la nécessité n'est pas absolue, non au sens où il y aurait une part d'incertitude objective dans tout ce qui peut arriver, mais au sens où l'effet (ex. respirer) d'une cause interne (ex. l'effort) peut être contrecarré par une autre cause. En revanche, pour un être absolument infini, on pourra parler de nécessité absolue dans la mesure où aucune cause extérieure à cet être ne peut logiquement contrecarrer les effets propres à sa nature.

C'est pourquoi le scolie de la prop. 11 à propos de l'existence de Dieu a l'air de définir la nécessité comme absence de cause : l'être dont l'essence même est d'exister possède l'existence nécessaire du fait qu'aucune cause extérieure ne peut l'empêcher d'exister. Mais c'est bien d'abord en raison de cette essence même qu'il y a existence nécessaire, non en raison de l'absence de causes extérieures la contrecarrant. Cette absence n'explique rien de positif, à savoir l'existence même de la substance, elle explique seulement l'absence de cette négativité que serait une existence substantielle rendue seulement possible parce que d'autres causes pourraient l'en empêcher.

Quant au terme exact de "déterminisme", il n'est pas employé à ma connaissance par Spinoza lui-même, c'est le nom que l'on donne à la doctrine selon laquelle tout ce qui existe est déterminé. La détermination en revanche caractérise ce qui existe d'une façon unique et précise, ce qui n'admet pas d'autre possibilité. On dira que si Pierre a envie de se venger, il est incliné à le faire effectivement seulement il se pourrait aussi qu'il ne le fasse pas si certains événements l'en dissuadaient. En revanche il sera déterminé à le faire si rien ne peut le faire changer d'inclination. Est déterminé ce dont les contours sont précisément définissables, cela s'oppose à ce qui ne serait que vaguement défini.

En conséquence et notamment en ce qui concerne la philosophie de l'être, être déterminé n'est qu'une autre façon de dire "être nécessaire". Il est nécessaire que je m'efforce de respirer autant qu'il est en moi de le faire = je suis déterminé à le faire par ma nature propre.

Aussi pour revenir à la question initiale : il n'y a effectivement aucun libre arbitre chez Spinoza car ce concept suppose que ce que l'homme ou ce que Dieu font, ils auraient pu ne pas le faire, il y aurait donc de la contingence dans la réalité. Si donc on veut absolument fonder la notion de responsabilité sur celle de libre arbitre, cette "métaphysique du bourreau" comme disait Nietzshce, il n'y aura pas de responsabilité autre qu'illusoire.

Est-ce à dire qu'il faille excuser et donc accepter tous les crimes possibles et imaginables, puisqu'on peut être certain qu'une fois accompli, aucun n'aurait effectivement pu être évité ? Evidemment non. Personne ne croit que le virus qui infecte mon corps quand je suis malade agisse en raison d'un libre arbitre quelconque, cela n'empêche pas d'agir pour le mettre hors d'état de nuire. Et qui plus est, le fait de ne pas s'imaginer que le virus agisse en vertu d'une libre pouvoir de choisir de nuire ou de ne pas nuire permet de concentrer l'attention sur les moyens d'éviter cette nuisance avec une bien meilleure efficacité. Si l'on croyait que le germe responsable de la maladie avait agi librement, il faudrait l'isoler du reste du corps et s'employer à le punir autant que de le mettre hors d'état de nuire - comme essayent il est vrai de le faire certains rites magiques, quelle absurdité !

On en est encore bien souvent à cette absurdité dans le domaine pénal : puisqu'on croit que le criminel aurait pu agir autrement, on se contente de le mettre en prison sans essayer de l'amener à revenir sur ce qui l'a poussé à agir ainsi, sans lui donner les moyens de se recontruire une personnalité plus forte, capable de vivre en meilleure entente avec le monde qui l'entoure. Donc on a des délinquants ou des criminels qui sont mis hors d'état de nuire en prison, ce qui revient aussi à les mettre hors d'état d'être utiles aux autres et qui une fois sortis seront trop souvent amenés à récidiver, les mêmes causes produisant les mêmes effets et qui encore plus souvent sortiront sans perspective d'existence positive propre et donc sans pouvoir se rendre utiles socialement.

D'un point de vue spinoziste, il serait préférable de renforcer les affects positifs plutôt que de chercher à briser directement les affects négatifs. En ce sens, la mise hors d'état de nuire de tel être humain - socialement nécessaire puisqu'il est la cause prochaine de tel crime (cela suffit amplement à justifier sa "responsabilité" dans l'affaire : il est ce qui peut répondre de la nuisance en question de même qu'on dira que les gaz à effet de serres sont responsables du trou de la couche d'ozone) , crime qu'il reproduira en raison de la tournure prise par son conatus - cette mise hors d'état de nuire ne sera pleinement juste que si elle donne à l'homme responsable d'un crime les moyens de devenir utile à la société. C'est le plus souvent parce qu'un homme s'estime étranger au reste de l'humanité qu'il n'éprouve aucune difficulté à commettre des crimes contre ses semblables. Les conditions actuelles de l'éxécution des peines ne peuvent que renforcer ce sentiment d'étrangeté.


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