Bonsoir bardamu,
Merci. En effet, Deleuze y dit que la qualité est extensive (le blanc du mur'), et qu'il y ait des quantités extensives (grandeur ou longueur de la figure dessinée sur le mur) et des quantités intensives (degrés ou intensités).
Alors qualité extensive = attribut, quantité extensive = une essence qui existe dans la durée, et quantité intensive = un degré de l'attribut, donc une essence qui a une existence immanente (hors durée).
Différencier deux figures tracées sur le mur ou deux quantités extensives est très facile, mais pour distinguer deux degrés de blanc, il faut chercher des intensités de blanc. Deux essences singulières se distinguent par leur intensité d'attribut.
Mais d'abord, ceci est déjà Deleuze qui 'complète' Spinoza, car comme il le dit, Spinoza ne nous révèle pas lui-même comment distinguer deux essences singulières. Et puis, le problème que j'ai avec l'exemple du mur blanc, c'est que je ne me peux pas m'imaginer des distinction d'intensités de blanc qui ne seraient pas déjà des distinctions de figures. Cela me fait penser à un peintre contemporain dont le nom m'échappe, et qui justement ne peint que ce qui semble être des monochromes blanc, mais si on regarde plus attentivement, on voit que les intensités de blanc varient, et du coup, on découvre des petites figures. Donc là, la seule différence entre la figure tracée et la figure qui est une variation de l'intensité du blanc, c'est une différence quantitative de, comment dirais-je, 'gris'. La figure tracée se trouve sur un pôle de l'échelle blanc-gris-noir, tandis que la figure dans le blanc a des contours beaucoup plus vagues et est tracée dans un gris si léger qu'il suffit de ne pas regarder avec l'attention requérie pour ne pas voir la différence avec le blanc. Mais donc la différence n'est que la quantité de 'gris' présente sur/dans le blanc. Et donc cela ne m'aide pas trop pour essayer de penser une vraie différence entre degré de blanc et figure tracée dans le blanc, donc entre essence singulière et existence de cette essence dans la durée.
Je peux bien m'imaginer un rapport qui existe éternellement, même si aucune partie extensive ne l'effectue (l'exemple du calcul différentiel de Deleuze juste avant ce passage du mur blanc était assez parlant, pour moi). Puis, ajouter une troisième 'couche' qui est l'essence, exprimée par ce rapport, pourquoi pas (même si je n'en comprends pas encore la nécessité)? Mais la relation entre cette essence éternelle, et les idées adéquates et inadéquates acquises dans la durée effective, m'échappe encore largement (oui, j'ai bien compris que la part éternelle de l'Esprit est constituée par ces idées adéquates, mais comment dire, comme Deleuze le fait, que si on n'est pas arrivé à avoir beaucoup d'idées adéquates pendant sa vie dans la durée, la plus grand partie de soi-même meurt. C'est qui alors, ce 'soi-même'? La question reste pour moi ouverte, pour l'instant).
bardamu a écrit :
louisa a écrit:
Si on conçoit la part éternelle de l'Esprit comme celle qui reste après la mort, je ne sais pas s'il soit impossible de penser l'image géométrique ci-dessus en tenant compte de l'activité.
De quelle mort parlez-vous ? La transformation en cadavre ?
oui. Quelle autre mort serait pensable dans un spinozisme? En tout cas, les exemples que Deleuze, et, je dirais prudemment, Spinoza donnent, sont toujours des exemples où le corps meurt. Dès lors, notre rapport et notre essence existent toujours puisqu'ils ne dépendent pas de l'existence, mais ce rapport n'est plus effectué, car les parties extrinsèques qui m'appartenaient, effectuent maintenant un autre rapport (celui du ver de terre). Je me souviens vaguement de l'exemple du poète espagnol qui, si je ne m'abuse, a perdu la mémoire, et dont on dirait qu'il est devenu quelqu'un d'autre après son accident, mais est-ce que Spinoza y parlait d'un changement d'essence effectué par le même corps?
bardamu a écrit :Louisa a écrit:
Mais dans ce cas, si l'éternel se définit par l'actif, la question se déplace: comment concevoir une activité ou production hors temps ... ?
C'est plutôt une production par l'"outre durée" (le Temps est autre chose chez Spinoza, cf Lettre XII). Il y a production des choses dans la durée par des parties de puissance en acte qui sont les essences. L'acte particulier, puissance d'agir déterminée, est logiquement avant son effectuation mode de l'Etendue ou de la Pensée.
j'aurai les lettres à partir de mardi, donc je la lirai à ce moment-là. Entre-temps: je peux bien m'imaginer une puissance d'agir déterminée avant d'être effectué, mais s'il faut lier cette puissance d'agir au nombre d'idées adéquates acquises pendant l'existence dans la durée, il me semble qu'être un degré de puissance spécifique est encore autre chose que d'avoir telle et telle idée adéquate. Ne faut-il pas être dans la durée pour avoir une idée adéquate?
bardamu a écrit :"Logiciel" est une création francophone qui me semble particulièrement intéressante. "Software", ça ne veut rien dire alors que "Logiciel" renvoie à l'activité de la logique, à l'algorithmie et la programmation, qui sont aussi causes du fonctionnement particulier du matériel.
PS: dans mon dictionnaire, la première signification de 'ratio', c'est 'calcul'. Quand vous disiez que vous avez traduit 'operandum certa ac determinata ratione' par 'à opérer selon une règle fixe et déterminée', cela m'étonnait un peu. Je voyais 'certus' plutôt comme 'certain', contrairement au doute pe, et rendre 'ratio' par 'règle' me semble assez nouveau. En tout cas, 'règle fixe et déterminée' me donne l'impression d'être beaucoup moins 'dynamique' que 'selon une certaine manière précise/déterminée'.
Ce que je veux dire par là: j'ai un peu de difficultés à concevoir une essence qui parcourt de différentes états, qui 'varie' donc, et la façon dont vous semblez 'stabiliser' ou 'fixer' cette essence aussi bien dans cette façon de traduire que dans votre comparaison avec l'ordinateur. En principe, un programme informatique ne peut pas 'varier' en fonction du matériel sur lequel il effectue son calcul, je suppose, ou est-ce que mon manque de savoir cc les ordinateur me fait sousestimer les pouvoirs des logiciels?
En plus il reste le problème du 'bébé mort né'. Comme le dit Spinoza, la puissance d'agir du bébé est très petite, et donc s'il meurt, la plus grande partie de son Esprit ne reste pas 'éternellement'. C'est pourquoi qu'il faut essayer de changer ce bébé au maximum, pour qu'il puissent comprendre un maximum, et pour qu'au moment de la mort du Corps, la plus grande partie de son Esprit soit éternelle. Mais il ajoute que ce changement ne peut se faire qu'autant que sa nature 'le souffre'. Là aussi, je peux mal m'imaginer comment la puissance d'un logiciel resterait plus petite si elle n'a jamais pu s'effectuer dans du matériel très puissant, qu'autrement. Pour autant que j'ai compris, un programme est programmé, et s'il est effectué une fois minimalement ou utilisé 1000 fois de manière à utiliser toutes ses fonctions programmées, cela ne change rien du tout au programme lui-même. Ou est-ce qu'à nouveau, je sousestime la 'malléabilité' d'un logiciel?
bardamu a écrit :Enfin, tout ceci pour essayer de vous expliquer comment j'ai compris votre image, et quels problèmes celle-ci suscite en moi: dans les deux cas (votre image + imagination des transhumanistes), le software semble capable d'être défini tout à fait isolé du hardware sur lequel on l'installe. Est-ce bien le cas, c'est-à-dire, ai-je vous bien compris?
Autrement dit: un Esprit n'est pas du tout lié à un Corps spécifique, et a des capacités propres, qui sont actualisés ou non en fonction des capacités du Corps, mais qui sont en tout cas 'déjà là' avant d'entrer dans le Corps?
Non, c'était justement le contraire que je voulais dire : un ordinateur c'est indissociablement du software et du hardware. Sinon, c'est une suite ordonnée de zéro et de un (software pur) ou un grille-pain (hardware pur).
La machine comme être en acte, simultanément ordonnée dans ses impulsions électriques (hardware) et son sens logique (software).
Tout ce que vous voyez sur votre écran exprime en lumière issue de signaux électriques, ce qu'une suite de zéro et de un expriment logiquement.
donc: cela reste un peu problématique, pour moi. Comment concevoir que les rapports et les essences semblent exister, chez Spinoza, indépendamment du fait d'être effectué dans la durée, si logiciel et matériel sous toujours liés?
Mais bon, éventuellement que ma connaissance de l'informatique est en effet beaucoup trop limitée pour qu'elle puissen clarifier certaines choses chez Spinoza ... .
bardamu a écrit :Nietzsche-fou avait une autre essence sub specie aeternitatis que Nietzsche-écrivain. Nietzsche-écrivain est mort en 1890 et a laissé place à une autre essence, Nietzsche-fou.
Ensuite, dans leur actualité, chacune de ces essences à varié selon les moments, l'essence Nietzsche-fou étant d'autant plus puissante que Nietzsche était fou, alors que celle du Nietzsche-écrivain l'était d'autant plus que Nietzsche écrivait.
pour l'instant, je ne vois plus vraiment pourquoi Nietzsche-fou serait une autre essence que Nietzsche-écrivain. Pourquoi ne seraient-ce deux variation de l'essence de Nietzsche?
Donc: mon problème actuel avec les essences est clairement à lié à l'individuation. Comment distinguer deux essences? Y a-t-il chez Spinoza des exemples de changements d'essences effectués dans un seul et même Corps? Un seul Corps peut-il exprimer de différentes essences? Comme déjà dit, l'idée me plaît beaucoup, mais je crains qu'entre-temps, je ne suis plus du tout sure si c'est spinoziste de dire cela. Il me semble que Spinoza donne des exemples où des parties extensives peuvent détruire un Corps (poison) ou le quitter, en effectuant un autre rapport, mais justement, effectuer un autre rapport veut dire, je crois, qu'ils ne peuvent plus constituer ce même Corps, mais sont éparpillées dans de différents autres Corps (l'exemple de Deleuze du chien que je mange).
bardamu a écrit :Louisa a écrit:
A moi de m'excuser donc.
Ne vous inquiétez pas, je n'ai aucune susceptibilité (affirmer cela est signe d'orgueil mais bon...), j'ai l'habitude d'écrire des choses sur lesquelles je reviens parce qu'elles ne sont pas bonne, et vous pouvez donc me critiquer comme bon vous semble et sans excuses.
merci pour la précision. Il est clair que je n'ai pas compris comment les choses ont commencer à mal tourner dans la conversation avec Miam, et que je n'ai pas envie que cela se répète.
D'autre part, ce que j'écris ici (et peut-être que j'aurais dû l'expliciter beaucoup plus tôt par rapport à Miam) n'a pour moi jamais le statut de 'critique'. Il y a des choses que je ne comprends pas, ou que je comprends autrement parfois, mais dans ma perception cela ne dit rien du tout sur la valeur de vérité contenue dans ce que dit l'autre. Eventuellement, si Miam a cru que je voulais mettre en question la vérité de ses énoncés en soi, cela pourrait en partie expliquer le malentendu.
bardamu a écrit :Louisa a écrit:
Vous diriez donc que ce qui nous caractérise, c'est une certaine vitesse de mouvement?
Non, ce qui nous caractérise c'est le rapport de mouvement, le mouvement étant le fond du Désir lui-même, la puissance en acte. La Joie étant l'intensification de ce rapport de mouvement, je la ramène à une "vitesse", ou devrais-je dire une accélération, une intensification de mouvements dans des rapports donnés, un échauffement dirait-on peut-être en thermodynamique, une "énergétisation".
En fait, tout cela est lié à des connotations physiques dont je ne sais pas dans quelle mesure elles sont sensibles pour tous.
pe: l'eau qui bouillit garde son essence (elle est toujours composée par une liaison de 2 H pour 1 O), mais la vitesse des mouvements entre les molécules augmente, et donc sa puissance d'agir augmente (en devenant de l'eau dans l'état vapeur, elle sait tirer un locomotif)?
Cela me semble (comme souvent) assez séduisante comme image. Or, je ne me souviens pas trop d'avoir lu quelque part chez Spinoza (Ethique I - IV) quelque chose comme la possibilité d'intensification de mouvements. C'est vous qui 'complétez' ici certaines manques d'explication chez Spinoza, ou vous avez l'impression que c'est Spinoza lui-même qui en parle?
bardamu a écrit :Louisa a écrit:
oui en effet, cela renvoie à la distinction objectif-formel. Comme je viens de travailler un peu là-dessus dans l'autre fil avec (ou - comme il l'a hélas perçu - contre) Miam,
En fait, je pense que ce que vous avez présenté n'était pas vraiment différent de ce que disait Miam même si son langage est souvent trop elliptique. Il me corrigera s'il le désire, mais il me semble qu'étant dans une optique ontologique, l'idée est chez lui spontanément "idée adéquate" et donc équivalent d'être objectif en tant que l'être objectif est la chose dans l'attribut Pensée.
Et sans en avoir vraiment analysé le détail, par rapport à objectif/formel, je dirais :
- une chose, c'est un mode d'être, un mode d'action, une part de la puissance en acte de Dieu.
- selon par quel attribut elle est conçue, selon le mode qui lui correspond, on parle d'être objectif (attribut Pensée) ou d'être formel (autre attribut, voire tous les attributs).
Le formel me semble plus proche de la chose en tant que mode d'action, en tant que puissance en acte sans considération de l'attribut, mais je n'ai jamais analysé le détail des usages par Spinoza.
Je n'avais pas encore fait le lien avec l'activité. J'y réfléchis.
Si Miam voulait juste qualifier les idées adéquates, et pas toutes les idées, comme êtres objectifs, on se rapproche en effet déjà.
Pour enchaîner directement avec que vous écrivez dans votre dernier message là-dessus:
bardamu a écrit :Louisa a écrit:
à mon avis, l'objectif désigne la chose, ou l'essence, si vous voulez (c'est l'essence en tant que objet d'une idée), tandis que pour lui, l'objectif désigne l'idée (l'idée en tant qu'elle est en Dieu) - et tandis que dans son dernier message, il dit avoir compris que j'associe l'objectif à l'objet, ce qui n'est justement pas du tout le cas.
Il faudrait que je lise l'intégralité de vos échanges, mais je crois que vous dites à peu près la même chose sauf que quand il dit "être objectif" il ne sépare pas "être" de "objectif" et parle de la chose en tant qu'elle est un mode dans la Pensée, donc une idée, alors que vous parlez d'un "objectif" ayant sa valeur propre, comme si il pouvait y avoir un "objet" indépendamment d'un être objectif, ce qui est impossible.
On peut sans doute dire que l'essence est cause de l'être objectif, mais il n'y a pas d'essence sans être objectif lui correspondant, sans mode dans la Pensée où elle s'exprime.
je ne voulais pas du tout donner à l'objectif une valeur propre. Si je l'ai dissocié parfois de 'être', c'était pour indiquer que historiquement, ce qui était désigné comme étant objectif a fort varié (le concept chez Suarez, la réalité de l'idée chez Descartes, l'essence ou l'être chez Spinoza).
Je ne crois pas que chez Spinoza, il existerait un 'objectif' sans objet ou inversément. Je crois juste qu'il est important de tenir compte du fait que ce qui reçoit l'adjectif 'objectif', chez Spinoza, ce n'est plus l'idée lui-même, mais la chose. Pour moi, cela est assez significatif. La coupure entre le sujet et la chose extérieure doit devenir assez radicale si l'idée n'est que dans la tête de l'homme, comme chez Descartes, et plus liée à la chose elle-même. Or, j'ai l'impression que Spinoza rétablit l'idée que de chaque chose existe une idée en Dieu, indépendamment de notre Esprit. Cela remet les idées dans la nature même, et pas uniquement dans la tête de l'homme qui pense. Cela me semble crucial (même si je ne l'explique peut-être pas encore très clairement).
Et ce pas, Miam semble le sauter. A mon avis, il ne se retrouverait pas vraiment dans ce que vous écrivez ici:
bardamu a écrit :
il ne sépare pas "être" de "objectif" et parle de la chose en tant qu'elle est un mode dans la Pensée
parce que:
1) il ne parle pas de la 'chose en tant que', mais de 'l'idée en tant que'
2) il distingue explicitement l'idée en tant que mode dans l'attribut (l'être formel) de l'idée en tant qu'elle est en Dieu (l'être objectif).
Pe dans son dernier message:
Miam a écrit :Et pour Spinoza l'être objectif n'est pas seulement le contenu représentatif de l'idée mais l'idée elle-même en tant qu'elle a toujours un objet, y compris une autre idée.
Puis si c'est juste l'idée en tant qu'elle a un objet, cet être objectif peut quand même aussi être une idée inadéquate. Ce qui est exclu dans le TRE, où l'essence objective = l'idée adéquate. L'être objectif d'une idée, ce ne serait alors pas cette même idée en tant qu'elle a un objet, mais l'idée adéquate de cette idée. Or, tout au début, c'est lui qui m'a appris à faire clairement cette distinction (que l'être objectif d'une idée, c'est cette idée en tant qu'elle est prise comme object d'une deuxième idée, et pas ce qui caractérise l'idée en tant que mode de l'attribut Pensée). Là aussi, on ne parlait pas d'adéquation ou inadéquation, mais on était d'accord qu'on parlait d'un niveau de conscience, donc qu'il y avait déjà 2 idées en jeu. Ce qui n'est pas le cas si on considère l'être objectif d'une chose qui n'est pas une idée (mais pe Pierre).
Bonne nuit,
Louisa