Spinoza et Schopenhauer

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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bardamu
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Spinoza et Schopenhauer

Messagepar bardamu » 22 mars 2006, 20:53

Miam a écrit :3) Pour revenir à des choses "inintéressantes", peux-tu me dire où Schopenhauer cite Spinoza dans "Le monde comme volonté et représentation" ? Car c'est là une brique que je n'ai jamais pu lire entièrement.

Miam

Salut,
le texte est en cours d'édition sur Wikipedia : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Monde_ ... 9sentation
Ca facilite les recherches.

Je n'ai pas fait le tour mais il y a déjà les références ci-dessous :
Livre I, paragraphes 3, 7, 15 et 16

Livre I, §15 a écrit :C'est pourquoi une philosophie ne se laisse pas déduire, comme le voulait Spinoza , par une démonstration ex firmis principiis. La philosophie est la science du plus général ; ses principes ne peuvent donc être la conséquence d'autres plus généraux. Le principe de contradiction se borne à maintenir l'accord des concepts ; il n'en fournit pas lui-même ; le principe de raison explique le rapport des phénomènes, mais non les phénomènes eux-mêmes. Donc, le but de la philosophie ne peut être la recherche d'une cause efficiente ou d'une cause finale de tout l'univers. Aujourd'hui elle doit se demander moins que jamais d'où vient le monde, et pourquoi il existe. La seule question qu'elle doive se poser, c'est : qu'est-ce que le monde ?


Livre II, § 24 a écrit :Spinoza dit (épître 62) qu'une pierre lancée par quelqu'un dans l'espace, si elle était douée de conscience, pourrait s'imaginer qu'elle ne fait en cela Qu'obéir à sa volonté. Moi, j'ajoute que la pierre aurait raison. L'impulsion est pour elle ce qu'est pour moi le motif, et ce qui apparaît en elle comme cohésion, pesanteur, persévérance dans l'état donné, est par lui-même identique à ce que je reconnais en moi comme volonté, et que la pierre reconnaîtrait aussi comme volonté si elle était douée de connaissance. Spinoza, en cet endroit, se borne à remarquer la nécessité avec laquelle la pierre tombe, et veut transporter cette nécessité aux actes volontaires de l'individu. Mais moi, je considère l'essence intime qui donne son sens et sa valeur à toute nécessité réelle, et qui est supposée par elle; qui s'appelle caractère chez l'homme, propriété dans la pierre; qui est identique dans l'un et l'autre; que la conscience immédiate nomme volonté, et qui a, dans la pierre, le plus faible, dans l'homme, le plus haut degré de visibilité, d'objectivité.


Livre IV, §55 a écrit :La croyance en une liberté empirique de la volonté, en une liberté d'indifférence, tient de fort près à la théorie qui fait résider l'essence de l'homme dans une âme, celle-ci étant avant tout, un être capable de' connaissance, bien plus, dépensée abstraite, et ensuite seulement et par suite, capable de volonté : en sorte qu'on relègue la volonté à un rang secondaire, rang qui devrait être réservé à la connaissance. Même on réduit la volonté à un acte intellectuel, on l'identifie avec le jugement : c'est ce qui arrive chez Descartes et chez Spinoza. Ce serait donc par la vertu de son intelligence que chaque homme deviendrait ce qu'il est : il arriverait en ce monde à l'état de zéro moral, se mettrait à connaître les choses, et là-dessus se déciderait à tourner dételle ou telle façon, à agir dans un sens ou dans l'autre; et de même dans la suite, grâce à une information nouvelle,'il pourrait adopter une nouvelle conduite, devenir un autre homme. Mis en présence d'une chose, il commencerait par la reconnaître pour bonne, en suite de quoi il la voudrait ; tandis qu'en fait, il la veut d'abord, et alors la déclare bonne. À mon sens, d'ailleurs, c'est prendre en tout le contre-pied du véritable rapport des choses. La volonté est la réalité première, le sol primitif ; la connaissance vient simplement s'y superposer, pour en dépendre, pour lui servir à se manifester. Ainsi tout homme doit à sa volonté d'être ce qu'il est; son caractère est en lui primitivement ; car le vouloir est le principe même de son être. Puis, la connaissance survenant, il apprend, au cours de son expérience, ce qu'il est; il apprend à connaître son caractère. La connaissance qu'il prend de lui même est donc conséquente et conforme à la nature de sa volonté; bien loin qu'il faille croire, selon la vieille doctrine, que sa volonté est conséquente et conforme à sa connaissance. D'après elle, il n'aurait qu'à délibérer sur la façon d'être qui lui plairait le plus, et celle-là deviendrait la sienne : en cela consisterait sa liberté ; l'homme, grâce à cette liberté, serait son propre ouvrage , fait de ses mains, à la lumière de la connaissance. Et moi je dis : il est son œuvre à lui-même, et avant toute connaissance ; la connaissance vient après, éclairer le travail fait. Il n'a donc point à délibérer s'il deviendra tel ou tel, et bien mieux s'il deviendra autre qu'il n'est : il est ce qu'il est, une fois pour toutes ; seulement il ne connaît que peu à peu ce.qu'il est. D'après les autres, il connaît et puis veut ce qu'il connaît; d'après moi, il veut et puis connaît ce qu'il veut.

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Re: Spinoza et Schopenhauer

Messagepar Pourquoipas » 22 mars 2006, 21:14

On a écrit :peux-tu me dire où Schopenhauer cite Spinoza dans "Le monde comme volonté et représentation" ? Car c'est là une brique que je n'ai jamais pu lire entièrement.


Merci, Bardamu,

Pour le moment voici ce que j'avais trouvé dans Le Monde comme volonté..., trad. Burdeau, PUF (je ne sais si dans une édition récente, "de poche", la pagination est la même) (je suppose que nos réf. se recoupent) :
§ 3, p.30
§ 7, p. 53
§ 15, p. 114, note
§ 16, p. 126
§ 24, p. 171
§ 34, p. 231 (déjà cité par moi dans un autre sujet)
Dans les Suppléments, chap. XXVI, "De la téléologie", p. 1064.

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Messagepar Miam » 23 mars 2006, 12:25

Merci à vous deux.

Le délirant de service. :fou: (le "caute" de Pourquoi pas, c'est un tatouage sur un avant-bras ?)

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Messagepar Pourquoipas » 23 mars 2006, 13:22

Miam a écrit :le "caute" de Pourquoi pas, c'est un tatouage sur un avant-bras ?


Exact : sur mon avant-bras droit.

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Messagepar guillayme » 23 mars 2006, 20:39

Mon premier message sur ce forum n'apportera peut être pas grand chose mais il me semble qu'il ne faille pas restreindre Schopenhauer au Monde.... Sa dissertation sur la quadruple racine du principe de raison suffisante et la première partie des Parerga, réédités il y a peu proposent une "histoire de la philosophie", une généalogie préfigurant celles de Nietzsche dans laquelle sont exprimés de manière plus exacte les liens entretenus pas Schopenhauer avec Spinoza. N'ayant pas les références exactes sous la main, mon propos est certes quelque peu flou mais en tout cas, un paragraphe des Parerga est consacré au panthéisme, dans lequel Schopenhauer intègre bien sûr, à tort ou à raison, Spinoza.

Edit, avec les reférences exactes:
De la quadruple racine du principe de raison suffisante Chapitre II, §8, très jolis pages, acerbes mais dans lesquelles je sens, pour ma part un certain respect de l'oeuvre de Spinoza.
Parerga et Paralipomena -§12 des fragments sur l'histoire de la philosophie
- Une partie, vers le milieu, de l'Esquisse d'une histoire de la doctrine de l'idéal et du réel
- le chapitre 5 de la partie II, consacrée au panthéisme

Ce n'est sûrement pas exhaustif mais je continue mes recherches en espérant trouver dans la Correspondance, les deux problèmes fondamentaux de l'éthique et De la volonté dans la nature, d'autres références "spinozistes".

Edit 2: Après une petite relecture transversale du Monde comme volonté et comme représentation, j'ai trouvé le passage. Dernier des suppléments au Monde, épiphilosophie. je ne poeux résumer mais en gros, Schopenhauer explicite sa "filiation".

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Messagepar Pourquoipas » 28 mars 2006, 17:26

guillayme a écrit :Après une petite relecture transversale du Monde comme volonté et comme représentation, j'ai trouvé le passage. Dernier des suppléments au Monde, épiphilosophie. je ne poeux résumer mais en gros, Schopenhauer explicite sa "filiation".


Merci, Guillayme, de m'avoir rappelé ce passage, qui est tout à la fin du Monde... et que je me permets de citer (on y retrouvera au passage son antisémitisme basique) :

Schopenhauer a écrit :A la suite de la critique kantienne de toute théologie spéculative, presque tous les gens qui philosophaient en Allemagne se sont rejetés sur Spinoza : toute la série d'essais manqués connue sous le nom de philosophie postkantienne n'est que du spinozisme ajusté sans goût, enveloppé de mille discours incompréhensibles et défiguré de bien des manières encore. Aussi après avoir montré le rapport de ma doctrine avec le panthéisme en général, ai-je l'intention d'en indiquer la relation avec le spinozisme en particulier. Elle est au spinozisme ce que le Nouveau Testament est à l'Ancien. Ce que l'Ancien Testament a de commun avec le Nouveau, c'est le même Dieu créateur. D'une façon analogue, chez moi comme chez Spinoza le monde existe par lui-même, et grâce à son énergie intrinsèque. Mais chez Spinoza, sa substantia aeterna, l'essence intime du monde, qu'il intitule lui-même Dieu, n'est encore, par le caractère moral et par la valeur qu'il lui attribue, que Jéhovah, le Dieu créateur, qui s'applaudit de sa création et trouve que tout a tourné pour le mieux, panta kala lian. Spinoza ne lui a rien enlevé que la personnalité. Chez lui aussi le monde avec tout son contenu est donc parfait et tel qu'il doit être : par là l'homme n'a rien de plus à faire que vivere, agere, suum Esse conservare, ex fundamento proprium utile quaerendi [vivre, agir, conserver son étre, en cherchant radicalement son propre avantage] (Eth., IV, p. 67) ; il doit simplement jouir de sa vie, tant qu'elle dure, tout comme l'ordonne l'Ecclésiaste, IX, 7, 10. Bref, c'est de l'optimisme ; aussi la partie morale est-elle faible, comme dans l'Ancien Testament, fausse même et en partie révoltante (1). — Chez moi, au contraire, la volonté ou l'essence intime du monde n'est nullement Jéhovah, mais bien plutôt en quelque sorte le Sauveur crucifié, ou encore le larron crucifié, selon le parti pour lequel elle se détermine : aussi ma morale s'accorde-t-elle toujours avec la morale chrétienne, et cela jusque dans les tendances les plus hautes de celle-ci, aussi bien qu'avec celle du brahmanisme et du bouddhisme. Spinoza ne pouvait s'affranchir du juif : quo semel est imbuta recens servabit odorem [l'argile conservera longtemps le parfum dont elle s'est une fois imprégnée] (Horace, Epîtres, 1, 2, v. 69). Ce qui est tout à fait juif en lui, et qui, joint au panthéisme, est de plus absurde et à la fois horrible, c'est son mépris des animaux, dans lesquels il voit de pures choses destinées à notre usage et auxquels il refuse tout droit (Eth., IV, Appendix, chap. XXVII). — Malgré tout, Spinoza demeure un très grand homme. Mais, pour le bien apprécier à sa valeur, il ne faut pas perdre de vue le rapport qui l'unit à Descartes. Descartes avait nettement séparé la nature en esprit et en matière, c'est-à-dire en substance pensante et en substance étendue, et mis de même Dieu et le monde en opposition absolue l'un avec l'autre : Spinoza, tant qu'il fut cartésien, enseigna tous ces principes dans ses Cogitata metaphysica, chap. XII, en 1665 . C'est seulement dans ses dernières années qu'il reconnut l'erreur fondamentale de ce double dualisme, et c'est pourquoi sa propre philosophie consiste principalement dans la supression indirecte de ces deux oppositions ; et cependant, en partie pour moins choquer les esprits, il donna à cette philosophie, par le moyen d'une forme rigoureusement dogmatique, une apparence positive, bien que le contenu en fût surtout négatif. Son identification du monde avec Dieu n'a que ce seul sens négatif. Car appeler le monde Dieu, ce n'est pas l'expliquer ; sous ce second nom comme sous le premier, le monde demeure une énigme. Mais ces deux vérités négatives avaient une valeur pour leur temps, et pour tout temps où il existe des cartésiens conscients ou inconscients. Il partage avec tous les philosophes d'avant Locke le défaut de partir de notions abstraites, sans en avoir étudié préalablement l'origine : telles sont les notions de substance, de cause, etc., qui dans la suite avec une telle méthode reçoivent une acception beaucoup trop étendue. — Ceux qui, dans ces derniers temps, n'ont pas voulu professer le néo-spinozisme en vogue, comme par exemple Jacobi, en ont été détournés surtout par l'épouvantail du fatalisme. Sous ce nom il faut entendre toute doctrine qui ramène l'existence du monde, avec la situation critique qu'y occupe la race humaine, à une nécessité absolue, c'est-à-dire non autrement explicable. Les adversaires de cette doctrine croyaient qu'il importe avant tout de faire dériver le monde de l'acte libre de la volonté d'un être existant hors du monde : comme si l'on pouvait savoir à l'avance avec certitude lequel des deux est le plus exact, ou même seulement le plus profitable par rapport à nous. Mais surtout ce qu'on présuppose, c'est le non datur tertium [il n'y a pas de troisième possibilité], et par là toute philosophie jusqu'à ce jour a pris l'une ou l'autre de ces deux voies. Je suis le premier à m'en être écarté, en posant l'existence réelle de ce tertium : l'acte de volonté, d'où naît le monde, est l'acte de notre volonté propre. Il est libre ; car le principe de raison, qui donne seul un sens à une nécessité quelconque, n'est que la forme de son phénomène. C'est pourquoi ce phénomène, dès le premier moment et dans tout son cours, est toujours nécessaire : et c'est à la suite de ce seul fait que par le phénomène nous pouvons connaître la nature de cet acte de la volonté et qu'eventualiter nous pouvons ainsi vouloir autrement.


(1) « Unusquisque tantum juris habet quantum potentia valet. » (Tract. pol., chap. 11, § 8 . ) — « Fides alicui data tamdiu rata manet, quamdiu ejus, qui fidem dedit, non mutatur voluntas. » (Ibid., § 12) — Uniuscujusque jus potenta ejus definitur. » (Eth., IV, pr. 37, schol. 1.) [Chacun a autant de droit qu'il a de puissance. — Une promesse faite reste valable aussi longtemps que la volonté de celui qui l’a faite ne change pas. — Le droit de tout homme est déterminé par la puissance qu'il détient.] — Le chapitre XVI du Tractatus theologico-politicus surtout est le véritable résumé de l'immoralité de la philosophie spinoziste.


Portez-vous bien.

JF


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