Incompatibilité de Dieu et du libre arbitre

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Pej
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Messagepar Pej » 29 mars 2006, 22:14

Peut-être que le choix de mes expressions n'était pas très bon. Selon moi, "comment il est possible d'être sage" n'est justement pas l'équivalent de "comment il faut faire pour être sage". La première expression se contente de dire ce qui permet à certains hommes de devenir sages. La seconde implique une exigence qui est liée à un choix. Elle signifie ceci : "si vous voulez être sage (ce qui suppose une contingence et donc une volonté libre, car sinon l'hypothèse n'a plus de sens), alors voici comment vous y prendre".
Je suis conscient qu'en disant cela, je tords quelque peu la philosophie spinoziste (comme le montrent les passages que vous citez). Mais je crois que c'est le seul moyen de rendre cette philosophie conséquente (de sauver Spinoza en quelque sorte). Car il va de soi que dans un monde où règne une nécessité absolue (et je pense que c'est bien là la thèse de Spinoza) alors une morale prescriptive est totalement absurde.
En ce qui concerne l'exemple de Jack l'éventreur, fort intéressant, je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il était sage (dans le sens spinoziste du terme en particulier) même s'il a été heureux. A moins qu'on arrive à démontrer qu'on ne peut être heureux qu'en étant sage, ce qui bien entendu risque de ne pas mener bien loin (bien que j'aie connu un professeur de philosophie qui en était persuadé...).

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Messagepar Elchapulincolorado » 30 mars 2006, 20:35

Pourquoi pas a dit: " Vous dites : "décrire comment il est possible d'être sage", qu'est-ce que cela peut vouloir dire d'autre que "comment faire pour être sage" ? Et que faites-vous du scolie de la prop. 10 de la partie V, vous savez, celle qui dit : " Qui est très peu en proie aux affects a le pouvoir d'ordonner et d'enchaîner les affections du corps selon un ordre pour l'entendement" ? Cela veut bien dire que, quand on est au calme, il faut se préparer à des circonstances plus difficiles, non seulement en y pensant mais aussi en préparant son corps, non ? "

Je ne crois pas que cette proposition puisse être assimilée à une prescription. Le libre arbitre n'existant pas pour Spinoza, il ne nous appartient pas de décider que "dans les moments calmes" nous nous disposions aux moments difficiles. C'est d'un pouvoir en acte dont il s'agit. Les "il faut" présents dans la traduction appuhn sont descriptifs, comme dans "il faut que la boule ne soit pas empéchée pour qu'elle roule sur le plan inclinée". A mon avis, il ne s'agit pas d'impératifs moraux.

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Messagepar Pej » 30 mars 2006, 20:55

C'est exactement ce que je voulais dire. :)

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Messagepar Pourquoipas » 31 mars 2006, 15:05

Pej a écrit :C'est exactement ce que je voulais dire. :)


Donc, dans ce cas — et pour le dire très vite et très brutalement —, la philosophie de Spinoza conduit tout droit à celle du marquis de Sade. Si je suis le plus puissant, et si j'ai droit naturel sur tout ce qui peut contribuer à ma joie (et si les circonstances naturelles, historiques, sociales, éducatives, etc., ont fait que ma joie consiste dans le meurtre et l'usage de l'autre selon mon bon plaisir), et si je suis également assez puissant pour non seulement échapper à la justice sociale ou politique, mais également la créer, je ne peux qu'être l'un des bourreaux des 120 Journées de Sodome ou un nazi pur et dur (bien sûr avant 1944, après cette date, je suis devenu plus faible et c'est l'ennemi, plus fort, qui a droit sur moi)...

Lisez attentivement la lettre 23 à Blyenbergh, qui depuis pas mal d'années n'arrête pas de me poser problème.

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Messagepar Pej » 31 mars 2006, 16:09

Je ne suis pas Spinoziste. Mais quand vous dites que la philosophie de Spinoza mène directement au Marquis de Sade, je ne suis pas d'accord. Car la philosophie de Spinoza ne mène nulle part (au sens où l'on pourrait s'en servir pour justifier une conduite). Dans un univers déterministe, certains hommes sont déterminés à rencontrer l'éthique spinoziste, et certains autres non. Pour les premiers, cette rencontre déterminera alors peut-être l'accès à la "sagesse", ou au contraire les conduira à devenir nazis. Mais il n'y a aucun choix derrière tout ça, puisque le choix est purement illusoire. Il n'y a que des causes et des effets, une longue chaîne causale à laquelle on ne peut rien changer...

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Messagepar Pourquoipas » 31 mars 2006, 16:30

Pej a écrit :Je ne suis pas Spinoziste. Mais quand vous dites que la philosophie de Spinoza mène directement au Marquis de Sade, je ne suis pas d'accord. Car la philosophie de Spinoza ne mène nulle part (au sens où l'on pourrait s'en servir pour justifier une conduite). Dans un univers déterministe, certains hommes sont déterminés à rencontrer l'éthique spinoziste, et certains autres non. Pour les premiers, cette rencontre déterminera alors peut-être l'accès à la "sagesse", ou au contraire les conduira à devenir nazis. Mais il n'y a aucun choix derrière tout ça, puisque le choix est purement illusoire. Il n'y a que des causes et des effets, une longue chaîne causale à laquelle on ne peut rien changer...


D'une certaine manière, si, parce que ce que nous appelons nos motivations, nos "libres choix", font partie de ce déterminisme. Ce genre de débat peut être long, et il est peut-être insoluble. Déterminisme n'est pas fatalisme. Mais, puisque nous sommes ignorants de la plus grande partie de la chaîne des causes et des effets, nous sommes, me semble-t-il, obligés de vivre dans l'illusion du libre arbitre (de même que le soleil nous apparaît plus petit et plus proche qu'il ne l'est réellement, même quand nous connaissons sa véritable position dans le ciel). Sinon, je le répète, la fin de Ethique IV et le début de Ethique V n'ont plus de sens...

Ensuite, je peux vous dire, mais c'est uniquement par expérience (donc ça n'a aucune valeur théorique), que j'ai pu me libérer d'un esclavage, et ce en partie grâce à Spinoza...

Je n'ai jamais dit que Spinoza conduisait directement à Sade, mais je dis qu'il a vu le danger. Je le répète encore : lisez toute la correspondance entre Blyenbergh et Spinoza (lettres 18 à 24 + 27). Sinon, pourquoi ensuite écrire 2 livres politiques importants et consacrer une très grande partie de son maître ouvrage au bien et au mal ?

A part ça, tout ce que vous me dites, je le sais depuis longtemps, mais j'affirme aussi que Spinoza a vu le problème et tenté de l'affronter : comment vivre une vie morale (ou éthique) tout en étant déterministe ?

Portez-vous bien.
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Messagepar Pej » 31 mars 2006, 17:39

Sinon, pourquoi ensuite écrire 2 livres politiques importants et consacrer une très grande partie de son maître ouvrage au bien et au mal ?


Là encore, la question n'a pas de valeur d'un point de vue déterministe. Spinoza a écrit ces livres parce qu'il était déterminé à le faire (et donc que ces livres soient utiles ou pas n'a pas d'importance).
A mon sens, la distinction entre déterminisme et fatalisme est une distinction sophistique qui ne résiste pas à l'examen. Le système métaphysique de Spinoza est irréfutable. Il est possible qu'il soit vrai. Mais ceux qui croient se "libérer" en lisant l'éthique restent eux aussi d'une illusion de libre arbitre, même si cette illusion est d'un degré différent de l'illusion qui caractérise l'ignorant (celui qui n'est même pas conscient de sa détermination).

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Messagepar Pourquoipas » 31 mars 2006, 19:10

Pej a écrit :
Sinon, pourquoi ensuite écrire 2 livres politiques importants et consacrer une très grande partie de son maître ouvrage au bien et au mal ?


Là encore, la question n'a pas de valeur d'un point de vue déterministe. Spinoza a écrit ces livres parce qu'il était déterminé à le faire (et donc que ces livres soient utiles ou pas n'a pas d'importance).
A mon sens, la distinction entre déterminisme et fatalisme est une distinction sophistique qui ne résiste pas à l'examen. Le système métaphysique de Spinoza est irréfutable. Il est possible qu'il soit vrai. Mais ceux qui croient se "libérer" en lisant l'éthique restent eux aussi d'une illusion de libre arbitre, même si cette illusion est d'un degré différent de l'illusion qui caractérise l'ignorant (celui qui n'est même pas conscient de sa détermination).


Nous sommes d'accord (l'exemple du soleil et de la volonté libre apparaissent dans le même scolie d'ailleurs).
De toute façon, ma façon de lire Spinoza n'est ni professorale ni estudiantine.

Portez-vous bien.

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Messagepar hokousai » 31 mars 2006, 20:21

à Pej

Il semble que vous affirmiez un déterminisme absolue , ce qui est lourd de conséquences .
Le déterminisme absolue dédouane de toute responsabilité.
Se reconnaître comme responsable peut d’un certain point de vue enfermer l’homme dans la moralité mais ne pas se reconnaître comme responsable plutôt que de conduire à la sagesse désarme l’homme face à ses passions .
Car si de nos passions nous ne sommes pas responsables , puisqu’ elles sont l’effet de causes successives extrinsèques , rien ne peut nous en soustraire , nous sommes effets passifs , la thèse est imparable .


Spinoza dit que la volonté est une manière de pensée , ce qu’il conteste c’est la vison cartésienne de volonté infinie .
Notre volonté n’est pas infinie , certes, mais elle n’est pas nulle pour autant , et pour autant que nous puissions penser .

Ce qu’est la volonté et la façon dont elle meut le corps nous l’ignorons . Nous l’ignorons jusqu’au moment où réformant notre entendement nous en percevons les causes .Notre ignorance cesse relativement du moins ,ou bien si vous voulez notre science progresse , notre science du sujet volontaire .Cette science ne sera pas absolue , il se peut que le fond de l activité volontaire échappe même, mais nous aurons élargi notre vison des chose à plus que des fictions telle celle d’un sujet absolument libre et séparé absolument de la nature .

Si l’illusion est peut être de penser la volonté comme faculté d’un sujet libre hors de toute conditions sujet indépendant de toute chaînes de causalité (empire dans un empire) , on ne peut verser dans une thèse opposée à l’extrême , celle d’une dilution toute aussi absolue du sujet (tel esprit comme idée de tel corps précis.)

Nous nous percevons comme de la nature naturée , comme chose naturelle et comme modification . Ces modifications ont une durée ,elles sont déterminée et en quelque sortes individualisées . Ces individualités sont elles mêmes causes de modifications , existent donc en tant que causes déterminées circonscrites .
Il n’y a pas manières de les comprendre autrement qu’ individués quand on les comprend ainsi .Pour tout dire il n y a pas manière de se comprendre en même temps et sous le même rapport comme fini et infini .
Ainsi nous nous comprenons comme exerçant une volonté et comme sujet responsable .
Nous nous percevons ainsi parce que nous existons objectivement ainsi c’est à dire comme modifications de la nature naturée .

Nous nous percevons comme responsable et nous le sommes .
Ce qui signifie que si nous nous percevons comme responsable alors nous les sommes .
Un homme qui se perçoit comme responsable n’est plus du tout dans le rapport à ses passions qu’un hommes qui ne se perçoit pas comme responsable .(truisme qu’il convient pourtant de rappeler )
En ce sens se comprendre comme libre relativement dans la nature naturée permet d’ assumer la raison face au passions .
Assumer la raison c’est en suivre le court c’est ne pas s’ empêcher de penser selon la raison ,voire s’interdire de penser sous le prétexte que nous n’y pourrions rien puisque tout serait déterminé ailleurs extrinsèquement .

C’est donc bien la reconnaissance de soi comme sujet et comme sujet autonome dans de certaines mesures qui permet l 'accès à un mouvement vers la sagesse et non le déni de pouvoir du sujet sur ses actes .


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Messagepar Pej » 31 mars 2006, 20:54

Il faudrait peut-être que je relise Spinoza, mais je ne me souviens pas y avoir aperçu quelque chose qui relèverait du libre arbitre, ou du simple hasard. Autrement dit, il me semblait (mais peut-être effectivement me trompé-je) que Spinoza défendait bel et bien un déterminisme absolu.
L'argument selon lequel le déterminisme absolu détruit la responsabilité (argument invoqué par Thomas d'Aquin entre autres) n'en est pas un, car il méconnaît la nature du déterminisme absolu. C'est qu'en effet le problème de la responsabilité n'est de ce point de vue qu'un pseudo-problème.
Que je sois entièrement déterminé dans toutes mes actions, qu'elles soient jugées bonnes ou mauvaises, très bien. Que cette détermination intégrale fasse disparaître toute responsabilité, si par responsabilité on entend la conséquence d'une décision libre (au sens de découlant du libre arbitre), très bien. Mais que cela soit un problème, pas du tout.
Spinoza dit lui-même que le chien qui a la rage n'est pas responsable, mais que cela n'empêche pas qu'il faille le tuer. De même, si je plaide ma non responsabilité face à un juge qui jugerait mon crime, qu'importe ? Le verdict de ce juge est déterminé de toute éternité, et ne saurait être changé magiquement par cette absence de responsabilité.
En d'autres termes, l'argument du criminel qui invoque le déterminisme pour faire disparaître sa responsabilité (en rappelant qu'il est d'ailleurs déterminé à avancer cet argument) est un bel exemple d'illusion. Car si le criminel est conscient de ce qui le détermine (il serait en ce sens à moitié sage), il oublie que le juge est lui-même un être entièrement déterminé, dont il ne peut influencer la décision (car même si son argument est la cause de sa relaxe, ce rapport causal était "déjà là" avant le début du procès).


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