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Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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antrax
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Messagepar antrax » 17 août 2006, 10:36

"Pascal et Kierkegaard ont opposé les vérités objectives définies par le savoir de l'homme aux vérités pour lesquelles il vaut la peine de vivre ou de mourir en étant leur martyr, c'est-à-dire leur témoin"
Jean Brun, Philosophie et Christianisme, p.171

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Louisa
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Messagepar Louisa » 17 août 2006, 12:46

Antrax a écrit :"Pascal et Kierkegaard ont opposé les vérités objectives définies par le savoir de l'homme aux vérités pour lesquelles il vaut la peine de vivre ou de mourir en étant leur martyr, c'est-à-dire leur témoin"
Jean Brun, Philosophie et Christianisme, p.171


C'est une très belle citation. Elle peut être lue comme une bonne illustration de ce que je viens d'écrire : en tant que philosophes, Pascal et Kierkegaard (d'après J. Brun) comparent ici deux figures du vrai, où le rôle du témoin est à chaque fois très différent.

Pour le vrai conçu comme 'vérités objectives définies par le savoir' l'on pourrait penser avant tout aux vérités scientifiques. Il y a bel et bien question d'un témoin aussi, dans ces vérités (voir les travaux d'I. Stengers, notamment 'La vierge et le neutrino'), mais tout l'exercice, en science, consiste à créer un dispositif expérimental qui lui devient un témoin autonome de la loi scientifique qu'on veut désormais proposer comme 'vraie'. Ce n'est pas le scientifique lui-même, en tant que personne, qui est le témoin de sa vérité. C'est le dispositif expérimental. C'est d'ailleurs pourquoi, si l'on veut identifier personne humaine et sujet (identification que Heidegger veut 'dépasser') on peut alors parler de 'vérité objective'. Le témoin ce n'est pas le sujet scientifique, c'est l'objet qu'il a créé.

Mais il y a un tas d'autres possibilités de figures du vrai, où le rôle du témoin est joué par l'homme lui-même. Sans doute la religion en offre un très bel exemple. Ici, le dispositif expérimental, c'est l'homme lui-même. C'est la personne elle-même qui doit (si elle le veut) expérimenter la vérité religieuse qu'elle juge 'digne de foi', et dont la vie même en sera le témoin.

Pascal et Kierkegaard inventant la figure du vrai qui consiste à concevoir certaines vérités comme étant vraies par ce qu'elles valent la peine d'en être soi-même, dans sa vie quotidienne, le témoin, font un travail purement philosophique.

Pascal et Kierkegaard jugeant telle ou telle vérité personnellement digne de foi en y appliquant cette figure du vrai qu'ils viennent d'inventer, font une activité religieuse.

Dans leur cas, philosophie et religion s'unissent au sein même d'une seule personne. Chez d'autres philosophes ou croyants, ce n'est pas le cas (ils sont philosophes mais pas croyants, ou inversement). Aucune nécessité ne relie donc les deux, mais, encore une fois, je ne vois pas en quoi l'une excluerait par essence l'autre. Cela me semble tout à fait impossible, en vertu même du fait qu'elles se situent dans deux domaines d'activité humaine très différentes, ayant d'autres objectifs, d'autres outils, etc.
Bon après-midi,
Louisa.

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Re: Témoin

Messagepar bardamu » 17 août 2006, 12:55

antrax a écrit :"Pascal et Kierkegaard ont opposé les vérités objectives définies par le savoir de l'homme aux vérités pour lesquelles il vaut la peine de vivre ou de mourir en étant leur martyr, c'est-à-dire leur témoin"
Jean Brun, Philosophie et Christianisme, p.171

Biographie de Spinoza, par Jean Colerus :

'M. Bayle rapporte en outre qu’il lui arriva un jour d’être attaqué par un juif au sortir de la comédie, qu’il en reçut un coup de couteau au visage ; et quoique la plaie ne fût pas dangereuse, Spinoza voyait pourtant que le dessein du juif avait été de le tuer. Mais l’hôte de Spinoza aussi bien que sa femme, qui tous deux vivent encore, m’ont rapporté ce fait tout autrement. Ils le tiennent de la bouche de Spinoza même, qui leur a souvent raconté qu’un soir, sortant de la vieille synagogue portugaise, il vit quelqu’un auprès de lui, le poignard à la main ; ce qui l’ayant obligé à se tenir sur ses gardes et à s’écarter, il évita le coup, qui porta seulement dans ses habits. Il gardait encore alors le justaucorps percé du coup, en mémoire de cet événement.
Cependant, ne se croyant plus assez en sûreté à Amsterdam, il ne songeait qu’à se retirer en quelque autre lieu à la première occasion ; car il voulait d’ailleurs poursuivre ses études et ses méditations physiques dans quelque retraite paisible et éloignée du bruit.
(...)
Il s’était à peine séparé des juifs et de leur communion qu’ils le poursuivirent juridiquement selon leurs lois ecclésiastiques et l’excommunièrent.
Il a avoué plusieurs fois que la chose s’était ainsi passée, et déclaré que depuis il avait rompu toute liaison et tout commerce avec eux. C’est aussi ce dont M. Bayle convient, aussi bien que le docteur Musæus"

Extrait du herem :
A l’aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté en présence de nos saints livres et des six cent treize commandements qui y sont enfermés. (...) Qu’il soit maudit le jour, qu’il soit maudit la nuit ; qu’il soit maudit pendant son sommeil et pendant qu’il veille. Qu’il soit maudit à son entrée et qu’il soit maudit à sa sortie. Veuille l’Eternel ne jamais lui pardonner. Veuille l’Eternel allumer contre cet homme toute sa colère et déverser sur lui tous les maux mentionnés dans le livre de la Loi ; que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais et qu’il plaise à Dieu de le séparer de toutes les tribus d’Israël l’affligeant de toutes les malédictions que contient la Loi.
Sachez que vous ne devez avoir avec Spinoza aucune relation ni écrite ni verbale. Qu’il ne lui soit rendu aucun service et que personne ne l’approche à moins de quatre coudées. Que personne ne demeure sous le même toit que lui et que personne ne lise aucun de ses écrits.

http://hyperspinoza.caute.lautre.net/ar ... ticle=1340

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Messagepar antrax » 17 août 2006, 15:33

Et pourtant, qu'on le veuille ou non,une page avant, J.Brun précise :
"Le Message des Ecritures, tout comme comme il rompt dans le passé avec les philosophies grecques, rompt également avec les dialectiques et les différents ismesque l'on peut lancer sur le marché aux idées comme autant de machines à comprendre."
Il y a rupture, voilà tout.
Vous pouvez préférer la philosophie, libre à vous. Mais ça n'a rien à voir avec le christianisme du fait de la nature particulère de son message qui est considéré comme révélé. Kierkegaard le confirme ici :
"Le christianisme n'est pas une doctrine(...)Le christianisme concerne l'existence, le fait d'exister; mais l'existence et le fait d'exister sont précisément le contraire de la spéculation".*
Je ne peux pas vous empêcher de philosopher; vous ne pouvez pas m'y contraindre pour cette raison définitive qu'invoque ici Kierkegaard et à laquelle je me réfère.
* Kierkegaard, Post-Scriptum définitif et non scientifique aux Miettes Philosophiques, 1846, ch.IV,§2, in:Oeuvres Complètes, tome 11, p.76.

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Messagepar ojoj » 18 août 2006, 00:42

la philosophie de Spinoza concerne l'existence elle aussi, et en premier chef.
Que discours géométrique de l'Ethique vous paraisse anachronique et spéculatif n'a rien de surprenant ; mais la démarche spinoziste est mûe par une impulsion éminemment éthique, dans laquelle la métaphysique n'est qu'un outil pour déterminer avec le maximum de clarté le chemin de vie le plus sage.
Si les mots et les tournures sont dépassés, si la forme du raisonnement est obsolète (cf Wittgenstein dénonçant l'absurdité du langage métaphysique), le fond (le "message" humaniste) subsiste. Il subsiste autant que peut subsister le message chrétien dans le coeur d'un homme du XXe siècle forcé d'admettre que le récit d'un dieu s'adressant aux hommes dans un buisson est absurde...
Vous avez l'air de croire que les gens de ce site s'adonnent à des mots croisés intellectuels poussiéreux... s'ils creusent ce foutu texte épineux qu'est l'Ethique ce n'est pas pour le seul plaisir de jongler avec des concepts, mais bel et bien pour la sagesse vitale qui y réside.
Je ne sais pas si ma remarque vous semblera à la hauteur des polémiques engagées, je ne suis pas spécialiste ; mais votre arrogance m'a fait réagir.

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Messagepar antrax » 18 août 2006, 09:17

Merci à vous ojoj pour votre intervention. Cela me change de celles des intégristes habituels! Franchement, je ne pensais pas que depuis Deleuze on pouvait s'intéresser autant à Spinoza. Je me souviens pourtant que beaucoup de ses idées m'avaient plues. Mais il y a très longtemps...

. Vous parlez de la sagesse du texte de l'Ethique. Sans doute. Mais aussi du chemin de vie le plus sage. J'ai voulu sur cette "agora" simplement rappeler d'autres démarches opposées à celle des philosophes prétendant mener au chemin de vie .

Ma conviction est qu'aucune philosophie ici-bas n'y conduit justement :

Le Christ dit qu'il est "le chemin, la Vérité et la Vie(Jean 14:6)

Et puisque vous parlez de Wittgenstein, lui-même disait que "la vérité de ce monde doit se trouver hors du monde". Tractatus logico-philosophicus
En effet, le philosophe Emmanuel Lévinas pensait que "la Vérité ne peut être découverte. Elle est révélée".

Or, le philosophe Jean Brun nous l'exprime de cette façon : " Dans les Ecritures, la Vérité n'est pas dévoilée; elle est révélée.(...) un abîme sépare le dévoilement de la Révélation" Philosophie et Christianisme, p.77

Vous êtes bien libre de prêter caution ou non à ce que je vous dis-là. Il faut savoir que "l'on est jamais tenu d'être pénétré par les Ecritures ou même de les lire"id, p.79

Mais lorsque vous associez "la démarche spinoziste" au "chemin de vie le plus sage", le christianisme affirme que le Christ est lui-seul ce chemin-là.

L'Histoire nous apprend qu'aucun système de pensée philosophique n'a offert un chemin de vie dont la sagesse aboutirait au salut de l'Homme.
La philosophie n'offre pas la Vérité. Une philosophie du salut par la connaissance est forcément mensongère, donc éloignée de la Vérité car comme le dit Nietzsche, l'illusion de l'optimisme est de "croire guérir par la connaissance, la blessure éternelle de l'existence"
Naissance de la Tragédie, §18, p.91

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Messagepar ojoj » 18 août 2006, 14:15

Mais lorsque vous associez "la démarche spinoziste" au "chemin de vie le plus sage", le christianisme affirme que le Christ est lui-seul ce chemin-là.


impossible pour moi de comprendre une telle phrase au pied de la lettre.
Qu'est-ce qui différencie le Christ de la sagesse Spinoziste? Pour moi l'un et l'autre sont des symboles linguistiques d'un équilibre vital idéalisé.

Quant à votre distinction entre dévoilement et révélation, il me fait penser à la différence entre 2e et 3e genre de connaissance ; la science intuitive n'est-elle pas en quelque sorte une révélation ?

J'ai peut-être l'air de faire des raccourcis, mais je suis de ceux qui pensent la religion comme la version "en images" de la philosophie, et la philosophie la version "en mots" d'un truc plus fondamental et intime qu'on nommerait la sagesse.

Ne percevez-vous pas la spiritualité qui sous-tend, derrière des jeux de langage (certes datés, lassants peut-être... mais inévitables) de la démarche spinoziste ?
Et en quoi les images de la religion vous satisfont-elles plus ? Vous semblent-elles plus "directes" ?


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