l'espoir

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

Avatar du membre
ndjdeslacs
passe par là...
passe par là...
Messages : 10
Enregistré le : 27 oct. 2006, 00:00
Localisation : Besançon

l'espoir

Messagepar ndjdeslacs » 04 janv. 2007, 11:14

Sachant que pour Spinoza le présent est nécessaire, peut on dire que l'espoir chez Spinoza réside dans l'avenir ? Quelle est pour Spinoza la place de l'espoir ? A mon sens, l'espoir est essentiel car attendre qqc de l'avenir c'est attendre qqc de la vie, cela illustre que l'on aime la vie. Toutefois l'espoir résultant de la peur de l'avenir, peut il suffire à se rassurer ? Peut on imaginer une vie sans espoir ?
J'aimerais votre avis sur ces questions svp , j'ai construit mon raisonnement mais j'ai du mal à cadrer l'avis de Spinoza sur la question. Dans quelles oeuvres dois jeter un oeil sur la question de l'espoir ? :oops:
Merci d'avance
petite Mo

Avatar du membre
Henrique
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1184
Enregistré le : 06 juin 2002, 00:00
Localisation : France
Contact :

Messagepar Henrique » 05 janv. 2007, 03:45

Sachant que pour Spinoza le présent est nécessaire, peut on dire que l'espoir chez Spinoza réside dans l'avenir ?


L'avenir n'est pas moins nécessaire que le présent ou le passé : voir E1P33. En conséquence, si l'espoir suppose la contingence de ce qui existe ou existera, il suppose toujours une ignorance, liée au désir de ne pas voir le réel tel qu'il est.

En fait, "l'espoir n'est autre chose qu'une joie mal assurée, née de l'image d'une chose future ou passée dont l'arrivée est pour nous incertaine" (E3P18S2). Quand tu espères par exemple obtenir ton diplôme, tu te représentes une joie à venir (et non passée, sinon c'est de la nostalgie ou du contentement), joie consistant dans l'augmentation de ta puissance de vivre actuelle (pouvoir passer le diplôme suivant, obtenir un métier enrichissant, si possible dans les deux sens, matériel et moral). Mais il n'y a espoir que parce que tu ignores si tu obtiendras effectivement ce diplôme. Si tu pouvais être assurée de l'obtenir, par exemple parce que tu aurais acquis une confiance suffisamment ferme dans ta capacité de l'obtenir grâce à ton travail, la maîtrise des connaissances et des méthodes de réflexion que tu as acquises, ce n'est plus d'espoir qu'il s'agit mais de sentiment de sécurité, voire de ce que Spinoza appelle animositas qu'on traduit habituellement par fermeté.

De même, la crainte est l'image incertaine d'une tristesse à venir, et quand elle devient certaine, ce n'est plus de la crainte mais du désespoir.

Quelle est pour Spinoza la place de l'espoir ?


L'espoir est une impuissance du fait même qu'il repose sur une ignorance. L'homme qui ignore la puissance de son intellect espère une récompense pour ses bonnes actions - l'homme libre en revanche trouve sa béatitude dans l'action vertueuse elle-même (E5P42). L'ignorant, soumis à son imagination et par conséquent à ses passions, espère vaincre les difficultés qui l'empêchent de vivre ; l'homme libre accepte les difficultés de l'existence et accepte en même temps son effort natif de les vaincre : il se donne autant qu'il est en lui le moyen de les vaincre sans avoir besoin d'espérer atteindre ce but, car dès lors qu'il exerce sa puissance d'exister dans la lutte, le but est déjà atteint. D'où le fait que la plus haute espérance pour l'homme est de parvenir à l'acquiescement intérieur (à soi et au monde tel qu'il est), car ce n'est au fond qu'espérer ne plus avoir à espérer (E4P52). L'acquiescentia in se ipso, le grand oui à soi, aux autres et au monde, est ainsi le contraire rationnel de l'espoir, ce n'est pas désespoir mais plutôt inespoir, libération à l'égard du besoin d'espérer pour vivre.

Mais pour autant, Spinoza ne condamne pas l'espoir : cette impuissance est un moindre mal si elle sert à éviter un plus grand mal, en l'occurrence, l'impuissance beaucoup plus grande consistant à se laisser gagner par le désespoir et la dépression quand il reste encore des raisons suffisantes d'agir, surtout si cette ignorance conduit à cultiver la haine et la colère contre ce que l'on imagine causer notre désespoir. Par exemple, il vaut mieux qu'un jeune de banlieue, qui ignore tout de la philosophie, ait quelque raison d'espérer obtenir un métier valorisant et une reconnaissance sociale s'il travaille correctement à l'école et s'il se comporte civilement, sans quoi, puisque par hypothèse il ignore la puissance de son intellect, il n'aura aucune raison de se socialiser, de respecter les règles civiles et scolaires et finalement d'agir en vue de son intérêt bien compris (car pour le comprendre, il faut en avoir les moyens culturels). Un jeune qui au contraire serait intellectuellement libéré serait capable de voir que respecter les lois et travailler correctement à l'école est dès à présent un bien pour lui, un enrichissement intérieur. (Voir E4P54S, très clair à ce sujet)

De même, dans le Traité théologico-politique, Spinoza développe l'idée de salut des ignorants : l'homme libre sait que la béatitude éternelle est immédiatement présente en cette vie même, il n'a pas besoin d'espérer en une vie meilleure après la mort pour pratiquer la vertu (se tenir à ses engagements - la fermeté - être généreux, courageux en vue du bien commun etc.) ; l'ignorant - qui ignore sa propre béatitude - a besoin pour pratiquer la vertu de croire qu'il obtiendra pour cela des récompenses dans une autre vie. Encore une fois, cette ignorance est bien une impuissance, ce salut est celui de l'obéissance et non de la liberté vraie, mais si cette impuissance permet, non certes de pratiquer la vertu véritable qui est désintéressée, mais d'éviter de cultiver les passions tristes telles que l'égoïsme, la velléité, la haine, par crainte de perdre l'objet espéré ou d'être puni, c'est déjà assez bien. D'autant plus qu'en pratiquant ainsi, il peut dans certaines conditions en venir à en trouver l'intérêt intrinsèque, voyant que le résultat est secondaire.


A mon sens, l'espoir est essentiel car attendre qqc de l'avenir c'est attendre qqc de la vie, cela illustre que l'on aime la vie. Toutefois l'espoir résultant de la peur de l'avenir, peut il suffire à se rassurer ?


Ce qui précède montre suffisamment que l'espoir ne fait vivre que l'ignorant (celui qui ignore sa propre liberté-béatitude-intelligence), tandis que l'homme libre n'en a pas besoin. Mais encore faudrait-il ajouter effectivement que puisqu'il repose fondamentalement sur une incertitude, l'espoir s'accompagne toujours de la crainte de n'être pas satisfait. "En effet, celui dont le cœur est suspendu à l'espérance et qui doute que l'événement soit d'accord avec ses désirs, celui-là est supposé se représenter certaines choses qui excluent celle qu'il souhaite, et par cet endroit il doit être saisi de tristesse ; par conséquent, au moment où il espère, il doit en même temps craindre. " (E3DP12-13, explication).

J'ajouterai que si on aime la vie, on l'aime telle qu'elle est à présent et telle qu'elle se présentera. L'espoir cache au fond une négation de la vie, un refus de la vie réelle au profit d'une image de la vie telle qu'on se l'imagine désirable. Ce n'est en effet qu'à cause d'une tristesse originelle, qu'il s'agit de tenter de vaincre par une autre passion reposant sur des idées inadéquates, que l'on espère (E4P47), ce qui fait l'impuissance même de celui qui espère tandis que dans l'acquiescement intérieur, on agit d'abord en raison de la joie de comprendre la nature, le monde et soi-même.

Peut on imaginer une vie sans espoir ?


Il faudrait pour voir toute la force d'une vie sans espoir d'abord commencer par laisser un peu moins de place à l'imagination et ainsi une chance à la raison et à l'intellect de s'épanouir.

Dans quelles oeuvres dois jeter un oeil sur la question de l'espoir ?


Dans l'Ethique et le TTP, comme je l'ai indiqué. Il me semble aussi qu'il y a des choses à chercher dans le CT.

Quant à moi, dans l'ignorance où je suis de ta réception de ce post, "Petite Mo", j'espère avoir suffisamment répondu à ton interrogation mais pas trop tout de même pour qu'il puisse y avoir de ta part un minimum de réaction, pas comme la dernière fois où tu avais lancé un sujet sur le suicide et le sens de la vie sans plus rien dire ensuite, notamment à propos de ce qu'avaient pu t'apporter les différentes réponses proposées !

Henrique

Avatar du membre
ndjdeslacs
passe par là...
passe par là...
Messages : 10
Enregistré le : 27 oct. 2006, 00:00
Localisation : Besançon

Messagepar ndjdeslacs » 05 janv. 2007, 10:50

Donc si j'ai bien compris, c'est en se détachant de l'espoir que l'on peut trouver la liberté...et on ne peut pas dire qu'espérer va nous faire avancer...Mais quand on apprécie le présent n'a t-on pas, au fond, l'espoir de prolongement de ce moment ? De plus, ne peut on pas dire que le futur appartient au domaine du possible plutôt qu'à celui de la nécessité ? En effet, je pense que l'on peut encore agir sur ce qui est à venir, dans ce cas, ne peut on pas dire que l'espoir nous fournit la motivation pour agir et chercher à réaliser nos désirs ? Si on ne place pas son espoir sur des choses impossibles, il pourrait être une sorte d'émulation qui nous pousse à agir pour chercher le bonheur...non ? J'ai vraiment du mal à imaginer ma vie sans espoir c'est vrai, surtout que l'on valorise sans cesse ce sentiment et il me semble qu'il est parfois l'agrément d'un présent pas très agréable : on a toujours l'espoir de vivre un jour de meilleurs moments ou de rencontrer de meilleurs gens que ceux qui nous ont déçu. Il me semblait que l'espoir montrait que l'on attendait encore qqc de la vie et que l'on tenait à elle.
Je tiens aussi à m'excuser pour n'avoir pas répondu la dernière fois aux réponses qui m'ont été fournies, elles étaient très intéressantes et m'ont aidé à construire ma réflexion personelle sur le suicide...toutefois c'est vrai qu'en ce qui concerne la philo j'ai encore pas mal de mal à m'exprimer et à suivre le fil d'une réflexion complexe comme celle sensible du sens de la vie. D'ailleurs pour le rattacher à l'espoir, je pense que le suicide c'est l'espoir de "sortie" de ceux qui ont été vaincus par la vie...leur seul espoir de solution en quelque sorte...
Merci beaucoup pour votre réponse, c'est vrai qu'elle est à l'antipode de ce que je pensais de l'espoir mais elle va pour cela me faire réfléchir davantage la question de l'espoir...
petite Mo

Avatar du membre
Henrique
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1184
Enregistré le : 06 juin 2002, 00:00
Localisation : France
Contact :

Messagepar Henrique » 05 janv. 2007, 13:14

ndjdeslacs a écrit :Donc si j'ai bien compris, c'est en se détachant de l'espoir que l'on peut trouver la liberté...


Oui dans la mesure où la liberté politique consiste dans la sécurité (telle que définie ci-dessus) : tu es plus libre dans une société qui te permet d'avoir une sécurité sociale dans l'assurance maladie que dans une société sans tout cela où tu dois te raccrocher à l'espoir insensé de ne jamais tomber gravement malade pour pouvoir y survivre.

Oui aussi dans la mesure où la liberté éthique humaine consiste dans l'aptitude à ne dépendre que de toi-même pour satisfaire ton désir de vivre : dans l'espoir, tu dépends encore de multiples conditions extérieures, puisque précisément la joie à venir que tu imagines est incertaine du fait même que tu n'en es pas la condition unique.

Pour reprendre l'exemple de la maladie, si tu as la chance de vivre dans un Etat social qui garantit la prise en charge des soins nécessaires à ta guérison, cela te donne la liberté politique de moins dépendre de conditions extérieures (puisque la loi politique qui le permet est l'expression de la volonté commune avec ta propre volonté raisonnable). Mais même dans ce cadre tu peux encore, d'un point de vue éthique, rester soumise à la crainte de ne pas guérir malgré les soins et à l'espoir que ceux-ci remplissent bien leur fonction. Ce faisant tu es encore soumise à des moyens extérieurs pour pouvoir connaître une satisfaction à venir et non présente. L'homme ou la femme libre est alors celui ou celle pour qui ce qui compte n'est pas d'abord la guérison à venir mais l'exercice de sa puissance d'exister dans l'acte de prendre ses médicaments comme de "prendre son mal en patience" en voyant en quoi, cela vit en lui, en en jouissant au présent et non dans un avenir que par nature il ne peut vivre.


et on ne peut pas dire qu'espérer va nous faire avancer...


Je pense avoir été plus nuancé avec Spinoza : l'espoir peut justement faire avancer celui qui reste dans l'ignorance de sa puissance de comprendre et d'agir propre en ce qu'il demeure plus positif que des passions plus tristes encore mais vient en effet un moment où l'amoureux de la liberté doit aussi se libérer de cette béquille qu'est l'espoir.

Mais quand on apprécie le présent n'a t-on pas, au fond, l'espoir de prolongement de ce moment ?


Si j'apprécie le fait de discuter avec toi, tout en me disant que bientôt je vais devoir passer à des occupations moins enrichissantes intérieurement, je n'apprécie plus simplement cette discussion que nous avons, je suis affecté de "fluctuation de l'âme", partagé entre la joie de te parler et la tristesse de ne plus pouvoir le faire bientôt, d'où l'espoir de prolonger le moment. Mais c'est bien toujours sur une tristesse que se produit l'espoir.

Si en revanche, je suis libéré de la tristesse dûe à une imagination mal encadrée par l'intelligence, j'apprécie ce moment que nous passons dans la simplicité, beaucoup plus pleinement que si espérant qu'il se prolonge, je ne suis plus tout à fait à notre discussion, prêt à accueillir les autres moments qui suivent et à les vivre aussi intensément intérieurement, quelle que soit leur banalité extérieure.

De plus, ne peut on pas dire que le futur appartient au domaine du possible plutôt qu'à celui de la nécessité ? En effet, je pense que l'on peut encore agir sur ce qui est à venir, dans ce cas, ne peut on pas dire que l'espoir nous fournit la motivation pour agir et chercher à réaliser nos désirs ?


Dire que le futur serait du domaine du possible, c'est supposer qu'au moins deux choses différentes peuvent advenir à partir d'une même situation initiale, d'où viendrait donc cette différence ? Pas de la situation existante, puisque quelle que soit sa complexité, elle est bien une situation et non plusieurs. Alors de quoi ? Du néant, d'où finalement finalement comme par magie telle différence plutôt que telle autre ? Mais le néant n'est rien et n'a donc aucune propriété ou puissance d'aucune sorte. Le futur est donc aussi nécessaire que le présent ou le passé.

L'impression que nous avons que l'avenir est indéterminé vient de ce que nous ne connaissons pas le plus souvent toutes les causes pouvant entrer en ligne de compte dans la production d'un événement à venir. Dans cette ignorance, nous imaginons que plusieurs possibilités peuvent se présenter et effectivement, tant que nous ne connaissons pas tous les tenants d'une situation, nous ne pouvons en déterminer avec précision les aboutissants, nous en sommes alors nécessairement réduits aux conjectures, mais cela ne concerne que notre façon de comprendre ou de ne pas comprendre l'avenir, non sa réalité.

Mais il ne s'agit pas ici de prétendre être omniscient, je ne vois pas plus dans l'avenir que les autres, seulement ce n'est pas pour autant ce qui me rend l'espoir nécessaire. Je ne sais pas plus que toi si je serai encore vivant à la fin de cette nouvelle année. Et alors ? Cela ne m'empêche pas de vivre au présent et de m'en réjouir et donc que je meure ou pas le 31 décembre prochain ne change rien à ma capacité présente de vivre intensément.

Par ailleurs, on ne peut pas plus agir sur l'avenir que sur le passé : toute notre action se fait uniquement dans le présent. C'est là que les choses se passent, vivre dans l'avenir n'est possible que dans l'imagination, ce n'est en fait qu'une façon de ne pas vivre pleinement le présent. La question est est-ce que je me donne les moyens de vivre pleinement ou pas ? Si c'est pleinement, cela passe nécessairement par le présent et conduit donc à se libérer de l'espoir.

Là encore, l'impression de pouvoir agir sur ce qui n'est pas encore révolu comme le passé relève de l'imagination et non d'une compréhension adéquate du réel. Mais cela n'empêche nullement d'orienter notre action dans tel sens plutôt que tel autre, au contraire. Le déterminisme spinoziste n'est pas un fatalisme. Le fataliste oublie que son effort de persévérer dans l'être est une composante de la réalité et qu'elle a donc un rôle à jouer dans son devenir. Ainsi, si je suis malade il n'est pas question de dire "Mekthoub, si Dieu veut que je guérisse, je guérirai même si je fais tout pour l'éviter ; s'il ne le veut pas, quoique je fasse, je ne guérirai pas, donc ne faisons rien !". Car ce qui adviendra en ce qui me concerne dépend aussi bien de moi que d'une infinité d'autres causes. Si je suis libre, je ferai donc en sorte d'aller voir le médecin et le pharmacien pour guérir comme n'importe qui d'autre de sensé, car je connais qu'il est dans ma nature, c'est-à-dire ma nécessité intérieure, de chercher tout ce qui peut seconder ma puissance de persévérer dans l'être, mais c'est bien une nécessité intérieure, et antérieure à l'acte d'aller chez le médecin, une nécessité bien comprise qui me pousse à y aller et non l'image d'une guérison à venir incertaine !


Si on ne place pas son espoir sur des choses impossibles, il pourrait être une sorte d'émulation qui nous pousse à agir pour chercher le bonheur...non ?


Mais qu'est-ce qui te garantit que le bonheur est chose possible tant que tu ne l'as pas vécu comme chose présente ? Si tu l'as vécu comme chose présente, c'est donc le vécu et non l'image à venir qui est déterminante. A partir de là, tu peux t'imaginer que ce bonheur aurait pu ne pas être vécu et penser à différentes causes qui y ont conduit et auraient pu ne pas se produire, ne dépendant pas de toi, sans voir en quoi tu en as été la principale cause, et tu seras conduite à espérer ta vie au lieu de la vivre le plus clair de ton temps, comme beaucoup. Encore une fois, si tu en restes là, c'est déjà mieux que te complaire dans la tristesse et la haine. Mais tu peux aussi chercher ce qui dans ce bonheur ne dépendait que de toi et peut être reproduit à volonté (en l'occurrence la joie de connaître plus que l'attachement à tel ou tel objet particulier de connaissance) et tu pourras chercher le bonheur dès à présent.

J'ai vraiment du mal à imaginer ma vie sans espoir c'est vrai, surtout que l'on valorise sans cesse ce sentiment et il me semble qu'il est parfois l'agrément d'un présent pas très agréable : on a toujours l'espoir de vivre un jour de meilleurs moments ou de rencontrer de meilleurs gens que ceux qui nous ont déçu. Il me semblait que l'espoir montrait que l'on attendait encore qqc de la vie et que l'on tenait à elle.


Il est clair que nous vivons dans une société qui valorise plus que jamais le désir, mais de façon plus inadéquate que jamais : c'est toujours ce que je n'ai pas encore, ce que je ne suis pas encore qui est valorisé. C'est la logique même d'une société qui est essentiellement structurée autour de la consommation comme principale fin, et non simple moyen, de l'existence.

Les publicités et les films hollywoodiens nous abreuvent en permanence de cette idéologie. Il y a cependant certains films, même américains ;-) qui sortent de cette logique. On parle en ce moment sur le forum des livres qu'on pourrait qualifier de spinozistes, on pourrait parler aussi de certains films. J'ai vu il y a deux jours Monster avec Charlize Theron, c'est tout à fait la démonstration implacable que les petites phrases comme "l'espoir fait vivre", "l'amour finit toujours par l'emporter", "la foi déplace les montagnes", "donnes et tu recevras" sont complètement fausses si on les interprète dans l'optique d'une valorisation de l'espoir.

Le problème avec l'espoir, c'est que ça ne marche pas souvent comme on l'avait espéré et qu'à force de construire sa vie sur l'espoir au lieu de la construire au présent, on finit par s'épuiser à tenter de vivre ailleurs qu'ici et maintenant. A force d'espoirs déçus, on finit par risquer de tomber dans la dépression. Si au contraire tu n'attends rien de l'avenir et que tu accueilles chaque jour nouveau tel qu'il est, quoique tu aies effectivement fait en raison de ta nécessité intérieure, tu ne peux plus être déçue.

L'homme libre n'attend rien de la vie, il ne pose pas de condition pour l'aimer telle qu'elle est. Dès lors, il n'y a pas attachement non plus à la vie, il y a libre amour de la vie, c'est très différent.

Je tiens aussi à m'excuser pour n'avoir pas répondu la dernière fois aux réponses qui m'ont été fournies, elles étaient très intéressantes et m'ont aidé à construire ma réflexion personelle sur le suicide...toutefois c'est vrai qu'en ce qui concerne la philo j'ai encore pas mal de mal à m'exprimer et à suivre le fil d'une réflexion complexe comme celle sensible du sens de la vie.


Ce n'est pas grave, et peu importe si tu ne t'exprimes pas forcément d'une façon assez philosophique (ce qui n'est pas le cas) ou que sais-je : comme le dit ailleurs Louisa avec raison, ce qui compte avant tout est le désir de comprendre, le reste n'est que conséquence, et l'intérêt de notre échange y tient tout entier.

D'ailleurs pour le rattacher à l'espoir, je pense que le suicide c'est l'espoir de "sortie" de ceux qui ont été vaincus par la vie...leur seul espoir de solution en quelque sorte...


Oui, c'est bien encore une façon de désirer, puisque l'espoir est une forme de désir et ainsi la possibilité du suicide ne prouve pas du tout que l'essence de l'homme ne soit pas de persévérer dans son être. Mais c'est une façon particulièrement inadéquate de désirer, qui dans le cas du suicide, montre bien l'aspect au fond morbide de l'espoir, qui n'est pas une façon adéquate de vivre.

Merci beaucoup pour votre réponse, c'est vrai qu'elle est à l'antipode de ce que je pensais de l'espoir mais elle va pour cela me faire réfléchir davantage la question de l'espoir...


Heureux d'avoir pu t'amener à "penser autrement", ce qui est déjà une façon d'augmenter ta puissance de penser et ainsi de vivre. N'hésites pas à me tutoyer, mais si tu préfères on se vouvoit :-)

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 05 janv. 2007, 17:15

Salut Petite Mo,

merci beaucoup de ces questions! Ensemble avec les réponses de Henrique, elles m'ont permis de réfléchir à certaines choses auxquelles je n'avais pas encore pensé si explicitement auparavant. Voici donc que je t'écris un peu à mon tour ce que la conversation entre toi et Henrique a évoqué pour moi.

En fait, en te lisant, je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir quasiment sans cesse l'impression que dans un certain sens ce que tu dis est très juste.
Car effectivement, il est un fait qu'aussi longtemps qu'on espère trouver encore un peu de bien dans la vie, ne fût-ce qu'un jour très loin dans l'avenir, ou aussi longtemps que l'on arrive à se convaincre d'y croire (ou à se laisser convaincre par un ami, voire un psy), on dispose d'une arme bien efficace contre tout désespoir et donc contre le suicide (arme peut-être même la plus efficace de tout; je connais pe quelqu'un qui a arrêté ses tentatives récurrentes de suicide le jour où elle a appris qu'il existait un livre qui explique en détail comment se suicider avec la garantie que l'on y réussit, et sans trop souffrir, livre qu'elle pouvait aller chercher à la bibliothèque en face de son appartement dès qu'elle le voulait. Comment expliquer autrement que cette idée-là l'a 'sauvé', si ce n'est qu'en constatant combien l'espoir peut faire vivre (ici l'espoir de pouvoir vraiment décider elle-même de quitter la vie quand elle ne la supportait plus)? Elle n'a pas décidé de ne plus jamais essayer de se tuer quand elle a appris cette possibilité, elle savait tout simplement qu'à partir de ce moment-là, elle n'était plus obligée de souffrir des choses totalement insupportables, elle pourrait agir si nécessaire. Et alors il se fait que depuis lors, elle n'a plus jamais essayer de se suicider. Et entre-temps, des années après, ses circonstances de vie se sont tellement améliorées que la question ne se pose même plus, pour elle.)

Donc oui, je suis totalement d'accord avec toi: l'espoir est très important dans la vie humaine. D'ailleurs, a priori Spinoza ne dit pas autre chose: l'Espoir est classifié parmi les Joies, c'est-à-dire parmi les affects qui font AUGMENTER notre puissance. Dès lors, comment comprendre qu'il semble tout de même y avoir un petit problème avec ce sentiment d'espoir?

Pour ce genre de questions, une proposition de Spinoza me revient toujours à l'esprit, proposition qui, quand on y pense, peut déjà en elle-même déclencher une grande Joie. Il s'agit de l'Ethique, 2e partie prop. 33: "Il n'y a rien dans les idées de positif à cause de quoi on les dit fausses.", proposition à laquelle on peut ajouter la 2.35: "La fausseté consiste dans une privation de connaissance" et la 2.32: "Toutes les idées, en tant qu'elles se rapportent à Dieu, sont vraies".

Qu'est-ce que cela signifie? Si on a déjà lu d'autres passages de l'Ethique, on commence à le comprendre, car un tas d'autres propositions renforcent la même idée de base: "le Corps existe tel que nous le sentons", pe. Et Spinoza ne cesse de dire qu'il n'écrit rien d'autre que ce que, quelque part, nous sentons déjà tous, que nous savons déjà tous d'expérience. Même les images (les affections de notre Corps par des choses extérieures) et les idées que notre Esprit forme immédiatement/spontanément d'elles (c'est cela ce que Spinoza appelle les 'imaginations') ne sont pas du tout fausses, pour Spinoza. Plus même, il appelle ces idées des 'connaissances' (c'est le fameux 1e genre de connaissance).

Conclusion: l'Espoir est une Joie, il est un affect lié à une image, il ne peut donc pas être faux. Il est une connaissance, dans le vrai sens du mot. C'est bien ce que nous sentons tous déjà, et celui que la vie a tellement affligé (ne fût-ce que même purement psychologiquement et non matériellement) qu'elle lui devient insupportable et qu'il commence à craindre qu'il aille se suicider, le sait mieux que tous: l'espoir fait vivre. Ou, dans les termes de Spinoza: l'espoir augmente notre puissance d'agir. Nous l'avons toujours su, Spinoza confirme.

Mais, comme l'a déjà souligné de manière excellente Henrique, Spinoza y ajoute encore quelque chose, dans la définition de l'Espoir: il est une Joie INCONSTANTE ('inconstans', en latin). C'est cela qui rend les choses un peu plus embêtant.
On a beau se sentir mieux quand on a de l'espoir, il y a inévitablement toujours aussi un doute, car on n'est pas certain que ce qu'on espère va réellement se produire. On peut même un instant surtout penser à cette ignorance du futur (ignorance inévitable, bien sûr), et alors on accentuera tout ce que nous savons et qui pourra plutôt faire que l'événement espéré ne va pas se produire. Là, on va avoir tendance à craindre l'avenir. Or la Crainte est une Tristesse, donc diminue notre puissance d'agir. D'où l'inconstance de l'espoir: cela fonctionne un temps, mais comme ce n'est pas une certitude, cela reste tout de même aussi source de peur.

A mon avis, Spinoza n'a donc rien, en tant que tel, contre l'Espoir, aussi longtemps que c'est le côté 'Joie' qui domine. Mais comme il y a aussi un côté 'Crainte', et si on pense aux prop. 2.32-35, je crois qu'il faut en conclure (mais à toi d'aller vérifier dans le texte, bien sûr, et de nous dire ce que tu en penses toi-même, si tu crois qu'on a bien compris Spinoza ou non etc, dans le cas où la question t'intéresse) je crois donc qu'il faut en conclure que pour Spinoza, l'Espoir c'est très bien, mais il y a mieux.
Et le 'mieux', chez lui, cela ne consiste jamais à aller à l'encontre de ce que l'on sent spontanément, cela ne consiste jamais à se dire que tout ce qu'on s'imagine doit donc être abandonné, rejeté, car serait irremédiablement faux. Non, il le dit clairement: il n'y a rien de FAUX dans nos sentiments spontanés, au contraire, ce sont des savoirs importants, des 'connaissances'. Des choses qu'il faut donc utiliser, au lieu de les jeter ou de les mépriser.

Si donc Spinoza prétend avoir trouvé un remède aux affects, celui-ci consiste avant tout à AJOUTER quelque chose à ce que nous savons déjà. C'est pour ça que la raison s'appelle chez lui le 'deuxième genre de connaissance' (le premier étant notre savoir spontané, ce qu'il appelle nos 'imaginations', nos 'opinions'). Et c'est pour ça que la Liberté est même encore un pas en plus, le troisième genre de connaissance. Pour y arriver, il faut pas du tout rejeter tout ce qui l'a précédé (le 1e et 2e genre), au contraire, c'est là-dessus qu'il faut construire tout le reste. L'espoir pe, c'est la base, le fondement. Spinoza ne conseille pas d'essayer une vie sans espoir, il conseille, comme l'a bien cité Henrique, d'orienter son espoir vers des choses qui valent vraiment la peine, et qui permettent en même temps de diminuer le côté 'crainte' maximalement, tellement même qu'à un certain moment on ne peut plus parler d'espoir, car on a acquis la certitude. On a acquis une Joie constante, et non plus inconstante. Là, ce que dit Henrique me semble très bien trouvé: Spinoza conseille de passer de l'espoir non pas au désespoir ou à l'indifférence totale, non, il conseille de passer à ce qu'on pourrait appeler 'l'inespoir', inespoir qui contient tout ce que l'Espoir a de plus positif, et plus rien de ce qu'il a de moins intéressant.

Donc pour arriver à ce 3e genre de connaissance (la 'Liberté'), il ne faut pas se dire qu'il faut arrêter d'espérer parce que ce serait 'mauvais' (pas de moralisations chez Spinoza!!). Il ne faut même pas commencer à haïr le fait que les êtres humains ont de l'imagination. Au contraire, si tu te promènes un peu dans la 5e partie de l'Ethique, tu verras qu'il conseille toujours d'utiliser l'imagination, seulement ce ne sera plus l'imagination dite 'simple' (celle du 1e genre), mais il s'agira d'apprendre tout un 'art de l'imagination', pour l'aider à mieux fonctionner, à mieux être appliqué à l'augmentation de notre puissance, pour mieux créer des Joies.

Donc pour arriver à la Liberté, il faut principalement AJOUTER d'autres connaissances, d'autres idées à celle de l'Espoir. Il faut ENRICHIR cet Affect, en cherchant à comprendre notamment ce qui semble être absolument certain, quand on y pense. Là aussi, chacun l'a déjà ressenti lui-même: le fait de constater qu'on a compris quelque chose nous remplit déjà avec une petite Joie. Voilà donc déjà une Joie EN PLUS, par rapport à l'Espoir. Le but, c'est de finalement comprendre tellement de choses qu'on arrive à un genre de sentiment de base maximalement impregné de Joie. Sentir de l'Espoir, c'est donc déjà un excellent début. Commencer à espérer de pouvoir atteindre le 3e genre de connaissance, c'est déjà un grand surplus, au niveau de la Joie et donc de l'augmentation de ta puissance.
Et comme ça, progressivement, on ne peut qu'évoluer vers un accès réel à cette Liberté que Spinoza appelle 'Salut' ou Béatitude'. Mais ce n'est jamais en rejetant quoi que ce soit (de soi-même, des autres, du monde). C'est au contraire ce que Henrique appelle 'le grand oui'. C'est en y ajoutant de nouvelles idées, et cela tout simplement en te basant sur ta propre puissance d'agir et de penser, qui en tant que telle suffit, selon Spinoza, toujours largement pour pouvoir y arriver, ou plutôt, pour pouvoir 'se mettre en route'. Et ici aussi, c'est le chemin qui compte, pas la destination. Car il faut de toute façon commencer par le premier genre de connaissance, puis passer par le 2e, pour arriver au 3e. Seulement, si le but final, c'est d'augmenter la Joie, alors le but est déjà atteint à chaque pas que l'on avance dans la compréhension. Pas nécessaire de se faire souffrir d'abord des années pour enfin, après tant de privations, comme 'récompense', trouver un peu de paix dans l'âme. Avancer, chez Spinoza, cela commence ici et maintenant, et juste en mettant simplement en pratique notre désir de comprendre, on augmente déjà la Joie. C'est tout ce qu'il faut, selon lui ... .

Mais bon, j'espère ne pas avoir rendu les choses plus confuses en ajoutant ceci à ce que Henrique a déjà écrit ... ? En tout cas, si tu as l'impression que ce n'est pas très clair, n'hésite pas à poser d'autres questions ou à aller voir chez Spinoza pour vérifier ce qu'on en dit (et de nous proposer d'autres interprétations si cela te semble être plus correcte), ou tout simplement à nous faire part de tes réflexions, si ceci suscite par hasard des réflexions supplémentaires.
Si en revanche tu n'en trouves pas le temps ou l'envie: pas de problème, merci déjà pour cette intervention intéressante!
Cordialement,
Louisa

Avatar du membre
Henrique
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1184
Enregistré le : 06 juin 2002, 00:00
Localisation : France
Contact :

Messagepar Henrique » 06 janv. 2007, 03:03

Je pense être plus contrasté que toi Louisa sur cette question de l'espoir même si je suis d'accord avec toi sur le fond, à savoir que l'espoir n'est pas rien et que l'acquiescement intérieur n'est par rapport à lui qu'un plus, mais quel plus !

Certes l'imagination peut être bonne, mais si elle est encadrée par l'intellect, autrement, c'est bien elle qui conduit aux passions tristes. Et il faut bien voir que dans le scolie 2, d'E2P40, les genres de "connaissance" sont rapportés à la question de la formation des notions universelles : l'imagination forme des notions universelles comme "l'homme" par un processus d'abstraction qui fait que Spinoza parle de connaissance, au sens non de savoir, voire de science, mais comme simple pensée générale, susceptible de servir de principe d'organisation d'autres pensées, mais c'est inadéquat. Aussi l'espoir qui en est issu est certes meilleur que la tristesse pure ou la haine (de soi, des autres, de la vie...) mais il reste par l'idée de contingence et d'incertitude de la conduite qu'il implique une tristesse à la base : c'est s'efforcer d'opposer la joie comme à venir à la tristesse présente (imaginée comme présente ou comme à venir, mais vécue dès à présent), c'est au mieux une fluctuation de l'âme.

Par conséquent, je ne dirais pas que l'espoir, c'est très bien, c'est seulement ce qui motive à vivre parce qu'on ne connaît rien d'autre mais l'incertitude qu'il enveloppe ne peut être un bien en soi, du fait que le bien c'est ce que nous savons avec certitude nous être utile. D'ailleurs, il me semble que ton amie s'est justement libérée de l'espoir le jour où elle a appris qu'il existait un livre indiquant comment se suicider sans douleur : auparavant, elle pouvait toujours espérer, avec ses tentatives, rencontrer "l'inespéré", quelque chose qui transformerait radicalement son existence à la suite de son geste, précisément parce que sa mort était incertaine, mais avec l'idée que ce livre lui apportait une mort certaine, il n'y a plus eu de place pour la crainte ou l'espoir. Il n'y a donc pas eu, au moyen de l'existence de ce livre "l'espoir de pouvoir vraiment décider elle-même de quitter la vie quand elle ne la supportait plus" mais au contraire une certitude qui justement l'a libérée de ce désir morbide de rencontrer l'inespéré à force de déceptions de ses espoirs.

Héraclite disait paraît-il selon une traduction assez courante "si tu n'espères pas, tu ne rencontreras pas l'inespéré". L'inespéré, c'est une bonne surprise, plus que ce qu'on attendait. Supposons que ma femme est enceinte, alors si je n'espère pas avoir un enfant mâle en bonne santé, par exemple, je ne rencontrerai pas l'inespéré qui serait quoi ? Une fille en mauvaise santé ? Au contraire, j'ai beaucoup plus de chance de rencontrer l'inespéré si je n'attends rien de particulier : garçon ou fille, le jour venu sera une joie inespérée, justement parce qu'il n'y avait pas eu d'attente particulière quand c'était encore à venir. Une autre traduction est encore plus absurde "si tu n'espères pas l'inespéré, tu ne le rencontreras pas" : comment espérer l'inespéré ? Par définition si je l'espère, cela ne pourra plus être inespéré et justement, c'est en cessant d'espérer que l'inespéré se présente. Qui n'a pas vécu plusieurs fois au moins dans sa jeunesse ces moments X qu'on espérait des semaines, voire des mois, et qui le jour venu nous décevaient parce que nous avions imaginé tant de couleurs, d'intensité, de ceci et de cela que le jour enfin venu, on était déçus ? Si au contraire, on n'a pas pensé particulièrement à ce moment tant qu'il n'était pas présent, on peut en jouir simplement - sans fluctuation - le jour venu s'il y a de bonnes raisons pour cela.

A développer plus tard : certes l'espoir motive pour vivre, mais c'est une motivation d'esclave...

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 06 janv. 2007, 05:13

Salut Henrique,

tu étais effectivement plus contrasté que moi. Seulement, comme on était d'accord sur le fond, j'avais envie d'y ajouter une autre manière de voir la même chose qui n'accentuait pas forcément le contraste mais qui se contentait de formuler cette autre façon de voir en tant que tel, tout en reprenant les points communs.
Ceci étant dit, je ne suis pas certaine du tout que mon interprétation soit mieux justifiée que la tienne, donc si tu as envie de thématiser un instant ce contraste, cela m'intéresse.

En tout cas, il est clair qu'il y ait des choses dans ce que tu as écrit qui ne sont pas compatibles avec ce que moi-même j'ai écrit. Tu les a bien repérées: il s'agit d'une part du statut de l'imagination et du premier genre de connaissance, et d'autre part de l'Affect primitif dominant dans l'Espoir. Je reprends quelques-uns de tes énoncés, et j'essayerai de motiver mon interprétation.

Henrique a écrit :Certes l'imagination peut être bonne, mais si elle est encadrée par l'intellect, autrement, c'est bien elle qui conduit aux passions tristes.


je ne vois pas trop en quoi l'imagination mènerait davantage aux passions tristes qu'aux passions joyeuses. Est-ce que Spinoza ne dit pas que la Joie est elle-même une passion (définition dans le scolie de 3.11)? Et est-ce que la majorité des Affects ne sont pas suscités par des images et leurs idées (voir la 3.14 et tout ce qui suit)?
En général, je me demande dans quelle mesure on a pas trop tendance à penser à l'imagination telle que l'on utilise ce mot aujourd'hui, et alors c'est la faculté qui nous trompe par excellence, celle qui nous plonge dans les illusions, etc. Mais chez Spinoza, l'imagination n'est pas du tout définie par l'une ou l'autre irréalité. Sa définition est plus proche de l'usage que faisait la scolastique de ce terme, il me semble, et alors il s'agit tout simplement d'une faculté de l'Esprit qui fait le relais entre les affections sensibles du Corps et le contenu sur lequel travaille la Raison. L'imagination, dans ce sens, n'est rien d'autre que la faculté qui permet de se représenter une chose extérieure comme étant présente à notre Corps. Et comme Spinoza le souligne: l'imagination en tant que telle n'est jamais dans le faux. Elle est source du faux, mais cela, c'est déjà autre chose.
Car le faux, pour Spinoza, c'est la privation de quelque chose. Mais cela, on ne le voit que du point de vue du 2e genre de connaissance. Certes, l'image peut être confuse. Elle peut être aussi non claire: car quand nous avons une image, donc quand notre Corps est affecté par un corps extérieur, alors l'idée de cette image enveloppe d'office aussi bien la nature du Corps extérieur que du nôtre, ce qui ne permet pas d'avoir une idée claire de l'une ou de l'autre. Mais on ne peut pas dire qu'elle est fausse non plus. Car comme le dit le scolie de 2.40, elle peut être distincte, tandis que l'idée fausse est aussi bien confuse que mutilée. L'idée de l'image n'est donc ni vraie, ni fausse. Autrement dit, comme il le dit ailleurs, quand nous imaginons, nous ne nous trompons pas.

Il y a également une phrase dans la démo de la 5.7 qui me donne l'impression qu'imagination et raison sont intimement liées, mais peut-être que tu ne seras pas d'accord avec cette interprétation.

5.7d:
"Or un affect qui naît de la raison se rapporte nécessairement aux propriétés communes des choses, lesquelles nous contemplons toujours comme présentes (car il ne peut rien y avoir qui exclue leur existence présente) et imaginons toujours de la même manière."

J'en conclus: il est de la nature de la raison de se rapporter aux propriétés communes. Or ces propriétés communes, nous les contemplons toujours commes présentes. Mais contempler quelque chose comme présente, c'est précisément ce qui définit la tâche de l'imagination. Donc: quand la raison exerce sa fonction, elle a besoin de l'imagination, ou en tout cas elle ne peut pas le faire sans elle. En plus, l'imagination les imagine toujours de la même manière. Et c'est par cela même que l'affect reste toujours le même. La constance d'un affect qui naît de la raison, ne faut-il dès lors pas dire qu'il la doit à l'imagination?

Sinon comment conçois tu une raison qui 'encadre' l'imagination? En quoi consisterait pour toi cet encadrement?

Henrique a écrit :Et il faut bien voir que dans le scolie 2, d'E2P40, les genres de "connaissance" sont rapportés à la question de la formation des notions universelles : l'imagination forme des notions universelles comme "l'homme" par un processus d'abstraction qui fait que Spinoza parle de connaissance, au sens non de savoir, voire de science, mais comme simple pensée générale, susceptible de servir de principe d'organisation d'autres pensées, mais c'est inadéquat.


mais est-ce que là il ne s'agit pas, justement, d'une imagination qui n'arrive plus à fonctionner comme il faut? Car comme Spinoza l'y dit, le Corps humain est tout à fait capable de former en soi des images distinctes. Ce n'est seulement qu'à partir d'un certain nombre d'images qu'il devrait former à la fois que l'Esprit forme des notions universelles, vu que les images commencent à se confondre. En tout cas, moi-même j'avais plutôt compris ce passage comme indiquant non pas le propre de l'imagination, mais ses limites, comme indiquant donc dans quelles circonstances l'imagination ne peut plus fonctionner normalement.
Enfin, il explique ces notions universelles également d'une deuxième manière: de ce que les images non pas toujours la même vigueur ('vigeant'). Mais tout cela dit quelque chose par rapport à quand la 'force d'imaginer' est dépassée.
Et justement, ce sont les mêmes notions qui reviendront dans la 5e partie, quand il s'agit de se servir de l'imagination pour ressentir l'Amour vers Dieu. Déjà, cet Affect se caractérise par le fait de s'imaginer un maximum de gens qui l'éprouvent également. Donc sans imagination, pas d'Amour vers Dieu possible. Qui plus est, on a même besoin d'une imagination qui fonctionne optimalement, de telle sorte qu'elle puisse former un nombre le plus grand possible de gens différents.
C'est pourquoi j'ai l'impression que dans la 5e partie, on n'a pas besoin de moins d'imagination pour se libérer des affects tristes, mais de PLUS d'imagination, dans le sens où les images doivent devenir plus distinctes et plus vives ('distinctius et magis vivè'). Bref, Spinoza y reprend exactement les mêmes caractères qui en 2.40 faisaient défaut quand on travaille avec des notions universelles: la distinction et la vigueur (et non pas la distinction et la clarté, qui définissent l'idée vraie). Seulement, quand on a des notions universelles, celles-ci sont minimales, tandis que quand on a l'Amour envers Dieu, celles-ci sont maximales.

D'où donc mon impression que Spinoza ne dévalorise pas du tout l'imagination, mais seulement un certain usage d'elle, c'est-à-dire cet usage qui ne la complète pas par un travail de la Raison, ou cet usage qui fait qu'elle représente comme présent au Corps des corps extérieurs peu utiles à l'augmentation de notre puissance (tandis que si le contenu de ce qui est imaginé, ce n'est pas n'importe quel corps passant mais ce qui correspond à un Amour envers Dieu, c'est par l'imagination elle-même que nous arrivons à sentir cet Amour, et c'est donc notamment à cause d'elle que nous sommes Joyeux).

Henrique a écrit : Aussi l'espoir qui en est issu est certes meilleur que la tristesse pure ou la haine (de soi, des autres, de la vie...) mais il reste par l'idée de contingence et d'incertitude de la conduite qu'il implique une tristesse à la base : c'est s'efforcer d'opposer la joie comme à venir à la tristesse présente (imaginée comme présente ou comme à venir, mais vécue dès à présent), c'est au mieux une fluctuation de l'âme.


si tu conçois l'Espoir comme étant à la base une Tristesse, comment expliquerais-tu que Spinoza la définit par une Joie? Joie inconstante, certes, mais Joie tout de même?

Henrique a écrit :Par conséquent, je ne dirais pas que l'espoir, c'est très bien, c'est seulement ce qui motive à vivre parce qu'on ne connaît rien d'autre mais l'incertitude qu'il enveloppe ne peut être un bien en soi, du fait que le bien c'est ce que nous savons avec certitude nous être utile. D'ailleurs, il me semble que ton amie s'est justement libérée de l'espoir le jour où elle a appris qu'il existait un livre indiquant comment se suicider sans douleur : auparavant, elle pouvait toujours espérer, avec ses tentatives, rencontrer "l'inespéré", quelque chose qui transformerait radicalement son existence à la suite de son geste, précisément parce que sa mort était incertaine, mais avec l'idée que ce livre lui apportait une mort certaine, il n'y a plus eu de place pour la crainte ou l'espoir.


Elle a appris l'existence de ce livre dans l'hôpital, après une prise de médicaments qui devrait la tuer, mais son ami l'avait trouvé plus tôt que prévu, et on a pu enlever une partie des médicaments, ce qui fait qu'elle a survécu. Or je ne l'ai jamais vu aussi désespérée et dégoûtée de la vie qu'à l'hôpital. Là, elle n'avait vraiment plus aucun Espoir. Son dernier Espoir, celui de pouvoir s'ôter la vie, donc le droit de ne pas souffrir insupportablement et sans fin, elle venait de le perdre. Probablement, elle aurait eu recours à un moyen tout de même très violent mais certaine, si par hasard elle n'avait pas découvert l'existence de ce livre, sur son lit d'hôpital. Avant, ce qui était certain, c'était l'insupportable souffrance qu'était sa vie pour elle. Plus d'Espoir donc. Or à partir du moment où elle sait l'existence de ce livre, une alternative surgit. A partir de ce moment-là, il suffit qu'elle tient le coup jusqu'au soir, pe. Et rien ne garantit qu'elle n'aurait peut-être pas éprouvé un tout petit plaisir pendant la journée, qui la ferait juste survivre au lendemain. Si après deux trois jours, plus aucun plaisir, même pas le plus petit, se présentait, alors elle pouvait se tuer.
Ici, elle pouvait donc à nouveau prendre le risque de vivre, non pas parce qu'elle avait la certitude de pouvoir souffrir moins, mais parce que ce livre changeait la donne. Car ce qui est hyperdifficile, après une tentative non réussie, c'est de continuer à vivre. La honte et le sentiment de culpabilité, par rapport à ta famille etc, sont maximales à ce moment-là, encore plus grandes que juste avant de se tuer. Le dégoût de soi est donc maximal aussi. Puis, si ce n'est pas la première fois, on sait qu'après quelques jours, on va de nouveau prendre goût, un tout petit peu, à la vie. On va peut-être feuilleter dans un livre qui nous plaît, repenser à l'un ou l'autre bon moment du passé, oublier une fraction d'une seconde la douleur. Mais cela, pour autant que je l'ai compris, c'est ressenti comme un genre de 'trahison' à soi-même: on sait que l'on n'est pas fait pour la vie, on trouve que l'on devrait avoir le courage d'en finir, on sait que cela demande des semaines de préparation pour l'avoir, ce courage. Mais si on a bien réfléchi à tout, et si on trouve que tout indique qu'il faut le faire, alors il ne faut plus se laisser distraire par de petits plaisirs, qui ne récompensent pas du tout les grandes souffrances. La grande misère, en se réveillant à l'hôpital, c'est donc que l'on va être obligé de sentir à nouveau ces petits plaisirs, qui vont affaiblir un peu la volonté de se tuer, et qui donc, sur le long terme, ne peuvent que aboutir à la situation où tout redevient insupportable. On sait donc avec certitude que ce sera la même misère. Quand on se réveille, on n'a plus aucun espoir. Même plus celui de pouvoir se tuer.
Cela, cette situation de désespoir total et absolu, est radicalement changé à partir du moment où l'on sait qu'il existe un moyen simple, pas cher, pas douloureux, facile à obtenir, pour se tuer. Plus besoin de mois de préparation (acheter des pillules en grande quantité demande pas mal de temps, pour certains gens). Plus besoin du courage pour chaque jour à nouveau, en attendant, souffrir. Bref, à partir de ce moment-là, on a enfin à nouveau le choix. Cela, c'est bien sûr une certitude. Mais l'Espoir ne se caractérise pas par l'absence de toute certitude. Il se caractérise par l'une ou l'autre incertitude. Et il se caractérise par rapport au Désespoir par la présence d'au moins une incertitude. Ici, quand elle passe du Désespoir à l'Espoir, elle passe à une situation sans incertitude à une situation comportant au moins une incertitude en plus: si je sais que je ne dois plus attendre à nouveau des mois avant de pouvoir arrêter la vie, est-ce qu'il ne pourrait pas se produire par hasard quelque chose qui me la rend tout de même un tout petit peu supportable? Ce pari, l'idée de ce pari ne devenait supportable que quand elle savait avec certitude qu'elle pouvait arrêter. Sinon, ce n'était pas supportable, mais cela renforçait simplement le sentiment de lâcheté. Donc il s'agit bien d'une certitude qui ouvrait à une incertitude, incertitude qu'avant, elle n'avait pas.

Henrique a écrit :Il n'y a donc pas eu, au moyen de l'existence de ce livre "l'espoir de pouvoir vraiment décider elle-même de quitter la vie quand elle ne la supportait plus" mais au contraire une certitude qui justement l'a libérée de ce désir morbide de rencontrer l'inespéré à force de déceptions de ses espoirs.


je ne suis pas certaine d'avoir bien compris ce que tu veux dire ici (et chez Héraclite) par l'inespéré, donc je vais relire ce passage. En attendant: oui, tu as certainement raison, dans cette phrase-là, si on prend l'espoir dans le sens spinoziste, il s'agit d'une certitude, donc éventuellement d'une Joie, mais pas d'un Espoir. J'aurais dû la formuler autrement, car l'incertitude que cette certitude créait se trouvait ailleurs, dans le fait de pouvoir espérer sans trop de 'frais' que peut-être par hasard, elle se trompe en jugeant sa vie un grand enfer sans issue possible, donc dans le fait de pouvoir se risquer pendant quelques jours (et à chaque jour ne s'ajoute qu'un seul jour à la fois) à vivre, sans devoir se sentir trop coupable si on constate un petit plaisir banal et passager.

Henrique a écrit :
Qui n'a pas vécu plusieurs fois au moins dans sa jeunesse ces moments X qu'on espérait des semaines, voire des mois, et qui le jour venu nous décevaient parce que nous avions imaginé tant de couleurs, d'intensité, de ceci et de cela que le jour enfin venu, on était déçus ? Si au contraire, on n'a pas pensé particulièrement à ce moment tant qu'il n'était pas présent, on peut en jouir simplement - sans fluctuation - le jour venu s'il y a de bonnes raisons pour cela.


oui, c'est effectivement une expérience que l'on a tous vécu. Mais l'inverse me semble être tout aussi courant. Prenons le cas où un ami que l'on ne voit pas fréquemment (qui habite pe en Afrique) va nous rendre visite. S'il n'annonce pas sa visite à l'avance, je partirai de l'idée que, habitant en Afrique, je ne le reverrai pas bientôt. Je ne penserai donc pas trop à lui, et surtout je n'espérerai pas de le revoir bientôt. Si alors il se trouve un beau matin devant ma porte, je serais autant surprise que joyeuse. Si par contre il annonce son arrivée deux semaines à l'avance, il est certain que je vais déjà commencer à m'imaginer son séjour, à me demander s'il a changé, si on va encore arriver à s'amuser autant qu'avant. J'aurai l'occasion de m'imaginer mille fois par jour le moment de l'accueillir devant ma porte, etc. Et souvent, le fait de se réjouir déjà pendant deux semaines avant son arrivée, rend la visite beaucoup plus riche, beaucoup plus joyeuse, dans mon expérience, que quand c'était une visite à l'improviste, et cela aussi bien avant l'arrivée qu'après.
Autrement dit, comme l'Espoir contient une incertitude, j'ai l'impression que tu as pris l'exemple où l'incertitude se change en une déception. Cela arrive effectivement. Mais par rapport à l'alternative que tu présentes, espérer et être déçu ou ne rien espérer du tout, il me semble que la situation où l'on sait cultiver son Espoir (en anticipant une déception, pe, et en se disant que si ce n'est pas ce que l'on espère, au moins on aura essayer de se rencontrer, ce qui est en soi quelque chose dont on peu longtemps à l'avance déjà se réjouir, etc), et où il se fait qu'il n'y a pas de déception (ce qui arrive tout de même fréquemment aussi; souvent on sous-estime même un bonheur à venir, on le pressent seulement vaguement) est une situation qui rend beaucoup plus joyeuse que si l'on n'avait rien espéré du tout.
S'il y a un problème avec l'Espoir, j'ai donc l'impression que celui-ci chez Spinoza ne se trouve pas dans le fait que l'incertitude peut tourner à la déception, car l'incertitude peut aussi tourner au plus grand bonheur. Le problème se situe dans l'inconstance qui caractérise ce sentiment. Et cette inconstance vient du fait que l'Espoir ne vient jamais seul, mais nous affecte toujours en alternance avec la Crainte. C'est bien cela, et non pas l'ignorance en tant que telle, qui crée à mon avis la fluctuatio animi. L'Espoir n'est pas une fluctuatio animi en tant que telle, il est une Joie. Mais très vite on éprouve par rapport au même objet/événement un autre Affect, la Crainte, puis le moment après on est de nouveau affecté par la Joie, et ainsi de suite.

Henrique a écrit :A développer plus tard : certes l'espoir motive pour vivre, mais c'est une motivation d'esclave...


oui, là-dessus nous sommes de nouveau tout à fait d'accord: l'Espoir est une passion, et non pas une action. Et qui dit passion, dit absence de Liberté. Ce qui pose pour moi problème dans ton interprétation, c'est que tu sembles identifier absence de Liberté et Tristesse. Or la Joie est également une passion, et le Désir aussi. Pourtant, la Joie augmente la puissance d'agir, tout ce à quoi aspire notre essence. A mon avis, on peut donc être non libre, pour Spinoza, tout en étant Joyeux. Ce qui confirmerait cette hypothèse, c'est qu'il ne parle pas de la Liberté avant la 2e partie de la 5e partie de l'Ethique, tandis qu'entre-temps, tous les remèdes aux affects ont déjà passé le revue.
Une question donc peut-être, pour terminer: si on trouve un remède aux affects (à l'affect x pe), est-ce que cela nous donne déjà de la Liberté? Ou est-ce que la Liberté ne consiste qu'en le 3e genre de connaissance? En tout cas, avoir une idée adéquate signifie agir. Et le 2e genre est déjà capable d'avoir des idées adéquates. Peut-on dès lors identifier action et Liberté, ou est-ce que ce sont tout de même encore deux choses différentes? Et si on est déjà libre en effectuant le 2e genre de connaissance, à quoi bon d'y ajouter un troisième? Enfin bon, je ME pose ces questions et donc je les mentionne ici, sans plus. Que Petite Mo n'en conclus surtout pas que par ceci on passe à un 'niveau' de conversation où elle ne pourrait plus intervenir ... !
Merci de tes remarques et bonne nuit,
Louisa

Avatar du membre
Henrique
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1184
Enregistré le : 06 juin 2002, 00:00
Localisation : France
Contact :

Messagepar Henrique » 06 janv. 2007, 14:51

Chère Louisa, je ne vais pas avoir le temps pour le moment de te répondre en détail. Je te dirai simplement que si j'ai signalé que j'avais une position plus contrastée sur l'espoir (mais non opposée), c'est par souci de clarté vis-à-vis de nos lecteurs qui ne connaissent pas forcément Spinoza de très près. Tu disais explicitement en quoi nous étions d'accord mais pas clairement où tu ne l'étais pas avec moi, d'où le risque pour certains de nos lecteurs d'une certaine confusion dans la compréhension de Spinoza même. Ne crains donc pas de dire aussi en quoi tu as une interprétation différente sur tel ou tel point.

Ensuite, je dirai que toute l'oeuvre de Spinoza repose sur l'idée qu'en laissant gouverner l'imagination, comme nous le faisons le plus souvent sans même nous en rendre compte, nous aboutissons à des connaissances mutilées qui donnent lieu à la vie que vivent les hommes ordinairement et qui n'est pas satisfaisante en termes de joie vraie et durable, sans quoi Spinoza n'aurait pas écrit le TRE, notamment son préambule, ni une Ethique.

D'où l'idée pour quelqu'un comme Spinoza dans le Traité de la Réforme, que les objets suprêmes de l'imagination, qui par nature se porte sur ce qui est absent et plus particulièrement à venir, sont toujours vains (la sensualité, la gloire, les richesses). D'où également la nécessité d'une emendatio, d'une purification de l'intellect, qui connaît clairement et distinctement par lui-même, mais qui mêlé avec l'imagination, ses abstractions et les passions qu'elle engendre, finit par ne plus penser qu'obscurément et confusément et ainsi s'épuise à survaloriser des biens qui n'ont qu'une utilité relative et passagère.

Quant au fait de dire que l'espoir est une tristesse à la base, puisqu'il s'accompagne toujours de crainte, il est toujours au fond une tristesse comme Spinoza l'indique après E3DP13. Considère de quelle façon naît l'espoir, ce qui n'est pas forcément directement l'objet de Spinoza dans son Ethique : si je me réjouis à l'image d'une vie de délice après ma mort, c'est d'abord parce que l'image d'une vie qui se termine par le cadavre m'a effrayée et que l'espoir paraît - mais paraît seulement - représenter un moyen de contrecarrer cette passion triste. Le fait que l'espoir s'accompagne de crainte signifie que ce n'est pas seulement après mais aussi pendant que j'espère que je crains et donc que je suis triste. Et d'autant plus je crains, d'autant plus j'espère et inversement (on pourrait en effet tout aussi bien dire que toute crainte est en même temps un espoir à la base). Si j'espère fortement, comme je le disais, avoir un garçon plutôt qu'une fille, c'est que l'image de ne pas avoir de garçon me paraît triste, je m'y sens beaucoup moins puissant qu'avec.

Par ailleurs,

En E4P47, Spinoza a écrit :
PROPOSITION XLVII

Les passions de l'espérance et de la crainte ne peuvent jamais être bonnes par elles-mêmes.

Démonstration : L'espérance et la crainte sont des passions inséparables de la tristesse. Car, d'abord, la crainte est une sorte de tristesse (par la Déf : 13 des pass.), et l'espérance (voyez l'Expl. des Déf. 12 et 13 des pass.) est toujours accompagnée de crainte ; d'où il suit (par la Propos. 41, part. 4) que ces passions ne peuvent jamais être bonnes par elles-mêmes, mais seulement en tant qu'elles sont capables d'empêcher les excès de la joie (par la Propos. 43, part. 4). C. Q. F. D.

Scholie : Joignez à cela que ces passions marquent un défaut de connaissance et l'impuissance de l'âme ; et c'est pourquoi la sécurité, le désespoir, le contentement et le remords sont aussi des signes d'impuissance. Car bien que la sécurité et le contentement soient des passions nées de la joie, elles supposent une tristesse antérieure, savoir, celle qui accompagne toujours l'espérance et la crainte. De là vient que plus nous faisons effort pour vivre sous la conduite de la raison, plus aussi nous diminuons notre dépendance à l'égard de l'espérance et de la crainte, plus nous arrivons à commander à la fortune, et à diriger nos actions suivant une ligne régulière et raisonnable.



Quant aux questions que tu poses à la fin sur la liberté, je te propose de rester autant que possible dans le sujet en ce qui concerne ce fil. Si nous commençons à traiter de chaque question connexe, plus ou moins directement liée à celle qui a été abordée au départ, nous perdons le fil justement. Mieux vaut créer un nouveau sujet et indiquer éventuellement le lien dans l'ancien sujet.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 06 janv. 2007, 15:15

Salut Henrique,

un petit PS par rapport à ce que tu écrivais:

Henrique a écrit :Il n'y a donc pas eu, au moyen de l'existence de ce livre "l'espoir de pouvoir vraiment décider elle-même de quitter la vie quand elle ne la supportait plus" mais au contraire une certitude qui justement l'a libérée de ce désir morbide de rencontrer l'inespéré à force de déceptions de ses espoirs.


donc comme déjà dit, ma phrase était effectivement mal formulée.
Mais entre-temps j'ai l'impression que la façon dont tu y réponds résume peut-être assez bien le problème que j'ai avec ton interprétation (tout en étant d'accord sur le fond, bien sûr).

C'est que tu parles de 'désir morbide'. Mais cela, c'est une expression qui pour moi est impensable dans un spinozisme. Le désir, c'est notre essence même, c'est notre puissance d'agir, chez Spinoza. Et tout mort vient du dehors, car il ne peut y avoir dans une seule chose l'affirmation d'elle-même et sa contradiction. C'est cela qui me donne l'impression que le spinozisme est effectivement, comme tu le dis, un 'grand oui'. Mais c'est précisément pour cela qui j'ai plus de difficultés à te suivre quand tu parles de désir morbide, ou quand tu sembles tout de même t'opposer à l'imagination.

Tu dis que pour toi, le premier genre de connaissance n'est pas un savoir ou une science, mais où est-ce que Spinoza ferait-il la distinction entre d'une part connaissance, et d'autre part savoir ou science? (Comme déjà dit, pour l'instant je n'ai lu que l'Ethique, donc c'est là que j'ai l'impression qu'il ne parle pas de science ou savoir, mais seulement de connaissance, et alors c'est précisément le fait d'être de différentes genres d'une seule et même chose, la connaissance, qui caractérise imagination, raison et salut.)
C'est qu'ici la position de Spinoza me fait un peu penser au Platon du Ménon. Là aussi, mutatis mutandis, Platon appelle aussi bien l'opinion que la science des 'savoirs'. Ils peuvent chez lui même être tout à fait vrais (mais vrai dans le sens où si on les applique, on arrive là où l'on veut arriver: la ville de Larisse). La distinction entre les deux passe donc ailleurs, et on n'y a pas du tout l'impression qu'il veut s'opposer à l'opinion. Seulement, il y a mieux, et c'est ce qu'il appelle la science, c'est-à-dire la philosophie. La philosophie dépasse l'opinion, en proposant un savoir beaucoup plus solide et inébranlable, mais elle ne la rejette pas, elle peut même reconnaître qu'elle peut être tout aussi vrai, chez Platon.
On sait que chez Spinoza, dans le premier genre de connaissance se trouve l'imagination, l'opinion, la connaissance par les signes et par l'ouï-dire. Comme déjà dit, le fait même qu'il l'appelle, au même titre que les deux autres connaissances, avant tout 'connaissances' signifie pour moi qu'il est difficile de dire que pour lui, il ne s'agit pas d'un savoir, dans le sens ordinaire du terme (donc pas dans le sens contemporain de 'science' ou scientifique). Sinon il me semble qu'effectivement, les opinions ne sont pas scientifiques, mais elles sont tout de même déjà un savoir, tout comme le fait d'entendre de quelqu'un que le roi est mort est un savoir. C'est un savoir incomplet chez Spinoza, privé d'un tas de choses, ce qui fait que ses idées sont effectivement inadéquates, au sens spinoziste. Et c'est un savoir pas très solide, facilement ébranlable par le fait d'entendre d'une autre personne dire que non, le roi vit toujours, chez Platon. Mais pour l'instant, j'avais donc l'impression que le grand dénoncement de l'opinion, il n'est survenu qu'avec le XIXe et le positivisme (et peut-être que le fait que c'est également le moment dans l'histoire où les démocraties occidentales naissent et que les 'opinions' des gens commencent à avoir une influence politique n'y était pas pour rien non plus, dans ce dénoncement).
Aujourd'hui, on oppose science et opinion quasiment comme on oppose science et croyance ou religion. Cela implique souvent déjà que seule la science détienne un savoir valide, et que tout le reste doit être combattu. Je sais bien que Spinoza a été un des premiers à 'démasquer' radicalement la Bible, mais d'autre part, il ne semble pas être contre la religion en tant que telle, au contraire même.
Donc bon, voilà quelques raisons supplémentaires (à part celles déjà mentionnée dans mon message précédent) pour lesquelles il me semble difficile de dire que pour Spinoza, l'imagination serait en même temps une connaissance et non pas un savoir. Mais peut-être qu'il y a certaines choses chez lui avec lesquelles je ne tiens pas assez compte en ayant cette impression?
Louisa

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 06 janv. 2007, 15:18

Cher Henrique,
voici qu'après avoir envoyé mon message précédent, je constate que tu viens de répondre à celui de hier. Comme je dois partir, je ne peux pas le lire pour l'instant, donc je voulais juste préciser que mon dernier message n'est PAS une réponse à ton dernier message, vu que les deux se sont croisés.
Merci déjà pour tes réflexions supplémentaires et à bientôt,
Louisa


Retourner vers « Questions de philosophie »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 17 invités