Existence de Dieu

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.

Spinoza a-t-il prouvé valablement l'existence de Dieu ?

Oui, ses arguments sont parfaitement valides
14
58%
Non, ses arguments ne sont pas vraiment convaincants
6
25%
Non, ses arguments ne sont pas valides
4
17%
 
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bardamu
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Messagepar bardamu » 21 nov. 2003, 22:39

zerioughfe a écrit :Salut Bardamu,


Peux-tu "formaliser" de manière concise une démonstration de l'existence de Dieu (en indiquant précisément les principes dont tu pars) ? Parce que si on rajoute de nouveaux principes à chaque critique, toute réfutation devient impossible...

Salut,
tu as l'air de penser que la philosophie de Spinoza est religieuse. Avant d'aller plus loin, tu as lu "Spinoza et athéisme" par Henrique ?

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zerioughfe
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Messagepar zerioughfe » 22 nov. 2003, 15:16

Salut,

YvesMichaud a écrit :Pardon, mais la théologie thomiste ne prétend pas que «tout a une cause». Cette histoire de cause de soi, c'est Descartes qui l'a imaginée, dans ses Méditations métaphysiques. Elle serait absurde dans le thomisme. Le thomisme ne prétend pas qu'un être doit immanquablement avoir une cause, comme si «avoir une cause» pouvait se déduire du concept d'être. Il ne croit pas davantage au principe de raison suffisante, qui a été inventé par Leibniz.

Dont acte. Il est vrai que je ne connais pas grand chose au thomisme...

bardamu a écrit :tu as l'air de penser que la philosophie de Spinoza est religieuse. Avant d'aller plus loin, tu as lu "Spinoza et athéisme" par Henrique ?

Non, je n'ai pas lu cet article en détail. Je vais le faire, mais d'abord rassure-toi : j'ai bien lu l'Ethique :wink: ! Le Dieu de Spinoza n'est effectivement ni celui de Descartes, ni celui des chrétiens... Spinoza ne cesse, dans sa correspondance, de se défendre d'être athée d'une part, et de rejeter la croyance "superstitieuse" en un Dieu transcendant d'autre part. Pour lui, Dieu est la nature elle-même, en tant qu'elle est absolument infinie (donc, en particulier, en tant qu'elle est une chose pensante d'un entendement infini), et il est parfaitement vain de prier ou d'espérer le salut dans une autre vie. Par exemple (je cite de mémoire l'une des dernières propositions de l'Ethique) : "Le salut n'est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même".

Mais tu as raison sur un point : dans mon précédent texte, je n'ai tenu aucun compte de la différence entre le Dieu de Descartes et celui de Spinoza. La raison en est toute simple : que Dieu soit en dehors de la nature (Descartes) ou la nature elle-même en tant qu'elle est chose pensante (Spinoza), il n'est soumis à rien qui lui soit extérieur. Mon argument sur le principe de raison suffisante est donc valable dans les deux cas.

Synthèse de mon point de vue au sujet des preuves de Spino :

Il est évident que l'exemple du bidule à lui tout seul ne réfute que la preuve ontologique "stricte". Il ne réfute pas la deuxième démonstration fondée sur le principe que "tout ce qui n'est pas empêché d'exister existe".

Il réfute en effet la preuve ontologique, car il montre que l'essence d'une chose ne peut pas, à elle seule, impliquer son l'existence.

Je ne peux pas imaginer une pomme rouge comme inexistante : quand j'imagine une pomme, je l'imagine forcément comme existante, même si je sais qu'elle n'existe pas (c'est d'ailleurs la définition de l'imagination que donne Spinoza), mais je peux la concevoir comme inexistante, c'est-à-dire former le concept de "pomme rouge qui n'existe pas".
De même je peux, dans un premier temps, concevoir le bidule comme inexistant : je n'ai qu'à former le concept de "bidule inexistant". Mais ce concept est contradictoire, puisque le bidule est un "cheval ailé existant". Par conséquent, je ne peux pas concevoir de "bidule inexistant" sans contradiction. Mais je peux parfaitement concevoir que "le bidule" n'existe pas. Autrement dit, la propriété d'existence qui est à l'intérieur du concept ne contredit pas l'inexistence de l'objet lui-même.
Pour Dieu, c'est un peu la même chose. Je peux former le concept de "Dieu inexistant", mais il sera contradictoire, si l'on considère que la propriété de perfection implique celle d'existence. Cependant, de la même façon que l'exemple du bidule ne prouve pas l'existence d'un cheval ailé, l'argument ontologique ne prouve pas l'existence de Dieu.

Il y a toutefois une différence notable entre Dieu et le bidule : le bidule doit être soumis à des lois extérieures, alors que tel n'est pas le cas de Dieu. Cependant, même si Dieu n'est soumis à aucune loi extérieure, cela ne prouve qu'il existe que si le principe de raison suffisante est vrai absolument, c'est-à-dire non seulement d'un point de vue scientifique (à l'intérieur d'un système de lois et d'une nature préexistante), mais aussi d'un point de vue purement métaphysique.

J'espère m'exprimer clairement ; en tout cas je m'en veux d'être si long. Mais je ne suis pas étonné que des génies tels que Spinoza et Descartes aient pu croire à ces "démonstrations". Je pourrais donner de nombreux exemples de sophismes qui, s'ils ne conduisaient à des contradictions évidentes dans leurs conclusions, seraient sans doute impossibles à démasquer.

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Messagepar sescho » 22 nov. 2003, 18:47

8O Quelques extraits pour alimenter la reflexion :

Lettre 12 à Louis Meyer :

« Je veux toutefois noter en passant que les nouveaux péripatéticiens ont mal compris, à mon avis, la démonstration que donnaient les anciens disciples d’Aristote de l’existence de Dieu. La voici, en effet, telle que je la trouve dans un juif nommé Rab Ghasdaj : Si l’on suppose un progrès de causes à l’infini, toutes les choses qui existent seront des choses causées. Or nulle chose causée n’existe nécessairement par la force de sa nature. Il n’y a donc dans la nature aucun être à l’essence duquel il appartienne d’exister nécessairement. Mais cette conséquence est absurde. Donc le principe l’est aussi. - On voit que la force de cet argument n’est pas dans l’impossibilité d’un infini actuel ou d’un progrès de causes à l’infini. Elle consiste dans l’absurdité qu’il y a à supposer que les choses qui n’existent pas nécessairement de leur nature ne soient pas déterminées à l’existence par un être qui de sa nature existe nécessairement. »

TTP, Chap. VI : « L’existence de Dieu n’étant pas évidente d’elle-même »

Note marginale associée :

« Nous doutons de l’existence de Dieu, et par conséquent de toutes choses, tant que nous n’avons qu’une idée confuse de Dieu, au lieu d’une idée claire et distincte. De même, en effet, que celui qui ne connaît pas bien la nature du triangle ne sait pas que la somme de ses angles égale deux droits, de même quiconque ne conçoit la nature divine que d’une manière confuse ne voit pas qu’exister appartient à la nature de Dieu. Or, pour concevoir la nature de Dieu d’une manière claire et distincte, il est nécessaire de se rendre attentif à un certain nombre de notions très-simples qu’on appelle notions communes, et d’enchaîner par leur secours les conceptions que nous nous formons des attributs de la nature divine. C’est alors que, pour la première fois, il nous devient évident que Dieu existe nécessairement, qu’il est partout, que tout ce que nous concevons enveloppe la nature de Dieu et est conçu par elle ; enfin que toutes nos idées adéquates sont vraies. On peut consulter sur ce point les Prolégomènes du livre qui a pour titre : Principes de la Philosophie de Descartes exposés selon l’ordre des géomètres. »

Je rappelle en outre ici des extraits fournis auparavant :

LETTRE 4 à OLDENBURG :

« En ce qui touche la première, je conviens qu’en effet de la définition d’une chose quelconque on ne peut inférer l’existence de la chose définie ; cela n’est légitime (comme je l’ai démontré dans le Scholie que j’ai joint aux trois propositions) que pour la définition ou l’idée d’un attribut, c’est-à-dire, suivant ce que j’ai clairement expliqué en définissant Dieu, pour une chose qui est conçue par soi et en soi. Si je ne me trompe, j’ai aussi, dans ce même Scholie, assez clairement expliqué, surtout pour un philosophe, la raison de cette différence. Je suppose, en effet, qu’on n’ignore pas la différence qui existe entre une fiction de l’esprit et un concept clair et distinct, non plus que la vérité de cet axiome : que toute définition ou toute idée claire et distincte est vraie. »

LETTRE 10 à SIMON DE VRIES :

« [...] l’expérience n’est requise que pour les choses dont la définition n’emporte pas l’existence, par exemple, pour les modes, l’existence d’un mode ne résultant jamais de sa seule définition ; mais l’expérience est inutile pour les êtres en qui l’existence ne diffère pas de l’essence et dont la définition par conséquent implique l’existence réelle. L’expérience n’a rien à voir ici ; elle ne nous donne pas les essences des choses ; le plus qu’elle puisse faire, c’est de déterminer notre âme à penser exclusivement à telle ou telle essence déterminée. Or l’existence des attributs ne différant pas de leur essence, il s’ensuit qu’aucune expérience n’est capable d’y atteindre. [...] »

LETTRE 21 à BLYENBERGH :

« [...] si la nature de Dieu nous est connue, l’affirmation de l’existence de Dieu suit de notre nature avec tout autant de nécessité qu’il suit de la nature d’un triangle que la somme de ses angles égale deux droits [...] »
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Messagepar sescho » 22 nov. 2003, 22:03

J’ai essayé, sans prétention (d’autant qu’il faudrait bien peser chaque terme, ce que je n’ai pas approfondi), de structurer un peu – puisque l’on parle de Logique – ce que je voyais de façon à peu près claire :

Remarque 1 : Une définition fait appel à des mots qui eux-mêmes appellent une définition, et ainsi de suite à l’infini. Par ailleurs, les mots ne sont que des articulations sonores ou des graphismes qui n’ont aucun sens en eux-mêmes. Dans ce seul cadre, une définition ne peut donc pas avoir le moindre sens, et il serait donc pour le moins difficile d’en faire la base de la rigueur sémantique…

En fait, le sens vient toujours de l’intuition, et ce sens est affirmé par le degré de clarté (vérité) de l’intuition, jusqu’au niveau supérieur de l’ « idée claire et distincte ». Quand on cherche la vérité, on ne peut donc commencer par mépriser le sens, autrement dit la qualité des idées que l’on manie – elle-même perçue intuitivement –, et mettre en parallèle une idée claire et distincte et n’importe quelle construction imaginaire.

Remarque 2 : Une démonstration nécessite – outre des mots, déjà cités – la Logique, d’une part, et des prémisses (cohérentes) d’autre part. De la même façon, une construction purement démonstrative demanderait à ce que les prémisses soient elles-mêmes démontrées, et ainsi de suite à l’infini. Elle est donc, dans ce seul cadre, impossible. Seules des idées claires et distinctes, intuitives, peuvent servir de base à un tel édifice.

Remarque 3 : La Logique elle-même est un ensemble d’opérations très simples dont la vérité est elle-aussi intuitivement perçue, et qui donc ne se démontrent pas. On peut voir une démonstration en vérité (selon la Logique) sans voir sa conclusion – quoique « juste » – en vérité.

Globalement : le sens vient exclusivement de l’intuition et la vérité de la qualité de clarté, elle-même intuitivement perçue, de l’idée. Ce que permettent les mots, définitions et démonstrations c’est d’orienter le regard intérieur.

Remarque 4 : Je ne vois pas ce qui interdit a priori qu’une essence enveloppe l’existence. Mais pour que ce soit le cas, il n’y a qu’une solution : l’essence en question est l’existence même : l’Être. Elle inclut nécessairement tout ce qui existe, en tant qu’existant.

Remarque 5 : Spinoza considère que l’existence de Dieu n’est pas évidente d’elle-même. Il ne saurait donc poser l’existence de Dieu dans sa définition (à l’encontre de quoi, il y aurait par ailleurs pétition de principe, puisqu’il prétend la démontrer.) S’il ne pose pas l’existence avec Dieu, c’est qu’il la pose avec autre chose : la certitude qu’il y a quelque chose et non pas rien, qui est universellement admise, et que l’on peut légitimement supposer venir de la perception (au travers des sensations) des choses singulières (comme le dit Shankara dans son commentaire de la Baghavad Gîta, il y a « connaissance d’existence »).

Remarque 6 : Je nie fermement qu’on puisse avoir une idée claire et distincte du lien entre Matière et Pensée, la neurobiologie – qui appartient à la Pensée – étant intégralement dévolue à l’étude de la Matière. Il n’y a en particulier aucune idée claire et distincte que le cerveau est le siège des pensées (et c’est pourquoi les anciens, lorsqu’il voulaient lui donner un siège, la plaçaient souvent ailleurs) ; c’est une connaissance « rapportée ».

Axiome 1 : J’existe (affirmation du sujet ; sous-entendu : en tant que pensant).

Axiome 2 : Il existe des choses singulières en dehors de moi (affirmation des objets).

Axiome 3 : Je et ces choses existons suivant les mêmes dimensions de l’Être (affirmation de la communauté d’Être entre le sujet et les objets).

Axiome 4 : Je conçois les choses soit par elles-mêmes, soit par autre chose.

Définition 1 : J’appelle « mode » une chose conçue par une autre chose.

Définition 2 : J’appelle « substance » une chose conçue par elle-même.

Remarque 7 : J’admets comme démontré qu’il ne peut y avoir qu’une seule substance (puisque ce n’est pas précisément le sujet).

Développement :

Je conçois les choses _existantes_ comme étant des modes d’une substance. En effet, je conçois les corps comme étant les formes dans une dimension de l’Être que j’appelle « Matière » ou « Étendue » et que je conçois par elle-même. Je conçois aussi une idée comme appartenant à une autre dimension de l’Être que j’appelle « Esprit » ou « Pensée » et que je conçois aussi par elle-même.

Ces choses étant existantes, ces dimensions de l’Être existent nécessairement.

Toutefois, comme il ne peut y avoir qu’une seule substance, je déduis que ces deux dimensions de l’Être se rapportent à une seule, qui est donc à la fois Étendue / Matière et Pensée / Esprit, lesquels sont ses Attributs, ou plus exactement ce que mon esprit limité peut percevoir clairement de l'essence de la Substance. (Note : d’où encore la logique du « parallélisme » des Attributs Étendue et Pensée, qui pose qu’une même chose existe dans la Substance simultanément suivant chacune des dimensions de l’Être).

Cette Substance existe donc nécessairement.

Le fait que moi, sujet, n’en suis qu’un mode, limite a priori mes capacités à percevoir la nature de la Substance unique dans sa totalité. J’extrapole donc en disant que les limites que je vois sont en fait les limites de « mon » esprit et que je ne peux inversement limiter a priori la Substance en quoi que ce soit. J’affirme donc a contrario a priori de la Substance unique une infinité de dimensions de l’Être, ou Attributs, bien que n’en percevant que deux.

J’opère un simple changement de nom pour la Substance, maintenant que j’ai montré qu’elle est unique et que j’ai posé qu’elle a une infinité d’Attributs : je l’appelle « Dieu ».

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Messagepar zerioughfe » 22 nov. 2003, 23:36

Salut sescho,

J'ai le pressentiment que nous n'allons pas tarder à tourner en rond. Mais apparemment ce n'est pas encore le cas. :D

sescho a écrit :« Je veux toutefois noter en passant que les nouveaux péripatéticiens ont mal compris, à mon avis, la démonstration que donnaient les anciens disciples d’Aristote de l’existence de Dieu. La voici, en effet, telle que je la trouve dans un juif nommé Rab Ghasdaj : Si l’on suppose un progrès de causes à l’infini, toutes les choses qui existent seront des choses causées. Or nulle chose causée n’existe nécessairement par la force de sa nature. Il n’y a donc dans la nature aucun être à l’essence duquel il appartienne d’exister nécessairement. Mais cette conséquence est absurde. Donc le principe l’est aussi. - On voit que la force de cet argument n’est pas dans l’impossibilité d’un infini actuel ou d’un progrès de causes à l’infini. Elle consiste dans l’absurdité qu’il y a à supposer que les choses qui n’existent pas nécessairement de leur nature ne soient pas déterminées à l’existence par un être qui de sa nature existe nécessairement. »

Voilà qui ne prouve rien, puisqu'il n'y a pas moins d'absurdité à croire qu'une définition (peu importe comment on l'appelle) puisse impliquer une existence physique. Nul ne peut répondre à la question : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?", sauf à considérer que l'essence de Dieu soit la même chose que son existence, ce qui me paraît une aberration (mais j'y reviendrai) non moins grande que les autres réponses possibles. D'ailleurs toutes les preuves de l'existence de Dieu se ramènent à la preuve cosmologique, puisqu'elles prétendent toutes passer d'un concept à une existence. Je renvoie au texte "Dieu" d'André Comte-Sponville (in Présentations de la philosophie) : "Je ne connais guère de philosophes contemporains qui s'intéressent à ces preuves pour des raisons autres qu'historiques", "Que cette preuve cosmologique ne prouve rien, c'est assez clair : nous serions autrement tous croyants, ce que l'expérience suffit à démentir, ou idiots, ce qu'elle ne suffit pas à attester."


« Nous doutons de l’existence de Dieu, et par conséquent de toutes choses, tant que nous n’avons qu’une idée confuse de Dieu, au lieu d’une idée claire et distincte. De même, en effet, que celui qui ne connaît pas bien la nature du triangle ne sait pas que la somme de ses angles égale deux droits, de même quiconque ne conçoit la nature divine que d’une manière confuse ne voit pas qu’exister appartient à la nature de Dieu. Or, pour concevoir la nature de Dieu d’une manière claire et distincte, il est nécessaire de se rendre attentif à un certain nombre de notions très-simples qu’on appelle notions communes, et d’enchaîner par leur secours les conceptions que nous nous formons des attributs de la nature divine. C’est alors que, pour la première fois, il nous devient évident que Dieu existe nécessairement, qu’il est partout, que tout ce que nous concevons enveloppe la nature de Dieu et est conçu par elle ; enfin que toutes nos idées adéquates sont vraies. On peut consulter sur ce point les Prolégomènes du livre qui a pour titre : Principes de la Philosophie de Descartes exposés selon l’ordre des géomètres. »

Ce paragraphe ne contient aucun argument mais seulement un commentaire. Je me contente de faire une précision importante :

Si la vallée appartient à la nature de la montagne (ou si la somme des angles d'un triangles est égale à deux angles droits) cela ne vient que du principe d'identité. La montagne est une bosse, et une bosse par définition est une différence de hauteur, et une différence de hauteur par définition implique qu'il existe des points plus bas que d'autres. L'affirmation : "la montagne suppose la vallée" n'est pas fondamentalement différente de l'affirmation : "la montagne suppose la montagne". Ce n'est que le principe d'identité apppliqué à la nature de la chose. Toute la logique est fondée là-dessus.
Donc l'exemple du triangle, ou celui de la montagne, ne sont qu'une formulation indirecte du principe d'identité.
"Dieu est parfait.
La propriété de perfection contient la propriété d'existence.
Donc par définition, Dieu est un être existant."

Oui, et alors ? On ne fait, au fond, qu'appliquer le principe d'identité. J'attends toujours qu'on me montre l'existence de Dieu à partir de cela.

« En ce qui touche la première, je conviens qu’en effet de la définition d’une chose quelconque on ne peut inférer l’existence de la chose définie ; cela n’est légitime (comme je l’ai démontré dans le Scholie que j’ai joint aux trois propositions) que pour la définition ou l’idée d’un attribut, c’est-à-dire, suivant ce que j’ai clairement expliqué en définissant Dieu, pour une chose qui est conçue par soi et en soi. Si je ne me trompe, j’ai aussi, dans ce même Scholie, assez clairement expliqué, surtout pour un philosophe, la raison de cette différence. Je suppose, en effet, qu’on n’ignore pas la différence qui existe entre une fiction de l’esprit et un concept clair et distinct, non plus que la vérité de cet axiome : que toute définition ou toute idée claire et distincte est vraie. »

Idée claire et distincte, soit. J'ai une idée claire et distincte de la somme des angles d'un triangle, comme j'ai une idée claire et distincte du fait que A=A, et du fait que Dieu est par nature existant. Mais en quoi cela prouve-t-il l'existence de Dieu ?

« [...] l’expérience n’est requise que pour les choses dont la définition n’emporte pas l’existence, par exemple, pour les modes, l’existence d’un mode ne résultant jamais de sa seule définition ; mais l’expérience est inutile pour les êtres en qui l’existence ne diffère pas de l’essence et dont la définition par conséquent implique l’existence réelle. L’expérience n’a rien à voir ici ; elle ne nous donne pas les essences des choses ; le plus qu’elle puisse faire, c’est de déterminer notre âme à penser exclusivement à telle ou telle essence déterminée. Or l’existence des attributs ne différant pas de leur essence, il s’ensuit qu’aucune expérience n’est capable d’y atteindre. [...] »

Spinoza postule que l'existence de Dieu ne diffère pas de son essence, alors forcément... On me répondra que Spinoza a défini la substance ainsi, et que c'est son droit. Mais alors il s'agit à nouveau d'une pétition de principe, comme je l'ai suffisamment expliqué.

« [...] si la nature de Dieu nous est connue, l’affirmation de l’existence de Dieu suit de notre nature avec tout autant de nécessité qu’il suit de la nature d’un triangle que la somme de ses angles égale deux droits [...] »

Absurde, mais je ne vais pas réexpliquer pourquoi... De plus Spinoza ne démontre pas que de la nature de Dieu suit son existence, mais l'affirme.

Remarque 1 : Une définition fait appel à des mots qui eux-mêmes appellent une définition, et ainsi de suite à l’infini. Par ailleurs, les mots ne sont que des articulations sonores ou des graphismes qui n’ont aucun sens en eux-mêmes. Dans ce seul cadre, une définition ne peut donc pas avoir le moindre sens, et il serait donc pour le moins difficile d’en faire la base de la rigueur sémantique…

En fait, le sens vient toujours de l’intuition, et ce sens est affirmé par le degré de clarté (vérité) de l’intuition, jusqu’au niveau supérieur de l’ « idée claire et distincte ». Quand on cherche la vérité, on ne peut donc commencer par mépriser le sens, autrement dit la qualité des idées que l’on manie – elle-même perçue intuitivement –, et mettre en parallèle une idée claire et distincte et n’importe quelle construction imaginaire.

On ne peut discourir qu'avec des mots, et imaginer qu'avec des images, ou des sons... La pensée pure n'existe pas. Mais qu'est-ce que cela vient faire là-dedans ? Il reste impossible d'articuler une démonstration de l'existence de Dieu qui ne parte que de principes évidents (c'est-à-dire qui n'utilise pas le principe de raison suffisante pour des choses qui ne sont pas à l'intérieur de la nature, et qui ne suppose pas a priori que l'essence de Dieu démontre son existence, mais le démontre).

Remarque 2 : Une démonstration nécessite – outre des mots, déjà cités – la Logique, d’une part, et des prémisses (cohérentes) d’autre part. De la même façon, une construction purement démonstrative demanderait à ce que les prémisses soient elles-mêmes démontrées, et ainsi de suite à l’infini. Elle est donc, dans ce seul cadre, impossible. Seules des idées claires et distinctes, intuitives, peuvent servir de base à un tel édifice.

Entièrement d'accord, et c'est bien le problème.

Remarque 3 : La Logique elle-même est un ensemble d’opérations très simples dont la vérité est elle-aussi intuitivement perçue, et qui donc ne se démontrent pas. On peut voir une démonstration en vérité (selon la Logique) sans voir sa conclusion – quoique « juste » – en vérité.
Globalement : le sens vient exclusivement de l’intuition et la vérité de la qualité de clarté, elle-même intuitivement perçue, de l’idée. Ce que permettent les mots, définitions et démonstrations c’est d’orienter le regard intérieur.

Comme je l'ai dit plus haut, la logique n'est que le développement avec des mots du principe d'identité. Ce principe montre que A=A, pas que Dieu existe.

Remarque 4 : Je ne vois pas ce qui interdit a priori qu’une essence enveloppe l’existence. Mais pour que ce soit le cas, il n’y a qu’une solution : l’essence en question est l’existence même : l’Être. Elle inclut nécessairement tout ce qui existe, en tant qu’existant.

Je récuse cette histoire selon laquelle une essence (donc un concept) peut envelopper l'existence, mais j'admets que je ne suis pas vraiment certain de cette impossibilité. Néanmoins, rien ne prouve que ce soit seulement possible (donc la preuve ontologique s'écroule), et, même si c'était le cas, on n'aurait montré qu'une chose, à savoir que quelque chose existe (ce que je ne nie pas !). Affirmer que cette chose est Dieu, c'est un tout autre problème.

Remarque 5 : Spinoza considère que l’existence de Dieu n’est pas évidente d’elle-même.

...mais il soutient que ses preuves sont valides, ce qui contredit l'avis de tout le monde (ou presque :wink: ) aujourd'hui.

Il ne saurait donc poser l’existence de Dieu dans sa définition (à l’encontre de quoi, il y aurait par ailleurs pétition de principe, puisqu’il prétend la démontrer.) S’il ne pose pas l’existence avec Dieu, c’est qu’il la pose avec autre chose : la certitude qu’il y a quelque chose et non pas rien, qui est universellement admise, et que l’on peut légitimement supposer venir de la perception (au travers des sensations) des choses singulières (comme le dit Shankara dans son commentaire de la Baghavad Gîta, il y a « connaissance d’existence »).

Que quelque chose existe, je ne pense pas qu'on puisse le démontrer, puisque toute démonstration le suppose. On ne peut que le constater. Mais ce n'est pas un problème, puisque je suis d'accord pour dire que quelque chose existe. Seulement, Spinoza utilise l'argument ontologique pour montrer que cette chose est un dieu.

Remarque 6 : Je nie fermement qu’on puisse avoir une idée claire et distincte du lien entre Matière et Pensée, la neurobiologie – qui appartient à la Pensée – étant intégralement dévolue à l’étude de la Matière. Il n’y a en particulier aucune idée claire et distincte que le cerveau est le siège des pensées (et c’est pourquoi les anciens, lorsqu’il voulaient lui donner un siège, la plaçaient souvent ailleurs) ; c’est une connaissance « rapportée ».

Je suis d'accord avec le début, mais quand tu dis que le cerveau n'est pas le siège de la pensée, je comprends mieux pourquoi tu crois aux preuves de Spinoza...

Au sujet de tes axiomes et de tes déductions :

J’extrapole donc en disant que les limites que je vois sont en fait les limites de « mon » esprit et que je ne peux inversement limiter a priori la Substance en quoi que ce soit. J’affirme donc a contrario a priori de la Substance unique une infinité de dimensions de l’Être, ou Attributs, bien que n’en percevant que deux.

Le problème est ici. Quand tu dis "je ne peux pas limiter a priori la substance", tu parles non seulement de l'espace mais de la nature des attributs et de leur nombre. Par conséquent, tu appliques le principe qui veut que "toute chose qui n'est pas empêchée d'exister par telle ou telle mode de la nature existe nécessairement". Principe que j'ai déjà largement dénoncé pour être douteux à souhait, en ce qui concerne la nature elle-même.

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Messagepar bardamu » 23 nov. 2003, 00:04

zerioughfe a écrit :(...)Le problème est ici. Quand tu dis "je ne peux pas limiter a priori la substance", tu parles non seulement de l'espace mais de la nature des attributs et de leur nombre. Par conséquent, tu appliques le principe qui veut que "toute chose qui n'est pas empêchée d'exister par telle ou telle mode de la nature existe nécessairement". Principe que j'ai déjà largement dénoncé pour être douteux à souhait, en ce qui concerne la nature elle-même.


Salut,
dans mon idée il y a généralement 2 visions du monde qui s'affrontent.
La première part du zéro et cherche comment du zéro on peut justifier qu'il y ait quelque chose : pourquoi quelque chose plutôt que rien ?
La seconde part de l'infini et demanderait plutôt "Pourquoi rien plutôt que quelque chose ?". Spinoza se demande : mais qu'est-ce qui pourrait bien empêcher la puissance existante de se déployer à l'infini ? Il y a quelque chose et donc la question est de savoir si ce quelque chose a une limite. Hélas, nous ne pouvons concevoir une limite au quelque chose parce que la limite implique un au-delà qui est encore quelque chose.
Après ça, on appelle cet absolu infini : Dieu.
Donc, on ne peut que concevoir un infini absolu et celui qui dit qu'il peut concevoir une limite à l'existant est prié de nous expliquer ce qu'est cette limite.
On peut dire qu'il s'agit d'un infini non-empirique mais il existe comme le cercle, parce qu'il s'impose à la Raison. Les démonstrations sont les yeux de la raison et si on ne voit pas l'absolu infini c'est qu'on voit quelque part une fin alors je demande : où est cette fin ?

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Messagepar zerioughfe » 23 nov. 2003, 01:20

Bardamu, ce que tu viens de dire est la seule chose susceptible d'attirer mon attention : en effet, ton dernier argument ne me semble pas faire appel, même indirectement, à ceux que j'ai réfutés. Il m'a ébranlé l'espace d'un instant, mais sans me convaincre. C'est une idée très séduisante, que je considère comme probablement fausse.

Quand une chose finie existe, il lui faut une limite, dis-tu. Cela peut être faux, si tu entends par là qu'elle aurait une frontière (les physiciens pensent que l'Univers pourrait très bien être fini, mais de toute façon il ne saurait avoir de frontières, même s'il nous est difficile d'imaginer un Univers fini sans frontières...), mais admettons-le tout de même.

Bien. La question est alors : qu'est-ce qui existe ?

Réponse évidente, qui nous vient immédiatement à l'esprit : la matière. Et quelle est sa "limite" ? L'espace (qui peut être vide). Admettons que l'espace n'a pas de limites.

Bon. Comment prouves-tu l'existence d'autre chose (l'attribut X, par exemple) que l'espace infini ?

Si l'attribut X n'existe pas, il n'a pas de limites, donc le problème de savoir ce qu'il y a derrière les limites ne se pose pas. La substance, elle, sera limitée, d'accord, mais pas dans l'espace. Et si elle n'est qu'espace, comme je le crois, alors elle ne sera limitée que par ce qu'elle n'est pas, c'est-à-dire, exactement, par rien.

Tout ce que je pourrai imaginer (ou concevoir) d'autre semblera limiter la substance, mais cela ne sera qu'une illusion de mon esprit : n'existant pas, cela ne sera rien de positif et ne limitera donc le réel que dans son concept. Mais, dira-t-on, si le réel est limité dans son concept, il faut bien qu'il le soit dans la réalité, puisque le concept décrit la réalité ! Non, car les concepts qui le limitent ne correspondent à rien d'existant. Il y a là un cercle qu'on peut refuser, mais à la seule condition de tomber dans le cercle opposé (ce qui revient à admettre l'argument ontologique : ton argument est donc moins bon que je le pensais). Cela rend toute démonstration impossible.

Les arguments de Spinoza l'ont d'ailleurs mené à une erreur objective : il n'a pas pu admettre l'existence du vide (je pense que c'est pour des raisons similaire, du style "je ne peux pas concevoir que l'étendue cesse de s'étendre"). Il l'a rejetée comme une aberration. Or il a eu tort. Enfin, je m'attends à tout, y compris à vous voir nier l'existence du vide...

celui qui dit qu'il peut concevoir une limite à l'existant est prié de nous expliquer ce qu'est cette limite.

L'existant lui-même. Si tu me demandes ce qu'il y a derrière, je réponds : le non-existant, c'est à dire rien. Le piège est ici : dire que le non-existant est le rien, cela ne veut pas dire que rien ne soit non-existant (ce qui reviendrait à dire que tout existe, en effet).

Spinoza se demande : mais qu'est-ce qui pourrait bien empêcher la puissance existante de se déployer à l'infini ?

Se déployer à l'intérieur de quoi ?...

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Messagepar bardamu » 23 nov. 2003, 02:01

zerioughfe a écrit :
Quand une chose finie existe, il lui faut une limite, dis-tu. Cela peut être faux, si tu entends par là qu'elle aurait une frontière (les physiciens pensent que l'Univers pourrait très bien être fini, mais de toute façon il ne saurait avoir de frontières, même s'il nous est difficile d'imaginer un Univers fini sans frontières...), mais admettons-le tout de même.

Salut,
il n'est pas si difficile d'imaginer un fini sans frontière, c'est-à-dire sans quoi que ce soit qui arrête un mouvement (surface fermée sur elle-même) mais les positions des physiciens sur l'Univers ne sont pas très assurées. A vrai dire ils n'ont pas d'idées très nette sur une chose qui n'est pas expérimentable. D'une part nous avons les singularités spatio-temporelles c'est-à-dire d'irréductibles infinis qui apparaissent dans les équations (trous noirs, Big Bang), nous avons aussi la non-localité et non-séparabilité en quantique qui fait que l'univers n'est pas défini par des variables spatio-temporelles et puis nous avons des principes aussi bêtes que la conservation de l'énergie qui interdisent qu'il y ait création ou disparition de l'univers et donc qu'il y ait une limite dans le temps.
Bien. La question est alors : qu'est-ce qui existe ?
Réponse évidente, qui nous vient immédiatement à l'esprit : la matière. Et quelle est sa "limite" ? L'espace (qui peut être vide). Admettons que l'espace n'a pas de limites.

Mauvaise pioche...
L'espace en tant que contenant dissocié de la matière (comment dit Kant déjà "a priori de la sensibilité" ?) n'est plus à l'ordre du jour en physique. Cela a commencé avec la Relativité Générale où la matière détermine son espace-temps (d'où la possibilité d'un espace-temps fini) et cela se poursuit avec les déterminations non-spatio-temporelles en quantique.

(...) La substance, elle, sera limitée, d'accord, mais pas dans l'espace. Et si elle n'est qu'espace, comme je le crois, alors elle ne sera limitée que par ce qu'elle n'est pas, c'est-à-dire, exactement, par rien.

Et comment appelle-t-on quelque chose de limité par rien ? Illimité ? Infini ?
(...)
Les arguments de Spinoza l'ont d'ailleurs mené à une erreur objective : il n'a pas pu admettre l'existence du vide (je pense que c'est pour des raisons similaire, du style "je ne peux pas concevoir que l'étendue cesse de s'étendre"). Il l'a rejetée comme une aberration. Or il a eu tort. Enfin, je m'attends à tout, y compris à vous voir nier l'existence du vide...

Le vide est nié par les scientifiques depuis les premières théories des champs, celles décrivant l'électromagnétisme.
Il a ensuite été nié par la Relativité Générale (champ gravitationnel) et la physique quantique des champs. Aujourd'hui, le vide est le niveau zéro d'un champ d'énergie, c'est-à-dire le niveau de base à partir duquel on mesure. Mais ce niveau 0 n'est pas nul, et "l'énergie du vide" est fondamentale dans la théorie standard du Big Bang qui va d'ailleurs certainement changer d'ici peu.
Spinoza se demande : mais qu'est-ce qui pourrait bien empêcher la puissance existante de se déployer à l'infini ?

Se déployer à l'intérieur de quoi ?...

A l'intérieur de rien justement ! C'est comme l'espace-temps fini mais sans borne des théories cosmologiques : il ne change que de métrique, de rapports internes.
Mais là je joue au physicien alors que la Substance de Spinoza est autre chose. La Substance est en soi, cause de soi, elle déploie sa puissance à l'infini et c'est l'existant.
Et je ne vois toujours pas où est la limite de l'existant...

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Messagepar sescho » 23 nov. 2003, 10:45

zerioughfe,

Pour ce qui me concerne, j’attends une chose de toi : quand on invoque une violation de la « pure logique », j’attends non qu’on l’affirme, ce qui est facile, mais qu’on la démontre. C’est pourquoi j’ai cherché quelque peu (très imparfaitement, sans doute) à formaliser pour te permettre de me montrer par la démonstration où il y avait défaut de logique dans ce que je disais. Mais tu n’as repris que le point, secondaire selon moi et que j’admets être de l’ordre de la supposition, de l’infinité d’Attributs.

Afin que nous ne tournions pas en rond ;-), j’ai repris soigneusement tout ce que tu as dit et répété – mais peut-être ai-je mal compris – je n’y ai pas vu les réfutations (rigoureuses, selon la Logique) que j’attends et que tu sembles penser y avoir placé ; pas même le minimum, qui consiste juste à invalider la démarche démonstrative de Spinoza, sans prétendre démontrer le contraire.

J’ai l’impression que tout ce que tu dis tourne en fait autour d’une seule affirmation : « l’existence effective ne se démontre jamais ni ne se définit mais se constate. »

Mais j’ai fait remarquer que c’est le cas pour toute définition et toute démonstration, existence ou pas : tant qu’on ne voit pas la chose, définie ou conclue, par elle-même en vérité, ce n’est pas de la connaissance vraie. Et Spinoza dit bien, d’une part, que la connaissance intuitive (du troisième genre) est supérieure à la connaissance discursive (du deuxième genre) et, d’autre part (Éthique 5), que Dieu (celui de Spinoza, pas « un dieu ») se révèle finalement comme existant en nous par lui-même, selon la connaissance intuitive. Tu sembles toujours ne pas réussir à faire la distinction entre une pure imagination au sens de Spinoza, que tu appelles « concept », et une perception de ce qui est (mais que Spinoza fait entrer, lui, dans le mot « concept » : E2D3 : « Par idée, j’entends un concept de l’âme, que l’âme forme à titre de chose pensante. »)

Par ailleurs, je ne dis pas que je considère que les pensées n'ont pas pour substrat physique des zones du cerveau (au contraire de Spinoza qui n'admet pas d'intersection entre Matière et Pensée, tous deux étant parallèlement Attributs d'une seule Substance), je dis que ce n’est pas et ne sera jamais une idée claire et distincte, de même que « les masses s’attirent » (qui peut devenir « les masses courbent l’espace-temps », d’ailleurs, montrant le côté conventionnel de l’affirmation). C'est une connaissance qui restera vague selon moi. En outre, j’estime qu’on ne sait pas et ne saura jamais ce qu’est exactement la Matière (qui, en passant, n’est perçue que par la Pensée), et donc que ceux qui prétendent doctement qu’on peut expliquer la Pensée par la Matière ne savent en fait pas de quoi ils parlent.

Amicalement

Serge
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Messagepar zerioughfe » 23 nov. 2003, 12:34

Aux très sages et très cultivés Bardamu et Sescho :wink:

bardamu a écrit :les positions des physiciens sur l'Univers ne sont pas très assurées. A vrai dire ils n'ont pas d'idées très nette sur une chose qui n'est pas expérimentable

C'est vrai. Nec oculi possunt naturam cognoscere rerum :wink: . Sans compter avec la physique quantique, qui a battu en brèche bien des présupposés de Spinoza.

Mauvaise pioche... L'espace en tant que contenant dissocié de la matière (comment dit Kant déjà "a priori de la sensibilité" ?) n'est plus à l'ordre du jour en physique. Cela a commencé avec la Relativité Générale où la matière détermine son espace-temps (d'où la possibilité d'un espace-temps fini) et cela se poursuit avec les déterminations non-spatio-temporelles en quantique.

Peu importe les concepts physiques ici. L'espace est sans doute indissociable de la matière, mais tout l'espace n'est pas rempli de matière (mais quelle importance ?).

Et comment appelle-t-on quelque chose de limité par rien ? Illimité ? Infini ?

Comme il te plaira, mais pas "absolument infini".

Le vide est nié par les scientifiques depuis les premières théories des champs, celles décrivant l'électromagnétisme.
Il a ensuite été nié par la Relativité Générale (champ gravitationnel) et la physique quantique des champs. Aujourd'hui, le vide est le niveau zéro d'un champ d'énergie, c'est-à-dire le niveau de base à partir duquel on mesure. Mais ce niveau 0 n'est pas nul, et "l'énergie du vide" est fondamentale dans la théorie standard du Big Bang qui va d'ailleurs certainement changer d'ici peu.

Le problème est que le concept de vide n'est pas clair. Mais quand bien même tout l'espace serait plein de matière, cela n'ajouterait aucun attribut.

A l'intérieur de rien justement ! C'est comme l'espace-temps fini mais sans borne des théories cosmologiques : il ne change que de métrique, de rapports internes.
Mais là je joue au physicien alors que la Substance de Spinoza est autre chose. La Substance est en soi, cause de soi, elle déploie sa puissance à l'infini et c'est l'existant.
Et je ne vois toujours pas où est la limite de l'existant...

La limite de l'existant ? Si l'existant n'est qu'étendue, il n'a pas de limite puisque l'étendue est infinie et sans frontière.

sescho a écrit :Pour ce qui me concerne, j’attends une chose de toi : quand on invoque une violation de la « pure logique », j’attends non qu’on l’affirme, ce qui est facile, mais qu’on la démontre

La violation de la "pure logique" réside dans l'argument ontologique, comme je l'ai montré. L'argument que nous discutons en ce moment est différent et beaucoup plus complexe. Je ne prétends pas qu'il repose sur une bête erreur de logique. D'autre part, c'est à vous de fournir, en quelques lignes, une preuve de l'existence de Dieu en expliquant de quels principes vous partez. A des remarques, je ne peux répondre que par d'autres remarques.

C’est pourquoi j’ai cherché quelque peu (très imparfaitement, sans doute) à formaliser pour te permettre de me montrer par la démonstration où il y avait défaut de logique dans ce que je disais. Mais tu n’as repris que le point, secondaire selon moi et que j’admets être de l’ordre de la supposition, de l’infinité d’Attributs.

Secondaire ?!! C'est justement ce qui fait toute la différence entre la nature selon Spinoza (Dieu) et la nature selon ma conception (pas Dieu) ! C'est bien là qu'est le problème. Je suis bien d'accord pour dire que la nature existe. Qu'elle ait une infinité d'attributs, voilà la seule question.

Afin que nous ne tournions pas en rond , j’ai repris soigneusement tout ce que tu as dit et répété – mais peut-être ai-je mal compris – je n’y ai pas vu les réfutations (rigoureuses, selon la Logique) que j’attends et que tu sembles penser y avoir placé ; pas même le minimum, qui consiste juste à invalider la démarche démonstrative de Spinoza, sans prétendre démontrer le contraire.

Je te remercie de ton sérieux et de ton attention. Mais une fois encore, il faut savoir de quelle preuve on parle. Quand j'ai ouvert le fil, c'est l'argument ontologique "pur" que j'ai attaqué. Je soutiens que la phrase suivante comporte une erreur de logique tout à fait objective : "Si une chose quelconque ne peut être conçue que comme existante, alors elle existe". J'ai montré l'erreur avec mon exemple de "bidule" et je voudrais savoir si vous en êtes d'accord. Il est inutile d'arguer que Dieu diffère du bidule pour telle ou telle raison : le seul contre-exemple que je donne suffit à invalider la règle. A vous d'en inventer une autre, plus précise. Tant que vous ne l'avez pas fait, je ne peux rien réfuter...

J’ai l’impression que tout ce que tu dis tourne en fait autour d’une seule affirmation : « l’existence effective ne se démontre jamais ni ne se définit mais se constate. »

Non, ce genre de principe me paraît trop incertain dans l'absolu (un peu comme le principe de raison suffisante). Je les évite d'autant plus que je n'en ai nul besoin.

Mais j’ai fait remarquer que c’est le cas pour toute définition et toute démonstration, existence ou pas : tant qu’on ne voit pas la chose, définie ou conclue, par elle-même en vérité, ce n’est pas de la connaissance vraie. Et Spinoza dit bien, d’une part, que la connaissance intuitive (du troisième genre) est supérieure à la connaissance discursive (du deuxième genre) et, d’autre part (Éthique 5), que Dieu (celui de Spinoza, pas « un dieu ») se révèle finalement comme existant en nous par lui-même, selon la connaissance intuitive. Tu sembles toujours ne pas réussir à faire la distinction entre une pure imagination au sens de Spinoza, que tu appelles « concept », et une perception de ce qui est (mais que Spinoza fait entrer, lui, dans le mot « concept » : E2D3 : « Par idée, j’entends un concept de l’âme, que l’âme forme à titre de chose pensante. »)

Oh si, je fais la distinction mais nous utilisons des mots différents. Par exemple, je suis tout à fait convaincu que l'essence et l'existence sont une seule et même chose, à condition que l'on entende par essence "le fait d'être ce qu'on est", et non "définition, idée (adéquate ou non) de la chose". Je pars du principe que l'objet et son idée sont deux choses différentes, et le monisme parallèle de Spinoza ne me contredit pas vraiment puisqu'il suppose, pour être démontré, ce qui ne m'a pas été démontré.

Par ailleurs, je ne dis pas que je considère que les pensées n'ont pas pour substrat physique des zones du cerveau (au contraire de Spinoza qui n'admet pas d'intersection entre Matière et Pensée, tous deux étant parallèlement Attributs d'une seule Substance), je dis que ce n’est pas et ne sera jamais une idée claire et distincte, de même que « les masses s’attirent » (qui peut devenir « les masses courbent l’espace-temps », d’ailleurs, montrant le côté conventionnel de l’affirmation). C'est une connaissance qui restera vague selon moi. En outre, j’estime qu’on ne sait pas et ne saura jamais ce qu’est exactement la Matière (qui, en passant, n’est perçue que par la Pensée)

8O Incroyable ! Voilà un paragraphe avec lequel je suis intégralement d'accord ! 8O :wink:

et donc que ceux qui prétendent doctement qu’on peut expliquer la Pensée par la Matière ne savent en fait pas de quoi ils parlent.

Mouais... ça ne pouvait pas durer... :D En fait tu as raison si tu veux dire que le matérialisme est indémontrable et incertain. Mais je ne suis pas dogmatique ! J'admets tout à fait que le Dieu de Spinoza n'est pas impossible.

J'espère avoir le temps de continuer à répondre à vos messages au moins une fois tous les deux jours (ou une par jour)...
Modifié en dernier par zerioughfe le 25 nov. 2003, 15:53, modifié 1 fois.


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