Spinoza et la psychanalyse

Ce qui touche de façon indissociable à différents domaines de la philosophie spinozienne comme des comparaisons avec d'autres auteurs, ou à des informations d'ordre purement historiques ou biographiques.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 mars 2007, 03:30

Pej a écrit :Certes, un corps humain est constitué des mêmes atomes qu'un corps inanimé. C'est pourquoi mon corps obéit au principe d'inertie, qu'il résiste quand une force s'exerce sur lui, etc. Mais entre le conatus de la pierre, et le conatus d'un être humain, il n'y a pas seulement une différence de degré ; il y a aussi une différence de nature.


le principe d'inertie, pour autant que je sache, dit seulement qu'aussi longtemps un corps en repos ne soit pas mu par autre chose, il ne bougera pas, et quand il est en mouvement, son trajet ne sera pas dévié aussi longtemps qu'il ne se heurte pas à autre chose. Je ne suis pas du tout certaine que l'on puisse traduire le conatus spinoziste sans reste en ce genre de principe. A mon avis, le conatus est 'antérieur' à tout cela, si j'ose dire: le conatus, c'est ce qui fait qu'une chose soit en repos ou en mouvement, avant même qu'elle a rencontrée une autre chose.

Pej a écrit : Le principe d'inertie explique pourquoi mon corps ne s'anéantit pas quand je tombe par terre par exemple, mais il n'explique pas pourquoi j'ai le "désir" de vivre.


en effet, tandis que le conatus explique le désir même de vivre. Voir aussi le TP, ou des sujets 'inertes' sont justement définis comme étant des humains esclaves, n'ayant plus rien de proprement humain. Je ferais donc le pari qu'identifier le conatus et le principe d'inertie chez Spinoza, c'est y aller un peu trop vite.

Pej a écrit :Sauf bien entendu à adopter un point de vue réductionniste total, qui consiste à ramener l'ensemble des phénomènes biologiques et psychologiques aux lois de la matière (mes pensées seraient alors explicables par de simples transmisions nerveuses, traduisibles en termes physico-chimiques.


non, je ne crois pas. Si on réduit les phénomènes spirituels à des phénomènes corporels ou non, aussi longtemps que l'on définit l'essence de l'homme ou le désir par le principe d'inertie, on se trompe, à mon avis. Si on veut trouver un parallèle avec la physique du XVIIe, il faudrait trouver une force physique qui explique non pas l'inertie du corps, mais le mouvement ou repos essentiel caractérisant ce corps. Là, je ne vois pas quelle force cela pourrait être. En plus, Spinoza dit bien qu'il n'y a aucune causalité entre psychè et corps. Tout réductionnisme dans ce genre est donc non spinoziste. Chaque entité, corps et esprit, a son propre conatus. Ou plutôt: il s'agit du même conatus, considéré tantôt en tant que corps, tantôt en tant qu'esprit.

Pej a écrit :Vous accusez Freud d'être réducteur à propos de la libido. Mais ce faisant, vous figez le concept de libido. Comme si la libido d'un chat était identique à la libido d'un homme. Freud à mon avis ne dit rien de tel (mais je n'ai pas lu tout Freud).


moi non plus, et je n'ai jamais rencontré un passage où il parle de la libido d'un animal. Mais si on en reste à l'homme, il me semble incontournable de reconnaître ce qu'écrivent Pontalis et Laplanche à ce sujet: "D'un point de vue qualitatif, la libido n'est pas réductible, comme le voudrait Jung, à une énergie mentale non spécifiée. Si elle peut être 'désexualisée', notamment dans les investissements narcissiques, c'est toujours secondairement et par une renonciation au but spécifiquement sexuel." Même si la sexualité se définit toujours par rapport à l'objet et aux zones érogènes spécifiques, je ne vois pas ce qui indiquerait que chez Freud, le fait que chez l'homme et l'animal, l'objet (quoique ...) et les zones érogènes sont différents suffit pour supposer une libido ESSENTIELLEMENT différente entre les hommes et les autres animaux.

Pej a écrit : Si on défend l'idée que le conatus de Spinoza peut prendre plusieurs formes, alors on doit aussi accepter que la libido freudienne puisse s'exprimer sous différentes modalités. Vous faites comme si Freud niait les différences entre un chat et un homme, ce qui m'apparaît peu "fair play".


la question n'est pas tellement de nier des différences ou non. La question est de savoir si l'un des deux nie qu'il y a des différences ESSENTIELLES. Freud reconnaît les différences, bien sûr (et Lacan, qui mettra l'accent sur le langage, encore davantage), mais sont-elles pour autant ESSENTIELLES, à ses yeux? Je ne vois rien qui m'oblige à le croire. Vous oui?

Pej a écrit :S'agissant de la distinction entre "conservation de soi" et "reproduction de soi", je ne saisis pas bien ce qui motive votre propos. En quoi Freud réduit-il tout à la simple reproduction de soi ? Au contraire, la distinction entre pulsions d'autoconservation et pulsions sexuelles me semble aller contre cette idée.


oui, vous avez raison, je me suis mal exprimée, merci de l'avoir indiqué.
En effet, Freud reconnaît très clairement ces deux types de pulsions, et l'appareil psychique est précisément pour lui un genre de théâtre sur la scène duquel ces deux principes se combattent dans une lutte permanente. Dans ce sens, il est certain qu'il ne rabat PAS les pulsions d'auto-conservation sur les pulsions sexuelles, comme je l'avais écrit. Il fallait donc effectivement que je sois plus précise. Ce que je voulais dire, c'est que j'ai l'impression que quand Freud fait des pulsions sexuelles des pulsions INDEPENDANTES de la pulsion d'auto-conservation, il suppose que l'apparition de la sexualité constitue, chez les animaux concernés, une motivation qui peut aller à l'encontre de la pulsion d'auto-conservation. Vous me direz que Spinoza ne fait rien d'autre quand il dit que l'homme le plus souvent est conduit par l'affect (dont souvent l'affect lubrique) et non pas par la raison. Mais la grande différence (et je le répète, à mon sens elle est bel et bien ESSENTIELLE), c'est que pour Spinoza, les pulsions sexuelles font intégralement partie des pulsions d'auto-conservation. Cela me semble être la grande originalité de Spinoza, par rapport aux trois monothéïsmes ET par rapport à Freud. Et qui, qui n'est pas prêtre ou psychanalyste, pourrait nier cela? Qui n'a PAS déjà ressenti de la Joie après un orgasme? Si on définit la Joie par une augmentation de puissance, je ne vois pas comment ne pas appeler l'orgasme une Joie. Freud a préféré l'appeler 'plaisir', mais ça change tout. Car pour lui, le plaisir s'oppose au principe de réalité, équivalent de la raison spinoziste. Tandis que chez Spinoza, la compréhension est une Joie, donc un plaisir. C'est bien une des raisons pour lesquelles ces deux anthropologies me semblent être tout à fait incompatibles.

Pej a écrit :J'ai l'impression que vous adaptez une grille de lecture néo-darwinienne à Freud ; ce que vous dites peut sans doute valoir pour un biologiste comme Dawkins, mais j'aimerais connaître les passages de Freud où il dit clairement que toute la vie humaine se ramène à la seule reproduction de soi.


je n'ai pas encore lu Dawkins, donc cela m'étonnerait que ma lecture de Freud soit influencée par le néo-darwinisme. Mais j'ai beaucoup plus lu Lacan que Freud, donc il est possible que j'ai une idée trop lacanienne de Freud.
Sinon en effet, je le répète: Freud ne ramène pas tout à la seule reproduction de soi. Désolée pour le malentendu.

Pej a écrit :Sur la question de la castration, je vous rejoins. S'il y a bien une idée abusive chez Freud, c'est celle-là. Personnellement, je l'élimine du tableau psychanalytique que je considère pertinent.


aha, vous faites donc ce que Deleuze appelerait un 'freudisme tronqué' ... :)
Vous croyez vraiment que l'on peut appeler le tableau encore 'psychanalytique' dès que l'on enlève l'angoisse de castration, si fondamentale pour le complexe d'Oedipe ... ?

Pej a écrit :Il faudrait néanmoins s'entendre sur la notion de "crainte". Dire que la vie en société a pour fondement la crainte, au sens où les hommes vivraient en société parce qu'ils ont peur de vivre seul est difficilement discutable. C'est parce que je ne peux pas vivre seul que je vis en société ; car seul, je me trouve impuissant par rapport aux forces de la nature.


avec Spinoza, je crois qu'il est tout à fait possible de s'unir entre hommes SANS être motivé par la crainte. Dans le TP il le dit littéralement: même si chaque homme a peur de la solitude, c'est bien dans l'état naturel que l'homme craint le plus, tandis qu'une société civile surgit dès que certains gens partagent un certain affect, cet affect pouvant être la crainte, mais aussi l'espoir, ou la vengeance, ou n'importe quel autre affect. Fin XIXe et encore tout au long du XXe, l'angoisse de la mort est sans doute un affect central dans la culture occidentale, mais Spinoza croît qu'il est tout à fait possible de ne pas en souffrir, et cela même déjà dans une monarchie bien menée.
Autrement dit: chez Spinoza, ce n'est PAS seulement parce que je ne peux pas vivre seul que je vis en société. C'est aussi parce que l'homme peut être un dieu pour l'homme, et parce que ma puissance et ma liberté ne cessent d'augmenter quand je vis en société. Il y a pour moi un côté tout à fait affirmatif dans la façon de concevoir la société, chez Spinoza, qui me semble être beaucoup plus faiblement présent chez Freud.

Pej a écrit :Votre incursion politique me paraît fragile et les termes employés trahissent là encore Freud. Vous parlez par exemple de "essence essentiellement vicieuse" de l'homme. Ce que dit Freud, c'est qu'un être humain soumis uniquement à ses pulsions est un être associable au sens où il est impossible de vivre en société sans une restriction des pulsions (c'est ue idée d'une banalité affligeante).


cette idée est malheureusement devenue banale en ce début du XXIe (et déjà en XXe, en Occident). Freud nous dit qu'elle est liée à l'essence même de l'homme, Spinoza nous dit que l'essence de l'homme est EXACTEMENT L'INVERSE: l'homme est un homo sociale. Vraiment, pour moi ça change tout. Et ici on ne parle pas métaphysique, on ne parle que d'anthropologie. Chez Freud, c'est le Désir même de l'homme qui le fait instituer une société civile. C'est bien pourquoi dans le TP il dit qu'il soit IMPOSSIBLE que les hommes annulent tout ce qui relève de la civitas. Un état naturel est un être de raison, chez Spinoza, tandis que chez Freud non. On naît dans l'état naturel, et il faut toute une éducation avant d'accepter la vie en société. Cela, pour Spinoza, est absurde. Le conatus lui-même a vite compris qu'il vaut mieux vivre en société. C'est-à-dire l'essence même de l'homme.
C'est bien aussi pourquoi pour Spinoza construire une société civile sur l'affect de crainte, c'est la construire sur quelque chose d'instable. Mieux vaut la construire sur la raison et sur la fortitude de l'âme. Cela, de nouveau, c'est tout autre chose. En matière politique pe cela signifie que l'on ne peut pas se limiter à avoir une police qui intervient le plus vite et le plus efficacement possible. Il faut cela aussi, mais il faut avant tout avoir une idée de comment EVITER que des violences se produisent, c'est-à-dire comment éviter la crainte. Cette question est impensable chez Freud, car chez lui, c'est la crainte même qui motive toute société civile. C'est bien pourquoi à mon sens au niveau politique Spinoza va BEAUCOUP plus loin que Freud: il dit que la crainte certes est utile pour contenir la masse, mais que si on condamne les sujets d'un Etat à cela, on les traite comme rien d'autre que du bétail. Ce n'est plus une vie humaine. C'est l'inverse chez Freud: sans crainte, pas de vie humaine.

Pej a écrit :Parler de nature "vicieuse" est un contresens car la partie pulsionnelle de l'homme n'est pas "vicieuse". Les pulsions ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. C'est le Surmoi qui va venir qualifier les pulsions de bonnes ou mauvaises. Autrement dit, quand vous parler d'essence vicieuse, vous parler d'un point de vue moral étranger au "ça" et qui est le propre du Surmoi.


oui, tout à fait d'accord, mais pour Freud, ce Surmoi fait partie de l'essence de l'homme. Pour Spinoza, il ne s'agit que d'une idée inadéquate, qui nous est inculquée par des théologiens qui veulent dominer les masses pour en tirer plus de profit, plus de "utile privatum" ... .

Pej a écrit :Là où je suis d'accord, c'est que pour Freud, l'homme n'est pas un animal social, mais un être qui ne peut vivre en société que par l'usage de la contrainte. Cependant, Freud ne prône absolument pas un tel usage ; au contraire il le dénonce. Le message d'un ouvrage comme "Malaise dans la culture" c'est justement de dire que la société est abusivement contraignante, c'est-à-dire qu'à la contrainte nécessaire à toute vie en société, est venue se substituer une contrainte superflue, qui réduit la liberté des individus en les empêchant de satisfaire des pulsions qui ne sont pas "objectivement" associales (contrainte qui est alors à l'origine des névroses).
Le message de Freud est donc clair : la société moderne exerce une pression trop forte sur l'individu, qui vivent effectivement dans une crainte illégitime. Il faut donc lutter pour une libération des individus, qui passe par une disparition des craintes abusives.


oui d'accord, mais cela, Freud le dit parce qu'il pense que faire autant un tabou de la sexualité que la société viennoise en fait un, c'est excessif, cela crée une souffrance spécifique. Mais quand on suppose que les deux principes INDEPENDANTS du psychisme, c'est le principe de réalité et le principe (sexuel) de plaisir, on croît qu'il est contre-nature de ne pas supposer que la sexualité soit une motivation tout à fait ESSENTIELLE pour toute vie humaine.
Spinoza, en revanche, n'y voit qu'une idée inadéquate. A mon avis, son problème avec la société viennoise ne serait donc pas qu'elle réprime trop le sexe, mais que trop de ses interdits concernent le sexe, faisant du coup de celui-ci quelque chose de tout à fait central, là où selon lui il vaut mieux ne pas occuper l'Esprit constamment et uniquement avec tout ce qui concerne la sexualité. Freud dénonce le trop peu de sexe admis dans la société, Spinoza refuserait de créer un tel tabou autour de la sexualité parce qu'il vaut mieux se concentrer sur autre chose, plus fondamentale et plus spécifique à l'homme: la raison. Pour moi, encore une fois, ça change tout.

Pej a écrit :Donc Freud est spinoziste. CQFD.


:)
ben ... disons que j'attends toujours à ce que vous montrez en quoi les idées spinozistes fondamentales sont reprises par Freud ... ?
Car certes, comme vous venez de le dire dans votre dernier message, Freud prétend à l'universalité de ses idées, tout comme Spinoza. Mais si l'on lit pe le Kamasutra ... quel Occidental n'a pas été déçu, en le lisant ... ? C'est qu'on n'y retrouve pas du tout tout ce qu'un imaginaire occidentale construit autour de l'idée d'une 'sexualité enfin libérée'. Il ne s'agit pas du tout d'un traité où du coup, tout serait 'permis', là où chez nous, un tas de choses sont tabou. Il se fait qu'il s'agit de rien moins que d'un livre d'art. La sexualité, pour les Indiens, n'est pas ce qui est fondamental et ce qui montre bien notre 'bestialité', elle est, comme toute autre occupation humaine, une activité qui peut donner tous ses bénéfices que si on sait la cultiver, d'une manière tout à fait humaine. Ce qui très vite devient ennuyeux pour l'Occidental qui a l'habitude de penser le sexe en opposition avec la culture. Le Kamasutra est donc pour moi un des traités qui montre bien dans quelle mesure Freud a dressé le tableau d'une société tout à fait particulière, et pas du tout universelle, même si c'est à cela qu'il aspirait. Idem d'ailleurs en ce qui concerne l'Afrique: le rapport à la sexualité y est foncièrement différent que chez nous. Pour ne donner qu'un seul exemple: dans certaines régions africaines, on considère qu'un homme ne peut être vraiment homme que ... si sa maman a sucé son pénis lorsqu'il était bébé. Et effectivement, il se fait que l'on constate que certains hommes qui savent que leur maman n'a pas accompli cette tâche maternelle comme il faut, ont des problèmes de frigidité etc. Tandis qu'inversement, un enfant né en Occident et qui entendrait que sa maman a sucé son pénis quand elle lui changeait les langes a toutes chances d'avoir un grand problème psychologique. Bref, il me semble qu'il faut être extrêmement prudent avec cette idée d'universalité de la théorie freudienne.
Bien à vous,
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Messagepar Louisa » 30 mars 2007, 04:06

PS: encore une fois, à mon avis Freud est un penseur tout aussi 'grand' que Spinoza. Mon seul problème, c'est que je ne vois pas comment faire de Freud un spinoziste, ou de Spinoza un précurseur de Freud. Comme l'a dit Faun, Spinoza a voulu fonder son anthropologie dans une métaphysique, Freud a préféré laisser les fondements de son anthropologie dans le vague, supposant qu'en se référant aux mythes monothéïstes et aux résultats de sa clinique, la possibilité d'une universalisation de ses interprétations fût déjà garantie. C'est là qu'à mon sens il s'est trompé, et c'est donc ce qui fait la faiblesse de toute son entreprise. Autrement dit: SI Freud avait essayé d'expliciter la métaphysique sur laquelle se basait invariablement sa théorie, il aurait pu constater qu'il s'agissait là d'une métaphysique tout à fait monothéiste, et il aurait eu les moyens de la remettre en question, tout en utilisant la méthode scientifique qui lui était si chère, et qu'il a appliquée admirablement, avec tant de courage et d'intelligence. Il se fait qu'il a préféré reléguer la métaphysique dans le domaine de la philosophie, domaine du principe de réalité et donc domaine trop partiel, pour lui, pour pouvoir s'en occuper activement. Dommage.
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Messagepar Pej » 30 mars 2007, 12:05

Difficile de répondre à tout. Je focalise donc sur certains points.
le principe d'inertie, pour autant que je sache, dit seulement qu'aussi longtemps un corps en repos ne soit pas mu par autre chose, il ne bougera pas, et quand il est en mouvement, son trajet ne sera pas dévié aussi longtemps qu'il ne se heurte pas à autre chose. Je ne suis pas du tout certaine que l'on puisse traduire le conatus spinoziste sans reste en ce genre de principe. A mon avis, le conatus est 'antérieur' à tout cela, si j'ose dire: le conatus, c'est ce qui fait qu'une chose soit en repos ou en mouvement, avant même qu'elle a rencontrée une autre chose.


Le principe d'inertie stipule qu'un corps en mouvement persévère dans son état de mouvement tant qu'aucune force ne s'exerce sur lui. Spinoza reprend textuellement ce principe quand il définit le conatus. A mon avis, on peut dire que sans Galilée/Descartes, Spinoza n'aurait pas pu affirmer son conatus.

Concernant la libido, j'avoue que je trahis quelque peu Freud, en la désexualisant partiellement. Mais c'est parce que je prends en compte pulsions d'autoconservation/pulsions sexuelles ensemble comme l'équivalent d'un "conatus freudien".

Mais la grande différence (et je le répète, à mon sens elle est bel et bien ESSENTIELLE), c'est que pour Spinoza, les pulsions sexuelles font intégralement partie des pulsions d'auto-conservation. Cela me semble être la grande originalité de Spinoza, par rapport aux trois monothéïsmes ET par rapport à Freud. Et qui, qui n'est pas prêtre ou psychanalyste, pourrait nier cela? Qui n'a PAS déjà ressenti de la Joie après un orgasme? Si on définit la Joie par une augmentation de puissance, je ne vois pas comment ne pas appeler l'orgasme une Joie. Freud a préféré l'appeler 'plaisir', mais ça change tout. Car pour lui, le plaisir s'oppose au principe de réalité, équivalent de la raison spinoziste. Tandis que chez Spinoza, la compréhension est une Joie, donc un plaisir. C'est bien une des raisons pour lesquelles ces deux anthropologies me semblent être tout à fait incompatibles.


Il n'y a pas opposition chez Freud entre le principe de plaisir et le principe de réalité. Il est très clair sur ce point. Le Moi a pour but le plaisir, tout comme le ça. Le principe de réalité, c'est le principe de plaisir avec en plus une prise en compte de la réalité. Mais le Moi, c'est-à-dire la partie rationnelle de l'esprit a bien pour but essentiel le plaisir.

je n'ai pas encore lu Dawkins, donc cela m'étonnerait que ma lecture de Freud soit influencée par le néo-darwinisme. Mais j'ai beaucoup plus lu Lacan que Freud, donc il est possible que j'ai une idée trop lacanienne de Freud.


J'avoue au contraire ne pas connaître Lacan. A mon sens, ce dernier est responsable de beaucoup d'attaques infondées contre Freud (on attaque Lacan en croyant attaquer Freud). J'assume en tout cas mon "freudisme tronqué", tout comme j'assume mon "spinozisme tronqué". Ni Freud, ni Spinoza ne sont acceptables en l'état. Leurs théories nécessitent une grande partie d'amendements (plus Spinoza que Freud d'ailleurs).


Chez Freud, c'est le Désir même de l'homme qui le fait instituer une société civile. C'est bien pourquoi dans le TP il dit qu'il soit IMPOSSIBLE que les hommes annulent tout ce qui relève de la civitas


Dois-je interpréter votre lapsus comme un aveu ? :wink:



oui, tout à fait d'accord, mais pour Freud, ce Surmoi fait partie de l'essence de l'homme. Pour Spinoza, il ne s'agit que d'une idée inadéquate, qui nous est inculquée par des théologiens qui veulent dominer les masses pour en tirer plus de profit, plus de "utile privatum" ... .


Non, le Surmoi ne fait pas partie de l'essence de l'homme. C'est une construction, qui ne peut se faire que par l'éducation. Un homme solitaire ne possèderait pas de Surmoi ; le Surmoi est une création sociale. Par ailleurs, Freud ne souhaite pas fonder la société sur la crainte (infligée par le Surmoi) ; il constate simplement que la vie en société n'est pas possible sans cela. Au contraire, il milite pour une reconnaissance rationnelle de l'utilité de lois (auxquelles on obéit par crainte, mais auxquelles il serait bien mieux d'obéir par reconnaissance de leur utilité).

Ramener Freud à la société viennoise me paraît limitatif. Un sociologue comme Norbert Elias, qui reprend les acquis de la psychanalyse montre avec brio comment tout processus de "civilisation" implique un renoncement à la satisfaction pulsionnelle. Pas besoin de faire référence à l'envie de la mère chez le petit garçon. Manger avec une fourchette, c'est une contrainte socialement déterminée, qui va contre mes pulsions primaires (cf. La civilisation des moeurs).



ben ... disons que j'attends toujours à ce que vous montrez en quoi les idées spinozistes fondamentales sont reprises par Freud ... ?

Il me faudra un peu de temps pour explorer ça clairement :)
la question n'est pas tellement de nier des différences ou non. La question est de savoir si l'un des deux nie qu'il y a des différences ESSENTIELLES. Freud reconnaît les différences, bien sûr (et Lacan, qui mettra l'accent sur le langage, encore davantage), mais sont-elles pour autant ESSENTIELLES, à ses yeux? Je ne vois rien qui m'oblige à le croire. Vous oui?


Le terme "essentiel" est ici trop fort. La conception substantialiste de Spinoza est historiquement marquée. Elle n'est plus tenable aujourd'hui. Je ne crois pas que Freud soit un tenant de la notion de substance. Cette critique ne porte donc pas.

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Messagepar guidel76 » 31 mars 2007, 00:14

Bonsoir :)
Pej a écrit :Certes, un corps humain est constitué des mêmes atomes qu'un corps inanimé. C'est pourquoi mon corps obéit au principe d'inertie, qu'il résiste quand une force s'exerce sur lui, etc. Mais entre le conatus de la pierre, et le conatus d'un être humain, il n'y a pas seulement une différence de degré ; il y a aussi une différence de nature. Le principe d'inertie explique pourquoi mon corps ne s'anéantit pas quand je tombe par terre par exemple, mais il n'explique pas pourquoi j'ai le "désir" de vivre. Sauf bien entendu à adopter un point de vue réductionniste total, qui consiste à ramener l'ensemble des phénomènes biologiques et psychologiques aux lois de la matière (mes pensées seraient alors explicables par de simples transmisions nerveuses, traduisibles en termes physico-chimiques.


Concernant le conatus, il me semble que là où il y a différence essentielle, c'est que le conatus n'est pas universellement désir. C'est là où il y a conscience de l'effort que le conatus devient désir, donc chez l'homme. Et Spinoza ne peut être considéré ni de près ni de loin comme réductionniste, vu que ni l'esprit ne peut déterminer le corps, ni le corps l'esprit. Il faut donc bien distinguer les deux séries qui pourtant expriment la même chose mais chacune dans son ordre. Si à la différence de la pierre j'ai donc le désir de vivre, c'est que l'effort spontanément accompli par tout individu est aussi "réfléchi" chez l'homme (j'ai conscience - idée - de toute affection du corps). Et il me semble que nous ne pouvons pas véritablement parler de différence de "nature" chez Spinoza : même quand il emploie le terme de nature pour l'homme, c'est pour envisager la condition de l'homme (TP). Etendons : la condition de la pierre étant différente de la condition de l'homme, leur effort ne peut être strictement le même. Mais comme structures déployées dans la nature naturée qui est une, pierre et homme leur effort ne peut être radicalement différent. De fait, comme le dit Louisa, on ne peut nier une certaine parenté de l'homme avec le reste de l'univers... nous sommes aussi atomes, etc. en langage spinoziste, il me semble, notre corps est composé d'une multitude de corps, l'homme est un individu très intégré et très complexe, la pierre très intégrée et peu complexe, toute chose différant par son degré de perfection, ou de réalité.
Et en outre, chez Spinoza, on trouve le souci de ne pas réduire le conatus chez l'homme au simple instinct de conservation (à la différence de Hobbes par exemple). Ce n'est donc pas seulement l'ensemble des fonctions biologiques. Et à ce que je connais de Freud, il me semble plus proche à ce niveau de hobbes que de Spinoza...

Pej a écrit :J'ajouterai que la confrontation entre Freud et Spinoza ne doit pas dépasser certaines limites. Spinoza propose une métaphysique là où Freud propose une anthropologie. Ne se plaçant pas au même niveau, il est normal que la comparaison et le rapprochement de certaines de leurs thèses apparaise quelque peu artificiel.

A ce sujet, il me semble que la philosophie de Spinoza consiste essentiellement en une ethique (sans rire !). A la limite, comme Freud (ethos...). La grande différence, c'est que Spinoza assume sans complexe , à la différence de la plupart des penseurs et / ou scientifiques des XIXè et XXè siècles, la nécessaire métaphysique qui sous-tend toute science, et particulièrement toute science de l'homme. Et donc, plutôt que de faire comme s'il n'y avait chez lui aucun arrière-plan métaphysique, il l'explicite et le situe logiquement là où il se trouve : avant toute anthropologie, psychologie, etc. On a forcément, dirait Popper, un "metaphysical research program". Une image du monde, en somme.
Il ne me parait donc pas infondé de proposer une confrontation des deux pensées.

Mais là où il ne faut pas trop faire se rejoindre les deux, c'est que pour Spinoza, je vois mal où on trouve le début de commencement d'une idée d'inconscient. A la limite, chez Leibniz, pourquoi pas.. mais chez Spinoza... Quand il dit que nul ne sait ce que peut le corps, il ne fait pas droit à un inconscient quel qu'il soit. Nous avons une idée de tout ce qui se passe dans ce corps. Mais c'est toujours spontanément une idée inadéquate. Qu'en droit, sinon en fait, on peut toujours clarifier. C'est pourquoi à titre personnel il me semble que Spinoza rejoindrait volontiers Sartre dans sa critique de la psychanalyse (et qu'on peut par exemple lire dans E3 quelque chose qui ressemble à la mauvaise foi... et se traduit par l'illusion du libre arbitre, l'aveuglement sur les valeurs, le recours aux qualités occultes pour expliquer ce qui a trait à l'esprit, etc. Mais bon, là je vais peut-être un peu loin :wink: )

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Messagepar Pej » 31 mars 2007, 09:00

Votre remarque sur le désir est tout à fait juste (cela me fait penser qu'il faudrait que je me replonge dans Spinoza pour avoir les idées plus claires). Malgré tout, le conatus reste un principe métaphysique qui, à mon sens, est réducteur (comme tout principe métaphysique unique).
S'agissant de l'inconscient chez Spinoza, ce qui fait qu'on peut avoir tendance à en faire le précurseur de Freud (mais de toute façon, comme l'a très bien montré Canguilhem, on voit des précurseurs partout, et ce de façon non fondée) c'est lorsqu'il dit que nous nous croyons libre parce que nous n'avons pas conscience des causes qui nous déterminent. Freud dit globalement la même chose. De même, pour Spinoza il s'agit pour devenir libre de prendre connaissance de ces causes, c'est-à-dire de comprendre ce qui nous détermine. Là encore, on peut faire le rapprochement avec la démarche freudienne.
Maintenant, la notion d'inconscient en elle-même chez Freud n'a effectivement rien à voir avec les idées spinozistes.
Quant à dire si Spinoza aurait critiqué la psychanalyse... on tombe effectivement dans la science fiction.

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Messagepar guidel76 » 31 mars 2007, 10:57

Clairement, quand je dis "à titre personnel il me semble que...", on est dans la philosophie fiction et j'en ai bien conscience. Mais c'est toujours le jeu des filiations hasardeuses (au titre desquelles les Modernes - Spinoza, ou Leibniz - et la psychanalyse). La seule chose qu'on puisse vraiment dire, c'est quelque chose du genre " ma lecture du spinozisme me conduit à Freud" ou au contraire "à critiquer la psychanalyse". Ce qui est aussi le "privilège" de nous autres, idéalement situés historiquement après ces auteurs dont nous parlons. C'est aussi il me semble de cette manière qu'on maintient vivante des pensées qui sinon seraient aujourd'hui dépassées : Spinoza ne peut (doit ?) pas intéresser exclusivement les dixseptièmistes.

Par contre, vous dites que le conatus est un principe métaphysique, mais ça me pose un léger problème. Quand j'entends "principe métaphysique", j'ai toujours l'impression qu'il est question d'une qualité occulte, quelque chose de ce genre, que Spinoza à mon sens cherche à éviter le plus possible. Il est certain qu'il peut en prendre les apparences, mais je pense qu'il s'agit surtout d'une manière commode de désigner le déploiement du réel tel qu'il est à l'oeuvre dans chaque individuation de celui-ci. Les choses existent et continuent à exister tant que rien ne vient mettre un terme à cette existence. Je pense que c'est surtout un problème de langage, qui fait qu'on a du mal à dissocier la notion d'effort de quelque chose de conscient, volontaire, l'acte d'un sujet. Mais c'est plutôt un principe physique, je crois.

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Messagepar Louisa » 02 avr. 2007, 04:46

Pej a écrit :Difficile de répondre à tout. Je focalise donc sur certains points.
Citation:
le principe d'inertie, pour autant que je sache, dit seulement qu'aussi longtemps un corps en repos ne soit pas mu par autre chose, il ne bougera pas, et quand il est en mouvement, son trajet ne sera pas dévié aussi longtemps qu'il ne se heurte pas à autre chose. Je ne suis pas du tout certaine que l'on puisse traduire le conatus spinoziste sans reste en ce genre de principe. A mon avis, le conatus est 'antérieur' à tout cela, si j'ose dire: le conatus, c'est ce qui fait qu'une chose soit en repos ou en mouvement, avant même qu'elle a rencontrée une autre chose.


Le principe d'inertie stipule qu'un corps en mouvement persévère dans son état de mouvement tant qu'aucune force ne s'exerce sur lui. Spinoza reprend textuellement ce principe quand il définit le conatus. A mon avis, on peut dire que sans Galilée/Descartes, Spinoza n'aurait pas pu affirmer son conatus.


Spinoza reprend en effet ce principe texto, mais il y ajoute quelque chose: le conatus est EFFORT de perséverer dans son être. Il ne s'agit donc pas du pouvoir actuel ('vis'), de la réussite de cette persévérance ou non, il s'agit, en amont, d'un principe qui explique le principe physique d'inertie.
Puis n'oublions pas que chez Spinoza, ce conatus implique également le désir de BIEN vivre et d'être BIENheureux, c'est-à-dire il implique nécessairement un désir d'augmenter sa puissance d'agir, donc son conatus. Il me semble qu'il soit assez difficile de marier ce principe de changement perpétuel avec celui de l'inertie, non?

Enfin Lalande définit le principe d'inertie physique comme tel: "un point libre de toute liaison mécanique et ne subissant aucune action conserve indéfiniment la même vitesse en grandeur et en direction (y compris le cas où cette vitesse est nulle, c'est-à-dire où le corps est au repos)". Or chez Spinoza, RIEN n'est sans 'liaison mécanique'.
Bref, il me semble être assez risqué de vouloir réduire le conatus au principe physique de l'inertie. Spinoza, pour autant que je sache, ne fait nulle part ce lien. Ce qui n'empêche que les sciences contemporaines l'ont fortement inspirées, bien sûr, mais entre inspiration et reprise telle quelle, il me semble qu'il y a un monde de différence.

Pej a écrit :Concernant la libido, j'avoue que je trahis quelque peu Freud, en la désexualisant partiellement. Mais c'est parce que je prends en compte pulsions d'autoconservation/pulsions sexuelles ensemble comme l'équivalent d'un "conatus freudien".


pourtant, le Vocabulaire de Laplanche et Pontalis souligne qu'il s'agit là chez Freud très explicitement de principes 'antagonistes'. Ce n'est donc pas seulement en désexualisant Freud qui vous 'tronquez' le freudisme, il me semble, mais aussi en supposant qu'un principe de base de cette pensée, qui est cet antagonisme, pourrait se résumer en le conatus spinoziste, qui en effet rassemble les deux principes d'autoconservation et de désir lubrique en un seul et même principe, celui de chercher partout la Joie.
Il va de soi que je ne vois pas pourquoi on devrait être entièrement fidèle à l'un ou l'autre penseur, mais utiliser un concept spinoziste pour désigner un concept qui se trouve à ses antipodes, à quoi cela pourrait-il servir?

Pej a écrit :Citation:
Mais la grande différence (et je le répète, à mon sens elle est bel et bien ESSENTIELLE), c'est que pour Spinoza, les pulsions sexuelles font intégralement partie des pulsions d'auto-conservation. Cela me semble être la grande originalité de Spinoza, par rapport aux trois monothéïsmes ET par rapport à Freud. Et qui, qui n'est pas prêtre ou psychanalyste, pourrait nier cela? Qui n'a PAS déjà ressenti de la Joie après un orgasme? Si on définit la Joie par une augmentation de puissance, je ne vois pas comment ne pas appeler l'orgasme une Joie. Freud a préféré l'appeler 'plaisir', mais ça change tout. Car pour lui, le plaisir s'oppose au principe de réalité, équivalent de la raison spinoziste. Tandis que chez Spinoza, la compréhension est une Joie, donc un plaisir. C'est bien une des raisons pour lesquelles ces deux anthropologies me semblent être tout à fait incompatibles.


Il n'y a pas opposition chez Freud entre le principe de plaisir et le principe de réalité. Il est très clair sur ce point. Le Moi a pour but le plaisir, tout comme le ça. Le principe de réalité, c'est le principe de plaisir avec en plus une prise en compte de la réalité. Mais le Moi, c'est-à-dire la partie rationnelle de l'esprit a bien pour but essentiel le plaisir.


j'ai des difficultés à vous suivre. Ne confondez-vous pas le principe de plaisir avec ce que Freud a appelé le 'principe d'inertie', ou 'principe de Nirvana', qui lui consiste justement à affirmer que les "neurones tendant à évacuer complètement les quantités d'énergie qu'ils reçoivent"?
Laplanche-Pontalis: "Si, en un premier temps, il [Freud, Louisa] se contente d'énoncer une équivalence entre le plaisir et la réduction de tension, entre le déplaisir et l'augmentation de celle-ci, il cesse rapidement de tenir cette relation pour évidente et simple: " ... ne négligeons pas le caractère hautement indéterminé de cette hypothèse, tant que nous n'aurons pas réussi à déceler la nature de la relation entre plaisir-déplaisir et les variations dans les quantités d'excitations qui agissent sur la vie psychique. Ce qu'il y a de sûr, c'est que si de telles relations peuvent être très diverses, elles ne peuvent pas en tout cas être très simples."" (citation dans la citation = Freud)

En tout cas, si on assimile le principe de plaisir à un principe de réduction à zéro (tension), on est quasiment obligé d'assimiler le principe de plaisir à la pulsion de mort, ce qui de nouveau est contradictoire. Et si on les distingue clairement, on ne voit pas très bien ce qui, quantitativement parlant, pourrait correspondre au principe de plaisir chez Freud.
Spinoza en revanche le formule d'une façon 'positive': si le plaisir devient Joie, l'élimination de quantité d'énergie (chez Freud celles-ci s'identifient, chez Spinoza elles s'opposent) n'est rien d'autre qu'une Tristesse, car l'individu est précisément un degré de puissance. Si on en retire une quantité x, alors l'individu est moins puissant et Triste. Il me semble que cette hypothèse permet d'éviter de tomber dans les travers du freudisme, qui propose une conception du plaisir très ambiguë, voire contradictoire.

Pej a écrit :Citation:
je n'ai pas encore lu Dawkins, donc cela m'étonnerait que ma lecture de Freud soit influencée par le néo-darwinisme. Mais j'ai beaucoup plus lu Lacan que Freud, donc il est possible que j'ai une idée trop lacanienne de Freud.


J'avoue au contraire ne pas connaître Lacan. A mon sens, ce dernier est responsable de beaucoup d'attaques infondées contre Freud (on attaque Lacan en croyant attaquer Freud).


c'est bien possible en effet. En tout cas, pour autant que je sache, Freud concevait la psychanalyse quasiment comme une branche de la biologie, tandis que pour Lacan la psychanalyse n'est pas une science exacte. Et il doit y avoir d'autres oppositions plus ou moins manifestes.

Pej a écrit :J'assume en tout cas mon "freudisme tronqué", tout comme j'assume mon "spinozisme tronqué". Ni Freud, ni Spinoza ne sont acceptables en l'état. Leurs théories nécessitent une grande partie d'amendements (plus Spinoza que Freud d'ailleurs).


que voulez-vous dire par 'acceptable'?
Sinon j'ai l'impression que beaucoup de choses que vous dites ici peuvent être retrouvées dans le spinozisme, mais pas dans le freudisme. Je ne vois donc pas très bien ce que vous appréciez chez Freud et qui ne se trouverait pas chez Spinoza.

Pej a écrit :Citation:
Chez Freud, c'est le Désir même de l'homme qui le fait instituer une société civile. C'est bien pourquoi dans le TP il dit qu'il soit IMPOSSIBLE que les hommes annulent tout ce qui relève de la civitas


Dois-je interpréter votre lapsus comme un aveu ?


si vous êtes du côté des analystes, vous êtes en effet quasiment obligé d'interpréter les lapsus comme des aveus, aveus de reconnaissance de la théorie freudienne, bien sûr. Mais si vous penchez plutôt du côté du spinozisme, la E2P47 vous démontrera que "c'est de là que naissent la plupart des controverses, à savoir, de ce que les hommes n'expliquent pas correctement leur pensée, ou bien de ce qu'ils interprètent mal la pensée d'autrui. Car en vérité, alors même qu'ils se contredisent au plus haut degré, ils pensent ou bien la même chose ou bien à des choses différentes, si bien que ce qu'ils pensent être chez autrui erreurs et absurdités n'en sont pas."
Si vous rencontrez quelqu'un qui dit que sa maison s'est envolée dans la poule du voisin, vous pouvez 'sexualiser' le tout et essayer ensuite d'en faire une histoire freudienne. Mais Spinoza vous avertit: en faisant cela, vous risquez d'aggraver ce qui n'est qu'un simple malentendu 'humain trop humain' ... .

Pej a écrit :Citation:
oui, tout à fait d'accord, mais pour Freud, ce Surmoi fait partie de l'essence de l'homme. Pour Spinoza, il ne s'agit que d'une idée inadéquate, qui nous est inculquée par des théologiens qui veulent dominer les masses pour en tirer plus de profit, plus de "utile privatum" ... .


Non, le Surmoi ne fait pas partie de l'essence de l'homme. C'est une construction, qui ne peut se faire que par l'éducation. Un homme solitaire ne possèderait pas de Surmoi ; le Surmoi est une création sociale. Par ailleurs, Freud ne souhaite pas fonder la société sur la crainte (infligée par le Surmoi) ; il constate simplement que la vie en société n'est pas possible sans cela. Au contraire, il milite pour une reconnaissance rationnelle de l'utilité de lois (auxquelles on obéit par crainte, mais auxquelles il serait bien mieux d'obéir par reconnaissance de leur utilité).


Freud peut 'constater' ce qu'il veut, si c'est en même temps lui qui invente l'idée de la 'Wunscherfüllung', alors rien n'empêche qu'une théorie humaine ne soit issue que du désir humain de croire en telle vérité et pas en une autre.
Puis au début du 'Das Unbehagen der Kultur', il dit explicitement (désolée, je ne dispose que de la version anglaise): "Further reflection tells us that the adult's ego-feeling cannot have been the same frome the beginning. It must have gone through a process of development, which cannot, of course, be demanstrated, but which admits of being constructed with a fair degree of probabilité." C'est-à-dire l'idée d'un surgissement du Moi à partir d'un développement n'est qu'une hypothèse que, selon Freud, on ne peut pas démontrer.
En plus, dans les 'Three Essays', Freud écrit: "One gets an impression from civilized children that the construction of these dams is a product of education, and no doubt education has much to do with it. But in reality this development is organically determined and fixed by heredity, and it can occasionally occur without any help at al from education."
Il me semble qu'ici nous avons tout de même la négation claire et nette de l'idée que le Surmoi ne serait qu'un résultat de l'éducation.

Pej a écrit :Ramener Freud à la société viennoise me paraît limitatif. Un sociologue comme Norbert Elias, qui reprend les acquis de la psychanalyse montre avec brio comment tout processus de "civilisation" implique un renoncement à la satisfaction pulsionnelle. Pas besoin de faire référence à l'envie de la mère chez le petit garçon. Manger avec une fourchette, c'est une contrainte socialement déterminée, qui va contre mes pulsions primaires (cf. La civilisation des moeurs).


je ne vois pas contre quelle pulsion primaire irait l'idée de manger avec une fourchette. Comment un enfant, qui n'a pas encore été 'culturalisé', et qui donc au début ne sait même rien de l'existence de quelque chose comme une fourchette, pourrait-il avoir une 'pulsion primaire' de NE PAS manger avec fourchette ... ?
Puis on sait bien qu'un tas de psychanalystes ou de sympathisants ont entrepris une lecture de l'histoire en imposant la grille analytique ... comme l'a dit Spinoza, souvent ils ne montrent rien d'autre que le grand génie de leur esprit ... . Entre pouvoir déformer l'histoire dans le sens qui vous plaît le plus, et faire un travail d'historien, il y a tout de même une différence, non?
Mais sinon effectivement, je ne crois pas qu'il faille ramener Freud à la société viennoise. Sans doute toute société christianisée à partir d'un certain moment commence à être fasciné par le sexe, et en fait simultanément ce qui serait le plus humain et ce qui serait le plus dangereux pour l'homme. Cependant, à mon avis il a tout de même fallu que Freud naisse dans une culture non spinoziste, c'est-à-dire dans une culture qui fait du désir sexuel le centre même de l'homme, pour avoir pu accorder une telle importance à la sexualité dans l'organisation de la structure personnelle. Cette culture ne se limitait pas du tout à la Vienne du XIXe, mais elle n'a jamais été 'universelle' non plus .. .

Pej a écrit :Citation:
la question n'est pas tellement de nier des différences ou non. La question est de savoir si l'un des deux nie qu'il y a des différences ESSENTIELLES. Freud reconnaît les différences, bien sûr (et Lacan, qui mettra l'accent sur le langage, encore davantage), mais sont-elles pour autant ESSENTIELLES, à ses yeux? Je ne vois rien qui m'oblige à le croire. Vous oui?


Le terme "essentiel" est ici trop fort. La conception substantialiste de Spinoza est historiquement marquée. Elle n'est plus tenable aujourd'hui. Je ne crois pas que Freud soit un tenant de la notion de substance. Cette critique ne porte donc pas.


je ne vois pas pourquoi il faudrait être spinoziste pour supposer que toute théorie anthropologique qui a survécu les siècles ait une cohérence propre, et que des lors certains 'dogmes' soient fondamentaux, d'autres plus périphériques, dans le sens où quand on les enlèvent de la théorie ou même les remplace par leur contraires, la théorie en tant que telle demeure cohérente. Mon problème avec ce que vous écrivez, c'est que vous dites pouvoir retrouver Spinoza dans Freud, tandis que j'ai l'impression que pour l'instant, vous ne fait qu'éliminer des thèses fondamentales du freudisme pour essayer d'en faire un spinozisme. Cela, en théorie, peut être tout à fait faisable, mais si les thèses éliminées du freudisme se trouvent être au coeur même de cette pensée, alors je crains que vous êtes en train de faire ce que j'ai dit au début ici: réduire l'un à l'autre sur base de ressemblances superficielles.

Sinon je ne vois pas ce qui vous motive à dire que la notion de substance spinoziste ne serait plus 'tenable' aujourd'hui?
Bien à vous,
Louisa

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Messagepar Pej » 03 avr. 2007, 16:10

Louisa a écrit :Spinoza reprend en effet ce principe texto, mais il y ajoute quelque chose: le conatus est EFFORT de perséverer dans son être. Il ne s'agit donc pas du pouvoir actuel ('vis'), de la réussite de cette persévérance ou non, il s'agit, en amont, d'un principe qui explique le principe physique d'inertie.
Puis n'oublions pas que chez Spinoza, ce conatus implique également le désir de BIEN vivre et d'être BIENheureux, c'est-à-dire il implique nécessairement un désir d'augmenter sa puissance d'agir, donc son conatus. Il me semble qu'il soit assez difficile de marier ce principe de changement perpétuel avec celui de l'inertie, non ?

Enfin Lalande définit le principe d'inertie physique comme tel: "un point libre de toute liaison mécanique et ne subissant aucune action conserve indéfiniment la même vitesse en grandeur et en direction (y compris le cas où cette vitesse est nulle, c'est-à-dire où le corps est au repos)". Or chez Spinoza, RIEN n'est sans 'liaison mécanique'.
Bref, il me semble être assez risqué de vouloir réduire le conatus au principe physique de l'inertie. Spinoza, pour autant que je sache, ne fait nulle part ce lien. Ce qui n'empêche que les sciences contemporaines l'ont fortement inspirées, bien sûr, mais entre inspiration et reprise telle quelle, il me semble qu'il y a un monde de différence.


Bien entendu, le "conatus" spinoziste n'est pas le principe d'inertie. Je voulais juste souligner le fait que le conatus prend modèle sur un principe physique, et que Spinoza donne à ce principe, à travers son conatus, une extension qui, à mon sens, est abusive. Une pierre qui persévère dans son état de mouvement, et un être vivant qui reste en vie, ce sont à mon avis deux phénomènes qui sont de nature différente. Pas pour Spinoza, d'où ma critique (ce qui me faisait qualifier Spinoza de "réductionniste".)

Louisa a écrit :pourtant, le Vocabulaire de Laplanche et Pontalis souligne qu'il s'agit là chez Freud très explicitement de principes 'antagonistes'. Ce n'est donc pas seulement en désexualisant Freud qui vous 'tronquez' le freudisme, il me semble, mais aussi en supposant qu'un principe de base de cette pensée, qui est cet antagonisme, pourrait se résumer en le conatus spinoziste, qui en effet rassemble les deux principes d'autoconservation et de désir lubrique en un seul et même principe, celui de chercher partout la Joie.
Il va de soi que je ne vois pas pourquoi on devrait être entièrement fidèle à l'un ou l'autre penseur, mais utiliser un concept spinoziste pour désigner un concept qui se trouve à ses antipodes, à quoi cela pourrait-il servir?


Qu'il y ait un dualisme des pulsions chez Freud n'autorise pas, à mon sens, à parler d'antagonisme car cela signifierait qu'il y aurait opposition entre pulsions sexuelles et pulsions d'autoconservation, ce qui n'est pas le cas. Freud explique bien que les pulsions sexuelles se détachent des pulsions d'autoconservation dont elles proviennent.
Evidemment, quand je parle de "conatus freudien", ce n'est qu'une façon de parler. Loin de moi l'idée de créer un tel concept.


Louisa a écrit :j'ai des difficultés à vous suivre. Ne confondez-vous pas le principe de plaisir avec ce que Freud a appelé le 'principe d'inertie', ou 'principe de Nirvana', qui lui consiste justement à affirmer que les "neurones tendant à évacuer complètement les quantités d'énergie qu'ils reçoivent"?
Laplanche-Pontalis: "Si, en un premier temps, il [Freud, Louisa] se contente d'énoncer une équivalence entre le plaisir et la réduction de tension, entre le déplaisir et l'augmentation de celle-ci, il cesse rapidement de tenir cette relation pour évidente et simple: " ... ne négligeons pas le caractère hautement indéterminé de cette hypothèse, tant que nous n'aurons pas réussi à déceler la nature de la relation entre plaisir-déplaisir et les variations dans les quantités d'excitations qui agissent sur la vie psychique. Ce qu'il y a de sûr, c'est que si de telles relations peuvent être très diverses, elles ne peuvent pas en tout cas être très simples."" (citation dans la citation = Freud)

En tout cas, si on assimile le principe de plaisir à un principe de réduction à zéro (tension), on est quasiment obligé d'assimiler le principe de plaisir à la pulsion de mort, ce qui de nouveau est contradictoire. Et si on les distingue clairement, on ne voit pas très bien ce qui, quantitativement parlant, pourrait correspondre au principe de plaisir chez Freud.
Spinoza en revanche le formule d'une façon 'positive': si le plaisir devient Joie, l'élimination de quantité d'énergie (chez Freud celles-ci s'identifient, chez Spinoza elles s'opposent) n'est rien d'autre qu'une Tristesse, car l'individu est précisément un degré de puissance. Si on en retire une quantité x, alors l'individu est moins puissant et Triste. Il me semble que cette hypothèse permet d'éviter de tomber dans les travers du freudisme, qui propose une conception du plaisir très ambiguë, voire contradictoire.


Freud est là encore on ne peut plus clair : le Moi a le même but que le ça. Je cite un extrait de Psychanalyse et médecine :
"Les pulsions du « Ça » aspirent à des satisfactions immédiates, brutales, et n'obtiennent ainsi rien, ou bien même se causent un dommage sensible. Il échoit maintenant pour tâche au « Moi » de parer à ces échecs, d'agir comme intermédiaire entre les prétentions du « Ça » et les oppositions que celui-ci rencontre de la part du monde réel extérieur. Le "Moi" déploie son activité dans deux directions. D’une part, il observe, grâce aux organes des sens, du système de la conscience, le monde extérieur, afin de saisir l’occasion propice à une satisfaction exempte de périls ; d’autre part, il agit sur le "Ça", tient en bride les passions de celui-ci, incite les instincts à ajourner leur satisfaction ; même quand cela est nécessaire, il leur fait modifier les buts auxquels ils tendent ou les abandonner contre des dédommagements. En imposant ce joug aux élans du "Ça", le "Moi" remplace le principe de plaisir, primitivement seul en vigueur, par le principe dit "de réalité" qui certes poursuit le même but final, mais en tenant compte des conditions imposées par le monde extérieur."
= Le principe de réalité poursuit le même but que le principe de plaisir.
J'admets cependant que la question du plaisir chez Freud ne va pas sans poser problème (comme vous le signalez à propos de la réduction des tensions).


Louisa a écrit :que voulez-vous dire par 'acceptable'?
Sinon j'ai l'impression que beaucoup de choses que vous dites ici peuvent être retrouvées dans le spinozisme, mais pas dans le freudisme. Je ne vois donc pas très bien ce que vous appréciez chez Freud et qui ne se trouverait pas chez Spinoza.


Dire ce qu'on trouve chez Freud et qu'on ne trouve pas chez Spinoza serait beaucoup trop long (même si c'est effectivement fondamental). Par "acceptable" je voulais parler d'idées qui ne sont pas contredites par les faits.

J'avoue que j'ai été déçu à la lecture de la Psychopathologie de la vie quotidienne (qui est loin d'être le meilleur livre de Freud). L'exemple des lapsus est cependant très intéressant. Freud montre (et à cet égard son analyse vaut encore aujourd'hui) que depuis très longtemps les hommes ont eu tendance à considérer le lapsus comme révélateur. Bien entendu, on peut contester cette thèse. Mais avouez que la multitude des exemples est troublante (pas plus tard que la semaine dernière, une élève m'a fourni un exemple savoureux : au lieu de dire, à propos d'un de ses camarades de classe, "il est dans ma classe", elle avait dit à deux reprises "il est dans ma chambre". Or, elle a concédé que le camarade ne lui était pas indifférent...)

Louisa a écrit :Freud peut 'constater' ce qu'il veut, si c'est en même temps lui qui invente l'idée de la 'Wunscherfüllung', alors rien n'empêche qu'une théorie humaine ne soit issue que du désir humain de croire en telle vérité et pas en une autre.
Puis au début du 'Das Unbehagen der Kultur', il dit explicitement (désolée, je ne dispose que de la version anglaise): "Further reflection tells us that the adult's ego-feeling cannot have been the same frome the beginning. It must have gone through a process of development, which cannot, of course, be demanstrated, but which admits of being constructed with a fair degree of probabilité." C'est-à-dire l'idée d'un surgissement du Moi à partir d'un développement n'est qu'une hypothèse que, selon Freud, on ne peut pas démontrer.
En plus, dans les 'Three Essays', Freud écrit: "One gets an impression from civilized children that the construction of these dams is a product of education, and no doubt education has much to do with it. But in reality this development is organically determined and fixed by heredity, and it can occasionally occur without any help at al from education."
Il me semble qu'ici nous avons tout de même la négation claire et nette de l'idée que le Surmoi ne serait qu'un résultat de l'éducation.


En 1905, lorsqu'il écrit les Trois essais sur la sexualité, Freud n'a pas encore élaboré le concept de Surmoi. Par la suite, il soulignera clairement qu'il s'agit de quelque chose de construit, sur le modèle parental en particulier. Dans "L'avenir d'une illusion" (que j'ai lu plus récemment que "Le malaise dans la culture", que vous citez), Freud fait explicitement le lien entre les règles culturelles et la construction du Surmoi qui consiste en l'intériorisation de ces règles culturelles.

Louisa a écrit :je ne vois pas contre quelle pulsion primaire irait l'idée de manger avec une fourchette. Comment un enfant, qui n'a pas encore été 'culturalisé', et qui donc au début ne sait même rien de l'existence de quelque chose comme une fourchette, pourrait-il avoir une 'pulsion primaire' de NE PAS manger avec fourchette ... ?
Puis on sait bien qu'un tas de psychanalystes ou de sympathisants ont entrepris une lecture de l'histoire en imposant la grille analytique ... comme l'a dit Spinoza, souvent ils ne montrent rien d'autre que le grand génie de leur esprit ... . Entre pouvoir déformer l'histoire dans le sens qui vous plaît le plus, et faire un travail d'historien, il y a tout de même une différence, non?
Mais sinon effectivement, je ne crois pas qu'il faille ramener Freud à la société viennoise. Sans doute toute société christianisée à partir d'un certain moment commence à être fasciné par le sexe, et en fait simultanément ce qui serait le plus humain et ce qui serait le plus dangereux pour l'homme. Cependant, à mon avis il a tout de même fallu que Freud naisse dans une culture non spinoziste, c'est-à-dire dans une culture qui fait du désir sexuel le centre même de l'homme, pour avoir pu accorder une telle importance à la sexualité dans l'organisation de la structure personnelle. Cette culture ne se limitait pas du tout à la Vienne du XIXe, mais elle n'a jamais été 'universelle' non plus .. .


"Instinctivement", l'homme (en tout cas le nourrisson) mange avec ses doigts. Ce n'est qu'au prix de grands efforts que l'on nous a appris à manger avec une fourchette. De même, comment expliquer quelque chose comme la pudeur sans faire appel à l'idée de refoulement pulsionnel ? Si je ne fais pas l'amour en public, alors même qu'il peut m'arriver d'en avoir envie, c'est parce que j'ai intériorisé certaines règles sociales.
N'hésitez pas à lire Norbert Elias (si ce n'est pas déjà fait) et vous verrez que ses analyses sont extrêmement pertinentes.

Louisa a écrit :je ne vois pas pourquoi il faudrait être spinoziste pour supposer que toute théorie anthropologique qui a survécu les siècles ait une cohérence propre, et que des lors certains 'dogmes' soient fondamentaux, d'autres plus périphériques, dans le sens où quand on les enlèvent de la théorie ou même les remplace par leur contraires, la théorie en tant que telle demeure cohérente. Mon problème avec ce que vous écrivez, c'est que vous dites pouvoir retrouver Spinoza dans Freud, tandis que j'ai l'impression que pour l'instant, vous ne fait qu'éliminer des thèses fondamentales du freudisme pour essayer d'en faire un spinozisme. Cela, en théorie, peut être tout à fait faisable, mais si les thèses éliminées du freudisme se trouvent être au coeur même de cette pensée, alors je crains que vous êtes en train de faire ce que j'ai dit au début ici: réduire l'un à l'autre sur base de ressemblances superficielles.

Sinon je ne vois pas ce qui vous motive à dire que la notion de substance spinoziste ne serait plus 'tenable' aujourd'hui?


Attention, je ne veux pas faire du freudisme un spinozisme. Le point de départ de la discussion avait trait aux liens entre Spinoza et psychanalyse. Je continue à penser qu'on retrouve des similitudes fondamentales (et non des identités) entre les deux démarches, ne serait-ce que parce qu'il s'agit dans les deux cas d'une entreprise de libération fondée sur l'usage de la raison (ou dit autrement, qu'apprendre à connaître ce qui nous détermine permet d'acquérir plus de liberté). D'ailleurs, que Freud ait pu citer Nietzsche et Spinoza parmi les philosophes dont il est proche (même si c'est pour nier l'influence qu'ils ont eu sur lui) montre bien que Freud lui-même avait conscience des liens qu'on pouvait faire. Sinon comment expliquer qu'il cite particulièrement ces deux là et pas Kant, Hegel, Descartes ou Locke ? (rappelons que Nietzsche se reconnaissait en Spinoza sur de nombreux points. La filiation Spinoza, Nietzsche, Freud, même si elle doit être maniée avec précaution n'est donc pas à mon sens une simple lubie).

Cordialement

Pej[/i]

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Messagepar Pej » 03 avr. 2007, 16:12

Sur la "substance" spinoziste, je n'ai malheureusement pas le courage de répondre aujourd'hui...

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Messagepar Pej » 15 mai 2007, 20:33

Je ressors ce sujet des oubliettes, après être retombé sur quelques extraits de Spinoza.
A mon avis, on peut voir dans ces passages de Spinoza, des idées qui seront reprises presque telles quelles par Freud :

"Si les hommes étaient ainsi disposés par la Nature qu’ils n’eussent de désir que pour ce qu’enseigne la vraie Raison, certes la société n’aurait besoin d’aucunes lois, il suffirait absolument d’éclairer les hommes par des enseignements moraux pour qu’ils fissent d’eux-mêmes et d’une âme libérale ce qui est vraiment utile. Mais tout autre est la disposition de la nature humaine ; tous observent bien leur intérêt, mais ce n’est pas suivant l’enseignement de la droite Raison ; c’est le plus souvent entraînés par leur seul appétit de plaisir et les passions de l’âme (qui n’ont aucun égard à l’avenir et ne tiennent compte que d’elles-mêmes) qu’ils désirent quelque objet et le jugent utile. De là vient que nulle société ne peut subsister sans un pouvoir de commandement et une force, et conséquemment sans des lois qui modèrent et contraignent l’appétit du plaisir et les passions sans frein." Traité théologico-politique, Chapitre V, §§ 6-13.
"Les hommes, en effet, ne naissent pas aptes à la vie en société, ils le deviennent." Traité politique, Chapitre V, § 2.

Voici par exemple ce que Freud écrit dans L'avenir d'une illusion (Chapitre I) :

"Il est remarquable que les hommes, si tant est qu'ils puissent exister dans l'isolement, ressentent néanmoins comme une pression pénible les sacrifices que la culture attend d'eux pour permettre une vie en commun."
"Il semble bien […] que toute culture doive nécessairement s'édifier sur la contrainte et le renoncement pulsionnel."
"Il faut selon moi compter avec le fait que, chez tous les hommes, sont présentes des tendances destructives, donc antisociales et anticulturelles, et qu'elles sont, chez un grand nombre de personnes, suffisamment fortes pour déterminer leur comportement dans la société humaine."


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