"Nul ne peut avoir Dieu en haine" ETV,18

Lecture pas à pas de l'Ethique de Spinoza. Il est possible d'examiner un passage en particulier de cette oeuvre.
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Faun
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Messagepar Faun » 08 juil. 2007, 15:35

sescho a écrit : Tout le contraire d'une "nuit" pour qui a les yeux ouverts. Le problème c'est de les ouvrir...


Spinoza dit bien que plus nous connaissons de choses singulières, plus nous comprenons Dieu. Cela signifie évidemment que Dieu ne peut jamais être absolument connu par un mode singulier. Je pense même qu'il ne peut pas être absolument compris par l'intellect divin, dont chaque intellect particulier est une partie. Dans cette mesure Dieu ne se connaît pas lui-même, Dieu est inconscient de lui-même.

L'idée d'un Dieu qui sait tout et voit tout me semble être une paranoïa collective crée et entretenue par les prêtres pour assurer leur domination, leur pouvoir, leur emprise sur les esprits.

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Vagabond
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Messagepar Vagabond » 08 juil. 2007, 18:39

Sur la haine de Dieu... En effet puisque tout est Dieu et fait par lui, tout ce qui nous nuit, est cause par lui... En meme temps, Spinoza a ecrit ceci (concernant une pierre qui tombe et qui tue un passant):

Pourquoi le vent a-t-il soufflé à ce moment ? pourquoi un homme a-t-il passé par là, précisément à ce même moment ? Répondrez-vous encore que le vent a soufflé parce que, la veille, la mer avait commencé de s'agiter, quoique le temps fût encore calme, et que l'homme a passé par là parce qu'il se rendait à l'invitation d'un ami, ils vous presseront encore d'autres questions : Mais pourquoi la mer était-elle agitée ? pourquoi cet homme a-t-il été invité à cette même époque ? Et ainsi ils ne cesseront de vous demander la cause de la cause, jusqu'à ce que vous recouriez à la volonté de Dieu, c'est-à-dire à l'asile de l'ignorance.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 08 juil. 2007, 20:29

Faun a écrit :Spinoza dit bien que plus nous connaissons de choses singulières, plus nous comprenons Dieu. Cela signifie évidemment que Dieu ne peut jamais être absolument connu par un mode singulier. Je pense même qu'il ne peut pas être absolument compris par l'intellect divin, dont chaque intellect particulier est une partie. Dans cette mesure Dieu ne se connaît pas lui-même, Dieu est inconscient de lui-même.

L'idée d'un Dieu qui sait tout et voit tout me semble être une paranoïa collective crée et entretenue par les prêtres pour assurer leur domination, leur pouvoir, leur emprise sur les esprits.


pourtant, Spinoza dit en l'E2P1 que Dieu est chose pensante infinie, et en l'E2P3 il démontre que:

"En Dieu il y a nécessairement une idée tant de son essence que de tout ce qui suit nécessairement de son essence."

C'est bien pourquoi le Dieu spinoziste est omniscient: il a une idée de tout, aussi bien de sa propre essence que de toute chose particulière qui en suit.

D'ailleurs, à propos de la prédestination dont nous discutions dans l'autre fil: en l'E1 Appendice Spinoza dit qu'il croît avoir expliqué la nature de Dieu et ses propriétés, à savoir "que tout a été prédéterminé par Dieu, non certes par la liberté de la volonté, autrement dit par le bon plaisir absolu, mais par la nature absolue de Dieu, autrement dit l'infinie puissance."
'Prédéterminé' est la traduction littérale de 'praedeterminatus'. Ce que j'écrivais cc le 'pré' (qu'il s'agit d'un aspect temporel, et donc imaginaire) doit donc être nuancé. Mais la prédétermination n'est pas encore la prédestination, au sens où il n'y a aucune cause finale donc aucun destin en Dieu.
Cordialement,
louisa

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Messagepar Enegoid » 09 juil. 2007, 14:04

Réponse à Sescho

Donc, pour vous, il s’agit bien de vision, donc de lumière, voire peut-être d’illumination. Pourquoi pas ? J’admets volontiers que des idées nouvelles apparaissent dans la nuit de nos ignorances, créant ainsi des îlots de béatitude, dont le paradigme est, pour moi, le « Eureka » d’Archimède.
(Je m’accroche assez, pour ma part, à cette phrase du TRE « … avant tout, il nous est nécessaire de tirer toujours toutes nos idées de choses physiques, c’est-à-dire d’êtres réels… »)

Seule objection (de pure logique) à votre texte : « Dieu, c'est la Nature, une et universelle, seule libre tout en étant nécessaire, omnipotente et omniprésente (Spinoza ajoute : omnisciente.) Tout le contraire d'une "nuit" pour qui a les yeux ouverts. Le problème c'est de les ouvrir... »

Votre « tout le contraire » me paraît inexact. Les deux termes comparés n’ont rien à voir, et ne sont pas contraires l’un à l’autre. Ce n’est pas parce qu’une chose est qualifiée d’universelle etc. qu’elle est le contraire de la nuit. Le contraire de la nuit c’est le jour.

Amicalement, également

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Messagepar Faun » 10 juil. 2007, 13:43

Le Dieu de Spinoza pense c'est certain, cependant cela ne raisonne pas, ne juge pas. Ces actions de l'Esprit se trouvent seulement dans les modes pensants.

Le Dieu affirme toute chose, et tire de cette affirmation infinie une joie suprême, l'Amour.

Sur la prédestination divine, le terme est bien chez Spinoza, contrairement à celui d'omniscient, qui ne se trouve quà titre de citation d'autres auteurs dans les Pensées Métaphysiques.

Mais Spinoza précise bien qu'il s'agit d'une détermination par l'absolue puissance, qui est aussi l'absolue liberté. Par suite, ce qui est nécessairement prédéterminée, c'est l'infinie liberté de la vie.

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Messagepar Louisa » 10 juil. 2007, 20:28

Faun a écrit :Le Dieu de Spinoza pense c'est certain, cependant cela ne raisonne pas, ne juge pas. Ces actions de l'Esprit se trouvent seulement dans les modes pensants.

Le Dieu affirme toute chose, et tire de cette affirmation infinie une joie suprême, l'Amour.


ce qui veut dire que pour vous être omniscient signifierait juger tout, tandis que affirmer toute chose en en ayant une idée ne serait pas être omniscient? Si oui, quelle serait selon vous la distinction spinoziste entre juger et penser, ou entre raisonner et penser?

A mon sens, chez Spinoza le savoir ou la connaissance se définit uniquement par le fait d'avoir une idée, il me semble. Etre omniscient ne veut rien dire d'autre de savoir ou connaître tout, c'est-à-dire d'avoir une idée de tout, et une idée de ces idées.

Faun a écrit :
Sur la prédestination divine, le terme est bien chez Spinoza, contrairement à celui d'omniscient, qui ne se trouve quà titre de citation d'autres auteurs dans les Pensées Métaphysiques.


serait-il possible d'indiquer un endroit où Spinoza parle non pas de la prédétermination mais de la prédestination pour désigner sa philosophie?

Faun a écrit :Mais Spinoza précise bien qu'il s'agit d'une détermination par l'absolue puissance, qui est aussi l'absolue liberté. Par suite, ce qui est nécessairement prédéterminée, c'est l'infinie liberté de la vie.


je crains que pour moi, c'est y aller un peu trop vite. Si Dieu est bel et bien cause libre, ce n'est que lui qui est cause libre, et non pas les modes ou choses singulières. Celles-ci peuvent être des causes adéquates, mais justement, ce n'est que dans la MESURE où elles sont causes adéquates d'un de leurs effets qu'elles peuvent être dites libres. C'est bien pourquoi à mon avis les choses singulières ne sont pas du tout 'infinie liberté'. Elles n'ont qu'une liberté très limitée, 'mesurée' par le nombre d'idées adéquates qu'elles ont, autrement dit, par leur degré de puissance.

Conclusion: les êtres humains, comme choses singulières, peuvent poser des actes libres, mais cela n'empêche qu'elles sont principalement prédéterminées à ne PAS être libre. C'est bien pourquoi Spinoza l'a jugé utile d'écrire toute une partie de l'Ethique sur la 'servitude humaine'. Si nous vivions dans une liberté infinie, il n'y aurait aucune servitude. Or il se fait qu'en pratique, très peu sont les gens qui arrivent à la béatitude ou la liberté suprême.

Enfin, pour revenir un instant sur la notion de paresse: il me semble qu'elle a besoin d'une conception du monde où la seule détermination qui existe, c'est celle qui nous donne la possibilité de choisir, et donc aussi bien la possibilité de choisir un acte qui nécessite un grand effort que de choisir un acte qui demande peu d'effort. Mais à mon sens, le fait que tout est déterminé et qu'être libre ne veut rien dire d'autre qu'être seul cause de son acte (acte qui est tout aussi déterminé que les actes non libres) le rend impossible de concevoir dans un tel système l'idée de 'choix'. Le sentiment d'avoir un choix, dit Spinoza, n'est rien d'autre qu'une inconscience des causes qui déterminent toutes les actions. C'est une idée inadéquate. Etre libre chez lui ne veut pas dire pouvoir et donc devoir choisir. Cela veut juste dire qu'aucune autre cause que moi-même a concouru pour produire tel ou tel effet. C'est pourquoi la paresse n'est jamais mentionné par Spinoza, je crois. Seul celui qui a un choix peut être paresseux, non?
louisa

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Messagepar Ulis » 10 juil. 2007, 23:56

et pourtant Louisa, pourquoi Spinoza nous conduirait-il comme par la main ... pourquoi aurait-il écrit l'Ethique si nous étions totalement déterminés et si à aucun moment nous ne pouvions opter pour la raison contre la paresse ?
ulis

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Messagepar Louisa » 11 juil. 2007, 00:17

Ulis a écrit :et pourtant Louisa, pourquoi Spinoza nous conduirait-il comme par la main ... pourquoi aurait-il écrit l'Ethique si nous étions totalement déterminés et si à aucun moment nous ne pouvions opter pour la raison contre la paresse ?


et pourquoi l'Ethique ne serait-il pas être un livre dont il était déterminé qu'un jour Spinoza l'écrirait, qu'un jour nous le lirions, et qu'un jour il serait une des multiples causes qui déterminent notre vie dans un sens et pas dans un autre?

Jamais Spinoza oppose la raison à la paresse (à moins que quelqu'un puisse m'indiquer un passage précis?). Pour autant que je sache, il oppose la raison à la passion. Cela me semble être très différent. La passion ne se définit pas par le fait d'être déterminé, contrairement à la raison qui nous élèverait au-dessus de toute détermination ou insérerait une part d'indétermination dans la nature. La passion veut tout simplement dire que DEUX causes nous déterminent: une qui est notre nature, et une autre qui est la nature d'une chose extérieure à nous. Lorsqu'en revanche nous agissons, dit Spinoza, cet acte se définit par le fait que notre nature (qui est la raison) est la SEULE cause de l'acte. Dans les deux cas, tout est entièrement déterminé, c'est-à-dire affaire de rapports de cause à effet, rapports qui se déroulent selon des lois naturelles nécessaires, éternelles et immuables. La seule différence est le nombre de causes, non ... ?
louisa

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Messagepar Ulis » 11 juil. 2007, 10:31

Oui Louisa, Spinoza nous dit que nous disposons du pouvoir d'agir, relatif et toujours déterminé par notre propre nature, qui n'est qualifié de libre que dans la mesure ou il est exercé sans contrainte, non déterminé par des causes extérieures et est adéquat, c'est à dire inspiré par la raison et ainsi accroît notre puissance et notre perfection.
Le projet de Spinoza dans l'Ethique est, me semble-il de nous permettre de dominer les affections qui nous plombent et de prendre un certain contrôle sur elles, par la raison, qui est définie comme l'utile propre de chacun, compatible avec l'utilité commune (notre intérêt bien compris) lequel contrôle s'exerce par la connaissance.
Spinoza nous dit donc que nous possédons le pouvoir de nous libérer, enfin sauf les idiots, les ignorants... et les paresseux ! et que nous pouvons nous affranchir de notre déterminisme externe.
Par ailleurs, je pense que chacun n'est pas asservi à la raison, comme tu le dis précédemment, mais plutôt à ses passions. Chacun doit faire un effort pour raisonner et ainsi, pour se libérer.
Le but de Spinoza est de nous indiquer le chemin de la libération de notre déterminisme externe, cad des influences contraignantes des autre modes finis.Je crois qu'il ne faut pas tomber dans l'erreur de Velthuysen et confondre déterminisme et fatum.
Je crois aussi qu'il faut parfois revenir à "l'esprit de Spinoza", à son projet, même si dans la lettre, il paraît être incomplet ou obscur et parfois contradictoire, après tout c'est "aux hommes de se tromper" et il a été pris en flagrant délit d'erreur !, et ne pas toujours interpréter Spino à travers d'autres interprètes, seraient-ils illustres comme Deleuze.
Mais je ne veux pas gâcher l'enthousiasme de ce très bon forum dont le but est de pousser les propositions de Spino dans leurs ultimes conséquences !
amitiés, ulis

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Messagepar Faun » 11 juil. 2007, 21:26

Louisa a écrit :
serait-il possible d'indiquer un endroit où Spinoza parle non pas de la prédétermination mais de la prédestination pour désigner sa philosophie?


C'est une erreur, je voulais dire "prédéterminé". Mais à bien y réfléchir, je ne vois pas de différence de sens entre "prédéterminé" et "prédestiné".


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