Spinoza et les 'paresseux'

Lecture pas à pas de l'Ethique de Spinoza. Il est possible d'examiner un passage en particulier de cette oeuvre.
Avatar du membre
DGsu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 218
Enregistré le : 14 janv. 2004, 00:00
Localisation : Ici
Contact :

Messagepar DGsu » 12 juil. 2007, 03:23

En bref: "Chassez la nature, elle revient au galop!" :) :D :lol:
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

Avatar du membre
Ulis
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 159
Enregistré le : 30 déc. 2003, 00:00

Messagepar Ulis » 12 juil. 2007, 08:28

d'accord avec Louisa lorsqu'elle convient que l'on peut aussi être "déterminé à être libre"
Pour la solitude, je pense que Faun à raison, il vaut mieux vivre à distance de la multitude puisqu'elle développe chez nous surtout des passions tristes: hypocrisie... et choisir ses amis, avec qui nous pouvons développer toute notre énergie à tenter de parler juste.
amitiés, ulis

Avatar du membre
Ulis
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 159
Enregistré le : 30 déc. 2003, 00:00

Messagepar Ulis » 12 juil. 2007, 08:48

J'ai mis "déterminé à être libre" car c' est bien sûr pour moi une contradiction dans les termes mais, pour Louisa c'est le signe d'une évolution !
amitiés Louisa, ulis

Avatar du membre
Faun
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 421
Enregistré le : 25 oct. 2004, 00:00

Messagepar Faun » 12 juil. 2007, 09:47

Louisa a écrit :Or je suppose que tu as plutôt déduit l'inverse de cette lettre: qu'il existerait pour Spinoza une liberté au sens habituel, donc au sens où contrainte et détermination s'identifieraient et où détermination et liberté s'opposeraient. Si oui: pourrais-tu expliquer ton raisonnement un peu plus en détail? Merci déjà!
amitiés,
louisa


Il me semble que toute la philosophie de Spinoza consiste en une libération, un chemin vers la liberté. Seulement il oppose sa liberté comme nécessité bien comprise à la liberté illusoire des théologiens et des autres philosophes. En effet, vous avez raison de dire que même les actes de l'homme libre sont strictement causés, et à ce titre expriment des lois ou règles d'effectuation précises et déterminées, qui sont celles de la Nature entière, et qui s'appliquent à tous les existants, libres ou esclaves.

Pour ce qui est de la paresse, je ne vois toujours pas le problème, mais je vais tenter de préciser un peu.

Utiliser son intelligence implique un effort, tandis que suivre ses désirs aveugles, qui mènent vers des choses facilement appréciables, n'en neccessite aucun ou très peu.
Par suite celui qui vit dans le premier genre de connaissance, soumis à ses passions, peut bien avoir l'illusion d'agir, il ne fait aucun effort, et il est à peu près totalement passif, quand bien même il s'agiterait énormément.
C'est pour cela qu'il est paresseux.
Tandis que le philosophe, qui constamment cherche à comprendre le monde et toutes choses, agit réellement, même si extérieurement il ne bouge pas et reste parfaitement calme et détaché de tout, son esprit est constamment en éveil, et lui seul est véritablement actif.
C'est pour cela qu'il n'est pas paresseux.

Avatar du membre
Joie Naturelle
persévère dans sa puissance d'être ici
persévère dans sa puissance d'être ici
Messages : 92
Enregistré le : 11 déc. 2006, 00:00

Messagepar Joie Naturelle » 12 juil. 2007, 13:47

Flumigel a écrit :Mériam Korichi (née en 1973, et agrégée de philosophie) poursuit :
Etant donné la présupposition d'une définition (ou essence) commune, "les hommes", nous avons coutume "de juger ensuite que tous sont également aptes à la perfection la plus haute que nous puissions déduire de cette définition. Quand nous en trouvons un dont les oeuvres sont en désaccord avec cette perfection, nous disons qu'il en est privé et qu'il s'écarte de sa nature." Ainsi naît l'idée de privation qui suppose donc que lorsqu'on constate l'absence d'une qualité (attribut) chez un individu, on déduit un manque, un manquement, un défaut, une défaillance. On croit discerner un écart anormal entre ce qu'il devrait penser, faire, vouloir, et ce qu'il pense, fait et veut en réalité. Or cet écart n'existe que dans l'esprit de l'individu qui a ce point de vue.


Dans ma précipitation, j'ai amputé le texte de Mériam Korichi. Le voici complété :

"Or cet écart n'existe que pour un point de vue orienté qui compare la réalité à une idée qui n'existe que dans l'esprit de l'individu qui a ce point de vue."

Avatar du membre
Joie Naturelle
persévère dans sa puissance d'être ici
persévère dans sa puissance d'être ici
Messages : 92
Enregistré le : 11 déc. 2006, 00:00

Messagepar Joie Naturelle » 12 juil. 2007, 14:08

Ulis a écrit :Par ailleurs, que la raison appartienne à notre nature comme tu l'affirmes, c'est d'une part incertain (les fous) et relatif (au QI) donc notre pouvoir de libération est incertain et relatif.


Je pense que la raison est bien un attribut de la nature humaine, mais que dans certains cas (les fous notamment), elle peut subir l'action d'une affection (extérieure) qui en altère l'usage. Les fous sont bien dotés d'une raison, mais qui déraisonne.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 12 juil. 2007, 17:05

Faun a écrit :Il me semble que toute la philosophie de Spinoza consiste en une libération, un chemin vers la liberté. Seulement il oppose sa liberté comme nécessité bien comprise à la liberté illusoire des théologiens et des autres philosophes. En effet, vous avez raison de dire que même les actes de l'homme libre sont strictement causés, et à ce titre expriment des lois ou règles d'effectuation précises et déterminées, qui sont celles de la Nature entière, et qui s'appliquent à tous les existants, libres ou esclaves.

Pour ce qui est de la paresse, je ne vois toujours pas le problème, mais je vais tenter de préciser un peu.

Utiliser son intelligence implique un effort, tandis que suivre ses désirs aveugles, qui mènent vers des choses facilement appréciables, n'en neccessite aucun ou très peu.
Par suite celui qui vit dans le premier genre de connaissance, soumis à ses passions, peut bien avoir l'illusion d'agir, il ne fait aucun effort, et il est à peu près totalement passif, quand bien même il s'agiterait énormément.
C'est pour cela qu'il est paresseux.
Tandis que le philosophe, qui constamment cherche à comprendre le monde et toutes choses, agit réellement, même si extérieurement il ne bouge pas et reste parfaitement calme et détaché de tout, son esprit est constamment en éveil, et lui seul est véritablement actif.
C'est pour cela qu'il n'est pas paresseux.


Merci pour ces précisions.

Disons que le problème me semble être le suivant: comment s'imaginer une chose particulière (un homme, en l'occurrence) qui "ne fait aucun effort", comme vous le dites, si pour Spinoza, c'est l'effort qui définit notre essence même (c'est-à-dire ce que nous sommes éternellement, donc constamment)?

Puis l'effort que selon Spinoza nous faisons constamment est pour lui tout à fait de la même 'grandeur' ou quantité que la puissance de penser qui elle aussi n'est qu'un autre nom pour notre essence même. D'ailleurs, apparemment nous sommes bien d'accord pour dire que chez Spinoza, tout est nécessaire et déterminé. Notre degré de puissance lui aussi est donc déterminé de toute éternité. Comme il le dit dans le De Deo: nous ne pouvons pas changer ce à quoi Dieu nous a déterminé. Impossible donc de faire un plus grand effort ou un moindre effort que la puissance de penser qui nous définit depuis toujours.

Donc voilà, je ne vois pas comment concilier les deux: comment dire que quelqu'un ne fait aucun effort quand Spinoza dit que nous sommes essentiellement effort et que nous faisons nécessairement autant d'effort que le degré de puissance qui nous définit?

Ce problème se pose précisément pour la notion de la paresse, car effectivement, comme vous le dites la paresse suppose inévitablement de ne pas faire d'effort.

Enfin juste une petite remarque concernant tout autre chose: je crois qu'il s'agit d'une erreur si l'on pense que le sage spinoziste est un 'détaché', comme vous le dites. C'est au contraire lui qui, beaucoup plus que l'ignorant, réussit à s'UNIR à un nombre de choses singulières très élevé, et cela en en ayant une idée vraie. L'ignorant, n'en ayant que des idées inadéquates, confondant l'effet sur son propre Corps avec l'essence du corps extérieur, est celui qui est réellement beaucoup plus 'seul' dans le monde, beaucoup plus 'coupé' du monde, beaucoup moins uni au monde. Ce qui me permet de répondre également à Ulis:

Ulis a écrit :Pour la solitude, je pense que Faun à raison, il vaut mieux vivre à distance de la multitude puisqu'elle développe chez nous surtout des passions tristes: hypocrisie... et choisir ses amis, avec qui nous pouvons développer toute notre énergie à tenter de parler juste.


on peut bien sûr dire cela, mais je ne crois pas que ce soit très 'spinoziste'. Comme déjà dit, pour Spinoza notre puissance réelle est ZERO sans la société. Celui qui croit qu'il vaut mieux vivre parmi les bêtes que parmi les hommes, n'est rien d'autre qu'un IMPATIENT, pour Spinoza (ce sont bien ses mots que j'utilise; pour les citations exactes: voire les discussions dans les deux autres sujets).

Or il est évident qu'il vaut mieux aller vivre 'parmi les bêtes' si par hasard on est une fille iranienne violée par son mari futur et qu'un tribunal local a condamnée à la mort par lapidation. Seulement, ce n'est pas parce que physiquement on ne vit pas constamment au plein milieu d'une foule, qu'on peut déjà dire qu'on vit seul et sans la société. Spinoza pe avait une correspondance très intense avec tous les grands savants et un tas de 'petits savants intéressés' de son époque, tout en vivant hors des grandes villes. Si physiquement il y était sans doute plus seul qu'au plein milieu des quarties commerciaux d'Amsterdam, il avait probablement davantage de contacts avec le monde monde et la société que celui qui vivait dans ce quartier et n'y faisait rien d'autre que vendre ses légumes. En ce sens, si l'on veut absolument dire que Spinoza vivait seul, il vaut mieux parler avec Deleuze d'une 'solitude énormément peuplée', je crois.
Inversement, je ne vois aucun obstacle à devenir sage tout en occupant un petit appartement situé au plein milieu d'une grande métropole d'aujourd'hui. Il suffit d'avoir des voisins tranquilles pour pouvoir réfléchir autant qu'il le faut pour arriver à avoir des idées adéquates (et de sortir de temps en temps pour se laisser affecter par 'la société': les gens, les livres, ... ; car n'oublions pas que le sage est celui qui est apte à être affecté de beaucoup de manières différentes, chose assez difficile à réaliser si l'on vit seul dans le désert ...).

Ulis a écrit :J'ai mis "déterminé à être libre" car c' est bien sûr pour moi une contradiction dans les termes mais, pour Louisa c'est le signe d'une évolution !


pourtant, on retrouve exactement la même idée chez Leibniz: le monde est déterminé, mais il existe un type de détermination qui correspond entièrement à notre sentiment de liberté. Et alors il ne s'agit pas du tout d'un 'être déterminé à avoir un libre choix', liberté qui serait un genre de 'condition humaine' et se définirait de nouveau par une indétermination au sein même d'un monde déterminé. Chez Leibniz comme chez Spinoza, la liberté ne qualifie pas une condition générale d'une espèce (l'humanité pe), mais un acte, un acte seul. Chez Leibniz, c'est l'acte qui exprime à un certain moment toute l'amplitude de notre âme. Chez Spinoza, c'est l'acte qui n'est déterminé/causé que par notre nature ou notre raison, qui correspond à notre raison.

Tout ceci est seulement contradictoire quand on veut définir la liberté par l'indétermination. Or il se fait qu'au XVIIe, on avait tellement l'impression que la science montrait que tout est déterminé et que l'indétermination n'existe pas, est une illusion humaine, qu'ils étaient bien obligé d'inventer un AUTRE concept de la liberté. Je ne sais pas s'il faut appeler cela 'le signe d'une évolution', s'il fallait comprendre par là quelque chose de positif. Tout dépend de la position de départ: SI on croit que tout est déterminé, alors il vaut mieux définir la liberté autrement que par l'indétermination, si nous voulons donner un sens au fait que nous expérimentons que parfois nous sommes libres. Si au contraire on croit qu'il existe de l'indétermination dans la nature elle-même (telle que certaines parties des sciences aujourd'hui le font soupçonner), alors il n'y a bien sûr aucun problème a priori pour identifier liberté et indétermination.
Amitiés,
louisa

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 12 juil. 2007, 17:47

PS à Ulis et Faun cc la solitude:

je viens de tomber sur la citation suivante:

"Supporter les offenses d'une âme égale."
Ethique IV, chap. 14.

Or à quoi cela pourrait-il servir si le sage spinoziste était celui à qui c'était permis de vivre tranquillement dans son trou, loin du monde? N'est-ce pas un conseil qui n'a du sens que dans la mesure où nous vivons effectivement AVEC une multitude de gens dont une grande partie n'a que des idées inadéquates? A mon sens, Spinoza prône exactement l'inverse que de se retirer avec un cercle d'amis qui pensent comme soi-même: on ne pourra jamais accroître le nombre de ses idées adéquates si l'on ne se laisse pas constamment affecter par le monde. Bien sûr, cela comporte un risque: que nous en pâtissons. Comment l'éviter, tout en se laissant affecter maximalement? En apprenant à supporter toutes les offenses d'une âme égale, c'est-à-dire en formant sans cesse des idées adéquates de nos idées inadéquates (= notre souffrance) qui résultent de nos contacts avec des gens passifs (gens violents, gens qui comprennent peu de nos besoins, etc).

Enegoid
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 452
Enregistré le : 10 févr. 2007, 00:00

Messagepar Enegoid » 12 juil. 2007, 21:10

Déterminé à être libre ?

"A mon avis, il n'y a pas la moindre contradiction à admettre simultanément l'existence d'une causalité stricte, entendue comme nous venons de le faire, et l'existence d'une volonté humaine libre. Le principe de causalité d'une part, et le libre arbitre d'autre part, sont en effet des questions de nature essentiellement différentes"

"Affirmer que l'homme est doué de libre arbitre, c'est tout simplement, dire qu'il a le sentiment intime d'être libre"

Deux citations extraites de "Initiations à la physique" de Max Planck (celui des quantas) pour donner envie à mes amis spinozistes d'aller voir ce qui fonde ses positions.

NB Quand il parle de causalité stricte, il parle, bien sûr également (et explicitement) de la causalité de nos pensées.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 13 juil. 2007, 01:34

PS: apparemment, la paresse se traduit en latin par pigritia (et donc non pas par inertia). Ce mot pigritia se trouve-t-il chez Spinoza?

Pour rappel: la paresse est censée être le 7e péché capital :twisted:.

Spinoza refusant de reconnaître des 'péchés capitaux', voici une autre raison pour laquelle à mon avis on peut difficilement parler de paresse dans un système spinoziste.


Retourner vers « Lecture de l'Ethique »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 13 invités