Continuer de comprendre le sarkozysme (écho à Miam et Faun)

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Pej
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Messagepar Pej » 15 nov. 2007, 15:03

Enegoid a écrit :2. Le libéralisme n’est pas un plan machiavélique conçu par une organisation humaine structurée (Il a été théorisé, ce qui n'est pas la même chose). Il donne plutôt l’impression de s’imposer. Certains en profitent, d’autres pas. Mais les arguments de ceux qui trouvent que c’est plutôt pas mal (espérance de vie qui augmente, richesse globale et progrès technique, etc.) ne sont pas fondés totalement sur l’erreur ou la peur de perdre des privilèges. De même que les arguments de ceux qui estiment que la situation qui leur est faite est intolérable sont parfaitement compréhensibles.


Le libéralisme est une idéologie parmi d'autres, qui a réussi à s'imposer (durablement je pense) au cours de l'histoire. Comme toute idéologie, il peut effectivement être théorisé, c'est-à-dire être pensé rationnellement. Mais à un moment donné, la raison doit céder le pas à la subjectivité (comment prouver par exemple que la liberté doit primer sur l'égalité ?).

(Amusant lapsus à relever : "ceux qui trouvent que c'est plutôt mal" au lieu de "c'est plutôt bien". Un lapsus révélateur ? :roll: )

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AUgustindercrois
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Messagepar AUgustindercrois » 15 nov. 2007, 17:35

Le libéral se dit toujours pragmatique. Or, en ce sens, politiquement, SPinoza est un doux utopiste: se réclamer de la démocratie au XVIIe est une chimère utopique.

C'est pourquoi le libéralisme (économique) n'est pas fondé sur une vision pragmatique des choses: c'est une idéologie du refus. Surtout, ne remettons pas en cause les rapports de force en place, au nom du marché...

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Henrique
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Messagepar Henrique » 15 nov. 2007, 18:44

Certains néo-libéraux veulent voir en Spinoza un de leur précurseurs. Il existe aussi une secte rosicrucienne je crois qui croit voir en Spinoza un de ses précurseurs... Il est amusant en ce sens de voir notre ami Korto presque se tordre de haine anti-spinoziste dès qu'il s'agit de religion, où il est bien connu qu'on peut difficilement concilier le spinozisme et son idée d'un Dieu personnel, puis devenir un farouche spinoziste quand il croit que celui-ci aurait pu être un précurseur de ses opinions politiques, sur la base du ouï-dire venu d'autorités intellectuelles aussi "incontestables" que Bernard Henri Levy et d'un ou deux textes abusivement séparés de leur contexte.

Alors, je vais un peu répéter ce qui a pu être déjà dit ailleurs. Mais bon, allons y pour une petite synthèse. Je ne vais pas prendre le temps de sourcer, mais ce ne sera pas difficile à faire pour ceux qui le veulent... Si vous cherchez des autorités universitaires pour savoir si Spinoza est précurseur ou non du libéralisme, vous en trouverez sans doute certaines pour dire une chose et d'autres le contraire. Je vous propose d'en revenir à ce que dit Spinoza d'un côté, à ce que disent fondamentalement aujourd'hui les libéraux de l'autre pour voir s'il y a compatibilité.

Si par libéralisme on entend l'idée que la liberté est la fin de l'Etat, de telle sorte que chaque citoyen doit pouvoir être plus libre au moyen de l'Etat que l'inverse, c'est explicitement la doctrine de Spinoza dans le Traité Théologico-politique, dans un texte fameux. Si par libéralisme on entend une doctrine qui s'oppose à tout autoritarisme politique, notamment en matière de croyances religieuses ou d'expression de la critique philosophique, là encore tout le TTP est clairement un instrument de contestation de tous les autoritarismes. Si par libéralisme, on entend une doctrine propre à promouvoir la démocratie dans toutes les décisions collectives, c'est clairement une idée que Spinoza défend tant dans le TTP que dans le TP, sachant qu'il est beaucoup plus difficile à terme pour un régime monarchique ou aristocratique d'imposer longtemps à tout le corps social des décisions dont il n'est pas la cause, même si tout régime, même dictatorial, doit pour subsister s'employer à donner à la population les moyens de croire qu'il est à son service. Ainsi Spinoza pourrait être qualifié de libéral, étant donnée la place essentielle qu'il accorde à la liberté en politique.

Mais cela correspond à ce qu'on a pu appeler libéralisme politique, pas du tout au libéralisme économique issu de la pensée empiriste et donc antirationaliste anglo-saxonne. Mais seul le mot de liberté prête ici à confusion.

D'abord parce que dans le libéralisme issu de Hume et de Smith, la liberté est une donnée innée : l'homme a naturellement la liberté de se mouvoir, de parler, de faire ce que bon lui semble de son corps, de faire des affaires etc. Pour un empiriste, qui en empiriste ne comprend pas l'intérêt rationnel du concept de contrat social, se bornant à constater empiriquement que ce n'est jamais comme ça qu'on a vu se constituer une société, la liberté qui se réduit essentiellement à l'expérience que nous pouvons faire d'une absence d'obstacle à la satisfaction d'une volonté. Une telle liberté est un bien fondamental qui ne peut qu'être limité par la présence d'autres hommes, susceptibles de m'empêcher de faire ce qui me plaît.

Dans cette conception, l'Etat ne saurait être facteur de liberté mais seulement garant de libertés déjà possédées naturellement. Comme de fait nous vivons entourés d'autres hommes, nous devons bien nous donner des règles de vie commune pour éviter l'opposition violente des libertés particulières. Mais l'Etat et les lois qui en émanent ne sont alors qu'un mal nécessaire : ces règles sont des obligations, donc des limitations de notre liberté naturelle, donc un mal, des limitations auxquelles on ne consent que parce qu'étant donnée la présence d'autres hommes sur un territoire, on doit nécessairement s'arranger avec eux.

Voilà l'origine de l'hostilité des "libéraux" à l'Etat conçu comme un protecteur de libertés naturelles dont il faut toujours se méfier parce qu'à force de vouloir nous protéger il peut toujours finir par nous oppresser. C'est cet ensemble d'idées qui fait au passage que nombre de libéraux ont pu préférer la monarchie ou l'aristocratie (régimes que nous subissons d'ailleurs encore largement en France) : de tels régimes sont plus faibles qu'un régime démocratique, l'Etat y est donc forcément moins présent. Voilà aussi pourquoi des libéraux comme notre ami Korto ne sont pas du tout hostiles à l'autoritarisme en politique et on le sait, le libéralisme économique fait bon ménage avec l'autoritarisme politique comme le montrent clairement l'exemple du Chili de Pinochet ou aujourd'hui de la Chine - qui n'a gardé du communisme que le nom et du stalinisme l'autoritarisme.

A partir de la conception empirique de la liberté qu'on vient de voir et du fait social, on peut comprendre aussi pourquoi l'argent y est vu comme l'instrument principal de la liberté et non l'Etat, cette émanation de la société, c'est-à-dire de ce qui empêche à l'individu de libérer ses forces naturelles, de sorte que dans le monde idéal des libéraux, ce n'est pas l'argent qui est au service des fins collectives et donc de l'Etat mais c'est l'Etat qui est au service de l'argent et des fins individuelles. Ce n'est pas un hasard si l'oeuvre majeure de Smith est une enquête sur l'origine de la richesse des nations.

Toute autre est bien évidemment la conception spinoziste de la liberté : en tant que pouvoir d'être cause adéquate de nos propres actes elle n'est pas une donnée naturelle, ce n'est qu'un acquis de l'existence humaine, qui est d'autant plus important que nous vivons avec d'autres hommes, conçus non comme obstacles à notre liberté mais comme facteurs de celle-ci, sachant que c'est au contact d'autres hommes que la raison se développe et qu'en raisonnant l'homme peut beaucoup mieux être cause de ses actes qu'en se contentant d'imaginer selon sa complexion propre. En ce sens, l'Etat n'est pas un garant de liberté qu'il faut limiter autant que possible, mais au contraire le facteur d'une liberté beaucoup plus grande dans l'état civil qu'à l'état de nature.

La liberté n'est pas alors quelque chose de fondamentalement et irrémédiablement individuel comme pour nos libéraux anglo-saxons, mais au contraire une construction collective. Les lois ne sont pas seulement des garde-fous, des maux nécessaires pour préserver la liberté individuelle mais au contraire ce qui permet, ne serait-ce que partiellement, de passer du régime général des passions à celui de la raison. Le, disons libertarisme de Spinoza, pour distinguer du "libéralisme", puisqu'il passe par la collectivité est donc clairement socialiste et non individualiste. Cela conduit à pouvoir vouloir une liberté égale pour tous et non une liberté à l'anglo-saxonne, qui puisqu'elle se définit individuellement ne peut qu'engendrer une liberté inégale sur le plan social et une généralisation des égoïsmes (mais puisque la "main invisible" des libéraux veille, tout va bien, l'intérêt général demeure garanti).

En ce sens, tout conduit chez Spinoza à considérer que la décision collective démocratique peut en droit s'appliquer à tous les domaines où la collectivité est concernée - ce qui est individuel restant individuel. Si donc il y a travail collectif, comme dans une entreprise, la collectivité que constitue cette entreprise et la collectivité qui est intéressée par le travail de cette entreprise sont concernés à des degrés divers et ont donc, à des degrés divers, leur mot à dire dans l'organisation de ce travail et la répartition de ses fruits. Or chez nos défenseurs de la démocratie à l'anglo-saxonne, je devrais dire à la mode empiriste (car il y a aussi des rationalistes anglo-saxons comme il y a des empiristes continentaux), qui trouvent naturel qu'elle s'impose par la violence chez les autres dans certains cas, on est tout de suite beaucoup plus frileux pour intégrer une quelconque dimension démocratique dans l'organisation du travail : tout code du travail est vu comme un obstacle au libre essor des libertés individuelles, toute participation directe de la collectivité des travailleurs aux mécanismes de décision comme des mystères insondables.

Chez Spinoza, la liberté vraie ne saurait relever de la seule individualité : sans décision commune, c'est la force individuelle ou privée qui prévaut, que cette force soit militaire ou économique et non le droit. Et même si les libéraux prétendent que ce n'est pas le cas, chaque travailleur peut voir, s'il travaille dans une entreprise, que ce n'est pas la collectivité qui commande, mais celui qui détient le capital, de sorte que les travailleurs ne sont pas la fin de l'entreprise sous régime libéral mais un simple moyen au service du capital.

Le travailleur, auquel on veut bien reconnaître le droit symbolique d'élire son "chef" (sur la base d'un programme tellement confus et surtout d'un marketting qui est au débat public ce que que la publicité est à l'information du consommateur, ce "chef" pourra faire n'importe quoi par la suite), on ne lui reconnaît pas en régime "libéral" le droit d'avoir voix au chapitre dès lors qu'il s'agit de l'exploitation - au sens neutre du terme - de son travail. Le travailleur n'a alors pas grand chose à envier à celui que Spinoza appelle un esclave, par opposition au sujet d'un Etat de droit. Le sujet obéit à des lois qui par leur généralité servent son intérêt particulier en même temps que celui de la collectivité. L'esclave obéit aux commandements de son maître pour que son travail serve à son maître et non à lui-même.

Bien sûr une telle obéissance n'est possible que parce que crainte et espoir sont maniés avec assez d'habileté par le maître. Mais le maître a beau fournir le toit et la table de son esclave, celui-ci n'en est pas moins fondamentalement inutile à lui-même.

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Messagepar Enegoid » 15 nov. 2007, 19:29

A Pej

A mon avis le libéralisme (économique) n'est pas seulement une idéologie : il ya parallélisme entre l'ordre des idées et celui des corps sans que l'on puisse déterminer lequel des deux détermine l'autre.

A lapsus lapsus et demi : j'ai écrit "pas mal" et non "mal", ce qui change le sens !

Je ne sais pas si la raison doit céder le pas à la subjectivité, je ne sais pas si Spinoza dirait celà, mais je comprends ce que vous voulez dire si, par subjectivité, on entends "puissance" ou "conatus".

A Henrique : je prends le temps de lire...

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Messagepar Enegoid » 15 nov. 2007, 19:36

Cher Henrique, je commence à lire votre post et je tombe d'emblée sur :

Certains néo-libéraux veulent voir en Spinoza un de leur précurseurs. Il existe aussi une secte rosicrucienne je crois qui croit voir en Spinoza un de ses précurseurs...


Donc, moi qui me dit libéral économique (atterré), me voilà dès le départ mélangé aux rosicruciens (humour, sans doute ?). C'est plutôt polémique, non ? Ou alors c'est sincère ? Vous trouvez que c'est Spinoziste ?

Je précise que je pense effectivement que Spinoza n'était pas à son époque scandalisé par le capitalisme marchand qu'il voyait prospérer sous ses yeux.

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Messagepar Henrique » 15 nov. 2007, 23:54

Enegoid a écrit :

Donc, moi qui me dit libéral économique (atterré), me voilà dès le départ mélangé aux rosicruciens (humour, sans doute ?). C'est plutôt polémique, non ? Ou alors c'est sincère ? Vous trouvez que c'est Spinoziste ?


Ne vous formalisez pas cher Enegoid, je ne vous tiens en nullement pour un rosicrucien. J'indiquais juste par ce parallèle volontairement contrasté que ce n'est pas parce qu'une doctrine se réclame des idées de Spinoza que celles-ci mènent effectivement à cette doctrine. ça marche aussi d'ailleurs pour n'importe quelle doctrine bien sûr. C'était une façon de dire qu'on ne peut ici se contenter de vagues sentiments d'analogies, qu'il faut prendre des précautions, revenir de plus près au contenu des idées en question pour voir leur compatibilité ou non.

Je précise que je pense effectivement que Spinoza n'était pas à son époque scandalisé par le capitalisme marchand qu'il voyait prospérer sous ses yeux.

Mais pourquoi voulez vous que Spinoza soit scandalisé par quoique ce soit, lui qui cherche à comprendre et non à s'affliger ? Pour être scandalisé par un fait nuisible, il faut supposer qu'il est l'effet d'un libre arbitre tel qu'il aurait pu être évité. Or, on peut très bien constater qu'un fait est nuisible en ce qu'il constitue un obstacle au développement des notions communes aux corps humains sans en être scandalisé : qui sera scandalisé par le vent humide qui donne le rhume si ce n'est un enfant qui s'imagine le vent doué de libre volonté comme il s'imagine lui-même ainsi doué au lieu de se comprendre ?

Spinoza a-t-il considéré que le "capitalisme marchand" était propre au développement des notions communes et de l'intuition intellectuelle ? Comme le rappelait Faun l'autre jour, Spinoza avait hérité de l'affaire de son père et l'a pourtant abandonnée à son frère cadet. Au profit érigé en fin en soi, il préfèrera un métier artisanal dans lequel l'argent n'est qu'un moyen commode de réaliser des échanges mais où l'essentiel n'est pas cette abstraction monétaire, impliquant probablement pour le cas de Spinoza, s'il était resté à la tête de l'affaire de son père, l'exploitation du travail d'esclaves en Amérique du Sud, mais le contact amical avec les corps, proches ou distants - les lentilles comme les démonstrations permettant de rapprocher ce qui paraissait éloigné. Il faut relire le prologue du Traité de l'amendement de l'intellect : Spinoza y montre que les hommes confondent ordinairement le souverain bien - la connaissance de la nature et de soi-même - avec trois sortes de biens qui ne sont utiles que s'ils sont réduits au statut de simples moyens : a) le plaisir charnel, b) les honneurs et c) les richesses.

Or, il se trouve qu'à ces biens correspondent trois formes fondamentales de vie de l'espèce humaine : a) l'état de nature (le temps des plus forts physiquement) ; b) les régimes guerriers (le temps des nobles, les plus forts militairement) ; c) les régimes économiques (le temps des bourgeois, les plus forts économiquement). Ces régimes ne sont au mieux que des monarchies ou des aristocraties, au pire des dictatures ou des oligarchies. En parlant le premier de la supériorité de la démocratie pour ce qui est de la pertinence des décisions ayant une dimension collective, Spinoza voit bien plus loin que son temps qui mène au triomphe des orangistes, même s'il ne s'interdit nullement, bien au contraire, de chercher à comprendre la nécessité de ce temps. A vrai dire, il voit même plus loin encore que notre temps où la démocratie réelle, le temps du droit universel de la raison, n'a fait à ce jour que quelques irruptions rares dans le temps des bourgeois, ça et là sur la planète.

Je rappelle enfin une énième fois à tous nos amis libéral-spinozistes ce texte de Spinoza qui en est l'exacte antithèse :
Ethique IV, appendice, chap. 17 :
Les libéralités contribuent encore à se rendre mettre du cœur des hommes, surtout de ceux qui n'ont pas les moyens de se procurer les choses nécessaires à la vie. Cependant il est clair que donner secours à tous les indigents, cela va beaucoup au delà des forces et de l'intérêt d'un particulier, les richesses d'un particulier ne pouvant suffire à beaucoup près à tant de misères. De plus, le cercle où s'étendent les facultés d'un seul homme est trop limité pour qu'il puisse s'attirer l'amitié de tout le monde. Le soin des pauvres est donc l'affaire de la société tout entière, et elle ne regarde que l'utilité générale.


Dans le système libéral idéal auquel nous tendons aujourd'hui, maintenant que le compromis social entre capital et travail n'intéresse plus le capital, il n'y a qu'égoïsme ou pitié - les deux étant inadéquats sur les plans éthiques ou politiques d'un point de vue spinoziste. Et pour cause, ce système est dominé par l'individualisme, où les "libéralités" de la société vis-à-vis des plus faibles sont par définition considérées comme un insupportable "assistanat". Et ce système est facteur par essence de misère sociale car il n'est pas de société où tous pourraient être conformes aux besoin du Marché à un moment M. Le principal secours que peuvent donc y attendre ceux qui n'ont pas les moyens de se procurer le nécessaire, c'est la pitié qu'ils peuvent susciter individuellement à d'autres individus susceptibles de faire preuve de charité à leur égard. Ainsi, si Spinoza a éprouvé la nécessité d'écrire ce paragraphe, ce n'est certainement pas qu'il voyait dans le régime capitalistique qui se mettait en place en son temps un modèle de justice sociale.

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Messagepar Pej » 16 nov. 2007, 11:11

Rien à redire sur l'excellent exposé de Henrique. La question centrale s'agissant du libéralisme de Spinoza et bel et bien celle de la définition du mot "libéralisme".
S'agissant d'ailleurs des sources que Henrique, par soucis de concision, ne cite pas, je me contenterai de cet extrait du Traité Théologico-politique, déjà cité de nombreuses fois ici même :

Spinoza a écrit :"[...] [le fondement et la fin de la Démocratie n'est autre] que de soustraire les hommes à la domination absurde de l'Appétit et à les maintenir, autant qu'il est possible, dans les limites de la Raison, pour qu'ils vivent dans la concorde et dans la paix ; ôté ce fondement, tout l'édifice s'écroule. Au seul souverain donc il appartient d'y pourvoir ; aux sujets, [...], d'exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit. Peut-être pensera t-on, que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire des esclavages, et la liberté n'est que celle qu'a celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l'action par commandement, c'est-à-dire l'obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c'est la raison déterminante [1] de l'action qui le fait. Si la fin de l'action n'est pas l'utilité de l'agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l'agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un État et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave, inutile en tout à lui-même, mais un sujet. Ainsi, cet État est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet État, chacun, dès qu'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire vivre son entier consentement sous la conduite de la Raison." (TTP, chapitre XVI).


En matière de libéralisme au sens moderne du terme, on a vu mieux...

Enegoid a écrit :A mon avis le libéralisme (économique) n'est pas seulement une idéologie : il ya parallélisme entre l'ordre des idées et celui des corps sans que l'on puisse déterminer lequel des deux détermine l'autre.


Qu'est-il donc de plus qu'une idéologie ? (et je ne limite pas le libéralisme au sens économique du terme. On pourrait d'ailleurs discuter du fait de savoir s'il existe un libéralisme politique, car d'un certain point de vue, le libéralisme est justement la négation du politique).

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Messagepar AUgustindercrois » 16 nov. 2007, 12:49

A Enegoid...

Il suffit de relire la fin de la quatrième partie de l'EThique pour voir Spinoza fait une critique du libéralisme économique, et de l'accumulation excessive de capital!

Il y a eu une crise spéculative remarquable à son époque (sur les tulipes) et un effondrement tout aussi spectaculaire: tout cela participe de l'excès que sa théorie de la modération des passions réprouve et condamne fermement.

Et même, la description du capitaliste anal - sadique, dont Freud fera un grand texte, y est bien présente, et très savoureuse!

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Messagepar Enegoid » 20 nov. 2007, 21:01

1. Le marché est la seule organisation humaine trouvée jusqu’ici pour déterminer les biens qui doivent être produits. La seule alternative trouvée jusqu’à maintenant a été la planification soviétique, qui a échoué (peut-être pas définitivement, si des techniques telles que l’informatique permettent un jour d’en éviter les écueils bureaucratiques, mais j’en doute). Cette organisation a beaucoup de défauts, comme la démocratie, qui, cependant reste à ce jour la moins pire des organisations sociales. Faire avec.

2. (Henrique) « A vrai dire, il voit même plus loin encore que notre temps où la démocratie réelle, le temps du droit universel de la raison, n'a fait à ce jour que quelques irruptions rares dans le temps des bourgeois, ça et là sur la planète. »
Vous auriez du mal à me convaincre qu’au fond de vous même, vous n’appelez pas de vos vœux ce « temps du droit universel de la raison ». C’est votre point oméga à vous qui vous rend assez proche, finalement, du bouillant Korto !

3. Le libéralisme économique n’est pas qu’une idéologie : c’est une forme d’organisation actuelle, et réelle, qui devient une idéologie quand elle guide des décisions politiques : par exemple les directives européennes sur la concurrence en matière d’énergie. Mais toute décision politique est forcément idéologique. C’est la politique !

4. L’argent : « son image occupe d’ordinaire avec force l’esprit du vulgaire » dit Spinoza en fin de E4. Et alors ? Vous en déduisez, chers amis anti libéraux, qu’il faut supprimer l’argent ? Spinoza a choisi la voie qui lui paraissait droite par rapport à cette réalité. Il n’a pas écrit dans ses ouvrages d’organisation politique qu’il fallait trouver une solution différente.

5 sadique anal ? oui, nous sommes tous maso/sado/anal/oral ou quelque chose de ce genre

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Messagepar Henrique » 21 nov. 2007, 01:12

Enegoid a écrit :1. Le marché est la seule organisation humaine trouvée jusqu’ici pour déterminer les biens qui doivent être produits. La seule alternative trouvée jusqu’à maintenant a été la planification soviétique, qui a échoué (peut-être pas définitivement, si des techniques telles que l’informatique permettent un jour d’en éviter les écueils bureaucratiques, mais j’en doute). Cette organisation a beaucoup de défauts, comme la démocratie, qui, cependant reste à ce jour la moins pire des organisations sociales. Faire avec.


Le "libre" marché produit de nombreux biens inutiles à ceux qui les achètent et qui ne se vendent que grâce à l'efficacité des techniques modernes de marketing. On voit par ailleurs comment il est incapable de voir à moyen terme ce qui doit être produit, notamment lorsqu'il faut changer au niveau mondial de principale source d'énergie, personne ne pouvant garantir que le peak oil ne se produira pas dans les mois à venir, s'il ne s'est pas déjà produit. Le problème des économies planifiées, c'est probablement une moins bonne adaptabilité aux besoins des populations mais c'est aussi la faible productivité, faute d'intéressement individuel au produit. Mais le problème des économies de marché, c'est leur tendance à produire hors de toute considération humaniste, écologique, sociale.

Il y a encore une ou deux décennies, les libéraux nous expliquaient à l'envi qu'à terme, c'était l'économie libre-échangiste et ses privatisations qui était la plus sociale et la plus humaine - on se moquait à l'époque de l'écologie. En ce qui concerne la gestion des ressources naturelles (eau, gaz...) et des services publics tels que le train, la logique du profit est catastrophique (cf. la GB qui doit renationaliser des pans entiers du rail, vus les résultats de la logique privée). Aujourd'hui il n'y a plus guère de libéraux pour oser tenter de nous faire croire que le Marché libre serait par nature porteur de progrès social et humain. Le seul argument, c'est que ce serait le seul système économique réellement viable, le seul contre-exemple donné étant le collectivisme soviétique orné de bolchéviques avec couteaux entre les dents.

Mais c'est oublier le système d'économie mixte qui a permis les "trente glorieuses", dans lequel des secteurs clés de la production et des ressources naturelles étaient sous contrôle de l'Etat tandis qu'un certain nombre de secteurs étaient laissés à l'initiative privée. Dans ce cadre, la politique était beaucoup moins soumise aux aléas du Marché, les hommes politiques avaient un pouvoir réel d'action puisque l'Etat était producteur, de sorte que la représentation du peuple n'était pas un vain mot. De droite ou de gauche, les hommes politiques étaient aux commandes. Ils pouvaient alors répondre de leurs actes. Ce n'était pas comme aujourd'hui les laveurs de vitre du Tgv social. Ils pouvaient répondre de la situation du pays à un moment m.

Dans une économie mixte, gouvernée par des principes keynesiens, raison et passions sont équilibrés. Un système économico-politique purement rationnel, c'est-à-dire entièrement planifié et collectiviste, dans lequel la raison seule est censée gouverner, ne peut valoir que pour des individus purement rationnels. Un système où seule l'imagination et les passions (du profit notamment) gouvernent, comme c'est le cas des économies de marché, est incapable de respecter la dignité humaine, réduisant le citoyen au simple producteur-consommateur, simple moyen au service du conatus du Marché, bon à jeter au banc de la société s'il ne produit pas ce que le Marché attend de lui. Le "citoyen" qui n'a plus pouvoir de décision politique que symbolique, le vrai pouvoir étant du côté du capital.

2. (Henrique) « A vrai dire, il voit même plus loin encore que notre temps où la démocratie réelle, le temps du droit universel de la raison, n'a fait à ce jour que quelques irruptions rares dans le temps des bourgeois, ça et là sur la planète. »
Vous auriez du mal à me convaincre qu’au fond de vous même, vous n’appelez pas de vos vœux ce « temps du droit universel de la raison ». C’est votre point oméga à vous qui vous rend assez proche, finalement, du bouillant Korto !


Bien sûr que non, puisqu'aucune providence ne garantit l'avènement d'une telle rationalité. Et en outre, je disais qu'un tel temps a déjà existé, ce qui n'en fait pas du tout une utopie ou je ne sais quelle transcendance métaphysique. Cela a existé de façon plus ou moins éclatante, et je dirais même que cela existe encore aujourd'hui un peu en France, le fameux "modèle social" français que Sarkozy vous a promis de finir de détruire. Cela va même en France moins mal que dans le reste du monde, à l'exception du renouveau des économies mixtes en Amérique latine. Si la France résiste mieux qu'ailleurs, ce n'est que grâce à l'héritage particulier de la révolution et ce qui s'en est suivi. Et si nous revenons un jour à un système où la raison gouverne plutôt que le vent des passions pécuniaires, ce ne sera que revenir aux conditions d'une plus grande justice et prospérité pour les populations, non la garantie définitive qu'il n'y aura plus jamais aucun problème.

Enfin, vous savez, ce qui donne sens à ma vie, ce n'est pas un idéal politique quelconque, ce qui lui donne cohérence et cohésion, c'est une nécessité intérieure immédiatement accessible dont je parle assez par ailleurs. L'engagement politique en est une conséquence, non la condition, non le moyen, auquel je ne consentirai que pour m'approcher d'un tel idéal, de sorte que ce n'est pas l'idée d'un monde meilleur qui m'attire de l'extérieur, ce sont les idées de justice et de liberté en moi qui me poussent de l'intérieur à dénoncer les injustices et les servitudes, volontaires ou non.

3. Le libéralisme économique n’est pas qu’une idéologie : c’est une forme d’organisation actuelle, et réelle, qui devient une idéologie quand elle guide des décisions politiques : par exemple les directives européennes sur la concurrence en matière d’énergie. Mais toute décision politique est forcément idéologique. C’est la politique !


Il n'est rien de pire que des politiciens, qui sous prétexte de pragmatisme, ne se laissent finalement guider que par la force du vent. Le problème avec le libéralisme, c'est que c'est une doctrine qui enseigne que pour guider le bateau social, il faut uniquement s'en remettre aux bons vents du Marché, certes incontrôlables et imprévisibles, mais forcément destinés, grâce à la main invisible, à nous conduire à la paix, à la sécurité et à la prospérité sociales.

4. L’argent : « son image occupe d’ordinaire avec force l’esprit du vulgaire » dit Spinoza en fin de E4. Et alors ? Vous en déduisez, chers amis anti libéraux, qu’il faut supprimer l’argent ? Spinoza a choisi la voie qui lui paraissait droite par rapport à cette réalité. Il n’a pas écrit dans ses ouvrages d’organisation politique qu’il fallait trouver une solution différente.


Pour ma part, l'argent n'est pas du tout mauvais en soi. Supprimer la monnaie reviendrait à revenir à un temps antérieur aux présocratiques. Ce qui est nuisible à l'humain, avec l'argent, c'est d'en faire une fin en soi, le souverain bien, seul apte à justifier l'existence d'un homme, d'un service ou d'un bien s'ils en produisent. Dans un système libéral, la valeur d'échange l'emporte sur la valeur d'usage, à tel point que l'échange lui-même n'est plus moyen de mieux vivre, et ce de façon plus efficace grâce à l'argent, mais n'est plus envisagé que comme moyen de produire de l'argent, c'est-à-dire bien sûr du pouvoir sur autrui, ceux qui ont moins d'argent notamment.

Je ne suis donc pas hostile à ce qu'il y ait des capitaux et des intérêts privés pour les gérer, ce que je conteste c'est qu'il existe de moins en moins de contre-pouvoirs face aux capitaux privés. Je suis pour un système équilibrant capitaux privés et capitaux publics, capital privé et travail car, pour produire des biens, il faut des du travail et des capitaux. Mais si une marge de manoeuvre doit être accordée à l'intérêt privé, cela ne donne pas lieu à une prise de pouvoir de fait politique.

Une partie non négligeable de ces capitaux doit être contrôlée par l'Etat, c'est-à-dire par le peuple dont il est l'instrument, au nom du droit des gens à se gouverner eux-mêmes et en l'occurrence pour permettre autre chose dans une société que l'enrichissement des plus riches comme c'est de plus en plus le cas aujourd'hui.


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