essence et notions communes

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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essence et notions communes

Messagepar vieordinaire » 16 nov. 2007, 17:31

Bonjour,
(Tout d'abord excuser mon francais, la langue que j'utilise normallement est l'anglais)

j'aimerais avoir vos opinions sur les problemes suivants:
Selon Spinoza, il n'y a que Substance/Attributs et les modes.
Une notion commune est une idee/cognition 2p38. Une essence doit "definir" cette idee - a moins qu'il existe certain modes finis sans essence :)

Mais cette observation pose quelques difficultees si l'on tient compte de 2p37. Quel est le rapport entre l'essence d'une notion commune et son 'actualite' en tant que notion commune - l'etre de la notion commune est lui-meme, d'une certaine facon, une essence bien que la "raison d'etre" d'une notion commune l'empeche de participer a l'essence de tout etre ...

Aussi, quelle est la place exacte des notion communes dans l'enchainement causal infini(1p28,2p7,2p9)? De quelle facon sont elles determinees? Essayer d'expliquer ces problemes en evoquant l'idee de 'propriete' ne me semble pas valide, ou du moins, je ne suis pas certain de la nature ontologique d'une propriete dans l'univers de Spinoza. Une propriete, si elle est quelque chose de 'positive', est-ce qu'elle doit etre elle-meme un mode fini, avec une essence. Et de ce fait, nous nous retrouvons face au meme probleme ... Si d'un autre cote, une propriete est simplement l'aspect representationelle (lequel avec son actualite forme l'etre) d'une idee ('objet de raison'), simplement une representation, laquelle est inherente a l'actualite/existence d'une idee, alors nous parlons d'un aspect different d'"etre" et de connaitre, lesquels je crois malheureusement ne sont d'aucune aide dans notre tache d'expliquer les problemes initiaux.

Je suis desolee si ces questions ont deja ete resolues - si c'est le cas j'aimerais bien connaitre les reponses ...

Mignini ("The Potency of Reason and the Power of Fortune") discute certaines problemes qui existent entre la definition de notion commune et la definition de l'ordre causal infini (1p28,2p7,2p9) bien qu'il presente et justifie autrement les tensions qui existent entre les notion cummnes et d'autres aspects de philosophie de Spinoza.

Merci beaucoup

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sescho
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Re: essence et notions communes

Messagepar sescho » 20 nov. 2007, 22:45

Bonjour, vieordinaire.

Je vous propose de chercher ensemble…

Ce qui suit sont des réflexions qui me sont venues à l’esprit après quelque effort, et qui ne prétendent à rien de plus. J’en ai encore une batterie pour la suite…

vieordinaire a écrit :Selon Spinoza, il n'y a que Substance/Attributs et les modes. Une notion commune est une idee/cognition 2p38. Une essence doit "definir" cette idee - a moins qu'il existe certain modes finis sans essence :)

Comme je l'ai fait remarquer dans un autre fil, la seule certitude d’après les écrits mêmes de Spinoza c'est que les notions communes recouvrent les axiomes évidents pour tout le monde (et je pense que si Spinoza ne s'étend pas sur la définition de la notion commune, ce n'est nullement pour faire un mystère, mais parce que le terme lui-même était de sens évident chez les philosophes de son époque.) Or un axiome - comme une proposition - est une loi. Ceci rejoint donc le problème du statut ontologique des lois.

E1P17 : Dieu agit par les seules lois de la nature et sans être contraint par personne.

E1App : Quant à ceux qui demandent pourquoi Dieu n’a pas crée tous les hommes de façon à ce qu’ils se gouvernent par le seul commandement de la raison, je n’ai pas autre chose à leur répondre sinon que la matière ne lui a pas manqué pour créer toutes sortes de choses, depuis le degré le plus élevé de la perfection, jusqu’au plus inférieur ; ou, pour parler plus proprement, que les lois de sa nature ont été assez vastes pour suffire à la production de tout ce qu’un entendement infini peut concevoir, ainsi que je l’ai démontré dans la proposition 16.

Pour moi, si cette loi est effectivement adéquate, elle est l'essence objective correspondant tout bonnement (partiellement) à l’essence formelle de Dieu. Car il n’est pas dit : « il n’y a rien en dehors des modes, qui sont Dieu. » Il est dit « il n’y a rien en dehors de Dieu ET de ses modes. »

Et je serais même tenté d’ajouter : Dieu en tant que naturant. Mais en tant qu’idée, il s’agit cependant d’un mode, est-on fondé à « objecter. » Donc pas de « naturant. » Mais l’entendement infini, par lequel Dieu se comprend lui-même, fait partie de la nature naturée. Donc pas d’objection…

Le sujet des « régressions à l’infini » m’a interpellé depuis longtemps, et à son sujet je n’ai pas encore de sentiment de bonne compréhension. Sortant de votre interrogation précise, mais en liaison, je voudrais, comme dit en introduction, avancer quelques amorces de pistes :

On peut être surpris de premier abord que Spinoza affirme des régressions à l’infini, alors qu’il tranche en sens inverse dans l’ordre de la causalité immanente (E1P18) : la substance qui est « cause de soi » interdit la séquence infinie des causes. Par ailleurs, de manière générale, Spinoza se soucie de l’être avant de se soucier du devenir, de la substance et de l’essence des modes avant la génération, la transformation et la mort des choses en acte, de la causalité immanente avant la causalité transitive.

Il y a selon moi des régressions à l’infini différentes.

Je pense que nous pouvons en passer au moins une d’emblée : les idées d’idée d’idée... :

E2P21 : Cette idée de l’âme est unie à l’âme de la même façon que l’âme elle-même est unie au corps.

Démonstration : Si l’âme est unie au corps, c’est, comme nous l’avons montré, parce que le corps est l’objet de l’âme (voir les Propos. 12 et 13, partie 2). Par conséquent, en vertu de la même raison, l’idée de l’âme doit être unie avec son objet, c’est-à-dire avec l’âme elle-même, de la même manière que l’âme est unie avec le corps. C. Q. F. D.

Scholie : Cette proposition se conçoit beaucoup plus clairement encore par ce qui a été dit dans le Scholie de la Propos. 7, partie 2. Là. en effet. nous avons montré que l’idée du corps et le corps lui-même c’est-à-dire (par la Propos. 13, partie 2) l’âme et le corps, ne font qu’un seul et même individu conçu tantôt sous l’attribut de la pensée, tantôt sous celui de l’étendue ; c’est pourquoi l’idée de l’âme et l’âme elle-même, ce n’est qu’une seule et même chose conçue sous un seul et même attribut, savoir la pensée. Je dis donc que l’idée de l’âme et l’âme elle-même sont en Dieu par la même nécessité et résultent de la même puissance de penser. L’idée de l’âme, en effet, c’est-à-dire l’idée d’une idée, n’est autre chose que la forme de cette idée, en tant qu’on la considère comme mode de la pensée, sans égard à son objet ; car aussitôt qu’on connaît une chose, on connaît par cela même qu’on la connaît, et en même temps on sait qu’on a cette connaissance et ainsi de suite à l’infini. Mais nous reviendrons plus tard sur cette matière.

L’idée de l’idée, et ainsi à l’infini, ne se distingue pas de l’idée même.

Par ailleurs, les modes (individus, ici) se situent dans une structure de type « poupées russes », du fait de leur interdépendance et de leur association toujours possible dans un mode plus grand, qui aboutit in fine à la nature (naturée) dans son entier. Celle-ci arrête la séquence en principe ; en principe seulement, car la poursuite est dite par Spinoza pouvoir se faire à l’infini (autrement dit, la nature est un arrêt dans la causalité infinie mais pour autant pas dans l’emboîtement des modes à l’intérieur de cette nature.) C’est le sujet de E2L7 (après E2P13) :

E2L7 : L’individu, ainsi composé, retiendra encore sa nature, qu’il se meuve dans toutes ses parties ou qu’il reste en repos, que son mouvement ait telle direction ou telle autre, pourvu que chaque partie garde son mouvement et le communique aux autres de la même façon qu’auparavant.

Démonstration : Cela est évident par la définition même de l’individu. Voir ce qui précède le Lemme 4.

Scholie : Nous voyons par ce qui précède comment un individu composé peut être affecté d’une foule de manières, en conservant toujours sa nature. Or jusqu’à ce moment nous n’avons conçu l’individu que comme formé des corps les plus simples, de ceux qui ne se distinguent les uns des autres que par le mouvement et le repos, par la lenteur et la vitesse. Que si nous venons maintenant à le concevoir comme composé de plusieurs individus de nature diverse, nous trouverons qu’il peut être affecté de plusieurs autres façons en conservant toujours sa nature ; car puisque chacune de ses parties est composée de plusieurs corps, elle pourra (par le Lemme précédent), sans que sa nature en soit altérée, se mouvoir tantôt avec plus de vitesse, tantôt avec plus de lenteur, et par suite communiquer plus lentement ou plus rapidement ses mouvements aux autres parties. Et maintenant si nous concevons un troisième genre d’individus formé de ceux que nous venons de dire, nous trouverons qu’il peut recevoir une foule d’autres modifications, sans aucune altération de sa nature. Enfin, si nous poursuivons de la sorte à l’infini nous concevrons facilement que toute la nature est un seul individu dont les parties c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de façons, sans que l’individu lui-même, dans sa totalité reçoive aucun changement. Tout cela devrait être expliqué et démontré plus au long, si j’avais dessein de traiter du corps ex professo ; mais je répète que tel n’est point mon objet, et que je n’ai placé ici ces préliminaires que pour en déduire aisément ce que je me propose maintenant de démontrer.


Je passe à la première proposition « clef » : E1P28.

E1P28 : Tout objet individuel, toute chose, quelle qu’elle soit, qui est finie et a une existence déterminée, ne peut exister ni être déterminée à agir si elle n’est déterminée à l’existence et à l’action par une cause, laquelle est aussi finie et a une existence déterminée, et cette cause elle-même ne peut exister ni être déterminée à agir que par une cause nouvelle, finie comme les autres et déterminée comme elles à l’existence et a l’action ; et ainsi à l’infini.

E1P28 a explicitement les choses singulières (finies) qui existent en acte pour objet. Il s’agit à leur sujet de détermination à l’existence (dimension temporelle) et à l’action (dimension spatiale.) Il est important de noter que dans le monde physique les aspects temporel et spatial sont liés dans les séquences de phénomènes : une interaction spatiale amène un changement temporel, un changement temporel amène ou modifie une interaction spatiale. Ceci explique parfaitement l’association de « existe » et « déterminée à agir. » Je pense que par la suite Spinoza ne distingue donc pas forcément les deux : l’interaction de deux corps, par exemple, en génère un troisième.

La démonstration est basée sur ce que la « modalité finie » ne se transmet qu’entre modes finis (et ne peut pas découler absolument des modes infinis.) Je ne vois donc pas d’objection à dire que cette proposition concerne explicitement la causalité transitive. Pour autant, il convient de se demander ce qu’est la traduction de la causalité transitive dans la nature de la substance. Ce sont très probablement les lois qui guident les phénomènes ; le problème qui se pose alors est la connexion ontologique entre les modes et les lois.

La causalité transitive est confirmée par l’usage qui est fait de E1P28 dans la démonstration de E2L3 (après E2P13) :

E2L3 : Un corps qui est en mouvement ou en repos a dû être déterminé au mouvement ou au repos par un autre corps, lequel a été déterminé au mouvement ou au repos par un troisième corps, et ainsi à l’infini.

Dans E1P32 (qui suit donc de peu et précède l’application aux corps) la traduction de E1P28 dans la Pensée intervient :

E1P32 : La volonté ne peut être appelée cause libre ; mais seulement cause nécessaire.

Démonstration : La volonté n’est autre chose qu’un certain mode de penser, comme l’entendement. Par conséquent (en vertu de la Propos. 28) une volition quelconque ne peut exister ni être déterminée à l’action que par une autre cause, et celle-ci par une autre, et ainsi à l’infini.
Que si vous supposez la volonté infinie, elle doit toujours être déterminée à exister et à agir par Dieu, non sans doute par Dieu en tant que substance absolument infinie, mais en tant qu’il a un attribut qui exprime l’essence infinie et éternelle de la pensée (par la Propos. 23). Ainsi donc, de quelque façon que l’on conçoive la pensée, comme finie on comme infinie, elle demande une cause qui la détermine à l’existence et à l’action ; et par conséquent (en vertu de la Déf. 7), elle ne peut être appelée cause libre, mais seulement cause nécessaire ou contrainte. C. Q. F. D.

Ici il est sujet de la pensée (modale) dans son ensemble (entendement infini.) Elle ne peut être contrainte que par son Attribut, la Pensée, autrement dit Dieu vu sous une dimension particulière de l’existence. L’usage de cette proposition (libre volonté de Dieu dans les corollaires et E2P3S ; tout se produit et s’enchaîne par l’éternelle nécessité et la perfection suprême de la nature dans E1App. Largement engagé dès E1P17, avec conclusion dans E1P33 avant E1App) conduit à écarter la « volonté de Dieu » (on peut ajouter dans l’esprit de ceux qui y mettent foi : « arbitraire ») comme « première », naturante.

Il reste que le parallélisme entre génération (par causalité transitive) des pensées d’un côté et des corps de l’autre ne s’établit pas de soi.

- Une autre régression à l’infini est introduite dans E2P7 (proposition très importante qui est une sorte d’axiome du « parallélisme » - qui n’est pas le seul problème qu’elle pose… et est utilisé dans la démonstration de la proposition E2P21 ci-dessus), ceci sans référence à E1P28 :

E2P7 : L’ordre et la connexion des idées est le même que l’ordre et la connexion des choses.

Scholie : … que nous concevions la nature sous l’attribut de l’étendue ou sous celui de la pensée ou sous tel autre attribut que ce puisse être, nous trouverons toujours un seul et même ordre, une seule et même connexion de causes ; en d’autres termes, les mêmes choses résultent réciproquement les unes des autres. Et si j’ai dit que Dieu est cause de l’idée du cercle, par exemple, en tant seulement qu’il est chose pensante, et du cercle, en tant seulement que chose étendue, je ne l’ai pas dit pour une autre raison que celle-ci : c’est que l’être formel de l’idée du cercle ne peut être conçu que par un autre mode de la pensée, pris comme sa cause prochaine, et celui-ci par un autre mode, et ainsi à l’infini ; de telle façon que, si vous considérez les choses comme modes de la pensée, vous devez expliquer l’ordre de toute la nature ou la connexion des causes par le seul attribut de la pensée ; et si vous les considérez comme modes de l’étendue, par le seul attribut de l’étendue, et de même pour tous les autres attributs. ...

On notera ici l’alternance de « chose » et de « cause, » qui apparaît donc dès le scholie. E2P9C fait l’alternance en sens inverse mais « causes » apparaît plus que « choses » dans la suite. Cette alternance tend à nouveau à associer les modes et les lois (les modes étant le résultat des lois dans leurs attributs respectifs.) A moins qu'il s'agisse par "cause" d'une chose située antérieurement dans l'ordre causal transitif, comme dans "un homme peut être la cause de l'existence d'un autre homme."

Spinoza met deux termes : « ordre » et « connexion » mais « connexion des causes » semble être apposé à « ordre » dans le scholie et est apposé explicitement à « les mêmes choses résultent réciproquement les unes des autres. » Tout ceci semble donc placé en synonymes et toujours lié à la causalité transitive.

On peut quand-même se demander quelle est l’idée par laquelle l’être formel de l’idée de cercle est conçue, qui serait sa cause prochaine… Le centre et le rayon ? Ou l’idée de l’idée (l’ajout du terme « être formel » tendant à y faire penser ; à moins, ce qui est finalement plus probable, que Spinoza veuille insister sur l'idée prise en elle-même - puisqu'il s'agit de l'ordre des idées seules -, sans référence à son objet.)

A suivre…

Amicalement,

Serge
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hokousai
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Messagepar hokousai » 21 nov. 2007, 00:04

Et si j’ai dit que Dieu est cause de l’idée du cercle, par exemple, en tant seulement qu’il est chose pensante, et du cercle, en tant seulement que chose étendue, je ne l’ai pas dit pour une autre raison que celle-ci : c’est que l’être formel de l’idée du cercle ne peut être conçu que par un autre mode de la pensée


à sescho


il me semble que Spinoza s'oppose à l'empirisme lequel ferait dériver l'idée du cercle de la sensation /perception de ce cercle étendu ( thèse scolastique héritée de l'empirisme d 'Aristote ).

Le problème est comment reconnaissons nous alors que le cercle dans la nature est un cercle dans la pensée ?
S'il n'y a pas une adequation stricte entre les ordres et enchainement dans les deux attributs alors il y aura décalage et nous ne reconnaitrons plus le cercle étendu comme un cercle .

Il faut expliquer la rencontre entre le cercle pensée et le cercle étendu alors qu''il n'y a pas de relation entre les attributs (pas de tranversales )

Comment se fait -il que le cercle étendu rencontre le cercle pensé (ou réciproquement ) ?
Je vous le demande .

Je veux bien qu'il y ait parallélisme quand il y a rencontre .Mais il n'y a pas toujours rencontre (je peux penser un cercle sans en voir un dans l'étendue )
le parallélisme n'est pas strict toujours .

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Messagepar Enegoid » 23 nov. 2007, 19:26

Proposition de réflexion sur le parallélisme.

EtV, p1
« Suivant que les pensées et les idées des choses sont ordonnées et enchaînées dans l’âme, les affections du corps, ie les images des choses, sont corrélativement ordonnées et enchaînées dans le corps. »

La démonstration est basée sur le fait que :
« L’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses ».

Donc, d’une part l’enchaînement des idées dirige l’enchaînement des affections, et d’autre part l’enchaînement des affections dirige l’enchaînement des idées.

Et pourquoi l’ordre et la connexion des idées sont-ils les mêmes que l’ordre et la connexion des choses ?
Parce que : « La connaissance de l’effet dépends de la connaissance de la cause et l’enveloppe » axiome IV ETI
C’est évident, dit Spinoza, car de cet axiome il découle que « l’idée de chaque chose causée découle de la connaissance de la cause dont elle est l’effet ».

On peut donc penser que Spi entend par « ordre et connexion des choses » les liens de causalité d’une chose à l’autre. Une chose étant toujours l’effet d’une autre chose.


Mais, …qu’est-ce qu’une chose ?
Bien que nous soyons dans le contexte du parallélisme entre pensée et étendue, Spi ne dit pas que « l’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des corps ».
Il ne parle pas de corps. Il parle de choses.

Une chose ne peut être qu’une pensée (plus ou moins complexe), un corps (plus ou moins complexe) ou un assemblage (plus ou moins complexe) de pensées et de corps.
D’autre part, il semble que souvent, il y a dans la « chose » une idée de transformation, de changement : on dit qu’il « se passe quelque chose ».
Il y a aussi une idée d’indétermination à lever : « Sœur Anne, vois-tu quelque chose ? –« non je ne vois rien » ou, si « je vois un nuage de poussière ».

Exemple de choses : une chaise, une lettre de l’alphabet, un train (le train de 8h47), une grève, une élection, l ‘amour etc.

Qu’est-ce que l’ordre et la connexion des choses ?
Exemple de connexion des choses : les cheminots décident la grève et les trains ne circulent plus. On vérifie dans cet exemple la proximité de la chose et de la cause. L’ordre et la connexion des choses sont aussi l’ordre et la connexion des causes.

Et …qu’est-ce que l’ordre et la connexion des idées ?
Il y a l’ordre et la connexion des idées « en soi », cad non liées à un corps particulier, comme l’ordre et la connexion des idées mathématiques, ou l’ordre et la connexion des propositions de l’ Ethique. Il s’agit d’un ordre régi par les règles de déduction logique.

Et il y a l’ordre et la connexion des idées liées à un corps particulier, qui font appel à la mémoire (exemple de Spinoza : je vois les traces d’un cheval et je pense à un cheval) et aussi à la logique.

Comment peut-on « voir » le parallélisme ?
Je reprends l’exemple de la grève, qui me paraît clair au niveau de la connexion des choses.
Comment « toucher du doigt » l’ordre et la connexion des idées qui lui est parallèle ?

Finalement, c’est assez trivial : si j’ai l’idée que les cheminots se mettent en grève, l’idée vient immédiatement que les trains ne vont plus circuler, à la fois par un processus de déduction logique à partir de la définition de la grève, et aussi par la mémoire (des grèves de 1995, par exemple).

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Messagepar vieordinaire » 24 nov. 2007, 00:13

Cher Serge


Merci beaucoup pour l'invitation, et
je serais tres heureux de vous accompagner dans cette exploration.

Mais auparavant, j'aimerais presenter certains elements de mon interpetration de la philosophie de Spinoza. Et je vais utiliser les remarques de Hakusai et Enegoid comme point de depart.

Il y a deux facons de connaitre la realite selon Spinoza
"Si quelqu'un me demande maintenant pourquoi nous sommes ainsi portes naturellement a diviser la quantite, je repondrai que la quantite se concoit de deux facons, d'une facon abstraite et superficielle, telle que l'imagination nous la donne ; ou a titre de substance, telle que le seul entendement nous la peut faire concevoir. Si nous considerons la quantite comme l'imagination nous la donne, ce qui est le procede le plus facile et le plus ordinaire, nous jugerons qu'elle est finie, divisible et composee de parties ; mais si nous la concevons a l'aide de l'entendement, si nous la considerons en tant que substance, chose tres difficile a la verite, elle nous apparaitra alors, ainsi que nous l'avons assez prouve, comme infinie, unique et indivisible." (1p15)


Je nomme personellement la premiere facon de connaitre imagination-comme-connaissance (imagination-as-knowledge) ou ICC. Elle correspond au premier et deuxieme genre de connaissance. La nature de cette facon de connaitre est qu'elle est representative. Je percois un objet, cette pensee de quelque chose, etc ... Elle correspond a la connaissance que nous avons de nous-meme et du monde en tant qu'etres dans le temps et l'espace. Elle inclut les perceptions sensorielles mais egalement notre pouvoir d'abstraction et de symbolisation. Donc, j'inclus la logique, les mathematiques, les sciences, le raisonnement, etc. dans cette facon de connaitre. Cette connaissance est inherente, a different degres, a toutes les choses (res) qui participent a l'enchainement causal et infini. (2p7, 2p12, 2p13)


La seconde facon de connaitre je l'appele knowing-as-being, ou knowing-as-substance. Une traduction peut etre connaitre-comme-substance, ou CSS. Elle correspond a l'ordre de l'Entendement. N'etant pas representative, elle ne peut etre vraiment decrite si ce n'est que par ses "effets" - c'est pourquoi la troisieme genre de connaissance depend sur l'esprit ou ame comme cause formelle (5p30). L'ame ou l'esprit donne forme , i.e. presente, cette connaissance comme 'effets' en tant qu'experiences et representations, lesquels sont presentes dans la scholie et le reste des propositions de la cinquieme partie. Une des seules descriptions fournient par Spinoza qui ne se rapporte pas un "effet" est celle de 2p40s, "Celui-ci va de l'idйe adйquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu а la connaissance adйquate de l'essence des choses", laquelle - je n'ai aucun besoin de vous rappeler - a donne lieu a plus beaucoup plus de confusion que de comprehension.

La premiere facon de connaitre aussi correspond a la relation entre une idee et son "objet", ou contenu. La deuxieme facon de connaitre, d'un autre cote, correspond a l'unite et necessite intrinseque, ou l'accord, entre l'idee et son 'ideatum', lequel est actualise, et donc toujous vrai en Dieu, de facon instantanee et en simultaneite avec toutes les autres etres (res) lesquels forment l'enchainement infini. Si vous vous referez au texte latin, a la suite du corrolaire de 2p11, lequel definit le statut de la connaissance representative au travers de l'enchainement causal infini, Spinoza utilise l'expression 'obiect**' au lieu de 'ideatum'. Ce n'est pas un accident et, tout au long de l'Ethique, Spinoza fait tres attention de ne pas confondre le sens de deux expressions. Malheureusement, plusieurs commentateurs ne font pas tres attention a cette distinction.

J'ai essaye de condenser beaucoup d'information en quelques lignes. Mon interpretation a plusieurs 'ambiguites' et je suis certain que je n'ai pas ete tres intelligible.

Il y a donc une ambiguite au coeur d'une idee. Elle est a la fois une actualite, laquelle est definie par l'enchainement causal et son essence, et une 'ouverture' sur la connaissance representative ( un contenu, un object, etc.), laquelle 'fait apparaitre' un contenu dont les etres n'ont pas d'autre status ontologique que d'etre un contenu representatif (etres de l'imagination, de raisons, etc.)

Cette ambiguite a ete partiellement et un peu differemment developee dans l'article suivant (par Daisie Radner "Spinoza's theory of ideas")
http://www.jstor.org/view/00318108/di981264/98p01903/0
bien que l'auteur s'egare rapidement lorsqu'elle develope l'idee de cette ambiguite dans le contexte du vrai et du faux, et des trois genres de connaissance.

Par exemple, il ne faut pas confondre avec l'idee d'un triangle, l'idee en tant qu'actualite et l'idee en tant que contenu representif. L'actualite d'un idee sous l'attribut de l'etendue est son ideatum, un changement du mouvement-et-repos du corps correspondant a l'esprit "qui a l'idee". L'objet (obiect), ou contenu, est le symbole, ou objet d'abstraction, que constitute un triangle, lequel n'existe qu'en tant que representation (comme le mal, le bien, etc). Un triangle exact est simplement un object de l'imagination. Il n'existe pas une dynamique du mouvement-et-repos qui corresponde a un triangle exact.


Il est vrai que Spinoza parle de l'essence, ou definition, d'un triangle dans l'Ethique (appendice 2eme partie). Mais il faut faire tres attention ici. Je crois que Spinoza s'avait tres bien qu'un triangle exact n'a jamais existe au travers de l'etendue. Spinoza ne parle pas de l'essence d'un triangle comme il parle de l'essence d'un etre (res). Le texte de l'Ethique n'est malheureusement pas tout a fait clair sur la nature des objets geometriques. Spinoza parle dans le cas du triangle d'une definition, ou nature, abstraite et mathematique, laquelle est productive, ne varie pas et possede donc, bien que de facon symbolique, une certaine perfection. Malheureusement, je n'ai pas vraiment le temps d'approfondir cette observation. Mon seul argument pour l'instant est celui-ci: toute persone qui accorde une essence a une figure geometrique va necessairement et rapidement devoir expliquer et soutenir plusieurs contradictions apparentes. Par exemple, certaines des lettres de Spinoza affirment sans l'ombre d'un doute que les figures geometriques sont des "etres de raison", i.e. de l'imagination. Leur etants sont seulement et entierement reprentatifs et ne possedent donc pas une essence. [Lettre 23 a Blyenbergh "Je pose en principe, en premier lieu, que Dieu est cause absolument et réellement de toutes les choses, quelles qu’elles soient, qui possèdent une essence. Si donc vous pouviez démontrer que le mal, l’erreur, les crimes, etc... sont des choses exprimant une essence, je vous accorderais sans réserve que Dieu est cause des crimes, du mal, de l’erreur, etc. Je crois avoir suffisamment montré que ce qui donne au mal, à l’erreur, au crime, leur caractère d’acte mauvais ou criminel et de jugement faux, ce qu’on peut appeler la forme du mal, de l’erreur, du crime, ne consiste en aucune chose qui exprime une essence"]

Il est important de noter que cette ambiguite au coeur du 'connaitre' (knowing), et donc d'une idee, est comme celle d'un etre et de ses expressions comme corps ou esprit. Elles sont seulement deux facons de connaitre une seule realite, i.e. il n'y a pas deux realites.

En reponse au message de Enegoid:
L'idee de la greve dans un esprit a une essence, et est donc une chose (res). Cependant, la greve dont le seul etant est celui d'etre une representation (representational knowing) n'est pas une chose (res) selon Spinoza. Il en va tout autant pour l'election (si vous voulez vous pouvez (re)lire chapitre 4 du Traite Theo-Pol au sujet du status ontologique des "lois humaines").


"Exemple de choses : une chaise, une lettre de l’alphabet, un train (le train de 8h47), une grиve, une йlection, l ‘amour etc."

Cette interpretation d'une chose est peut etre un peu trop vague. Une chose particuliere, son existence, est determineee par sa cause selon Spinoza.

"Par choses singuliиres, j'entends les choses qui sont finies et ont une existence dйterminйe. Que si plusieurs individus concourent а une certaine action de telle faзon qu'ils soient tous ensemble la cause d'un mкme effet, je les considиre, sous ce point de vue, comme une seule chose singuliиre." 2def7

Dans la premiere partie de l'Ethique, Spinoza va meme jusqu'a dire cause, ou (sive) (modification/mode). Lorsque la causalite se refere a une chose (res), Spinoza va presque touours employer le singulier (une cause, une existence determinee, etc.). Encore fois, ce n'est pas un accident.


Amicalement

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Messagepar Enegoid » 24 nov. 2007, 19:37

1 La substance (Dieu) et les attributs ne sont pas des choses singulières, au sens de Spinoza, puisqu'elles sont infinies.

2 Il est clair que la chose a un rapport étroit avec la cause, ne serait-ce que par l'étymologie du mot "chose".

3 On ne sait pas ce que le mot "chose" représentait pour Spinoza. Pour nous, c'est "le terme le plus général par lequel on désigne tout ce qui existe et qui est concevable comme un objet unique" Petit Robert. Une chose existe. Et le parallélisme ne fait qu'affirmer une sorte d'interdépendance entre les existants en général, et les existants qualifiés d'idées.

Les lignes ci-dessus pour répondre à votre objection sur mon "interprétation un peu vague du mot "chose"".


Pour ce qui concerne la principale idée de votre post, je me contenterais de dire, au nom des idées claires et distinctes, que je reste perplexe (sans idée claire et distincte).

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Messagepar sescho » 25 nov. 2007, 13:23

Je crois qu’effectivement les figures géométriques sont des êtres de Raison (et donc plus ou moins d’imagination.) On sait très bien qu’une figure géométrique au sens mathématique n’a pas d’équivalent dans le monde corporel : elle est pure de tout accident et par exemple, un point est sans extension spatiale, une droite sans « diamètre » et infinie, un plan sans « épaisseur » et infini, etc.

D’un autre côté, un triangle réel a bien à peu près la somme de ses trois angles égaux à deux droits.

Pour les idées, je crois que Spinoza est clair : ce qui relève de la sensation en partie, et plus encore de la mémoire et de l’imagination est représentatif d’une affection du cerveau, et donc relève plus du corps que de la réalité extérieure (le parallélisme se fait avec le corps, ainsi que dit en général d’ailleurs.)

En Dieu les idées sont vraies de quoi qu’il s’agisse, essences objectives de tel ou tel cerveau, de tel ou tel corps extérieurs, de leurs interactions et des ensembles qu’ils forment ainsi à l’infini (interdépendance, qui entraîne une impermanence partielle suivant le jeu des forces respectives.) Ceci n’est pas accessible à l’Homme en vérité ; il ne peut percevoir ni son Corps, ni les corps extérieurs, ni son Mental adéquatement par les sensations. Ce qu’il peut voir en vérité, c’est ce qui est commun à tous et est donc dans le tout, ne constitue l’essence d’aucune chose singulière et est éternel : les dimensions de l’existence, la modalité en acte, les lois (dont au premier chef les notions communes dont les autres se déduisent logiquement, l’aboutissement étant la perception directe par le troisième genre) et par dessus tout la Nature.

L’apposition de « cause » à « mode » c’est même dans la démonstration de E1P28… (claque…) Donc par « cause » il faut bien entendre un mode actif antérieur dans le temps.


Je termine maintenant mon examen préliminaire du texte :

E2P48 : Il n’y a point dans l’âme de volonté absolue ou libre ; mais l’âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause, qui elle-même est déterminée par une autre, et celle-ci encore par une autre, et ainsi à l’infini.

Démonstration : L’âme est un certain mode déterminé de la pensée (par la Propos. 11, partie 2), et en conséquence elle ne peut être (par le Corollaire 2 de la Propos. 17, partie 1) une cause libre, ou en d’autres termes posséder la faculté absolue de vouloir ou de ne pas vouloir ; mais elle est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui elle-même est déterminée par une autre, et celle-ci encore par une autre, etc. C. Q. F. D.

Il n’y a pas de citation de E1P32, mais ce semble en être une répétition.

(E1P28 ->) E4P29Dm : La puissance d’exister et d’agir de toute chose particulière, et partant (en vertu du Coroll. de la Propos. 10, part. 2) celle de l’homme, ne peut être déterminée que par une autre chose particulière (en vertu de la Propos. 28, part. 1) dont la nature se comprenne par son rapport à ce même attribut auquel se rapporte la nature humaine (par la Propos. 6, part. 2). Par conséquent notre puissance d’agir, de quelque façon qu’on la conçoive, ne peut être déterminée et partant favorisée ou empêchée que par la puissance d’une autre chose particulière qui ait avec nous quelque point commun, et elle ne peut pas l’être par la puissance d’une chose dont la nature serait entièrement différente de la nôtre. …

Je pense que l’interdépendance (une des bases fondamentales de l’Éthique : un mode ne peut être isolé des autres – E3P3, E4P2, E4P3, E4P4, E4AppCh1, E4AppCh6, E4AppCh7, E4AppCh32, … - et c’est même une condition nécessaire de son existence et de son action) est clairement l’objet de cette démonstration. Rappelons à ce qujet E2P29 :

E2P29 : Aucune idée de l’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe une connaissance adéquate de l’âme humaine.

Démonstration : En effet, l’idée d’une affection du corps humain n’enveloppe point (par la Propos. 27, partie 2) une connaissance adéquate de l’âme humaine ; en d’autres termes, elle n’en exprime pas la nature d’une façon adéquate ; ou enfin, elle ne s’accorde pas d’une façon adéquate avec la nature de l’âme (par la Propos. 23, partie 2). En conséquence (par l’Axiome 6, partie 1) l’idée de cette idée n’exprime pas non plus, d’une façon adéquate, la nature de l’âme humaine ; en d’autres termes, elle n’en enveloppe pas une connaissance adéquate. C. Q. F. D.

Corollaire : Il suit de là que l’âme humaine, toutes les fois qu’elle perçoit les choses dans l’ordre commun de la nature, n’a point d’elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, une connaissance adéquate, mais seulement une connaissance confuse et mutilée. L’âme, en effet, ne se connaît qu’en tant qu’elle perçoit les idées des affections du corps (par la Propos. 23, partie 2). Elle ne connaît son corps (par la Propos. 19, partie 2) que par ces mêmes idées des affections du corps, par lesquelles seules elle connaît aussi les corps extérieurs ; par conséquent donc, en tant qu’elle a ces idées, elle n’a point une connaissance adéquate d’elle-même (par la Propos. 29, partie 2), ni de son corps (par la Propos. 27, partie 2), ni des corps extérieurs (par la Propos. 25, partie 2), mais seulement une connaissance confuse et mutilée (par la Propos. 28, partie 2 et son Schol.). C. Q. F. D.

Scholie : Je dis expressément que l’âme humaine n’a point une connaissance adéquate d’elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, mais seulement une connaissance confuse, toutes les fois qu’elle perçoit les choses dans l’ordre commun de la nature ; par où j’entends, toutes les fois qu’elle est déterminée extérieurement par le cours fortuit des choses à apercevoir ceci ou cela, et non pas toutes les fois qu’elle est déterminée intérieurement, c’est-à-dire par l’intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu’elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l’heure.

Je passe au dernier gros morceau : E2P9, qui fait appel à E1P28, et sa filiation, qui fait en même temps, comme elle-même, généralement aussi appel à E2P7 (« parallélisme »). Donnons directement le principal débouché de cette proposition : il est apparenté à que ce qui vient d’être souligné en prenant E4P29 en exemple et donc tout aussi fondamental : il s’agit d’établir à la fois la nature de la dépendance relative (idée inadéquates, passions) et de l’indépendance relative (idées adéquates, puissance en action) dans le monde interdépendant des modes au sein de la Nature souveraine, autrement dit une bonne partie de l’enjeu éthique (avant l’introduction du désir.) De cela découlera en particulier les idées en Dieu qui sont « à cheval » sur deux modes, dont un est le corps humain (sensation), d’où l’inadéquation dans le Mental.

(E1P28 ->) E2P9 : L’idée d’une chose particulière et qui existe en acte a pour cause Dieu, non pas en tant qu’il est infini, mais en tant qu’on le considère comme affecté de l’idée d’une autre chose particulière et qui existe en acte, idée dont Dieu est également la cause, en tant qu’affecté d’une troisième idée, et ainsi à l’infini.

Démonstration : L’idée d’une chose particulière et qui existe en acte est un mode particulier de la pensée, distinct de tous les autres modes (par le Corollaire et le Schol. de la Propos. 8, partie 2) ; et par conséquent (en vertu de la Propos. 6, part, 2) elle a pour cause Dieu considéré seulement comme chose pensante ; non pas comme chose absolument pensante (par la Propos. 28, partie 1), mais comme affecté d’un autre mode de la pensée, lequel a aussi pour cause Dieu comme affecté d’un autre mode de la pensée, et ainsi à l’infini. Or l’ordre et la connexion des idées est le même (par la Propos. 7, partie 2) que l’ordre et la connexion des causes. Donc, la cause d’une idée particulière, c’est toujours une autre idée, ou Dieu comme affecté de cette autre idée, laquelle a pour cause Dieu comme affecté d’une troisième idée et ainsi à l’infini. C. Q. F. D.

Corollaire : Tout ce qui arrive dans l’objet particulier d’une idée quelconque, Dieu en a la connaissance, en tant seulement qu’il a l’idée de cet objet.

Démonstration : Tout ce qui arrive dans l’objet particulier d’une idée quelconque, Dieu en a l’idée (par la Propos. 3, partie 2), non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’il est affecté de l’idée d’une autre chose particulière (par la Propos. précédente). Or, l’ordre et la connexion des idées est le même (par la Propos. 7, partie 2) que l’ordre et la connexion des choses. Par conséquent, la connaissance de tout ce qui arrive dans un objet particulier devra se trouver en Dieu, en tant seulement qu’il a l’idée de cet objet. C. Q. F. D.

Les idées sont des « choses » auxquelles E1P28 s’applique. L’appel à E2P7 a pour résultat simplement de passer de « Dieu affecté d’un mode de la pensée est cause » à « une idée est cause. » Il semble que Spinoza (en toute cohérence d’ensemble) conserve bien présent à l’esprit que les idées ne sont pas les seuls modes de la pensée, et donc prend soin de démontrer à chaque fois qu’il s’agit de l’une ou l’autre catégorie. Le corollaire fait à nouveau appel à E2P7 pour signifier que l’idée d’une affection d’une chose est automatiquement comprise en principe dans l’idée même de cette chose. La démonstration dit que le « une chose » est forcément l’idée même puisque les idées correspondent aux choses et donc les affections d’idées aux affections des choses.

Du corollaire suit naturellement que l’âme perçoit les affections du corps (E2P12.) Dans E2P30, une précision supplémentaire (rappelant E1P28) mérite d’être soulignée :

(E1P28 -> E2P9C ->) E2P30 : Nous n’avons de la durée de notre corps qu’une connaissance fort inadéquate.

Démonstration : La durée de notre corps ne dépend pas de son essence (par l’Axiome 1, partie 2), ni de la nature absolue de Dieu (par la Propos. 21, partie 1), notre corps étant déterminé à exister et à agir d’une certaine façon par des causes qui sont elles-mêmes déterminées par d’autres causes à exister et à agir d’une certaine manière particulière, et celles-ci par d’autres encore, et ainsi à l’infini. La durée de notre corps dépend donc de l’ordre commun de la nature, et de la constitution des choses. Or l’idée ou connaissance de la manière dont les choses sont constituées est en Dieu, en tant qu’il a les idées de toutes ces choses, et non pas en tant qu’il a seulement l’idée du corps humain (par le Corollaire de la Propos. 9, partie 2) ; c’est pourquoi la connaissance de la durée de notre corps est en Dieu fort inadéquate, en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine ; en d’autres termes (par le Corollaire de la Propos. 11, partie 2) cette connaissance est fort inadéquate dans notre âme. C. Q. F. D.

On peut se demander si le “fort” (inadéquate) ajouté ici ne s’associe pas à « commun » (ordre) et par conséquent s’il y a une différence entre « ordre » et « ordre commun » (le premier étant « en poupées russes », par exemple, le second uniquement en séquence spatio-temporelle.)

Dans la filiation de E2P9 on retiendra :

(E1P28 -> E2P9 ->) E2P19 : L’âme humaine ne connaît pas le corps humain lui-même, et ne sait qu’il existe que par les idées des affections qu’il éprouve.

Démonstration : En effet, l’âme humaine, c’est l’idée même ou la connaissance du corps humain (par la Propos. 12, partie 2), laquelle est en Dieu (par la Propos. 9, partie 2), en tant qu’on le considère comme affecté de l’idée d’une autre chose particulière, ou bien, en tant que le corps humain a besoin de plusieurs autres corps dont il est continuellement comme régénéré ; or, l’ordre et la connexion des idées est le même (par la Propos. 7, partie 2) que l’ordre et la connexion des causes. Cette idée sera donc en Dieu en tant qu’on le considère comme affecté des idées de plusieurs choses particulières. Par conséquent, si Dieu a l’idée du corps humain, ou autrement, si Dieu connaît le corps humain, c’est en tant qu’il est affecté de plusieurs autres idées, et non en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine ; en d’autres termes (par le Corollaire de la Propos. 11, partie 2), l’âme humaine ne connaît pas le corps humain. Mais, d’un autre côté, les idées des affections du corps sont en Dieu, en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine ; ou autrement, l’âme humaine perçoit ces mêmes affections (par la Propos. 12, partie 2) ; et en conséquence (par la Propos. 16, partie 2) elle perçoit le corps humain lui-même ; et enfin elle le perçoit (par la Propos. 17, partie 2) comme existant en acte. C’est donc de cette façon seulement que l’âme humaine perçoit le corps humain lui-même. C. Q. F. D.

L’interdépendance spatio-temporelle me semble clairement l’objet : il s’agit de l’idée du corps humain et d’un autre corps en même temps. On notera en passant que l’avant-dernière phrase en gras tend à signifier (d’autant que la négation de « constitue » est indiquée juste avant) que les sensations sont bien entières dans le mental humain (ce qui tombe sous le sens, d’ailleurs.)

(E1P28 -> E2P9 ->) E2P24 : L’âme humaine n’enveloppe pas la connaissance adéquate des parties qui composent le corps humain.

Démonstration : Les parties qui composent le corps humain ne se rapportent point à son essence, si ce n’est en tant qu’elles se communiquent leurs mouvements suivant un certain rapport (voyez la Déf. après le Corollaire du Lemme 3), et non pas en tant qu’on les considère comme des individus, sans regard au corps humain. Les parties du corps humain, en effet (par le Post. 1), sont des individus très composé, dont les parties (par le Lemme 4) peuvent être séparées du corps humain, sans que sa nature et sa forme en soient altérées, et communiquer leurs mouvements à d’autres corps suivant des rapports différents (voir l’Axiome 2 après le Lemme 3) ; en conséquence (par la Propos. 3, partie 2), l’idée où connaissance de chaque partie du corps humain se trouvera en Dieu (par la Propos. 9, partie 2), et elle s’y trouvera en tant que Dieu est affecté de l’idée d’une autre chose particulière, laquelle est, dans l’ordre de la nature, antérieure à cette partie (par la Propos. 7, partie 2). Il faut en dire autant de chaque partie de l’individu lui-même qui sert à composer le corps humain ; de façon que la connaissance de chacune des parties qui forment le corps humain se trouve en Dieu, en tant qu’il est affecté de plusieurs autres idées, et non pas en tant qu’il a l’idée du corps humain, c’est-à-dire (par la Propos. 13, partie 2) l’idée qui constitue la nature de l’âme ; par conséquent (en vertu du Corollaire de la Propos. 11, partie 2) l’âme humaine n’enveloppe pas une connaissance adéquate des parties qui composent le corps humain. C. Q. F. D.

Ici on peut se demander de quelle « antériorité » il s‘agit (spatio-temporelle ou ontologique, « en poupées russes ») et à nouveau ce qu’est l’ « ordre de la nature » par rapport à « l’ordre commun de la nature. » Je tendrais à dire qu’il s’agit de l’ontologique. Mais la référence à E2P7 est assez énigmatique sur ce sujet. Antériorité causale ? Mais de quelle cause s’agit-il ? On doit se demander cependant dans quelle mesure l’ordre ontologique et l’ordre spatio-temporel se rejoignent : il n’y a pas grande différence à parler d’interaction entre modes et de mouvement à l’intérieur d’un mode qui englobe les deux précédents (au moins si le terme « individu » s’applique dans tous les cas.) Même interrogation avec la proposition suivante :

(E1P28 -> E2P9 ->) E2P25 : L’idée d’une affection quelconque du corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate du corps extérieur.

Démonstration : Nous avons vu que l’idée d’une affection du corps humain n’enveloppe la nature d’un corps extérieur qu’en tant que celui-ci détermine le corps humain d’une certaine façon (par la Propos. 16, partie 2). Mais en tant que le corps extérieur est un individu sans rapport au corps humain, l’idée de ce corps extérieur n’est en Dieu (par la Propos. 9, partie 2) qu’en tant que Dieu est affecté de l’idée d’une autre chose particulière, laquelle (par la Propos. 7, partie 2) est antérieure de sa nature au corps dont nous parlons. …

(E1P28 -> E2P9 ->) E3P1 : Notre âme fait certaines actions et souffre certaines passions ; savoir : en tant qu’elle a des idées adéquates, elle fait certaines actions ; et en tant qu’elle a des idées inadéquates, elle souffre certaines passions.

Démonstration : … quant à celles qui, dans l’âme, sont inadéquates, elles sont, comme les autres, adéquates en Dieu (par le même Corollaire), non pas, il est vrai, en tant seulement qu’il contient l’essence de cette âme, mais en tant qu’il contient aussi en même temps les autres âmes de l’univers.
Maintenant, une idée quelconque étant donnée, quelque effet doit nécessairement s’ensuivre (par la Propos. 36, partie 1) ; et cet effet, Dieu en est la cause adéquate (voyez la Déf. l, part. 3), non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’affecté de l’idée donnée (voyez la Propos. 9, partie 2). Or, ce même effet dont Dieu est la cause, en tant qu’affecté d’une idée qui est adéquate en une certaine âme, cette âme en est aussi cause adéquate (par le Coroll. de la Propos. 11, partie 2). Donc notre âme, en tant qu’elle a des idées adéquates, doit (par la Déf. 2, partie 3) nécessairement opérer quelque action. Et c’est là le premier point qu’il fallait démontrer. De plus, tout effet qui suit nécessairement d’une idée qui est adéquate en Dieu, en tant qu’il contient en soi non pas seulement l’âme d’un seul l’homme, mais avec elle en même temps les autres âmes de l’univers, tout est de cette espèce, dis-je, l’âme de cet homme n’en est pas la cause adéquate (par le même Corollaire de la Propos. 11, part. 2), mais seulement la cause partielle ; et en conséquence (par la Déf. 2, partie 3), l’âme, en tant qu’elle a des idées inadéquates, est nécessairement affectée de quelque passion ; c’est le second point que nous voulions établir. Donc enfin, etc. C. Q. F. D.


Reste le bouquet, qui n’est qu’en filiation supposée :

(Hyp. : E1P28 -> E2P9C ->) E5P40S : Tels sont les principes que je m’étais proposé d’établir touchant l’âme, prise indépendamment de toute relation avec l’existence du corps. Il résulte de ces principes, et tout ensemble de la Propos. 21, part. 1, et de quelques autres, que notre âme, en tant qu’elle est intelligente, est un mode éternel de la pensée, lequel est déterminé par un autre mode éternel de la pensée et celui-ci par un troisième, et ainsi à l’infini ; de telle façon que tous ces modes pris ensemble constituent l’entendement éternel et infini de Dieu.

Il me semble totalement exclu, eu égard à l’ensemble de ce qui précède qu’il puisse s’agir de l’ensemble des âmes, adéquates ou pas, des hommes, vivants ou pas. Le « pris ensemble » semble s’opposer à une structure « en poupées russes. » On pourrait penser au fait que les idées adéquates se déduisent les unes des autres, mais cela semble encore trop humain pour atteindre l’entendement divin. Peut-être s’agit-il simplement tout à la fois de l’interdépendance spatio-temporelle, de l’ « emboîtement en poupées russes » des individus et des lois qui régissent le tout et qui sont fondamentalement l’essence de Dieu (avec les attributs et la « modalité » associée aux modes infinis.)

A suivre…


Serge
Modifié en dernier par sescho le 25 nov. 2007, 19:14, modifié 1 fois.
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Messagepar hokousai » 25 nov. 2007, 15:10

à tous les trois


résumé:
En tant que l’esprit pense l’ordre et l ‘enchaînement des idées est le même que l’enchaînement des causes (et non pas des choses )
Considérés dans l’étendue , l’ordre et l’enchaînement des événements dans l’entendue est le même que l’enchaînement des causes
en Dieu seulement l’ordre et l’enchaînement des choses (demons 2 prp9 part2)

Spinoza dit que nous retrouverons .un seul et même ordre

c'est le problème

Pour moi s’iI se trouve qu un cercle existe dans l’étendue et que je le perçoive visuellement l’idée du cercle et non celle du triangle s’applique.(coïncidence dans l’esprit et dans les corps )
Or les enchaînements des cause qui ont amené le cercle dans l'étendue et le cercle dans la pensée ne sont pas les mêmes .
Ou alors que signifie cette mêmeté ?


De temps en tant il y a coïncidence entre les idées et les événements dans l’étendue , mais de temps en temps seulement . La coïncidence fortuite n’est pas expliquée par Spinoza . Il ne peut expliquer la coïncidence que par une coïncidence universelle .(parallélisme strict )

Et pourtant il y a coïncidence fortuite et je ne pense pas à un triangle à la place d’un cercle quand je vois un cercle , mais je peux penser un cercle sans en voir un .
La pensée suis son cours et les corps suivent le leur .…

De quelle nature est la relation actuelle entre le cercle étendue et le cercle pensé ? Si elle n’est pas universelle mais fortuite ?

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Henrique
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Messagepar Henrique » 25 nov. 2007, 15:22

Enegoid a écrit :1 La substance (Dieu) et les attributs ne sont pas des choses singulières, au sens de Spinoza, puisqu'elles sont infinies.

Je reviens juste sur ce point.
Il est vrai qu'il y a E2D7, mais aucune démonstration n'y renvoie explicitement et l'ax. 5 fait apparaître la notion de chose singulière comme interchangeable avec celle d'individu. Or les individus se composent entre eux pour former des individus plus grands, si bien que "si nous poursuivons de la sorte à l'infini nous concevrons facilement que toute la nature est un seul individu dont les parties c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de façons, sans que l'individu lui-même, dans sa totalité reçoive aucun changement." (E2L7S).

Dieu i.e. la substance infinie n'est pas divisible (E1P13). Mais indivisibilité ne s'oppose pas absolument à composition : l'étendue n'est composée de rien d'autre que d'elle même mais les corps sont composés d'étendue et de mouvements plus ou moins rapide. Et si les corps sont des modes de la substance en tant qu'on la considère comme extension infinie, alors les corps ne sont pas à proprement parler des divisions de cette extension, puisqu'elle est indivisible (E1P15S) et ce bien que les corps soient "composés d'un grand nombre d'individus". Ainsi je dirais que ce que la raison comprend avec les notions communes d'individu et de composition, l'entendement intuitif peut le concevoir comme l'identité continue de la substance unique en dehors de laquelle rien n'existe et de la totalité de ses façons d'être ou modes. Et si cette identité et unité de composition est possible, c'est que Dieu ou ses attributs d'un côté et ses modes de l'autre ont en commun d'être uniques, sachant que "les choses qui n'ont entre elles rien de commun ne peuvent se concevoir l'une par l'autre, ou en d'autres termes, le concept de l'une n'enveloppe pas le concept de l'autre." (E1A5) alors qu'aucune notion commune ne peut rendre compte complètement de l'essence d'une chose singulière (E2P37).

Si Spinoza n'emploie pas le terme de "singularité" pour qualifier Dieu, il n'en est pas moins chose unique en raison même de son infinité (E1P14C). Or en français, "singulier"qualifie bien une propriété qui appartient à un seul. Donc il n'est pas inconcevable de qualifier Dieu de chose singulière en tant que seul être à posséder l'absolue infinité dans son essence tandis que ses modes possèdent seulement des propriétés uniques en ce qui concerne la quantité de mouvement et de repos qui les distingue des autres. Dieu est une chose car il possède une essence propre et il n'est pas impossible de qualifier cette chose de singulière, si par cet adjectif on entend non pas uniquement ce qui est fini mais ce dont l'essence totale ne possède rien de commun avec l'essence d'aucun autre être singulier distinct. L'usage du mot singulier pour fini n'est qu'une convention. Au niveau de l'idée adéquate de son essence, Dieu demeure bien une chose unique en son genre, sans commune mesure avec aucune autre chose prise à part. Au contraire, les êtres finis ont entre eux, malgré leur distinction, des points communs. Spinoza est alors amené, je pense, à utiliser le terme de "chose singulière" pour indiquer que dans chaque chose finie, il demeure quelque chose d'irréductible aux notions communes.

Mais on pourrait, pour distinguer Dieu des choses finies parler non de chose particulière, car ce terme renvoie à la partie d'un tout, ni de chose générale, comme tout composé de parties mais plutôt de chose universelle si par là on entend une totalité qu'on ne peut augmenter ni diminuer sans en détruire le concept parce qu'unique en son genre et donc indivisible - encore qu'adéquatement comprise, n'importe quelle chose finie est un universel : "Socrate est philosophe" vaut pour la totalité de l'individu qu'on désigne ici.

Quant aux figures géométriques, ce sont effectivement des auxiliaires de l'imagination qui n'ont aucune essence réelle en dehors du raisonnement, mais qui ont, en raison de leur extrême simplicité, cette propriété de pouvoir être adéquates - un triangle isocèle ayant de nombreuses propriétés communes avec celles du triangle rectangle - et ainsi de ménager un passage de la connaissance du premier genre à celle du second, comme Spinoza le suggère dans l'appendice d'E1. Mais à proprement parler, seules les choses - singulières ou universelle - ont une essence.

Pour le reste, je crois que ce serait une bonne chose de faire une synthèse de cette notion de notion commune sur http://spinozaetnous.org/wiki/Notions_communes

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Messagepar sescho » 25 nov. 2007, 17:13

Henrique a écrit :Pour le reste, je crois que ce serait une bonne chose de faire une synthèse de cette notion de notion commune sur http://spinozaetnous.org/wiki/Notions_communes

J'ai rajouté des extraits (je n'en ai pas trouvé d'autres ; après il s'agit de liens indirects de premier niveau : par exemple, Spinoza appose "notions communes" à "tous les corps se ressemblent en certaines choses, lesquelles doivent être aperçues par tous d'une façon adéquate, c'est-à-dire claire et distincte." Il me semble parfaitement valable de prolonger après cela (dans la mesure où l'apposition est considérée valable logiquement) sur le deuxième membre - qui donnera pas mal plus de contenu - mais le terme "notion commune" n'est plus employé.)

Par ailleurs, entends-tu bien par "synthèse" des commentaires et conclusions au-delà des extraits ?


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