La connaissance du troisième genre

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 21 janv. 2008, 16:59

cher Hokousai,

vous dites:

Je peux très bien comprendre ce que c'est qu'une connaissance du troisième genre sans le dire . Mais c'est pour cette raison que je ne vous en dis rien .


dans ce cas, je n'ai pas très bien compris pourquoi vous avez ajouté le quatrième point, dans votre message où vous expliquez comment vous concevez le troisième genre de connaissance.

Puis en ce qui me concerne, je crois que du point de vue du spinozisme on ne peut dire ni l'un ni l'autre: d'une part je ne crois pas que le "le dire" (votre 4e point) est nécessaire pour pouvoir avoir une idée adéquate qui relève de ce genre, mais je ne crois pas non plus qu'il est impossible d'en dire quoi que ce soit. Sinon, comment expliquer que Spinoza consacre plus de vingt propositions de l'Ethique à cette notion? C'est donc le fait même que Spinoza en parle qui à mon sens prouve que si, on peut en parler. Conclusion: pour Spinoza on peut parler du troisième genre de connaissance, mais il ne faut pas pouvoir "le dire" quand on a une idée de ce genre avant de savoir qu'il s'agit d'une idée qui relève du troisième genre de connaissance.

Sinon - comme je l'avais annoncé dans mon dernier message concernant Prigogine - j'aimerais bien revenir un instant sur le lien entre la notion spinoziste de "loi de la nature" et le troisième genre de connaissance. Vous en discutiez dans le fil "antagonisme?", je me permets "d'importer" votre question dans ce fil-ci puisque cela touche au sujet de la discussion ici.

Hokousai a écrit :
Vous [= Serge] assimilez les lois de l 'esprit ( psychologiques ) aux lois de la physique et certainement à juste titre s'il faut parler de Spinoza ..il aurait fait cette assimilation .

Il me semble simplement que l'idée de LOI relève de l'imaginaire .


à mon avis il y a un passage dans l'appendice de l'Ethique I et un passage dans le TTP qui abondent dans votre sens, mais cela même en laissant tomber l'opposition que vous suggérez ici.

Car si je vous ai bien compris, vous dites que Spinoza assimile les lois de l'esprit aux lois de la physique (esprit et corps appartenant chez Spinoza effectivement tous les deux à la "phusis", la nature). Mais vous dites aussi que pour vous-même, cette idée de loi relève de l'imaginaire.

Alors voici le premier passage en question:

"Et parce que ceux qui ne comprennent pas la nature des choses, mais se bornent à imaginer les choses, n'affirment rien des choses, et prennent l'imagination pour l'intellecit, à cause de cela ils croient fermement qu'il y a de l'Ordre dans les choses, sans rien savoir de la nature ni des choses ni d'eux-mêmes. Car, quand elles ont été disposées de telle sorte que, lorsqu'elles se représentent à nous par les sens, nous n'avons pas de mal à les imaginer, et par conséquent à nous les rappeler, nous disons qu'elles sont en bon ordre, et, sinon, qu'elles sont en désordre, autrement dit confuses.
Et puisque nous plaît plus que tout ce que nous n'avons pas de mal à imaginer, pour cette raison les hommes préfèrent l'ordre à la confusion; COMME SI L'ORDRE ETAIT QUELQUE CHOSE DANS LA NATURE INDEPENDAMMENT DE NOTRE IMAGINATION; et ils disent que Dieu a tout créé en ordre, et de la sorte, sans le savoir, ils attribuent à Dieu de l'imagination (...). Quant aux autres notions, ensuite, elles ne sont également que des manières d'imaginer, affectant l'imagination de manière diverse, et cependant les ignorants les considèrent comme les principaux attributs des choses (...)
.

Conclusion: pour Spinoza, tout "ordre" dans la nature est imaginaire.

TTP XVI/19, note marginale (traduction Ch.Ramond):

"Quant à ce qui concerne la loi divine naturelle dont, nous l'avons dit, le commandement suprême est d'aimer Dieu, je l'ai appelée loi au sens où les philosophes appellent lois les règles communes de la nature selon lesquelles tout se produit."

M. Francès traduit ainsi:
"Quant à la loi divine naturelle, dont le suprême précepte, avons-nous dit, est: Aimez Dieu, elle ne saurait être considérée comme loi que dans le vocabulaire des philosophes, pour qui les règles générales - selon lesquelles tous les événements naturels se produisent - sont des lois."

Je continue par la fin de la même note, trad. M. Francès:

"(...) les lois divines, nous l'avons montré, ne nous paraissent des lois ou des institutions extrinsèques, qu'autant que nous en ignorons la cause interne. Sitôt cette cause connue, elles cessent d'être des lois et nous les saisissons comme des vérités éternelles. En d'autres termes, l'obéissance fait place à l'amour - aussi indissolublement lié à la connaissance vraie que la lumière au soleil. Guidés par la raison nous ne pouvons désormais qu'aimer Dieu, nous ne saurions plus lui obéir. Tant que nous ignorions la cause des lois divines, nous ne pouvions saisir leur vrai caractère; au contraire, avec l'aide de la raison, il nous devient impossible de concevoir Dieu à la manière d'un prince établissant des lois."

A mon sens (mais je vous soumets cette impression afin de la "véri-fier") ceci fait penser que pour Spinoza, il n'y a ni loi ni ordre dans l'essence divine. Car le premier passage, celui de l'E1 App., se trouve dans un contexte où Spinoza essaie de nous montrer que des notions comme le bien, le mal, le beau, le laid, MAIS AUSSI le froid, le chaud ne sont que des notions extrinsèques, au sens où il le dit aussi pour le juste et l'injuste, le péché et le mérite dans le scolie II de l'E4P37. Or, comme il l'y précise (donc dans ce scolie), des notions extrinsèques ne sont PAS des "attributs qui expliquent la nature" d'une chose (en l'occurrence de l'Esprit). Et l'on retrouve exactement la même formule à la fin de la citation de l'E1, ci-dessus.

Dans le TTP XVI il reprend l'idée que les lois ne sont que des "notions extrinsèques", c'est-à-dire des notions qui ne nous disent rien de la nature ou de l'essence d'une chose, la chose en question étant ici Dieu. Ajoutons à cela le fait qu'il dit, en E1 App., que l'ordre que nous voyons dans la nature n'est qu'imaginaire, et l'on serait tenté de conclure qu'aussi longtemps que l'on pense la nature divine ou l'essence divine comme ce qui est CONSTITUÉE par ce que les humains appellent les lois de la nature, on est dans l'erreur. Quand Spinoza parle de lois ou règles communes de la Nature, il parle en tant que "philosophe". Cela veut dire qu'il parle "en général", de façon abstraite/universelle, en ne parlant que de propriétés de choses qui ne disent rien de leur nature/essence singulière.

Pour moi, c'est assez nouveau de découvrir cela (le côté imaginaire de toute loi). Ce qui est à première vue assez problématique dans cette interprétation, c'est qu'elle semble relèguer les lois de la nature et donc en fait tous les résultats de la science physique, chimique, bref de toutes nos sciences qui travaillent avec la notion de "loi" naturelle, dans le domaine de l'imagination. Ce qui contredit le fait que pour Spinoza, le deuxième genre de connaissance, qui ne fait que former des idées de ce que les choses ont en commun (et qui dès lors ne fait que former des notions extrinsèques), est constitué d'idées adéquates donc vraies. Puis nous savons que nous nous servons de la raison pour les former, tandis que la citation du TTP XVI semble plutôt indiquer que la raison est capable de remonter à la "cause interne", l'essence divine elle-même donc, au lieu de s'en tenir à des lois ou notions extrinsèques. Ou plutôt: la raison peut nous y "guider" (au sens où d'elle peut "naître" le troisième genre de connaissance, qui porte sur les "causes internes").

Le scolie de l'E4P62 pourrait-il nous aider à résoudre ce paradoxe (elle aide en tout cas déjà à mieux comprendre un autre problème abordé ces derniers jours, celui du paradoxe entre les prop. de l'E4 qui parlent d'une vraie connaissance du bien et du mal et l'E4P64 qui dit que toute connaisance du mal est une connaissance inadéquate)?

"D'où vient que la vraie connaissance que nous avons du bien et du mal n'est qu'abstraite, autrement dit universelle, et que le jugement que nous portons sur l'ordre des choses et le noeud des causes pour pouvoir déterminer ce qui, présentement, est bon ou mauvais pour nous, est imaginaire plutôt que réel."

Peut-on en conclure que la vraie connaissance de TOUTES les notions extrinsèques (donc aussi celle qui porte sur le chaud et le froid, par exemple ...) est un jugement que nous portons sur l'ORDRE des choses et le noeud des causes qui est PLUTOT imaginaire que réel? Au sens précis où ce jugement ne nous permet pas de "saisir le vrai caractère" des choses?

Si oui, on pourrait commenter la réponse de Serge à votre question d'une manière qui en tout cas pour moi serait nouvelle:

Serge a écrit :Pour Spinoza, selon moi, il n'y a aucun doute : les lois (tous ses axiomes et propositions) sont ce qui est accessible clairement et distinctement (et non les essences singulières, qui ne sont perceptibles : 1) Que sur des objets impermanents. 2) Que par les sensations).


les lois de la nature ne seraient donc éventuellement, sur base de ce que je viens d'écrire, effectivement perceptibles "sur des objets impermanents et par les sensations", mais quand on y ajoute qu'elles sont SEULEMENT perceptibles de cette façon, il faudrait peut-être le dire justement parce qu'il n'y a PAS un "au-delà" de ces lois. Les lois n'existent pas HORS des perceptions imaginaires des hommes. Ou hors des perceptions "plutôt imaginaires que réelles".

Serge a écrit : Et, ceci étant admis, il y a des lois partout, dans tout phénomène dans le monde modal, qu'il s'agisse de Physique ou de Psychologie, et c'est très clairement pour moi les secondes (une partie) qu'il a l'ambition de mettre au jour de la façon la plus rigoureuse qui soit dans l'Ethique.


oui, tout à fait d'accord. Mais donc sachant que probablement, aussi longtemps que nous en restons là, nous sommes davantage dans l'imaginaire que dans le réel, aussi bien en ce qui concerne l'essence singulière des choses QUE l'essence divine. On ne les saisit que de l'extérieur, on n'en saisit PAS la "cause interne".

Serge a écrit : De ces lois, que tout tient de Dieu - la Nature son essence et son existence est de très loin la plus importante.


si ce que je viens d'écrire est correcte, alors il faudrait dire qu'ici il s'agit d'un contre-sens: que tout tient de Dieu son essence et son existence n'est pas une LOI mais une propriété essentielle de Dieu. Voir l'essence singulière d'une chose, ou voir que CETTE chose-là dépend dans son essence de Dieu, c'est en saisir la cause interne, et non plus des notions extrinsèques.

Serge a écrit :Derrière, il y a nécessairement le principe de causalité : les mêmes causes produisent les mêmes effets (dans l'ordre de la causalité transitive.) Si j'arrive à déterminer clairement les rapports qu'ont les choses entre elles dans le monde modal, alors je détermine les lois selon ce principe.


oui, mais ici nous parlons des causes "transitives". Si ce que je viens d'écrire est correcte (encore une fois, je viens de le découvrir, ce n'est pas encore à 100% clair, donc toute critique/suggestion/... est la bienvenue), il faudrait dire que par là nous ne touchons PAS encore à l'essence des choses. Ni à l'essence de Dieu, ni à l'essence des choses singulières. On en reste au niveau abstrait. Que l'on applique une loi à une chose singulière ne change rien à ce fait: on ne fait qu'explorer les propriétés extrinsèques de cette chose, et donc non pas une essence (tandis que le troisième genre de connaissance porte sur les essences).

Serge a écrit :Dans l'ordre de la causalité immanente il n'y a que Dieu - la Nature dont tout le reste est mode. Cette vérité fondamentale est de la plus haute importance.


en effet, dans la causalité immanente il n'y a que Dieu. Mais le fait même qu'il s'agit d'une cause immanente - et donc interne - abolit à mon sens toute possibilité 'd'ordre", à ce niveau-ci. Si ce qui est réel est ce qui est produit "immédiatement" par Dieu, alors dans la réalité, il ne peut pas y avoir de l'ordre. Il faut du temps, pour avoir un ordre. Or le temps est imaginaire, c'est-à-dire propre au mode de fonctionnement des "modes" (la causalité transitive), PAS une propriété de l'essence de Dieu (ni, dès lors, de l'essence des choses, qui relèvent de la causalité immanente).

Enfin, pour revenir à ce que je disais au début, je voulais m'attarder sur cette notion de loi à l'occasion de la discussion que nous avions sur Prigogine: si les lois sont imaginaires, ne faudrait-il pas en conclure que "l'indétermination" qui caractérise Dieu consiste précisément en le fait de n'être borné par rien, plutôt que de faire de Dieu le siège des lois de la nature? Si c'est le cas, la question du déterminisme devient peut-être également autre: les lois de la science physique sont alors toujours avant tout NOS lois. "Déterminer" la position et la vitesse d'une particule est alors peut-être avant tout une "activité humaine", propre au deuxième genre de connaissance qui essaie de trouver des propriétés communes entre nous-mêmes et les corps extérieurs. Mais réussir à déterminer exactement ces propriétés ou non ne dirait plus rien de la nécessité ontologique des choses ou de l'absence d'une nécessité. Autrement dit: détermination et nécessité ne seraient plus la même chose. Si "en Dieu" tout est déterminé, cela voudrait dire que tout mode est limité/déterminé (à opérer d'une manière précise), tandis que Dieu lui-même n'est déterminé/limité par rien (je prolonge un instant la remarque que Pourquoipas avait fait il y a quelques mois, proposant de ne pas voir de distinction absolue entre l'être limité/borné et l'être déterminé). Mais bon, tout ceci ne sont que des "hypothèses de travail", bien sûr.

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Messagepar hokousai » 21 janv. 2008, 22:43

cjère Louisa


dans ce cas, je n'ai pas très bien compris pourquoi vous avez ajouté le quatrième point, dans votre message où vous expliquez comment vous concevez le troisième genre de connaissance.



J e peux très bien avoir des connaissances du troisième genre sans le savoir , c’est à dire sans les connaître .Sans connaître ce que c’est que ce genre de connaissance . Je n’ai pas alors la connaissance de mes connaissances.
Or Spinoza s’il en parle , parle bien de la connaissance de ce genre de connaissance là .


Si je vous dis ""j’ai mal aux dents"" vous comprenez, si je vous dis ""j’ai une connaissance du troisième genre""" ,vous ne me comprenez pas( pas d’emblée ) La connaissance intuitive du troisième genre n’ est pas une expérience comme le mal aux dents .La phrase : "j’ai une conn. du 3me genre"" ne fait pas partie du corpus des phrases immédiatement compréhensibles . Pour que je vous sois compréhensible il va falloir en parler( langage )
....................................

Il y a une différencie entre comprendre et connaître. Je peux comprendre sans connaître .( je sais nager je comprends ce que c'est je ne connais pas nécéssairement . je comprend intuitivement et Spinoza parle de connaisance intuitive )

Spinoza essaie d ' amener à la connaissance claire ce qu'est la comprehension intuitive des choses .Mais Pas n'importe quelle compréhension intuitive , il ne s'agit pas de savoir nager .

.Spinoza essaie de dire ce qui ne peut pas se dire et se faisant il parle d’autre chose .
Parlant d’autre chose il va faire que la compréhension soit une connaissance . Je sais alors que des états de consciences intuitives relèvent de

1)conscience de soi
2) accompagnée de l’idée de Dieu comme cause
3)l’idée de l’essence dune chose singulière comme dépendant de Dieu

sans se le dire ………..mais il l’a dit .


IL fallait quil le dise parce que sinon on a des états de conscience qu' on ne sait pas identifier pour ce qu'ils sont .Ne le sachant pas on n'en a pas la maitrise .On ne peuxagir *.


Alors ou bien on se le dit et ce n’est pas la même chose qu'en ne se le disant pas , ou bien on ne se le dit pas et ce n'est pas la même chose que quand on se le dit

IL faudrait savoir quelle est l’option de Spinoza . Elle n’est pas clairement énoncée . Je pense qu’il opte pour la première solution éclairée d’une connaissance temporaire et répétée ( donc le dicible de l’affaire ) .

( la simulanéité des deux registres ramènerait au second ..donc le dicible de l'affaire ne peut être permanent , je dirais même qu'à la limite il empêche l'action* . Et c'est ainsi que je disais à Serge que je ne peux m'embarasser d'un viatique langagier)

*L'action étant ""avoir une connaissance intuitive"" mais pas n' importe laquelle .

hokousai

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Messagepar Louisa » 24 janv. 2008, 23:13

cher Hokousai,

Hokousai a écrit :Louisa:
dans ce cas, je n'ai pas très bien compris pourquoi vous avez ajouté le quatrième point, dans votre message où vous expliquez comment vous concevez le troisième genre de connaissance.

Hokousai:
J e peux très bien avoir des connaissances du troisième genre sans le savoir , c’est à dire sans les connaître .Sans connaître ce que c’est que ce genre de connaissance . Je n’ai pas alors la connaissance de mes connaissances.
Or Spinoza s’il en parle , parle bien de la connaissance de ce genre de connaissance là .


Si je vous dis ""j’ai mal aux dents"" vous comprenez, si je vous dis ""j’ai une connaissance du troisième genre""" ,vous ne me comprenez pas( pas d’emblée ) La connaissance intuitive du troisième genre n’ est pas une expérience comme le mal aux dents .La phrase : "j’ai une conn. du 3me genre"" ne fait pas partie du corpus des phrases immédiatement compréhensibles . Pour que je vous sois compréhensible il va falloir en parler( langage )


ok, dans ce cas je suis d'accord avec vous.

Hokousai a écrit :
Il y a une différencie entre comprendre et connaître. Je peux comprendre sans connaître .( je sais nager je comprends ce que c'est je ne connais pas nécéssairement . je comprend intuitivement et Spinoza parle de connaisance intuitive )


ok si on utilise les mots dans le sens courant. Dans le sens spinoziste, en revanche, il me semble que l'on ne peut pas vraiment dire cela. Il y a trois genre de connaissance, mais dans le premier, on ne comprend pas grand-chose, tandis que dans le deuxième on comprend des rapports, et dans le troisième des essences singulières. Ce n'est que le troisième qui est intuitif, les deux autres ont besoin d'une "médiation" quelconque.

Ainsi, pour autant que je sache, on considère que savoir nager, c'est composer un nouveau rapport entre le rapport qui me caractérise moi, en tant qu'être humain, et le rapport qui caractérise l'eau (de la mer, de la piscine, ...). Dans le premier genre de connaissance (l'exemple ne vient pas de moi-même mais d'un commentateur) on plonge dans la mer sans savoir nager. Alors quand une trop grande vague arrive, l'enfant va se plaindre chez sa mère en ayant l'impression que la vague lui voulait du mal, qu'elle lui a "battu". Il a déjà acquis une connaissance de ce que c'est que la mer, mais de façon confuse, inadéquate. Il y a déjà connaissance, mais il n'y a pas encore de compréhension.

Le deuxième genre de connaissance fait que j'ai appris à composer un nouvel Individu "mon corps - eau": je sais nager. Je ne subis plus de façon maladroite les vagues au hasard des rencontres, j'utilise la vague pour me mouvoir de façon satisfaisante dans l'eau. En ce sens, je crois que pour Spinoza on a réellement compris quelque chose. On a compris comment composer un nouvel Individu avec les vagues. On a donc aussi bien connaissance que compréhension.

Ensuite, on peut éventuellement passer au troisième genre de connaissance, qui lui aussi consiste à comprendre quelque chose, mais ici il ne faut plus en passer par la médiation de l'apprentissage lent et patient/douleureux. On voit "immédiatement" c'est-à-dire intuitivement l'essence singulière de l'eau. Ce n'est qu'ici, à mon sens, qu'on peut parler d'intuition "spinoziste". C'est dire que dans ce sens précis, ce mot "intuitif" n'a plus grand-chose à voir avec le sens courant de "connaissance non consciente/verbalisable".

Hokousai a écrit :Spinoza essaie d ' amener à la connaissance claire ce qu'est la comprehension intuitive des choses .Mais Pas n'importe quelle compréhension intuitive , il ne s'agit pas de savoir nager .

.Spinoza essaie de dire ce qui ne peut pas se dire et se faisant il parle d’autre chose .
Parlant d’autre chose il va faire que la compréhension soit une connaissance . Je sais alors que des états de consciences intuitives relèvent de

1)conscience de soi
2) accompagnée de l’idée de Dieu comme cause
3)l’idée de l’essence dune chose singulière comme dépendant de Dieu

sans se le dire ………..mais il l’a dit .

IL fallait quil le dise parce que sinon on a des états de conscience qu' on ne sait pas identifier pour ce qu'ils sont .Ne le sachant pas on n'en a pas la maitrise .On ne peuxagir *.


oui en effet, merci pour la clarification.

Hokousai a écrit :Alors ou bien on se le dit et ce n’est pas la même chose qu'en ne se le disant pas , ou bien on ne se le dit pas et ce n'est pas la même chose que quand on se le dit

IL faudrait savoir quelle est l’option de Spinoza . Elle n’est pas clairement énoncée . Je pense qu’il opte pour la première solution éclairée d’une connaissance temporaire et répétée ( donc le dicible de l’affaire ) .


je ne crois pas qu'il ferait un choix. Exprimer par les mots une connaissance ou une idée ne change pas cette idée (il y aura seulement une deuxième idée, ayant ces mots comme objets). Celle-ci reste donc de toute façon la même chose, qu'on en parle une fois qu'on en a eu l'expérience, ou non.

Les mots ne sont là que pour communiquer des idées à quelqu'un d'autre. Dès lors, on n'en a besoin que quand on veut dire à quelqu'un ce que l'on a ressenti quand on avait une idée du troisième genre, ou quand on veut essayer de faire comprendre à d'autres gens comment y arriver. Ils ne constituent donc pas l'essence d'une idée du troisième genre.

Hokousai a écrit :( la simulanéité des deux registres ramènerait au second ..donc le dicible de l'affaire ne peut être permanent , je dirais même qu'à la limite il empêche l'action* . Et c'est ainsi que je disais à Serge que je ne peux m'embarasser d'un viatique langagier)


s'il faut effectivement en passer par le langage pour COMMUNIQUER l'expérience qu'on a eue (qu'elle fût une idée du 1e, 2e ou 3e genre n'y change rien), je ne vois pas pourquoi le langage serait nécessaire à l'expérience en tant que telle.
louisa

PS: pour répondre à votre remarque dans le fil "enseignement": cela fait quelques années que je donne cours moi-même (pas de la philosophie), à un public dit "difficile", ce qui n'implique pas du tout que je crois avoir tout compris en matière pédagogique, mais disons que cela me permet tout de même de m'imaginer quelques difficultés propres au métier d'enseignant "tout court".

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Messagepar hokousai » 25 janv. 2008, 00:09

Exprimer par les mots une connaissance ou une idée ne change pas cette idée (il y aura seulement une deuxième idée, ayant ces mots comme objets).


Vous dîtes qu'il y aura une deuxième idée , c'est beaucoup plus que changer , c'est être autre chose .

Je pense que l’idée de Spinoza ( l’idée de conn du 3me genre ) recouvre non pas l’intuition en général mais l’intuition accompagnée de l’idée de Dieu comme cause .
Sinon la connaissance du 3em g. se ramènerait à la perception naturelle ( qui est intuitive )
Donc la connaissance du 3em genre est intuitive , mais ça ne suffit pas .

La conn .du 3eme genre ne se connaît (en conscience ) comme telle, que si elle a été exprimée dans une forme ( langage ou image ou symbole )

La connaissance qui ne se connaît pas c’est autre chose d’antérieur . Postérieurement à une certaine prise de conscience par le langage, elle devient une connaissance du troisième genre tel que Spinoza la conçoit .
(idéalement dépouillée du langage )


Vous devez savoir que les hindous répètent à l’infini des mantras afin de parvenir à cette connaissance dépouillée justement du langage .Ils redisent indéfiniment » tat twam asi « ( tu es cela )

hokousai


( de la pédagogie on en parlera plus tard )

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Messagepar Louisa » 25 janv. 2008, 00:20

Hokousai a écrit :La conn .du 3eme genre ne se connaît (en conscience ) comme telle, que si elle a été exprimée dans une forme ( langage ou image ou symbole )


pour moi deux choses contredisent cette idée:

- la vérité est norme du vrai: il ne faut pas se savoir savoir avant de savoir, avoir une idée vraie suffit pour savoir qu'elle est vrai et pour en avoir conscience (du moins chez Spinoza). Car qui a une idée vraie a par là même une idée de cette idée, c'est-à-dire quand on a une idée vraie, on ne peut pas ne pas en être conscient (c'est-à-dire il faut définir la conscience autrement que le fait par exemple la psychanalyse, qui elle passe en effet beaucoup plus par le langage).

- le langage, les images, les signes, tout cela appartient au premier genre de connaissance. Je ne vois pas en quoi il serait nécessaire d'ajouter en deuxième lieu une idée (par définition inadéquate, qui plus est) du premier genre de connaissance à celle de troisième genre avant que l'on puisse en avoir conscience (toujours chez Spinoza, bien sûr).

Pensez-vous à l'une ou l'autre proposition qui pourrait contredire ce que je viens d'écrire?
Bien à vous,
louisa

PS: voyez-vous quelque chose qui indique que pour Spinoza, la perception naturelle (si quelque chose qui y ressemble existe dans le spinozisme) pourrait être appelé "intuitive'?

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Messagepar hokousai » 25 janv. 2008, 12:46

(si quelque chose qui y ressemble existe dans le spinozisme)


Voulez-vous me dire que Spinoza était aveugle -sourd de naissance ? IL n'affirme certes pas ,dans aucune proposition ,qu'il était normalement conformé

..............................................

Je ne vois pas l'utilité d'écrire l'Ethique si elle relève du premier genre de connaissance .Pas plus que l'utilité de vos textes ( ou des miens )

...................................................

Vous avez une telle idée vraie de la connaissance du troisième genre que ne vous ne cessez de vous interroger dessus ?

Cessez de vous interroger , vous aurez alors divers genres de connaissance ,sans doute, mais vous ne saurez jamais laquelle est celle du troisième genre .

Vous le saurez quand vous serez capable de décrire tel que le fait Spinoza . Ce faisant il a une description qui n'est pas une connaissance du troisième genre mais qui est nécessaire à l'identification de celle ci , de plus nécessaire à la maitrise active de celle-ci .


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