Être heureux parmi les malheureux

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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nepart
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Être heureux parmi les malheureux

Messagepar nepart » 29 juin 2008, 22:32

Ëtre heureux parmi les malheureux.

J’ai une « mauvaise » habitude , qui est de toujours penser aux moins heureux que moi.

Je le dis clairement, je ne suis pas heureux, mais je ne suis pas malheureux non plus. Ma vie est juste globalement agréable.

J’espère donc avec l’aide de la philosophie avoir le plus tôt possible une vie qui me satisfasse.
Cependant la pensée même que la majorité des êtres humains vivants soit malheureux me semble incompatible avec mon but, et cela remet chez moi en cause la possibilité même d’une vie heureuse.

La question est donc, comment être heureux en étant un minimum sensible à la douleur des autres?
Modifié en dernier par nepart le 30 juin 2008, 00:41, modifié 1 fois.

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 29 juin 2008, 23:24

Bonne question.

Certains (pas Spinoza) ont dit que c'était impossible. J'avoue ne pas connaître la (bonne?) réponse, et je m'intéresserai à ce qu'on pourra dire sur ton sujet.

Mais, par "être heureux" que faut-il entendre : la béatitude du 3ème genre de connaissance, le fait d'apparteinir au club méditérannée occidental, faire partie d'une communauté corse ou musulmane, se sentir plus heureux que les autres, trouver que son essence singulière est ++ ?

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Louisa
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Messagepar Louisa » 29 juin 2008, 23:28

Bonjour Nepart!

je crains que j'ai la même mauvaise habitude que toi ... je ne pourrais donc probablement pas t'être d'une grande aide en cette matière. Par conséquent, voici simplement où j'en suis pour l'instant.

D'abord je crois que chercher son "salut" du côté de la philosophie est assez légitime, puisque pas mal de courants philosophiques, dont le spinozisme (mais aussi, et d'une manière différente, le stoïcisme), prétendent justement apporter une solution à ce problème. Cela vaut donc la peine de prendre un peu le temps pour essayer de les comprendre en profondeur, ne fût-ce pour pouvoir savoir dans quelle mesure nous trouvons que leurs solutions sont satisfaisantes.

Puis il se fait que selon certains, cette "sensibilité" à l'idée du malheur d'autrui serait assez variable, en fonction de l'hémisphère cérébral qui domine dans le traitement des infos sensorielles (les personnes ayant un cerveau droit dominant étant beaucoup plus sensible à cela que ceux chez qui le cerveau gauche domine). Mais là on quitte la philosophie pour passer à la neuropsychologie. Si cela t'intéresse, tu trouveras des infos plus précises dans les livres de Jeanne Siaud-Facchin, Béatrice Millêtre, Lucien Israel et d'autres (tu peux aussi taper "cerveau droit" sur google). Tout cela est basé sur les travaux du neurochirurgien Sperry (prix Nobel 1981). Bien sûr, cela ne vaut que ce que cela vaut.

D'un point de vue spinoziste, il me semble qu'on peut assez bien justifier en quoi cette habitude est réellement "mauvaise". Car si l'on prend cette idée/sentiment au sérieux, il faudrait activement EVITER de devenir plus heureux soi-même, puisqu'on ne sait pas du tout comment légitimer ce bonheur, sachant que la majorité du monde vit dans des situations assez abominables, peu aptes à les rendre heureux. On préfère alors au moins être solidaire dans la souffrance, que de se permettre un bonheur assez considérable par rapport à ce qui est permis à la majorité des gens. Cette "solidarité" a notamment comme avantage que nous pourrons facilement continuer à cotoyer les gens qui souffrent, tandis que si nous mettons notre propre bonheur en priorité, bon, dans ce cas-là on va peut-être parfois devoir éviter certains gens malheureux, sachant qu'on sera plus heureux sans leur présence qu'en les fréquentant.

Or pourquoi d'un point de vue spinoziste tout ceci serait-il réellement une habitude "mauvaise"? On pourrait dire qu'elle consiste à cultiver la Pitié, la compassion avec la souffrance des autres, qui est une Tristesse, et ne pourrait jamais être bonne (puisque toute Tristesse diminue notre puissance). Mais, pourrait-on objecter, si ce faisant nous pouvions réellement aider les malheureux, ne faudrait-il pas "sacrifier" un peu de notre puissance/bonheur?

Cependant, je ne crois pas que l'idée que tu nous proposes se résume à la simple Pitié - du moins telle que je la comprends spontanément, à toi de me corriger si nécessaire/souhaité. Il y a quelque part aussi un sentiment quasiment de "honte" que de se sentir heureux quand on sait qu'énormément de gens (par exemple des gens que nous aimons) ne le sont pas. Comment se débarrasser d'une manière légitime de cette honte?

Je crois que d'un point de vue spinoziste, il faut tout ramener à l'utilité. Comment pourrions-nous réellement être le plus utile aux autres? En les aidant maximalement. Comment les aider maximalement? N'est-ce pas en étant nous-mêmes le moins possible soumis aux affects négatifs, aux affects-passions? Car dès que nous pâtissons, nous aurions inévitablement des idées inadéquates par rapport aux autres. Nous aurons ainsi tendance à ne pas bien comprendre qui ils sont, essentiellement. Or comment les aider, si nos idées de qui ils sont (et partant de ce dont ils ont besoin) sont peu adéquates? Pour pouvoir réellement les aider, sachant que chacun est foncièrement différent de nous, il va falloir utiliser toute notre puissance de penser, toute notre aptitude à être affecté par eux. Or quand nous nous empêchons activement de devenir plus heureux, nous limitons consciemment notre puissance de penser et d'agir à un niveau qui est moins élevé que ce qu'il ne pourrait être. Ne faudrait-il pas conclure dès lors que plus nous avons une puissance de penser (et une aptitude d'être affecté) élevée, plus nous pourrons aider les autres?

Autrement dit: plus nous sommes heureux, plus nous devrions REELLEMENT être capable d'aider les autres, car moins nous sommes soumis aux affects-passions et aux idées inadéquates.

Ou encore autrement: si nous sommes réellement sensibles au malheur des autres, nos DEVONS cultiver notre propre puissance de penser et d'agir, seule chose qui va pouvoir leur être utile. Pour pouvoir les sortir de leur misère, il FAUT donc que nous sommes le plus heureux possible. Ce qui est tout un programme ... :D

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Messagepar nepart » 30 juin 2008, 00:57

Il y a peut être une différence entre nos 2 « problèmes ».

Je n’ai pas ce problème de honte, je ne trouve pas qu’il soit honteux d’être heureux.
C’est juste que l’idée que d’autre (la majorité de surplus) ne le soit pas, m’empêche de l’être.
Il faudrait que l’on s’engage tous à être heureux pour l’être ? :D

Je suis peut être trop de « gauche », cela vient peut être de l’organisation de mon cerveau, ou de mon éducation mais parfois je me dis j’aimerais qu’on me cache la vérité.

J’ai testé l’arrêt du suivi de l’actualité et ça marche plutôt bien, mais ce n’est pas une solution durable pour moi.

Si on ramène tout à l’utilité, on devrait faire en sorte de limiter leur malheurs et se « réfugier » derrière le déterminisme pour se dire, que l’homme soit souvent malheureux est naturel il faut l’accepter ?

Pourquoi pas après tout, ça limiterai notre problème, mais imaginer vous dans une mission humanitaire, dans un pays ou presque tout le monde souffre énormément, pour justement être utile. Pensez-vous que l’idée que tout est déterminé suffirait à ne pas souffrir devant l’idée que des milliards et d’hommes ont connu et connaitront plus de douleur que de joie ?

Peut être que le fait que nous soyons des êtres sociaux nous a d'un côté servi: le développement de notre espèce, l'entraide... et d'un autre desservi en nous condamnant à être triste par la pensée des souffrances d'autrui.

C’est à se demander si le bonheur est possible pour l’homme, et s’il ne faut pas revoir nous ambition à la baisse.

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Messagepar Louisa » 30 juin 2008, 01:46

Nepart a écrit :C’est juste que l’idée que d’autre (la majorité de surplus) ne le soit pas, m’empêche de l’être.
Il faudrait que l’on s’engage tous à être heureux pour l’être ?

Je suis peut être trop de « gauche », cela vient peut être de l’organisation de mon cerveau, ou de mon éducation mais parfois je me dis j’aimerais qu’on me cache la vérité.

J’ai testé l’arrêt du suivi de l’actualité et ça marche plutôt bien, mais ce n’est pas une solution durable pour moi.

Si on ramène tout à l’utilité, on devrait faire en sorte de limiter leur malheurs et se « réfugier » derrière le déterminisme pour se dire, que l’homme soit souvent malheureux est naturel il faut l’accepter ?


je crois que le déterminisme spinoziste a tout de même plus de conséquences que ce que tu suggères ici.

Car il s'agit d'un déterminisme qui implique tout SAUF l'idée que la souffrance humaine est naturelle et qu'il faut l'accepter. Spinoza nous dit bien plutôt que nous sommes déterminés à vouloir être heureux. Or cela signifie inévitablement que nous ne pouvons pas du tout nous contenter du monde tel qu'il est actuellement, et que nous allons tout faire, autant qu'il est dans notre pouvoir, pour essayer de l'améliorer un peu, chacun le faisant à sa façon.

S'il y a donc eu UN philosophe qui a été sensible à ce problème, cela me semble vraiment être Spinoza, lui qui écrit que le "Bien Suprême" est inévitablement lié au fait de parvenir à jouir d'une "meilleure" nature ensemble AVEC les autres individus. Spinoza: "C'est donc la fin à laquelle je tends, à savoir acquérir une telle nature et faire effort pour que beaucoup l'acquièrent avec moi: c'est-à-dire que fait aussi partie de ma félicité d'oeuvrer à ce que beaucoup d'autres entendent la même chose que ce que j'entends ". Cela ne veut pas dire que tout le monde doit partager les "opinions" de Spinoza, cela signifie plutôt qu'il croit avoir trouvé un véritable Bien, et qu'il est certain qu'il ne va pouvoir devenir plus heureux lui-même qu'en pouvant communiquer ce véritable Bien aux autres, qu'en les faisant partager à son bonheur. On n'est jamais heureux seul, dans le spinozisme. Le bonheur "égoïste" n'y existe pas, n'est qu'un faible reflet de ce qu'est le véritable bonheur.

Par conséquent, comme il le dit à la suite du passage que je viens de citer, il convient non pas d'accepter, tristement ou sereinement, la misère du monde, mais de mettre toute son énergie à essayer de comprendre cette misère quant à ses causes, compréhension qui est la seule condition nécessaire pour pouvoir agir efficacement et changer cette misère en un peu plus de bonheur. Et cette compréhension est possible précisément et uniquement parce que le monde est déterminé, c'est-à-dire parce que toute chose est l'effet d'une autre chose. Bien connaître ces chaînes causales nous permet de les utiliser à notre propre fin, de transformer le monde afin de lui rendre plus apte au bonheur humain.

Donc oui, il faut absolument être au courant de l'actualité, et il ne faut pas s'attrister du fait que le dictateur Mugabe vient de se faire ré-élire sans aucune légitimité démocratique au Zimbabwe, etc. Il faut bien plutôt utiliser toute son intelligence cognitive et émotionnelle pour mieux comprendre comment cela a pu être possible, afin de pouvoir comprendre comment CHANGER cette situation.

Si donc tu préfères ne pas entendre la vérité, cela est tout à fait normal, mais cela indique plutôt que pour l'instant tu n'es pas assez "puissant", donc pas assez heureux (les deux sont synonymes chez Spinoza) pour pouvoir comprendre davantage cette vérité. Il faut donc accepter de devenir plus heureux, plus fort, pour pouvoir te laisser affecter chaque jour par ce qui se passe dans le monde, afin de mieux pouvoir planifier comment toi tu vas agir dans ce monde, comment toi, même si ce n'est que de façon très modeste, tu vas contribuer à changer le monde.

Nepart a écrit :C’est à se demander si le bonheur est possible pour l’homme, et s’il ne faut pas revoir nous ambition à la baisse.


le pire, à mon sens, ce serait de revoir notre ambition à la baisse.

Or peut-être est-il nécessaire, du moins pendant un certain temps, de travailler réellement avec des gens assez malheureux, pour ressentir la vérité de cette idée spinoziste?

Là-dessus je ne peux que te dire que d'après ma propre expérience, travailler avec des gens qui vivent dans un milieu criminel donc forcément bien misérable, te fait ressentir en quoi "l'homme peut être un dieu pour l'homme", comme le dit Spinoza. Juste savoir qu'après beaucoup d'efforts et d'échecs, tu es néanmoins capable de rendre quelqu'un réellement plus heureux qu'il ne l'était, à cause du fait que toi, tu sais qu'un autre monde existe, un monde où l'amitié est possible, où les relations humaines ne se limitent pas à la trahision et au mensonge, et que tu as pu communiquer cette vérité-là ... cela te fait ressentir assez bien comment être soi-même plus heureux par le fait même de partager son bonheur. Peut-être qu'il faut donc passer par un tel genre de travail, si vraiment on a des difficultés à se laisser devenir heureux quand on pense à la misère du monde? Ou peut-être qu'on est surtout accablé par la misère du monde si on n'est pas encore dans la situation concrète de pouvoir y remédier un peu, ne fût-ce à une toute petite échelle?

Autre exemple: récemment j'entendais à la radio une personne parler de son association destinée à organiser des stages d'été de très haut niveau pour des enfants musiciens très prometteurs, les maîtres de stages se trouvant au "top" du niveau mondial de la musique classique. Elle racontait qu'il y a deux ans, ils avaient accueilli notamment une fille sudafricaine, "Fifi" (il va de soi qu'ils avaient eux-mêmes financés son stage). Elle avait été découverte dans la rue à ses six ans, n'ayant plus de parents ni de famille, par un américain qui s'occupait là-bas des enfants de la rue (et qui ne soupçonnait pas encore son talent musical). Elle était venu en Europe, a fait ce stage d'été, était pleine de joie et de goût de vivre, jusqu'à ce que le dernier jour on la retrouvait seul dans un coin, en train de pleurer. L'organisatrice lui demandait ce qui se passait, et elle disait ne pas du tout vouloir retourner dans son enfer sudafricain, maintenant qu'elle avait senti ici quelle vie était possible, en tant que musicienne. L'organisatrice avouait hésiter sérieusement, à ce moment-là, et se demandait si son association finalement n'apportait pas plus de malheur que de bonheur. Or après que Fifi était rentrée en Afrique du Sud, endéans les trois mois elle commençait non seulement à étudier son instrument, le violon, avec plus de passion et de dévouement encore, elle s'appliquait également à "éveiller" ses anciens compagnons de rue à la musique et au monde tout à fait différent qui s'ouvrait à eux une fois qu'ils prennaient la musique au sérieux.

Tout cela n'est qu'une petite goutte dans l'océan de la misère humaine, bien sûr, mais comment être sensible à cette misère et ne PAS être sensible à ces petites gouttes? Je crois que c'est cela ce que Spinoza voulait dire: il ne faut surtout pas renoncer à l'ambition de devenir heureux (d'ailleurs, on n'a pas le choix, on est déterminé à le vouloir), il faut utiliser le fait que tout est déterminé ET DONC compréhensible pour, chacun selon ses propres pouvoirs, changer un peu le monde, rendre deux-trois personnes plus heureuses. Ce n'est pas du tout facile, mais c'est bel et bien possible. Et une fois qu'on y réussit, je ne suis pas certaine qu'on va se dire que finalement tout cela ne vaut rien, vu que la majorité des gens continue à vivre dans la misère. Une fois qu'on y réussit, je crois que notre propre bonheur s'amplifie plutôt du bonheur de ces deux-trois personnes qu'on a su aider un peu.

Bref, le message spinoziste n'est pas du tout de renoncer au désir de devenir heureux, le message spinoziste est bien plutôt de tout faire pour y arriver, ET de tout faire pour qu'un maximum d'autres y arrivent simultanément.

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Messagepar nepart » 30 juin 2008, 02:26

Je voulais dire que c’est la situation actuelle qui est naturelle, il n’y a pas de fatalité pour les situation futur bien sur.

Le bonheur "égoïste" n'y existe pas, n'est qu'un faible reflet de ce qu'est le véritable bonheur. 


Est-on vraiment sur de cela ? Peut être que cela est incompréhensible pour nous actuellement (comme pour moi à l’époque, je ne pouvais concevoir le bonheur compatible avec le déterminisme), mais qu’avec du travail sur soi on peut concevoir un bonheur plus égoiste qui permettrait d’être heureux de façon independante du bonheur de la masse. C’est peut être moins en accord avec nos valeurs acturelles, mais si ça marche…

Cela me rappelle l'histoire de la drogue parfaite.

, tu vas contribuer à changer le monde.


Même si j’agis maintenant, il sera trop tard pour de nombreuses personnes. Et même si maintenant plus personne ne serait dans de telle situation je penserais à ceux qui les ont connu avant. Je me rappelle de l’idée que la selection naturelle, si elle a « aboutit » aux espèces actuelles, elle a du passé par des « ratés » qui ont fait des espèces peu adaptés et qui ont beaucoup souffert. Notre possible bonheur reposerai sur du malheure préalable.
L’idée de sacrifice ne me dérange pas si la personne qui touche les fruits est la même, mais la ce n’est pas le cas.

Bref, le message spinoziste n'est pas du tout de renoncer au désir de devenir heureux, le message spinoziste est bien plutôt de tout faire pour y arriver, ET de tout faire pour qu'un maximum d'autres y arrivent simultanément.



Y a-t-il une dose de personne heureuse nécessaire pour être heureuse ?
Parce que dans ce que tu décris de la pensée spinoziste, j'ai l'impression qu'il faut le 100%, si oui c'est utopique et on sera fatalement non pas malheureux, mais jamais heureux, sauf quand on est divertie pas autre chose qui fait que l'oublie presque entièrement.

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Messagepar Louisa » 30 juin 2008, 03:17

louisa:
Le bonheur "égoïste" n'y existe pas, n'est qu'un faible reflet de ce qu'est le véritable bonheur.

Nepart:
Est-on vraiment sur de cela ?


non, on n'est pas sûr de cela, c'est une thèse philosophique. Cela veut dire qu'il s'agit d'une idée qui peut orienter ta vie, tes actions, et qui fera que tu vivras ta vie autrement que si tu adoptes une autre idée. Seul ce qui en résultera décidera de son utilité ou de sa valeur. Tu ne peux pas connaître celle-ci avant de l'avoir mise en pratique.

Nepart a écrit : Peut être que cela est incompréhensible pour nous actuellement (comme pour moi à l’époque, je ne pouvais concevoir le bonheur compatible avec le déterminisme), mais qu’avec du travail sur soi on peut concevoir un bonheur plus égoiste qui permettrait d’être heureux de façon independante du bonheur de la masse. C’est peut être moins en accord avec nos valeurs acturelles, mais si ça marche…


tu es bien sûr tout à fait libre d'"expérimenter" une telle idée, si elle te semble être plus féconde. Or si déjà maintenant tu préfères ne pas écouter les infos, j'ai plutôt tendance à croire que cette idée d'un bonheur tout à fait égoiste, ce n'est pas tout à fait ton truc ... :D . Mais en effet, il faut effectivement essayer quelque temps de vivre selon cette idée d'un bonheur égoiste possible avant de savoir ce qu'elle nous donne concrètement.

louisa:
tu vas contribuer à changer le monde.

Nepart:
Même si j’agis maintenant, il sera trop tard pour de nombreuses personnes. Et même si maintenant plus personne ne serait dans de telle situation je penserais à ceux qui les ont connu avant. Je me rappelle de l’idée que la selection naturelle, si elle a « aboutit » aux espèces actuelles, elle a du passé par des « ratés » qui ont fait des espèces peu adaptés et qui ont beaucoup souffert. Notre possible bonheur reposerai sur du malheure préalable.


oui d'accord, mais comme le dit Spinoza, dans ce cas on pourrait même se sentir triste à cause du malheur qui incombe aux bébés du fait qu'ils ne savent pas encore communiquer, ne savent pas encore vivre indépendamment de leurs parents etc. Or on sait bien qu'en tant qu'être humain, on ne sait pas changer tout cela. Alors pourquoi se dire que cela "aurait pu" être autrement, sachant qu'en fait, ce n'est pas du tout le cas? Est-ce bien raisonnable que de se sentir Triste en pensant à l'état actuel du monde, sachant que de toute façon, il n'aurait jamais pu être autrement? Notre possible bonheur n'a pas pour condition qu'il existe un malheur absolu préalable (cela c'est déjà fait, nous n'y pouvons rien, que nous soyons béats ou extrêmement malheureux), il a pour condition que nous acceptons le fait qu'étant réellement heureux, nous serons beaucoup plus utiles aux hommes qu'en restant Tristes.

Nepart a écrit :L’idée de sacrifice ne me dérange pas si la personne qui touche les fruits est la même, mais la ce n’est pas le cas.


Il est un fait qu'un tas de gens sont morts malheureux et impuissants. Il est vrai que cela, c'est horrible. Mais pouvons-nous y changer quelque chose? Non. Ce qui est fait est fait. Nous ne pouvons que contribuer à un avenir meilleur, et là, on aura besoin de toutes nos forces! Plus nous avons compris et expérimentés comment réellement devenir plus heureux (car finalement, ce n'est pas si facile que ça, c'est même tout un art), plus nous pourront initier d'autres gens à cet art. Pourquoi attendre de ce lancer dans une telle entreprise? Comment prendre pour "excuse" le fait que dans le passé, des gens ont souffert et personne n'a pu les "sauver"? Est-ce une raison pour laisser mourir de malheur des gens aujourd'hui???

louisa:
Bref, le message spinoziste n'est pas du tout de renoncer au désir de devenir heureux, le message spinoziste est bien plutôt de tout faire pour y arriver, ET de tout faire pour qu'un maximum d'autres y arrivent simultanément.

Nepart:
Y a-t-il une dose de personne heureuse nécessaire pour être heureuse ?
Parce que dans ce que tu décris de la pensée spinoziste, j'ai l'impression qu'il faut le 100%, si oui c'est utopique et on sera fatalement non pas malheureux, mais jamais heureux, sauf quand on est divertie pas autre chose qui fait que l'oublie presque entièrement.


en effet, il ne faut pas du tout le 100% (on ne l'aura jamais, ce 100%). Il suffit de S'EFFORCER de devenir toujours plus heureux, et de s'efforcer pour qu'un maximum de gens deviennent simultanément le plus heureux possible. Avec ça, on peut déjà s'occuper durant toute notre vie. Sinon à la perfection nul n'est tenu. Rendre une seule personne un tout petit peu plus heureux aujourd'hui que hier (soi-même ou quelqu'un d'autre) c'est déjà beaucoup de gagné!

Peut-être faut-il aussi tenir compte du fait que le bonheur chez Spinoza c'est une Joie, et la Joie n'est pas un "état", elle est un "passage" d'un état à un autre. C'est pourquoi le 100% est irréaliste: dès qu'on passe à un état plus heureux, on désirera avec plus de force encore de devenir encore plus heureux, etc. Il n'y a pas de limite qui permettrait de dire que maintenant, en ce qui concerne le bonheur, nous avons "fait le plein". On peut toujours - heureusement - devenir plus heureux. On peut toujours aussi rendre les autres plus heureux. C'est cela je crois, le seul antidote contre le fatalisme et le laissez faire.

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Messagepar nepart » 30 juin 2008, 15:10

Est-ce bien raisonnable que de se sentir Triste en pensant à l'état actuel du monde, sachant que de toute façon, il n'aurait jamais pu être autrement?


Je ne suis pas d'accord avec ça.

La prise de conscience de la détermination n'enlève pas toute la douleur ou tout plaisir.

Sinon je pourrais aussi dire a quoi bon être joyeux car de totue façon tout est déterminer.


Enfin l'idée que c'est en étant le plus heureux possible que l'on va mieux aider les autres, bien qu'elle nous arrange, elle ne me semble pas juste.

Si on voudrait vraiment aider, on irai dans un endroit ou les gens ont vraiment besoin de nous, et cela réduirai notre bonheur ou augmenterai notre malheur pour la plupart d'entre nous.

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Messagepar Louisa » 03 juil. 2008, 01:32

louisa:
Est-ce bien raisonnable que de se sentir Triste en pensant à l'état actuel du monde, sachant que de toute façon, il n'aurait jamais pu être autrement?

Nepart:
Je ne suis pas d'accord avec ça.

La prise de conscience de la détermination n'enlève pas toute la douleur ou tout plaisir.

Sinon je pourrais aussi dire a quoi bon être joyeux car de totue façon tout est déterminer.


c'est vrai!

Pourtant Spinoza prétend que "L'esprit, en tant qu'il comprend toutes les choses comme nécessaires, a en cela plus de puissance sur les affects, autrement dit, en pâtit moins." (E5P6).

L'exemple par lequel Spinoza illustre cette proposition, dit que nous "voyons en effet s'apaiser la Tristesse causée par la perte d'un bien sitôt que l'homme qui l'a perdu considère qu'il n'y avait aucune possibilité de conserver ce bien. Et nous voyons de même que personne ne plaint les bébés de ce qu'ils ne savent pas parler, marcher, raisonner, ni enfin de ce qu'ils vivent tant d'années pour ainsi dire inconscients d'eux-mêmes. Tandis que, si la plupart naissaient adultes, et que l'un ou l'autre naquît bébé, alors on plaindrait chaque bébé, parce qu'alors on considérerait l'état même de bébé non comme une chose naturelle et nécessaire, mais comme un vice ou un péché de nature (...). "

Il ne dit donc pas que TOUTE la douleur disparaît en comprenant la nécessité. Il dit seulement qu'elle devient moins grande.

Or je crois qu'il faut tout de même ajouter une chose à cette proposition, pour comprendre en quoi elle pourrait nous aider à ne plus souffrir quand on pense à la misère du monde, ou du moins pas autant qu'on va essayer de ne pas devenir plus heureux soi-même.

C'est qu'il s'agit tout de même d'un déterminisme ou d'une nécessité proprement spinoziste, avec un tas de conséquences conceptuelles et pratiques très précises et assez propres au spinozisme. A mon sens, il faut bien avoir l'essentiel de ce spinozisme en tête, pour que l'idée d'un déterminisme puisse avoir maximalement son effet de "remède à la Tristesse" (il faut avoir ressenti l'inadéquation de l'idée du libre arbitre, il faut avoir ressenti en quoi concrètement son propre Esprit et celui de tous ceux qui souffrent sont des modes éternels, et ainsi de suite, il faut déjà avoir fait l'expérience d'appliquer ces idées à de nombreuses choses singulières différentes, etc).

Autrement dit: il se peut que cette proposition reste assez abstraite (et donc affectivement peu efficace voire même cognitivement peu convaincante) si l'on n'a pas étudié/"expérimenté" pendant un certain temps l'Ethique. Ce qui n'est pas du tout un "argument d'autorité", bien sûr. Je ne suis pas en train de te dire: lis d'abord, et tu verras que j'ai raison. Je suis plutôt en train de te dire que pour l'instant les arguments concrets/logiques me manquent pour pouvoir l'expliquer d'une façon que je peux trouver moi-même convaincante, tandis qu'il me semble que ce que l'Ethique a à offrir à ce sujet est plus puissant que ce que je ne dise. N'ayant pas autant la capacité de trouver des arguments qui ont en même temps une charge affective assez immédiate que Henrique (dont d'ailleurs on déplore l'absence, ces derniers temps ... !) , je ne peux pour l'instant qu'insister sur la nécessité de lire en détail et lentement l'Ethique pour pouvoir avoir une chance d'être convaincu sur certains points (ou, le cas échéant, pour pouvoir avoir des arguments très solides pour le réfuter).

Nepart a écrit :Enfin l'idée que c'est en étant le plus heureux possible que l'on va mieux aider les autres, bien qu'elle nous arrange, elle ne me semble pas juste.

Si on voudrait vraiment aider, on irai dans un endroit ou les gens ont vraiment besoin de nous, et cela réduirai notre bonheur ou augmenterai notre malheur pour la plupart d'entre nous.


idem, tout dépend de ce que tu appelles "bonheur". Cette idée n'est vraie (ou n'est censée être vraie, à toi de vérifier) que d'un point de vue spinoziste, c'est-à-dire en tenant compte de ce que Spinoza appelle "bonheur", qui est quelque chose de beaucoup plus précis que le sens ordinaire de ce mot. Il est évident que je peux me complaire toute ma vie dans un grand luxe, avoir un peu de chance avec mes relations affectives, et donc me sentir tout à fait "heureux", sans avoir aider qui que ce soit. Pour beaucoup de gens, ne pas se laisser toucher par la misère du monde n'est pas très difficile, se fait assez spontanément (il suffit d'une bonne dose d'indifférence, et c'est tout). Alors il est évident qu'envoyer une telle personne en Afghanistan avec Médecins sans Frontrières n'augmentera pas immédiatement son bonheur.

Or il y a énormément de manières différentes dont on peut aider les gens. Un philosophe qui invente une toute nouvelle pensée capable de fasciner des siècles de philosopher, de lancer de nouvelles solutions pour certains problèmes graves, il ne quitte pas sa maison, il "voyage" dans le monde en communicant avec les autres grands esprits (par lettre, ...) et avec tous les petits esprits qu'il rencontre chaque jour chez lui.

Bref, il n'est nullement nécessaire de souffrir soi-même pour pouvoir aider quelqu'un d'autre, si c'est ce que tu voulais dire. Un musicien qui se donne à fond à son instrument, le travail chaque jour avec une énergie maximale, pourra à sa façon augmenter le bonheur de pas mal de gens, tout en se livrant à ce qui lui rend le plus heureux soi-même (jouer). Un professeur peut parler toute sa vie de manière passionante et passionnée de la matière qu'il adore, ce sera exactement ce qu'il faudra pour pouvoir ouvrir les esprits de ses élèves à ces activités humaines qui peuvent réellement rendre un homme heureux quand il s'y livre. Un seul prof absolument génial peut éveiller un élève aux sciences et ainsi le mettre sur le chemin d'une vie dédiée à la découverte de ce qui pourra un jour guérir des centaines de milliers de malades etc.

A mon sens il est donc clair que ce n'est qu'en choisissant comme occupation principale une activité humaine dont on sent que la cultiver chaque jour maximalement peut réellement nous rendre heureux, qu'on a le plus de chances d'aider les autres, car quasiment toutes les activités capables de nous rendre profondément heureux, rendent également d'autres plus heureux, tôt ou tard.

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nepart
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Messagepar nepart » 03 juil. 2008, 03:12

On est donc ok, ça ne fait qu'atténuer la douleur, ce qui est pas mal.

Pour le reste, je reste en dessacord.

Si notre but est de vraiment améliorer la vie des autres, on ne ferait, pour la plupart, pas ce que l'on ferait.

Si c'était notre but, on le ferait avec plus de résultats, on ne partirai pas en vacances au ski et on pourrais nourrir 50 personnes pendant 1 ans avec cette argent.

Il ne faut pas être naif, on a une part en nous qui fait que l'on pense à l'autre, mais elle n'est pas développé à l'infini.

Pour schématiser, c'est comme si on ressentait 0,0000001% des sensations des autre.

Ainsi, je suis prêt à échanger 1% de mon plaisir si cela peut en créer 0,00001% chez un autres. Or très souvent ce pourcentage est tellement faible qu'il est dans notre intérêt de ne pas penser aux autres.

Serions nous prêt à mourir pour quelqu'un que l'on sait qui servirait plus "l'humanité"?

Pas moi.


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