Du sentiment même de soi.

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Durtal
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Messagepar Durtal » 29 sept. 2008, 23:52

Franchement, je ne vous comprend pas Hokusai, vu que dans ce fil, je ne discute pas ce problème. En revanche je m'accorde avec la thèse de Faun (sur éternité/durée) sauf qu'à mon avis il ne la présente pas (ou ne la défend pas) de la bonne manière. Mais je suis quelqu'un de limité savez vous? Je ne peux pas tout faire à la fois....


D.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 sept. 2008, 01:33

Durtal a écrit :Reprenons: A la base, comme c'est un peu ton habitude, tu présentes une proposition de Spinoza qui se trouve ne pas être tout à fait celle qu'il emploie réellement. Je t'accorde qu'il y a des circonstances où cela n'a aucune importance mais il y en a d'autre où cela en a. Pour moi ici, nous sommes dans le deuxième cas de figure, parce que tu fais subir une légère modification à la formule originelle qui en fausse tout à fait la signification et la portée.


peut-être juste déjà un petit commentaire sur les deux paragraphes par lesquels commence ton message.

Remarque "méthodo": en effet, j'ai l'habitude de reformuler les propositions de Spinoza. Pour moi, il s'agit d'une activité tout à fait indispensable si l'on veut EX-PLIQUER un philosophe. Si l'on ne fait que copier, il n'y a aucun risque. Idem si l'on se borne à dire ce qu'on croit être le spinozisme sans le démontrer texto, donc sans construire un lien logique entre l'interprétation et le texte. Pour moi, l'intérêt de reformuler, c'est qu'on peut par ce moyen très bien vérifier dans quelle mesure ce qu'on croit avoir compris est correcte ou non (pour soi-même, mais encore plus facilement dans une discussion). Par conséquent, je ne reformule pas parce que je n'ai pas envie d'être précise, c'est plutôt l'inverse: c'est parce que je veux trouver une explication la plus précise possible que je reformule le mieux possible.
Dans ce cas-ci, par exemple: pour moi la reformulation de prime abord était ok, mais visiblement pour toi elle est fausse, ce qui signifie que l'avantage de l'avoir reformulé est clairement que je dois expliciter davantage, quitte à trouver l'erreur, si erreur il y a.

louisa:
"l'être de la substance ne constitue PAS (…) l'essence d'un homme"

Durtal:
Là où Spinoza écrit:
"A l'essence de l'homme n'appartient pas l'être de la Substance".(E2pX, Pautrat)

Tu as l'air de penser que ça dit la même chose, mais ce n'est pas le cas. Ce qui est bien certain c'est que la Formule de Spinoza, ne dit pas que l'essence de l'homme n'appartient pas à l'essence de la substance (ou pour reprendre TA façon de t'exprimer "que la substance ne constitue pas l'essence de l'homme"), il dit l'inverse.
Au moins tu conviendras j'espère que ce n'est certes pas la même phrase.


tout à fait, il s'agit d'une reformulation. Mais, comme j'ai essayé de le dire dans mon message précédent, une reformulation d'une autre phrase de Spinoza que celle que tu cites (même si les deux reviennent au même): "ce qui constitue la forme de l'homme, ce n'est pas l'être de la substance" (E2P10 scolie). Tu seras d'accord, je suppose, pour dire que cette phrase est la même que celle-ci: "l'être de la substance ne constitue pas la forme de l'homme". Et partant, la seule chose que ma reformulation fait, c'est remplacer "forme" par "essence". Si donc tu n'es pas d'accord avec la reformulation, il faudrait montrer en quoi dans ce contexte-ci on ne peut pas par remplacer "forme" par "essence". Je voulais juste déjà te dire ceci, puisqu'il me semble que dans la suite de ton message, tu n'abordes pas cet aspect, alors qu'il me semble que c'est le seul côté par lequel on peut éventuellement attaquer ma reformulation.

Dans un deuxième temps, je continue à reformuler davantage. Je dis: "l'essence de Dieu ne constitue pas l'essence de l'homme". Ici je remplace l'être de Dieu par son essence. J'ai essayé d'expliquer pourquoi dans mon tout premier message à Serge à ce sujet (celui où je réponds à son énoncé que le mode n'a pas d'être propre, si je ne m'abuse).

C'est alors que le corollaire de la même proposition reçoit tout son sens: "De là suit que l'essence de l'homme est constituée par des modifications précises des attributs de Dieu". Sachant que l'essence de Dieu est constituée par les attributs, on comprend effectivement comment peut suivre du constat que l'essence de Dieu ne constitue pas l'essence de l'homme que les attributs ne peuvent constituer l'essence de l'homme. Or il n'y a rien à part les attributs et leurs affections ou modes. Et partant, ce qui constitue l'essence de l'homme doit être un mode, et non pas un attribut (c'est-à-dire non pas l'essence de Dieu). C'est ce que répète littéralement la première phrase de l'E2P11: "L'essence de l'homme (par le Coroll. Prop. précéd.) est constituée par des manières précises des attributs de Dieu". Spinoza poursuit en disant que "le premier à constituer l'essence de l'Esprit humain, c'est l'idée". On verra plus tard (E2P13) que cela vaut également pour le corps: "De là suit que l'homme est constitué d'un Esprit et d'un Corps (...)".

Bien sûr, comme le dit explicitement le cor. de l'E2P11, dire que ce qui constitue l'essence de l'homme, ce ne sont pas les attributs mais des modes, c'est toujours dire que ce qui constitue l'essence de l'homme, c'est Dieu. Seulement, c'est Dieu non pas dans son essence (c'est-à-dire dans son être à lui, être ou existence qui se caractérise par le fait d'être exactement la même chose que son essence (en vertu de l'E1P20), ce qui n'est PAS le cas pour l'être ou existence qui caractérise les modes), mais Dieu en tant qu'il s'explique par tel ou tel mode.

A mes yeux, les conséquences de ma double reformulation sont ainsi telles que tout ce qu'on peut en déduire se trouve ailleurs de façon explicite dans le texte, comme j'ai essayé de le montrer, tandis que la déduction me semble être solide. C'est pourquoi je crois qu'il s'agit d'une explication qui peut prétendre à la vérité. Mais bon, comme déjà dit, à mon sens une telle prétention signifie (a fortiori lorsqu'on essaie de penser de façon spinoziste, le spinozisme étant un rationalisme absolu) que cette vérité doit pouvoir être accordé par n'importe quel être rationnel qui s'intéresse à la matière (on pourrait aussi référer à E. Souriau, lorsque celui-ci écrivait: "Je souhaite mettre ici à l'épreuve quelques idées qui me sont chères. Elles me sont chères, et pourtant je souhaite les mettre à l'épreuve. Pourquoi? Parce qu'elles ne sont pas de celles où l'on doive s'abandonner trop facilement au plaisir d'affirmer." Bulletin de la Société française de philosophie, séance du 25 février 1956).

Aussi faudrait-il qu'on critique le raisonnement ci-dessus afin de l'invalider, tandis qu'il me semble que dans ton message, tu traites plutôt d'autres choses (tout aussi intéressantes bien sûr, et sur lesquels je reviens). Raison pour laquelle je voulais rapidement encore une fois essayer de développer l'argumentation de façon la plus précise possible. Cependant, si tu as l'impression que tu l'avais déjà bien comprise et la critique plus loin dans ton message: laisse tomber, je lirai la suite bientôt et donnerai alors une réponse plus pertinente.

Enfin, lorsque tu écris ceci:

Durtal a écrit :Ce qui est bien certain c'est que la Formule de Spinoza, ne dit pas que l'essence de l'homme n'appartient pas à l'essence de la substance (ou pour reprendre TA façon de t'exprimer "que la substance ne constitue pas l'essence de l'homme"), il dit l'inverse.


il me semble que ce que j'ai essayé de dire dans mon message ABCD n'est toujours pas clair. Tu as l'air de dire ici que pour toi les deux phrases suivantes sont équivalentes:
- l'essence de l'homme n'appartient pas à l'essence de la substance (appelons cette phrase "X")
- la substance ne constitue pas l'essence de l'homme (Y).

Or d'une part je ne dis pas Y, je dis: "l'ESSENCE de la substance ne constitue pas l'essence de l'homme" (= Z) (car il est tout à fait évident que la substance, ou Dieu, constitue l'essence de l'homme; là n'est pas le problème, nous sommes d'accord là-dessus, le problème est de savoir CE QUI de Dieu constitue l'essence de l'homme: son essence, ou les affections de son essence), donc ta façon de me reprendre change de manière essentielle ce que je disais.

D'autre part je ne vois pas vraiment en quoi les deux phrases, ta reformulation de ma phrase, donc la phrase Y (voire ma propre phrase en tant que telle (Z), au cas où tu l'avais tout de même comprise mais qu'il s'agit d'un lapsus) et la première phrase X pourraient dire la même chose.

D'abord, que l'essence de l'homme ne constitue pas l'essence de Dieu me semble être évident, puisque justement, l'essence de l'homme est constituée par deux modes (un Esprit et un Corps), là où l'essence de Dieu est constituée par les attributs. Les modes ne peuvent pas constituer des attributs, ils affectent les attributs, donc leurs sont logiquement postérieurs.

Puis Spinoza ne dit pas l'inverse de la phrase X (si par inverse tu veux dire le contraire, non X), il examine la thèse inverse (au sens où sujet et prédicat se sont invertis): dans quelle mesure quelque chose de Dieu peut être dit constituer l'essence d'une chose singulière? Dans ta phrase X, au lieu de voir en quel sens Dieu constitue l'essence de l'homme donc d'un mode, il s'agit de se demander dans quelle mesure l'essence d'un mode pourrait constituer l'essence d'une substance. Or justement, ce n'est PAS ce que je fais moi-même dans ma reformulation, je me tiens EXACTEMENT au cas examiné par Spinoza dans l'E2P10. C'est pourquoi ta critique (que je dirais l'inverse de Spinoza) ne me semble pas être valide. Je traite d'exactement la même thèse, la seule chose que je fais, c'est la déployer dans toutes ses conséquences, et à ce fin, la reformuler (je substitue "forme" par "essence", et "être" par "essence").

Sinon nous sommes tout à fait d'accord pour dire que la phrase X ne se trouve pas chez Spinoza (j'ai dit dans ma prémière réponse à toi à ce sujet qu'à mon avis c'est précisément parce que personne à l'époque ne la mettait en doute, donc cela ne valait même pas la peine de la mentionner ou démontrer).
A très bientôt pour la suite,
L

PS: pour ceux qui ont lu la version précédente, non encore relue: la deuxième partie de ce message a fort changé par rapport au premier envoi.

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Messagepar hokousai » 30 sept. 2008, 13:40

à Durtal

Excusez -moi
Ma réponse était en fait destinée à Faun (puisqu'il a répondu sur l 'éternité )
Il y a eu confusion chez moi dans l' adresse , j ai donc rectifié .

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Messagepar nepart » 30 sept. 2008, 15:52

Comment certains peuvent vraiment penser qu'il n'y a pas de moi et avoir des projets dans la vie? N'est ce pas contradictoire?

Désole, mais je n'ai pas le temps de lire correctement tout vos messages :/

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Messagepar hokousai » 30 sept. 2008, 17:45

Je reviens sur la réponse de 8 (sur les couleurs)
Ce qui m étonne (cf le message de Durtal) est qu’ on doute de la réalité objective des couleurs qui sont quand même ce que l’on voit mais qu’on croit à la réalité des ondes lesquelles on ne voit pas .
C’est le critère de l’objectivité de la réalité objective qui est interrogé .
On passe sur certains sujets de critères d’ assertion ordinaires du réel qui serait ce que hic et nunc je vois là devant moi à des critères de l’ordre du "c’est la science qui le prouve" .

La physique fonde sur une idée de réalité objective héritée du sens commun , réalité pouvant à la fois être source d’illusions d’ optique ou d’ apparence subjective (comme les couleurs) et source de connaissances intelligées abstraites il faut bien l’avouer issues de connaissances plus confuses voire illusoires .
Ce statut de l’objectivité émergeant de l’illusion et de la confusion me parait en général mal étayée

(,opinion qui n’est certes pas du spinozisme commun qui voit plus de vérité dans les idées claires que dans les perception visuelles .)

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Messagepar Louisa » 30 sept. 2008, 22:05

PS à Durtal:

je vais peut-être attendre ton commentaire de mon dernier message avant de continuer avec la suite du tien, sauf si tu me dis que la suite répond déjà à ce que je viens d'écrire?
L.

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Messagepar Durtal » 30 sept. 2008, 22:43

Louisa a écrit :PS à Durtal:

je vais peut-être attendre ton commentaire de mon dernier message avant de continuer avec la suite du tien, sauf si tu me dis que la suite répond déjà à ce que je viens d'écrire?
L.



Salut Louisa,

Pour l'instant je réponds au message de Bardamu. Donc si c'est au même message que tu entendais répliquer (sur Mode/Substance), attend un peu oui.

D.

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Messagepar Durtal » 04 oct. 2008, 16:04

Bardamu,

en réponse à ton message.


bardamu a écrit :
Durtal a écrit :(...) il n'y a aucune distinction ontologique ou "d'essence" entre un homme et une flaque d'eau ce sont des "manières" des "configurations" plus ou moins stable de substance corporelle, dont les essences dépendent les unes les autres et se délimitent mutuellement les unes les autres. (...)

bardamu a écrit :Bonjour,
n'y aurait-il pas contradiction : si les essences se délimitent alors il y a distinction d'essence, or tu commences par "il n'y a aucune distinction (...) "d'essence"".
Apparemment, tu as d'abord identifié "ontologique" et "essence" (en sous-entendant qu'ontologique signifiait "substantiel" ?), mais, sauf erreur, tu poursuis la phrase en identifiant "essence" à "modes".



Oui ici tu as raison mon expression "flotte" un peu. Il s'agissait dans le contexte d'insister sur l'idée que la flaque d'eau et l'homme était "fait de" la même essence de substance (à savoir ici l'étendue). Mais cela n'empêche pas de dire, par ailleurs qu'ils ne sont pas composés des mêmes modes, et donc en ce sens qu'ils n'ont pas la même essence.

Mais il y a, tout de même une explication à ce flottement, dans la mesure où je pense qu'il existe une connexion très étroite entre les deux acceptions ou plutôt entre les deux occurrences du terme "d'essence". Quelque soit l'essence particulière d'un corps, celle-ci exprime l'essence de la substance en tant qu'elle est étendue ce qui signifie que leurs mutuelles délimitations dessinent aussi bien la forme d'une solidarité sous jacente. Et si je ne crois pas qu'il y ait une contradiction à affirmer les deux choses (à la fois que les essences sont distinctes et à la fois qu'elles expriment toutes la même chose) c'est que si l'on considère en effet les essences de choses singulières sous le rapport où Dieu les déduit de sa propre essence, elles ne diffèrent plus entre elles. Pour me servir d'une image: si j'imagine une limite entre deux choses, elle ne vaut , je veux dire n'a d'existence, que pour ces choses qui sont de part et d'autre de cette limite, mais supposé un être qui soit à la fois des deux cotés de la limite, alors cette limite à son égard ne représentera plus rien ou n'en sera plus une. Dieu est un peu, à l'égard des choses qu'il produit dans une situation de ce genre: quelques soient les délimitations qui peuvent être posées entre les choses, il est toujours de tous les cotés à la fois, puisqu'il est tout. C'est pour cela que la "blague" de Pierre Bayle "techniquement parlant", si j'ose dire, ne fonctionne pas: Dieu modifié en dix mille turcs ne massacre pas Dieu modifié en dix mille allemands, parce que au point de vue de Dieu: il n'y a que Dieu, et il n'y a ni allemands ni turcs et ce n'est qu'au point de vue des turcs qu'il y a des allemands, et au point de vue des allemands qu'il y a des turcs.

bardamu a écrit :Quand tu parles d'un Dieu qui "dépossède l'homme de sa réalité", ne prends-tu pas le risque de recréer un être transcendant, là-bas, ailleurs, quelque part dans une "réalité vraie" dont nous serions dépossédé ?


Non sauf si je comprends mal ton objection. Ce que j'ai dit est que le geste théorique de Spinoza consistait à déposséder l'homme de ce (qu'il croit à tort) être "sa" réalité, c'est à dire: celle d'une substance (celle d'une "chose" indépendante des autres). Et pas de risque de faire ressurgir une transcendance ici, puisqu'il ne s'agit au contraire que de restituer l'homme à la réalité "tout court", c'est à dire à la nature, aux attributs, à Dieu. C'est, à l'inverse, l'image spontanée que l'homme a de lui même, (comme une substance) qui tend à l'instaurer dans une transcendance fictive par rapport au reste de la nature (avec l'idée de son libre arbitre-donc de son indépendance- en particulier). Par sa caractérisation en terme de modes, l'homme se retrouve plongé "dans le bain", au milieu des autres choses et comme traversé par elles.

A coté de cela il faut s'entendre sur cette idée "d'absence de réalité propre". Ce que cela signifie n'est pas que les modes sont "irréels" (ou sont des fictions), mais que les modes n'ont pas "d'autonomie" ou "d'indépendance" ontologique. Or, à mon point de vue, il s'agit moins en affirmant cela d'assumer une thèse particulière que de s'entendre sur la signification du terme de "mode". Il est vrai, je crois, qu'au plus près de ce que veut dire Spinoza, on devrait systématiquement parler de "manière" plutôt que de "choses". Précisément parce que le terme de "chose" évoque la notion "d'objet", d'une entité saturée, close sur elle même, et pourvue d'une certaine autosuffisance. Mais ces caractéristiques sont contredites par le concept de "mode" ou de "manière". Penses (cette analogie n'est pas de moi) à un visage qui rougit. En un certain sens "la rougeur" est bien un "quelque chose", et qui se distinguera d'un autre état du visage, (par exemple de ce visage en tant qu'il pâlira), mais en un autre elle n'est pas autre chose que le visage lui même. On peut l'en dissocier mais uniquement comme un produit d'analyse, car en réalité la rougeur n'est rien d'autre qu'une "manière" une "modification" du visage et non une "chose" différente de lui, ni même une "chose" qu'il "produirait". Lorsque je prétend que l'homme n'a "pas de réalité propre", je l'entends (mutatis mutandis) au sens de "la rougeur" d'un visage qui pour la raison qu'elle n'est pas autre chose qu'un certain état du visage n'a pas"de réalité propre" en dehors de ce qui se modifie sous lui. Ne pas avoir de "réalité propre" en ce sens cela ne signifie pas "ne pas avoir de réalité du tout" mais ne pas avoir de réalité indépendante.

bardamu a écrit : Spinoza distribue à chaque chose la réalité qui lui revient. La substance a toute la réalité des attributs, les attributs ont toute la réalité de leurs modes, et chaque mode a sa part de réalité. Il n'est pas besoin de "dé-réaliser" les modes au prétexte qu'il y a dépendance causale aux attributs, il suffit de concevoir un autre mode de réalité. Quand Deleuze dit que chez Spinoza l'être "se dit en un seul sens", c'est justement parce qu'on peut aussi bien dire l'"être d'un mode" que l'"être de la substance" sans pour autant substantialiser le mode. L'être d'un mode est l'être de la substance "en tant que", en tant qu'est établi un ordre d'explication lequel qualifie ce qu'est telle ou telle chose, en tant qu'est déterminé quel conatus l'anime, quelles affections passeront par lui, quelles affections il produira. C'est la condition même d'une connaissance que de pouvoir établir l'"être de modes", les manières d'être. Sans cela, il n'y aurait qu'un Etre "plat", neutre, lisse dont rien ne découle "en réalité".


J'ignorais que Deleuze se servait de cette formule et par conséquent ne me référais pas à ce qu'il disait sur le sujet. La parodie à laquelle je faisais allusion concernait seulement la phrase d'Aristote, à laquelle, mais ce n'est sans doute pas un hasard, j'ai pensé comme lui. (Où Deleuze parle-t-il de cela d'ailleurs?) Quoiqu'il en soit nous tournons autour du même problème. Je m'accorde pour dire avec toi que l'être du mode n'est rien d'autre que l'être de la substance "en tant que". C'est précisément l'idée à laquelle je suis attaché. Cependant nous n'avons pas l'air d'en tirer les mêmes conséquences. Ainsi je te retourne la question: quel sens donnes-tu as cette "trinité" Substance/attributs/modes? Ou à cette "distribution" de réalité? Est-ce qu'il s'agit de différentes "échelles" ou de différents "types" de réalité, ou plus simplement trois façon de parler toujours exactement de la même réalité? Ma propre manière de voir étant naturellement la seconde.

Ce que tu dis ensuite sur le thème des conditions de la connaissance est juste, mais l'objection repose, je pense, sur un malentendu à propos de la signification de l'assertion "les modes n'ont pas de réalité propre". Ce qui fait que les modes n'ont pas "d'indépendance" ou "d'autonomie" ontologique est bien leur dépendance causale à l'égard de l'attribut, en ce sens précis que cette dépendance se réalise et se manifeste, dans l'interdépendance causale infinie des modes entre eux ou les uns à l'égard des autres.

Voici ce que je veux dire: Si je sépare artificiellement "un" mode de tous les autres, pour en faire une "chose", c'est alors que j'ai affaire à une pseudo-réalité, à un produit d'analyse (ainsi lorsque l'homme s'imagine lui même "être un empire dans un empire", c'est justement ce qu'il fait: il tend à se considérer lui même à part des autres choses). Et c'est précisément, parce qu'un mode à toute sa réalité dans la substance dont il est mode, mais que d'un autre coté il n'épuise pas à lui seul toute l'essence de la substance dont il est mode, qu'il n'a de "consistance" et "de réalité" que dans l'interdépendance avec tous les autres. C'est uniquement par sa connexion avec tous les autres modes qu'il exprime l'attribut, et c'est pourquoi si on le soustrait à cette connexion pour le considérer comme une "chose indépendante", il n'exprime plus de réalité du tout. Pour ce qui concerne Spinoza, le mot "réel" est synonyme du mot "infini". Un mode "tout seul" n'a bien sur dans ces conditions aucune réalité (il est fini) mais par sa connexion avec tous les autres, c'est à dire en tant qu'il est un "moment" de l'infini, il est intégré à la réalité.

Et cela se voit précisément dans la remarque que tu fais: déterminer "quelles affections passent par un mode" et "quelles il produit" présuppose en effet que tous les autres modes soient donnés (puisque quelque chose d'autre l'affecte et qu'il affecte à son tour autre chose): étudier l'essence d'un mode, c'est toujours déjà étudier des relations entre modes, et des relations entre ces relations. Enfin la substance n'est pas un être "neutre", "lisse" et "plat", parce qu'elle ne consiste en rien d'autre qu'en ses modes considérés dans leurs rapports mutuels. En tant qu'elle est ce qui passe par tous les modes, les faisant être et agir, si l'on veut bien considérer ceux-ci dans leur concaténation causale infinie et dans leur interdépendance.


bardamu a écrit : Et donc, il n'est pas forcément utile de nier le Moi, cette négation est parfois même pathologique (cf la schizophrénie), il suffit de savoir à quelle place il est, quel usage en faire, quelle réalité lui revient.


Je n'ai pas encore pu, pour ma part aborder vraiment cette question. Je pense toutefois qu'il y a un moyen de reconstruire une problématique du "moi" chez Spinoza qui à l'intérêt non négligeable d'échapper a l'alternative entre moi-fiction/moi-substance, bref qui échappe, si l'on veut, à l'aporie type Hume/ Descartes car Spinoza redistribue ce problème de la réalité du moi sur le plan des affects , en subordonnant l'ontologie à l'éthique: la question alors, est moins celle de savoir si nous avons ou n'avons pas un "moi", mais celle de savoir à quelle condition nous pouvons être dits pleinement et authentiquement "conscient de nous mêmes". Mais il serait trop long pour ma réponse d'aborder ceci maintenant, de plus il me reste deux ou trois choses à "régler", avant de proposer quelque chose sur le sujet. Donc je "botte en touche" pour le moment.

bardamu a écrit : E2 Déf.6 : Réalité et perfection, c'est pour moi la même chose.
E5p40 dém. : Plus une chose a de perfection, plus elle a de réalité.

E2p13 scolie : nous ne voulons pas nier que les idées ne diffèrent entre elles comme les objets eux-mêmes, de sorte que l'une est supérieure à l'autre et contient une réalité plus grande à mesure que l'objet de celle-ci est supérieur à l'objet de celle-là et contient une réalité plus grande. (...) Je me borne à dire en général qu'à mesure qu'un corps est plus propre que les autres à agir ou à pâtir simultanément d'un grand nombre de façons, il est uni à une âme plus propre à percevoir simultanément un grand nombre de choses ; et plus les actions d'un corps dépendent de lui seul (a ipso solo, en d'autres termes, moins il a besoin du concours des autres corps pour agir, plus l'âme qui lui est unie est propre à la connaissance distincte

E3p57 scolie : Ainsi donc, quoique chaque individu vive content de sa nature et y trouve son bonheur, cette vie, ce bonheur ne sont autre chose que l'idée ou l'âme de ce même individu, et c'est pourquoi il y a entre le bonheur de l'un et celui de l'autre autant de diversité qu'entre leurs essences. Enfin, il résulte aussi de la Proposition précédente que la différence n'est pas médiocre entre le bonheur que peut ressentir un ivrogne et celui qui est goûté par un philosophe, et c'est une remarque que j'ai tenu à faire ici en passant.


Je sais bien tout ça ! :D
Mais:
a) je ne suis pas du tout certain que toutes les choses singulières soient des individus. (en d'autres termes je crois que les individus constituent un sous-ensemble de l'ensemble "choses singulières")
b) je suis presque certain en revanche que l'individualité d'une chose dépend de ses actions. Et que c'est cette aptitude précisément qui distingue ce qui est individu, de ce qui n'en est pas un: avoir en propre une puissance d'agir. Si tu veux : il n'y a pas d'individu hors de certains actes d'individuations. "Etre un individu" c'est tendre à l'individualité et par conséquent aussi y réussir plus ou moins selon les cas.

On pourrait dire: l'identité d'essence de toutes les choses (c'est à dire: le fait qu'elles sont toutes des parties, ou des opérations, de l'essence unique de Dieu) peut se réaliser, au point de vue d'un mode quelconque, selon deux modalités: dans la confusion avec les autres natures ou dans la distinction d'avec les autres natures. Ou encore: selon que c'est la nature du mode en question qui tend plus à exprimer toutes les autres (action) ou selon que ce sont au contraire les autres natures qui tendent plus à exprimer la sienne (passion). Les turcs et les allemands peuvent se massacrer les uns les autres, ou bien faire autre chose de plus "actif". Eu égard à la convenance foncière de leurs essences, et de la convenance de celle ci avec celle de Dieu, cela ne change rien, mais au point vue de leur liberté et de leur perfection, cela change beaucoup.

Et à mon sens une des propositions qui manifeste le plus cette idée est précisément la première de celle que tu cites: Réalité et perfection sont la même chose. De quoi il suit que plus je suis parfait, plus je suis "réel", donc que la réalité d'une chose individuelle est, si j'ose, dire, quelque chose "à réaliser". En tout cas quelque chose qui n'est pas une donnée. La "nature" d'une chose c'est la "latitude" d'actions et de passions dont elle dispose, c'est une loi, autrement dit une variable qui peut prendre de multiples valeurs. Or certaines des valeurs que peut prendre une telle nature (les plus "faibles") la confonde quasiment avec tout ce qui n'est pas elle certaines autres ( les plus "fortes") au contraire la font au contraire se distinguer des autres choses.

A mon tour de faire une citation afin d'illustrer :

E5p XXXIX, scol.
"Mais (…) il faut bien ici remarquer que nous vivons dans un continuel changement, et que c'est selon que nous changeons en mieux ou en pire que nous sommes dit heureux ou malheureux. (…) Et en vérité, qui a, comme le bébé ou l'enfant, un Corps apte à très peu de chose, et dépendant au plus haut point des causes extérieures, à un Esprit qui, considéré en soi seul, n'a presque aucune conscience ni de soi, ni de Dieu, ni des choses et au contraire, qui a un Corps apte à beaucoup de choses, à un Esprit, qui considéré en soi seul, a une grande conscience de soi, et de Dieu et des choses".

En somme qui est comme le bébé, avec un corps très inapte à faire ce qui suit de la nature de ce corps considéré seul, n'est quasiment pas quelque chose de distinct des forces qui agissent sur lui et le maintiennent "comme en équilibre", qui au contraire se rapproche du modèle de l'homme proposé par l'Ethique, et qui a un corps très apte à faire ce qui suit de sa nature considérée seule; est de plus en plus "quelque chose" de distinct des autres. Et il ne se distingue pas des autres choses comme s'il se soustrayait à l'ordre des choses, mais en faisant servir la puissance d'agir des autres choses à la sienne propre.

bardamu a écrit :
Durtal a écrit : Qu'est ce qui fait que dans un cas (de Dieu aux modes) le fini "se résorbe" dans l'infini, alors que l'on ne peut pas faire le chemin inverse (des modes à Dieu) c'est à dire "tirer" l'infini du fini?
(...)
L'effet s'explique par la cause, parce que la cause contient l'effet, mais non l'inverse, c'est à dire, la cause ne s'explique pas par l'effet, parce que l'effet ne contient pas sa cause

E2p45 : Toute idée d'un corps ou d'une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu.

C'est comme cela qu'un être fini remonte à l'infini. L'effet enveloppe la cause.
Il ne faut pas confondre l'ordre d'exposition de l'infini au fini et celui de la connaissance qui trouve l'infini dans le fini.


Tout dépend de ce que tu appelles "remonter". Qu'une chose singulière quelconque "enveloppe" l'essence de Dieu, est précisément ce que je soutiens: Toutes les essences des choses singulières appartiennent à l'essence de Dieu. Seulement il ne suit pas de là que l'on peut déduire l'essence de Dieu de n'importe quelle chose singulière. "Envelopper"est le rapport inverse "d'expliquer" les deux mouvements sont complémentaires l'un de l'autre mais il ne sont pas pour cela identiques. C'est cela que je voulais dire par on ne peut pas "tirer" l'infini du fini: On peut déduire de l'essence de Dieu l'essence de toutes les choses singulières mais on ne peut pas faire l'inverse, à savoir déduire l'essence de Dieu de celles des choses singulières. C'est pour cette raison qu'il faut prendre garde, prévient Spinoza, à l'ordre CAUSAL, dans l'évaluation du rapport des essences des choses singulières à l'essence de Dieu. Sinon on est rapidement conduit à dire deux choses également absurdes: ou bien que l'essence de Dieu ne peut ni être ni être conçue sans celles des choses singulières, ou bien que les essence des choses finies peuvent être et être conçues sans l'essence de Dieu.


bardamu a écrit : P.S. : Ce n'est sans doute qu'une question d'expression des idées mais dans cette manière de renvoyer la réalité ou l'être à un seul terme du système substance-attribut-modes, je vois une contradiction avec le principe d'immanence.


Je ne sais pas si c'est un problème d'expression, mais selon moi le "principe d'immanence" réclame cette identification. L'ordre géométrique, ou l'ordre de la raison que suit l'Ethique impose l'introduction séparée des concepts de Substance, attributs, modes. Parce qu'il faut reproduire discursivement, ce que Dieu ne fait pas discursivement. Mais dans le troisième genre de connaissance, nous "lisons" la substance à même les modes" nous n'avons plus à faire le "détour"qu'imposait l'ordre des raisons.

D.

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Messagepar sescho » 04 oct. 2008, 16:49

Quelle réalité – vue clairement et distinctement, donc – recouvre la notion de « Moi » (qui n’existe pas, en tout cas pas explicitement, chez Spinoza) chez un mode fini humain existant en acte ?

Je dis « vue clairement et distinctement », parce que si c’est pour parler d’un complexe imaginatif sous l’action de ce même complexe imaginatif, autant passer à autre chose…

Ceci admis, la chose est selon moi déjà réglée : puisque les idées claires et distinctes ne portent jamais sur l’essence d’une chose singulière en tant que singulière, il est impossible que ce « Moi » ait une consistance autre que modale épurée (puisqu’il s’agit de clair et distinct.) Mais prolongeons tout de même.

J’ai déjà dit en outre : 1) Qu’un mode étant non en lui-même mais en autre chose, la notion de « Moi », si elle a quelque consistance, ne saurait être prise pour une « chose en soi. » Inutile de rappeler l’absence de libre-arbitre chez Spinoza. 2) Que l’entendement humain est un être de raison et n’existe donc pas en dehors de l’affirmation qui est commune à l’essence de toutes les idées et ne saurait donc du tout constituer un « Moi » substantiel ou presque, se comprenant par lui-même (la « forme substantielle » que rejette explicitement Spinoza.)

D’abord, il est clair (nombreux extraits) que chez Spinoza il faut impérativement distinguer le plan de Dieu et le plan modal (infini -> fini, -> humain) du point de vue de l’intelligence humaine, qui est limitée – mais nous n’en avons pas d’autre ; et comme nous ne pouvons rien comprendre que de ce qui ressort de notre nature propre, il est insensé de parler d’autre chose. Il n’est pas inutile de le rappeler vis-à-vis de certaines contributions : s’il suffisait de dire « tout étant en Dieu qui est éternel, tout mode est éternel » l’Ethique serait moins longue, et on s’interrogerait encore sur le sens de son titre… Ce que les dernières contributions de Faun ont bien montré : nous devons inévitablement, par notre nature même, modale en particulier, concevoir les deux plans distinctement en première instance : celui de Dieu et celui de nous modes finis en interaction avec d’autres modes finis. Et si l’Ethique lie bien évidemment en permanence ces deux plans, cela doit être fait avec grand discernement. Car, comme je viens de le dire, on peut sortir à tout sujet une phrase (en particulier de E1 qui ne parle en premier lieu QUE de Dieu) qui dit que les choses sont éternelles, mais si cela résumait tout (d’un point de vue humain), comme je l’ai dit, l’Ethique serait beaucoup beaucoup plus courte…

Entre les deux plans il y a par exemple l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de comprendre logiquement comment l’immuable peut englober le changement (Parménide et Héraclite.)

Il n’y a pas de lien logique (déductif) entre Dieu et les modes ; mais il y a quand-même un lien analogique entre eux du point de vue de la connaissance humaine claire, et sans lequel aucune clarté n’est possible (car il s’agit de voir tout simplement ce qui est en amont et ce qui est en aval dans la conception que nous avons de la Nature : à la fois ordre des choses et ordre des idées.) Ce lien c’est évidemment en général que tout mode, par où qu’on le prenne, est une manifestation de Dieu (vu comme naturant uniquement.) Mais je répète pour l’occasion ceci : si je dispose des attributs, des modes infinis et des lois (outre de l’état de l’Univers à un instant donné, et d’une interrogation sur les conditions aux limites en l’absence de limites… mais je mets cela aussi sur le compte de mes limites propres), j’en déduis tous les modes finis à venir, sans fin. Le monde, d’un point de vue humain, apparaît donc dans une « organisation matricielle » : le plan modal est comme traversé en toute chose par le plan divin : au changement permanent qui régit le premier répond l’éternité du second (par les lois du mouvement dans l’Etendue, par exemple – encore que l’on pourrait rattacher cela au Mouvement lui-même.) La conscience du premier domine chez les esprits communs, le second chez les esprits intelligents. Mais dans tous les cas les deux sont présents et par ailleurs cette connaissance n’est pas illimitée : ces deux mondes ne sont pas les mêmes dans l'esprit humain.

Note : La finitude, le temps et l’espace sont inclus dans le Mouvement (c’est à dire le changement, donc l’interdépendance et l’impermanence.) Car côté idées claires et distinctes, je vois mal comment on peut concevoir le mouvement sans cela… Poser le Mouvement avant d’avoir défini ces choses me semble d’une grande originalité d’ailleurs, pour ne pas dire « gonflé. » Mais j’y pressens une intuition géniale.

Qui dit « fini existant en acte » – et je suis même d’accord avec Durtal, malgré certaines formulations de Spinoza, pour dire que le « fini » tout court n’appartient pas à l’essence de Dieu, qui est infini de sa nature – dit automatiquement interdépendant et impermanent et donc non éternel en tant que tel (c’est-à-dire existant en acte – et même après la remarque en tant que fini : car l’être de la substance n’appartient pas à l’essence de l’homme ; l’essence est éternelle en Dieu, mais son actualisation dans le monde modal non ; seul parmi les modes les modes infinis existent éternellement.) Et pour ce qui est de l’essence particulière éternelle, elle l’est en Dieu, mais pas accessible clairement et distinctement à la pensée de l’homme, qui n’est qu’un mode existant en acte au milieu, et intimement avec, d’autres modes existant en acte.

On peut concilier les deux plans dans la mesure de notre potentiel limité, mais jamais CONTREDIRE un aspect par l’autre. L’erreur (être de raison) réside uniquement dans l’imagination, qui n’existe que dans les modes pensants et pas en Dieu. La forme la plus commune d’imagination est de croire posséder le libre-arbitre, et donc un « Moi » qui se comprend par soi, un « Moi » substantiel, et d’être beaucoup attaché à cette fiction…

Dans ces conditions, comment un mode pourrait-il être doté d’un être propre, alors qu’il n’a d’être qu’en Dieu, et que vu d’une autre façon il est un jeu de lois dans les attributs, et que vu d’une troisième il est soumis inévitablement au changement qui règne dans le monde modal ? Les essences sont éternelles et en Dieu mais un homme n’est pas Dieu : il change d’essence (après avoir noté quelques conversions aux « essences de genre », je précise : dans son essence singulière, pas – sauf au moment de la mort – dans sa part d’essence commune au genre humain, laquelle n’existe pas indépendamment des êtres humains singuliers.)

De toute façon, la réponse est simple : l’Homme n’est conforme à sa nature qu’en tant qu’il perçoit clairement et distinctement, et ce qu’il perçoit ainsi ce sont : la Substance en général et ses attributs – et le parallélisme qui va avec chez Spinoza –, le Mouvement et l’Entendement infini et des lois, le tout éternel. Le « Moi » cherché dans la connaissance claire et distincte est donc de l’éternel qui ne constitue l’essence d’aucune chose singulière. Un « Moi » universel. Un « Moi » éternel (la partie éternelle de notre âme dit Spinoza, ce qui reste en passant une notion générale.) Chose bien éloignée du complexe, de l’agrégat, imaginatif qu’on appelle couramment ainsi. C’est ce que disent tous les grands sages : « je » suis le Monde, il n’y que de l’Un sans second, il n’y a pas de Moi opposé à l’Autre. Il ne reste dans cela du point de vue modal que la conscience d’existence en acte comme mode (vu au plein sens du terme, et de manière intuitive), entre d’autres modes, conscience de son appartenance au Mouvement, à la manifestation modale de Dieu-la Nature.

La controverse semble finalement revenir à un sujet qui n’est pas nouveau sur le site… : la prétendue accessibilité du Mental d’un homme, compris en lui-même donc avec clarté et distinction – à sa propre essence en tant que singulière, ce qui est pour moi, à nouveau, explicitement contredit par l’immense majorité (quand on veut le découper) du texte afférent de Spinoza. Un mode se comprenant lui-même par lui-même dans toute sa singularité en parfaite clarté et donc en tant qu'éternel (en écartant les simples conventions verbales qui ne sont pas du genre de Spinoza, comme le dit Durtal.) Donc une "forme substantielle", lui qui par définition n’est compréhensible qu’en autre chose, qui a de nombreuses "presque-copies" existant en même temps que lui et qui soumis aux autres modes change en permanence… C’est un peu fou non ?

Spinoza a écrit :PM2Ch1 : ... Nous avons déjà montré qu’il n’existe rien dans la Nature des choses en dehors des substances et de leurs modes ; on ne doit donc pas s’attendre ici que nous disions rien des formes substantielles et des accidents réels ; car toutes ces choses, comme d’autres de même farine, sont complètement ineptes. ...

Lettre 56 à Boxel : … L'autorité de Platon, d'Aristote et de Socrate n’a pas auprès de moi grande valeur. J'aurais été fort surpris si vous m'aviez cité Démocrite, Épicure, Lucrèce, ou quelque autre des atomistes, et des défenseurs des atomes. Et il ne faut pas s'étonner que ceux qui ont commenté les qualités occultes, les apparences intentionnelles, les formes substantielles, et mille autres niaiseries, aient inventé des spectres et des esprits, et cru aux sibylles, afin de rabaisser l'autorité de Démocrite, dont ils jalousèrent à tel point la grande renommée, qu'ils jetèrent au feu tous ses ouvrages, publiés par lui avec un dévouement si digne d'éloges.



Serge

P.S. Certains sages, et ce n’est évidemment pas là du snobisme, parlent d’eux-mêmes à la troisième personne : le « je » ne se marie plus assez spontanément avec leur sagesse. « Cela agit… »

P.S. 2 : je n'ai pas eu de disponibilité cette semaine, et j'ai repris aujourd'hui en essayant d'emblée de reformuler autrement (avec toujours quelques points discutables d'ailleurs.) A la lecture ultérieure des messages intermédiaires, il m'apparaît que notre bon Durtal a très bien travaillé (avec des coïncidences qui me prouvent de la plus belle façon qui soit que nous travaillons bien le même fond.) Qu'on veuille bien m'excuser de cela.
Modifié en dernier par sescho le 05 oct. 2008, 11:58, modifié 2 fois.
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Messagepar Faun » 04 oct. 2008, 22:04

De même que la substance consiste en une infinité d'attributs, dont la nature de chacun est différente de celle de tous les autres, de même chaque attribut consiste en une infinité de modes, dont la nature, ou l'essence, de chacun est différente de celle de tous les autres.

Entre les êtres, il n'y a pas seulement une différence de quantité de réalité, mais également, comme on le voit nettement dans le cas des attributs, une différence de nature, une différence qualitative. Et c'est également vrai des modes, qui différent entre eux autant les uns des autres que les attributs diffèrent entre eux. Je pense que c'est ce qui déduit sans erreur ni contre-sens de la propostition 57 partie 3, ainsi que d'autres passages, dans lesquels cette différence de nature entre chaque mode semble une chose évidente pour Spinoza.

Amicalement.


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