Ethique I 21 (suite) : des modes infinis et éternels...

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Pourquoipas
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Ethique I 21 (suite) : des modes infinis et éternels...

Messagepar Pourquoipas » 29 sept. 2008, 22:15

Voici donc du grain à moudre pour tenter d'y entendre quelque chose à cette foutue histoire d'éternité (et/ou de sempiternité) et de durée.

Dans la première partie de l'Ethique, Spinoza a écrit :Propositio 21
Omnia, quae ex absolutâ naturâ alicujus attributi Dei sequuntur, semper, et infinita existere debuerunt, sive per idem attributum aeterna, et infinita sunt.

Demonstratio
[...]
Deinde id, quod ex necessitate naturae alicujus attributi ità sequitur, non potest determinatam habere existentiam sive durationem. Nam, si neges, supponatur res, quae ex necessitate naturae alicujus attributi sequitur, dari in aliquo Dei attributo, ex. gr. idea Dei in cogitatione, eaque supponatur aliquando non exstitisse, vel non exstitura. Cùm autem cogitatio Dei attribu-tum supponatur, debet et necessariò, et immutabilis existere (per 11 et Co-roll. 2 20). Quare ultra limites durationis ideae Dei (supponitur enim ali-quando non exstitisse, aut non exstitura) cogitatio sine ideâ Dei existere debebit ; atqui hoc est contra hypothesin ; supponitur enim, ex datâ cogitatione necessariò sequi ideam Dei. Ergo idea Dei in cogitatione, aut aliquid, quod necessariò ex absolutâ naturâ alicujus attributi Dei sequitur, non potest determinatam habere durationem ; sed per idem attributum aeternum est, quod erat secundum. Nota, hoc idem esse affirmandum de quâcunque re, quae in aliquo Dei attributo ex Dei absolutâ naturâ necessariò sequitur.


Proposition 21
Toutes les conséquences de la nature absolue d’un attribut de Dieu n’ont pu qu’exister toujours et infinies, autrement dit sont éternelles et infinies par cet attribut.

Démonstration
[...]
Ensuite, une conséquence de la nécessité de la nature d’un attribut ne peut avoir d’existence, ou durée, déterminée. Car, si on le nie, supposons qu’il y ait dans un attribut de Dieu une chose qui soit conséquence de la nécessité de la nature d’un attribut, par exemple l’idée de Dieu dans la pensée, et supposons qu’à un moment elle n’a pas existé ou qu’elle n’existera pas. Mais, comme la pensée est supposée un attribut de Dieu, elle ne pourra exister que nécessairement et immuable (par 11 + 20 C 2). C’est pourquoi hors des limites de la durée de l’idée de Dieu (on suppose en effet qu’à un moment elle n’a pas existé ou n’existera pas), la pensée ne pourra exister que sans l’idée de Dieu ; or cela est contre l’hypothèse ; on suppose en effet que cette pensée a nécessairement pour conséquence l’idée de Dieu. Donc l’idée de Dieu dans la pensée, ou quelque conséquence nécessaire de la nature absolue d’un attribut de Dieu, ne peut avoir de durée déterminée ; mais est éternel par cet attribut, ce qui était le second point. Remarquons qu’on peut affirmer cela de n’importe quelle chose qui, dans un attribut de Dieu, est conséquence nécessaire de la nature absolue de Dieu.



Pour le moment, je remarque
— que dans cette deuxième partie (et dans l'énoncé même de la proposition : « [...] ont dû exister toujours [...] ») de la démonstration, il semble bien s'agir d'une durée sempiternelle, sans début ni fin, et qu'il n'y est pas fait appel à la I Df 8 (définition de l'éternité) – ce qui est problématique. Est-ce à dire que la sempiternité est une conséquence de l'éternité de la substance et de ses attributs (tout comme les modes infinis sont des conséquences de la nature absolue des attributs de Dieu) ?
— que dans la cinquième partie (disons la prop. 29) il est par contre fait appel à la I Df 8 — et que là il semble ne pas s'agir du tout de sempiternité mais d'éternité, c'est-à-dire de l'existence elle-même « en tant qu'elle est conçue suivre nécessairement de la seule définition de chose éternelle – quatenus ex solâ rei aeternae definitione necessario sequi concipitur ».

Ce sujet étant extrêmement difficile, toutes les réflexions, commentaires, etc. sont les bienvenus. Mais il serait bien de s'en tenir au ras du texte. Car il y a là un lièvre de taille (avis à notre amateur de civet... :)) ! Et bien sûr Vieordinaire est fortement convié à participer au festin (mais d'abord et surtout à la chasse et à la préparation en cuisine...).

Portez-vous bien
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Messagepar Faun » 29 sept. 2008, 22:20

Je dirais en substance que pour Spinoza, les énoncés suivants :

exister toujours
être éternel

sont équivalents, en tant qu'ils impliquent, ou enveloppent, tous les deux une durée infinie.

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Messagepar hokousai » 30 sept. 2008, 13:45

je vais donc déplacer ma réponse sur ce fil

cher Faun

L’ éternité ne dure pas , sans quoi l’éternité pourrait s’ expliquer par la durée, ce qui n’est pas le cas.
Ce qui pourrait à la limite durer éternellement serait une durée sans limite assignée .En ce sens la durée serait éternelle .
Mais la durée éternelle ne s’expliquerait pas par la durée ( ce que vous voudriez ) son éternité s’expliquerait par l’éternité .

L ennuie est que la durée n’est pas "en soi "quelque chose mais est " de quelque chose " ( de quelques choses) .On ne peut distinguer la "durée"(en soi ) de choses qui durent .La durée serait plutôt une propriété des choses que les choses une propriété de la durée .

Si la durée est celle de chose qui durent, elle est pour chaque chose limitée au quantum de leur durée .Chaque durée n’est donc pas sans limites assignées .En ce sens aucune durée n’ est éternelle .

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Messagepar sescho » 30 sept. 2008, 21:38

Je dirais d'abord que [éternité implique sempiternité] pour qui raisonne à partir de la durée (donc du point de vue des modes finis) ; par conséquent [non-sempiternité implique non-éternité.] Dans cet ordre, c'est juste ; il suffit pour l'admettre d'admettre que le premier mot est du point de vue de quelqu'un qui ne se réfère pas à la durée, tandis que pour le second, c'est le cas. Le premier point de vue est le point de vue supérieur ; le second peut être utilisé à des fins didactiques.

Ainsi une loi est considérée comme constitutive de l'essence de la Nature et a en elle même (car souvent elle introduit une séquence temporelle - un avant et un après - dans ce qu'elle décrit) une existence qui n'inclut aucune notion de durée : elle est, point. Toutefois, d'un point de vue approximatif qui place les choses du point de vue de la durée, elle peut être dite sempiternelle.


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Messagepar Louisa » 01 oct. 2008, 02:14

Voici une première tentative d'expliquer cette démo, tout en restant le plus proche possible du texte. Il n'est pas certain que mon PC ait un degré de puissance suffisant pour permettre une relecture encore aujourd'hui, donc ce ne sera probablement qu'une première ébauche, à compléter.

Je me base pour ce faire sur le résume que Pourquoipas avait fait il y a quelque temps de nos discussions concernant la première partie de la démo (voir lien à la page 9 du sujet "sentiment de soi-même"). On s'était alors mis d'accord sur le fait que la démo devrait être valide pour n'importe quel exemple, et pas seulement pour l'exemple que Spinoza donne (celui de l'idée de Dieu dans la pensée). L'exemple est donc remplacé, dans ce qui suit, par un "x" lorsqu'il s'agit d'un mode, et un "X" lorsqu'il s'agit d'un attribut. Reprenons phrase après phrase la démo (je me base sur la traduction de Pautrat, 1e édition, mettant entre parenthèses ce que j'y ajoute ou change).

- "Ensuite, ce qui suit ainsi de la nécessité de (la) nature d'un attribut ne peut avoir d'existence (,) autrement dit de durée (,) déterminée. Car, si tu le nies, suppose qu'une chose qui suit de la nécessité de nature d'un attribut se trouve dans un attribut de Dieu, par exemple x dans X, et suppose qu'il y ait un temps où elle n'ait pas existé, ou bien aille ne plus exister."
On va donc nier ce que Spinoza veut prouver: que tout ce qui suit nécessairement de la nature d'un attribut, ne peut avoir une durée ou existence déterminée. Par conséquent, on commence par poser la contradictoire: de la nature d'un attribut suit quelque chose qui a une durée ou existence déterminée (question: déterminé = limité ?). L'exemple que Spinoza donne est celui d'un mode (idée) d'un attribut (pensée), supposant déjà que tout mode à une durée ou existence déterminée (sur quoi se base-t-il pour affirmer cela?).

- "Et comme on suppose que X est un attribut de Dieu, X doit exister à la fois nécessairement, et immuablement (par la Prop.11 et le Coroll. 2 Prop. 20)."
Cela signifie que X ne peut pas changer sous le rapport de l'existence, ni par conséquent sous le rapport de l'essence (= définition de l'immuabilité donnée dans le Cor. mentionné). Autrement dit: sa nature reste toujours la même.

- "Et donc au-delà des limites de la durée de x (on suppose en effet qu'il y a un temps où elle n'existait pas, ou bien où elle n'existera pas) X devra exister sans x."
Si x a une durée déterminée, une fois qu'elle "meurt", c'est-à-dire une fois que sa durée prend fin, X ne peut pas cesser d'exister. Autrement dit: la fin de l'existence de x ne peut pas affecter l'existence de X. Ou encore: l'essence et l'existence de X restent nécessaires même sans qu'il y ait un x.

- "or cela est contraire à l'hypothèse; on suppose en effet que, étant donné X, il en suit nécessairement x."
En effet, ceci était bel et bien la première partie de l'hypothèse qui posait que l'inverse de la proposition 21 était vrai, la première partie'hypothèse étant: "suppose qu'une chose qui suit de la nécessité de la nature d'un attribut se trouve dans un attribut de Dieu". Mais pourquoi le fait que X n'est affecté ni dans son existence, ni dans son essence, par le fait que x ne dure plus serait-il contraire à l'hypothèse?

- "Donc x dans X, ou quelque chose qui suit nécessairement de la nature absolue d'un attribut de Dieu, ne peut avoir de durée déterminée; mais par cet attribut, ce quelque chose est éternel (...)."
Une fois qu'on a démontrée que de l'hypothèse inverse, quelque chose s'ensuit qui est contradictoire avec l'hypothèse même, on l'a réduit à l'absurde, et donc invalidé, ce qui prouve que la contradictoire de l'hypothèse est vrai.

Le point névralgique de toute cette démo se situe donc dans l'avant-dernier pas. Pourquoi est-il contraire à l'hypothèse? Spinoza y dit que l'existence et essence de X ne peuvent être affectées par la fin de la durée de x. Or cela, c'est censé être contraire au fait que x suit nécessairement de X. Pourquoi?

Première tentative de réponse: parce que ce qui suit nécessairement de X, doit suivre de X chaque fois que X existe. Or X ne peut pas ne pas exister. Par conséquent, il ne peut pas y avoir une situation où X existe et x pas, car alors x ne suivrait pas nécessairement de X, x ne suivrait de X que pendant un certain temps, pendant une durée déterminée.

Dans ce cas, Spinoza en fait ne fait que répéter la définition de l'éternité: est éternel ce dont l'existence est nécessaire. Seulement, on comprend ici que ce qui suit nécessairement de ce dont l'existence est nécessaire, est lui aussi nécessaire. Et ce qui est nécessaire ne peut avoir de durée déterminée. J'aurais tendance à penser que cela doit donc avoir une durée "indéterminée", mais qu'est-ce que cela pourrait vouloir dire??? "Exister toujours", répond tout de même la proposition 21. Or cela a pour conséquence, il me semble, d'identifier l'éternité et la sempiternité. Problème: si l'on peut identifier les deux, pourquoi Spinoza répète-t-il à l'envi que l'éternité ne s'explique pas par la durée sans commencement ni fin? La durée sans commencement ni fin est-elle différente de la durée indéterminée? Ou faudrait-il comprendre ce "ne s'explique pas" dans un sens très précis?
Si oui, rappelons que Dieu, par exemple, peut s'expliquer par un mode seul. Or tout mode exprime Dieu. Et partant, une éternité qui s'explique par la durée sans fin ni commencement, cela impliquerait que toute durée sans fin ni commencement exprime l'éternité. Ce qui n'est pas le cas, selon Spinoza. Mais alors comment interpréter le rapport éternité - durée?

Il faut peut-être conclure de cette démo que la "nature" de l'éternité, c'est l'existence nécessaire. Est-ce que cela permet de ranger la durée du côté de l'éternité (et non pas du côté de l'imagination, ensemble avec le temps)? La façon dont la proposition est formulée ("existe toujours") tend à le confirmer, mais la démo explique dans quel sens il faut comprendre ce "existe toujours": ce qui existe toujours, c'est ce dont l'existence et l'essence sont immuables. L'embêtant, c'est que l'E5 va nous expliquer que cela vaut aussi pour une partie de l'Esprit humain, donc pour un certain mode. Or il est clair que l'Esprit humain ne suit PAS immédiatement de Dieu (il suit d'un autre mode). Il est donc de toute façon fini. Comment pourrait-il être éternel?? Parce qu'il "enveloppe" l'idée de l'attribut de la Pensée, il l'exprime. Il l'exprime dans la durée (de manière déterminée), mais aussi "en Dieu". Puisque cet enveloppement est nécessaire, on peut dire que l'existence de cet enveloppement est nécessaire. Chaque mode a une existence telle qu'il enveloppe nécessairement l'attribut qu'il exprime (même si cet attribut ne le constitue pas). Or cet attribut est éternel. Chaque mode enveloppe ainsi, de par sa "source" et non pas de par son essence (comme c'est le cas pour l'attribut), l'existence nécessaire. En cela il est éternel.

Conclusion: il me semble qu'il est assez facile d'expliciter le raisonnement de cette partie de la démo (plus facile que ce n'était le cas pour la première partie), mais finalement, je ne suis pas certaine que cela nous apprend beaucoup sur le rapport éternité - durée ... .
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Messagepar Faun » 01 oct. 2008, 07:11

Pour conclure l'éternité des modes qui suivent nécessairement d'un attribut de Dieu, Spinoza prend comme hypothèse que ce mode ne dure qu'un certain temps, c'est à dire que sa durée est limitée par un commencement et une fin, mais comme, également par hypothèse, ce mode suit nécessairement d'un attribut, il y a contradiction entre la nécessité de ce mode et sa durée déterminée, et par là il faut entendre que le mode est déterminé à commencer d'exister puis à cesser d'exister par quelque chose d'autre. Or ce mode est déterminé à exister par la seule nature de l'attribut, et puisqu'il suit nécessairement de cet attribut, et que cet attribut est lui-même éternel, la durée de ce mode sera la même que celle de l'attribut, c'est à dire infinie. Du coup on comprend pourquoi n'a pas besoin du concept de durée pour expliquer l'éternité de ces modes, puisque le concept de nécessité suffit. Mais cette nécessité de l'existence a des effets sur la durée du mode. Et pour démontrer cela, Spinoza passe bien par une réflexion sur le temps, et donc par une mesure de la durée, pour conclure que la durée de ces modes n'est pas mesurable, et qu'elle ne peut être déterminée par le temps, donc que sa durée n'a pas de limites. Mais ce n'est pas parce que la durée n'est ni mesurable ni limitée par un commencement et une fin que le mode ne dure pas. Au contraire.

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Messagepar Sinusix » 01 oct. 2008, 11:52

Dernier message de Faun lumineux, merci, et qui me permet de franchir un gap que je n'arrivais pas à franchir, à savoir la "transition" entre les modes infinis et les modes finis.
En effet, les modes finis ou choses singulières étant emportés dans l'enchaînement sempiternel des causes et des effets, l'esprit humain ne peut que buter sur le problème "métaphysique" du "big bang" (ou de la première cause) qui le fait retomber sur la problématique de départ, source de sa réflexion et de sa recherche. Il faut donc bien qu'il y ait un "passage" et ce dernier n'a-t-il pas pour seule voie l'interposition des modes infinis, lesquels assurent la "mutation" des concepts liés à l'ETRE en (vers) ceux qui sont liés aux ETANTS.
De manière plus générale, le problème posé ne me semble pas se limiter au temps mais également à tous les caractères de "l'infini" susceptibles d'être rencontrés. N'y a-t-il pas là matière à revisiter la notion "d'infini en acte" que je crois avoir cotoyé chez Gilles Deleuze (comme selon lui caractéristique du 17ème siècle, sans préjudice de la problématique liée au calcul infinitésimal naissant), infini que l'esprit humain ne peut difficilement concevoir que comme extension indéfinie du fini. Les mathématiques d'ailleurs, si elles relèvent la difficulté, ne font que rendre plus évidente la "dichotomie conceptuelle" incontournable puisque, en attribuant par exemple aux nombres réels la "puissance de l'infini", elles introduisent un classement cardinal des infinis.
Les choses singulières ne pouvant pas ne pas relever de la mesure, et pas simplement temporelle, il faut bien que l'ETRE porte en soi l'extensif dans l'intensif (le tout est dans la partie et la partie est dans le tout). Pourrait-on dire que la chose singulière que nous sommes, par raisonnement déductif, ne peut qu'avoir une idée claire et distincte de l'infini (telle que la construit la science du nombre), mais que la connaissance adéquate ne peut qu'en être intuitive, comme une forme d'évidence existentielle.
Amicalement

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Messagepar Louisa » 01 oct. 2008, 12:15

Faun a écrit :Pour conclure l'éternité des modes qui suivent nécessairement d'un attribut de Dieu, Spinoza prend comme hypothèse que ce mode ne dure qu'un certain temps, c'est à dire que sa durée est limitée par un commencement et une fin, mais comme, également par hypothèse, ce mode suit nécessairement d'un attribut, il y a contradiction entre la nécessité de ce mode et sa durée déterminée, et par là il faut entendre que le mode est déterminé à commencer d'exister puis à cesser d'exister par quelque chose d'autre. Or ce mode est déterminé à exister par la seule nature de l'attribut, et puisqu'il suit nécessairement de cet attribut, et que cet attribut est lui-même éternel, la durée de ce mode sera la même que celle de l'attribut, c'est à dire infinie. Du coup on comprend pourquoi n'a pas besoin du concept de durée pour expliquer l'éternité de ces modes, puisque le concept de nécessité suffit. Mais cette nécessité de l'existence a des effets sur la durée du mode. Et pour démontrer cela, Spinoza passe bien par une réflexion sur le temps, et donc par une mesure de la durée, pour conclure que la durée de ces modes n'est pas mesurable, et qu'elle ne peut être déterminée par le temps, donc que sa durée n'a pas de limites. Mais ce n'est pas parce que la durée n'est ni mesurable ni limitée par un commencement et une fin que le mode ne dure pas. Au contraire.


ceci est effectivement ce que l'on pourrait conclure de ce que je viens d'écrire. L'idée que vous y ajoutez me semble être la suivante: Spinoza DOIT passer par une réflexion sur le temps (c'est-à-dire par une mesure de la durée) s'il veut opérer une reductio ad absurdum de l'hypothèse que de la nature d'un attribut puisse suivre nécessairement quelque chose qui n'est pas éternel, parce que si cette chose n'est pas éternelle, à un certain moment elle doit cesser d'exister, tandis que cesser d'exister n'est pas possible pour ce qui existe éternellement.

Ce qui me gêne dans cette idée, c'est que dans ce cas, Spinoza utiliserait dans les arguments de sa démo des aspects purement imaginaires (puisque la mesure est imaginaire, le temps comme découpage de la durée est imaginaire, et non pas réel). A mon sens, il est plus intéressant d'essayer de formuler la démo en des termes qui ne se basent que sur l'idée d'existence nécessaire ou ne pas nécessaire (puisqu'elle seule peut "expliquer" l'éternité). C'est ce que j'ai essayé de faire maximalement ci-dessus. Il n'en demeure pas moins que Spinoza a besoin, dans la démo, de l'expression d'une "durée déterminée". Ce qui signifie que malgré tout, il admet que ce qui est éternel doive avoir une durée sans commencement ni fin.

Or jusqu'à présent, je crois que nous étions nombreux à adopter spontanément l'idée que vient de résumer Serge ci-dessus: que la durée soit elle aussi imaginaire, et pas uniquement le découpage ou le temps. C'est ce qui permettait de dire que la durée (et donc aussi la durée indéterminée) doit être une sorte d'abstraction: on est toujours dans une pensée temporelle (donc "modale"), mais au lieu de tenir compte du fait que tout ce qui existe dans le temps a un commencement et une fin, on s'imagine (extrapolation) que certaines choses ne l'auraient pas.

Or si l'on suit ce que vous proposez (et qui, encore une fois, est très proche de la façon dont je viens d'essayer d'expliquer les divers mouvements de la démo), il faut vraiment "réhabiliter" la durée, et en faire quelque chose qui est lié à l'essence même de Dieu (et non plus aux modes finis seuls). Mais alors quel statut donner à la durée (non découpée par le temps)? Considérer la durée abstraitement, dit Spinoza (E2P45; du moins peut-on le lire ainsi une fois qu'on a identifié existence et durée, ce que Pautrat dans sa traduction semble ne PAS faire), c'est la considérer comme une espèce de quantité. Et partant, "en réalité" la durée n'est pas une espèce de quantité. Mais qu'est-ce qu'elle est alors ... ?
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Messagepar vieordinaire » 01 oct. 2008, 17:35

Je ne vois pas pourquoi nous devrions imaginer une 'duree infinie'. Par contre, je comprends parfaitement pourquoi certains peuvent etre tente d'introduire cette idee. Comme bien des idees dans le systeme philosophique de Spinoza, l'actualite des modes infinis se rapporte a un limbe ontologique (voir plus bas).

En general, je pense que l'actualite d'un mode infini et eternel est bien l'eternite--laquelle est a la fois unie (car nous parlons bien toujours d'une seule realite ou etre) et differente (car elles sont mutuellement exclusives) de la duree--laquelle est le 'domaine d'actualite' des etres particuliers ou modes finis. Un mystere est alors: quelle est la mysterieuse 'relation d'identite' (laquelle est simultanee a une 'relation de distinction') entre le mode infini et le mode fini? 5p40s n'offre pas beaucoup d'eclaircissements a ce sujet.

Si l'on considere la lettre sur les infinis
Spinoza a écrit :Ce que j’appelle modes, ce sont les affections de la substance. Or, la définition des modes, en tant qu’on la distingue de celle de la substance, n’enveloppe point l’existence réelle. C’est pourquoi, bien qu’ils existent, nous pouvons les concevoir comme n’existant pas ; d’où il suit qu’en tant que nous considérons leur essence toute seule, et non l’ordre de toute la nature, nous ne pouvons pas inférer, de ce qu’ils existent maintenant, qu’ils continueront ou non d’exister, qu’ils ont ou non existé auparavant. On voit donc clairement que nous concevons l’existence de la substance comme entièrement différente de celle des modes. Et de là vient la distinction de l’éternité et de la durée ; car il n’y a que l’existence des modes qui tombe dans la durée ; celle de la substance est dans l’éternité, je veux dire qu’elle consiste dans une possession infinie de l’être (essendi).


Bien que Spinoza de l'enonce pas clairement, il considere seulement les modes finis. "[P]our tombe dans la duree" un etre doit pouvoir etre concu comme non-existant. Cela est impossible pour les modes infinies comme 1p21 le demontre. Le critere fournit par Spinoza semble traiter les modes infinis comme etant equivalents -- de ce point de vue particulier--a (une) substance et les attributs. Finalement, quant a la nature des modes infinis, nulle part Spinoza fait une distinction entre essence et existence.
De quoi perdre les lecteurs les plus courageux ... :)

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Messagepar hokousai » 01 oct. 2008, 18:51

oui bon je ne comprends pas vraiment ce qu'écrit Faun ........pour moi la substance est éternelle . L 'acte de modification est éternel mais aucune modification ne l'est .


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