Flumigel a écrit :Pourquoi Spinoza est-il si difficile à comprendre (même pour les philosophes chevronnés), lui qui a pour ambition de se rendre accessible au commun des mortels ? Etrange paradoxe. Les mots sont-ils à ce point insuffisants pour décrire une pensée claire et réfléchie ?
Ce me semble une bonne question. Pourtant,
a posteriori c'est bien exposé simplement... La difficulté vient de plusieurs aspects me semble-t-il : 1) Le sujet est immense et pourtant pris au niveau le plus haut et exploré systématiquement, ceci avec en rapport peu de mots, ce qui fait que le texte est en fait très dense (mais simple dans cette densité.) 2) Le mode de développement est celui des Mathématiques, ce qui suppose un esprit pas trop récalcitrant à l'exercice. Il y en a sans doute peu pour le soutenir très longtemps. 3) Les explications détaillées touchent les sujets essentiels tels qu'en discussion à son époque : éternels, ils sont perpétuellement d'actualité, mais néanmoins commentés plus ou moins en fonction de cette conjoncture. De même, le vocabulaire "technique" de l'époque est en toute logique employé. C'est pourquoi une étude préalable de la Scolastique tardive et de Descartes n'est sans doute pas inutile (à l'inverse de plaquer sur le texte des concepts modernes ou alambiqués.)
J'ajouterais à cela deux points : 4) Les commentaires ont fait et font semble-t-il autant de mal que de bien (ce qui met de la confusion dans ce qui est pour l'essentiel clair, voire s'oppose ponctuellement à la plus explicite clarté.) 5) Si l'on est si exigeant à l'endroit particulier de Spinoza, c'est qu'il a la particularité de nous parler haut de l'essentiel : de notre bonheur supérieur. Mais ce qui est à la fois précieux et rare doit être difficile à obtenir, cependant, comme il nous l'indique dans la dernière proposition de l'
Ethique.Flumigel a écrit :Par ailleurs, s'il suffit de savoir que le bonheur réside dans la connaissance de Dieu, tout le monde devrait pouvoir toucher un peu ce bonheur du doigt. Or, ce n'est pas le cas.
Je pense que tout le monde touche au moins un peu de bonheur. Pour le reste, encore faut-il atteindre la véritable connaissance de Dieu...
Les lois de la béatitude sont les mêmes pour tous. Mais il y a une infinité de situations de fait, et par là autant de voies vers la béatitude (ou au contraire d'involution.)
La voie indiquée par Spinoza est celle de la démarche logique : je pars d'idées claires et distinctes par elles-mêmes (les notions communes et autres axiomes) et de Dieu, l'être immuable et souverainement parfait, et j'en déduis d'idée adéquate en idée adéquate des lois qui gouvernent le Mental humain. Ceci a trois conséquences de première importance : 1) Je renforce ma reconnaissance de Dieu - la Nature, le principe infini qui imprègne tout, et en particulier le fini (par les dimensions infinies de l'existence que sont les attributs, par les lois de sa nature que nous pouvons identifier clairement.) Ceci est l'essence même de l'
Ethique et est primordial. 2) J'ai une expression claire des lois qui régissent ma propre psyché ; il me reste à les voir à l'œuvre en moi, et ceci est catharsique. 3) Je sais quelles réponses aux passions sont de nature à les apaiser et je peux ainsi me les remémorer pour les mettre à l'œuvre, ce qui finit par faire à son tour son œuvre.
Ceci est valable pour tout le monde. Ensuite "que celui qui a des oreilles entende" (petit à petit.)
J'ajouterais ceci :
- La béatitude c'est l'exception, l'asymptote jamais atteinte absolument. Le lot commun, la norme, en est donc forcément plus ou moins éloigné, disons en moyenne temporelle à mi-chemin entre le délire et la béatitude. En plus, dans le monde actuel, en particulier occidental, c'est plutôt plus éloigné que moins. Et l'erreur est auto-conservative : elle contient dans son aveuglement où est investi de la force vitale, les conditions de sa propre pérennisation. De là plusieurs observations : 1) Tu n'es pas tout seul à avoir des problèmes ; au contraire, c'est le lot de l'immense majorité, que l'on croit à tort bien plus heureuse qu'elle n'est en réalité. Le simple fait que tu en as pris conscience te fais déjà sortir de la norme, du bon côté... 2) Progresser est difficile, quoique la solution soit très très simple (sinon comment se ferait-il que ce qui est si précieux soit si rare, etc.), donc la très bonne nouvelle c'est que c'est possible (et E. Tolle ajoute même que plus la situation est insupportable, plus il y a de chance de rebondir haut), la moins bonne c'est qu'il ne faut pas compter sur la facilité pour y parvenir.
L'erreur (les passions) est un complexe qui touche à tous les fonctionnements mentaux (sauf la conscience primitive), et dans ce cadre-là aussi ceux qui régissent les échanges interpersonnels. Mais ce n'est pas parce que l'on focalise sur ceux-ci qu'ils en deviennent des racines incontournables de tout le reste. Il suffit d'ailleurs de considérer à quoi ce résument de fait ces échanges de fait la plupart du temps pour s'en convaincre.
Aucun phénomène ne peut se comparer, encore moins se substituer, à la conscience de Dieu - la Nature ; qui est Dieu - la Nature même, telle qu'entrant dans la nature de l'Homme. La véritable conscience de Dieu - la Nature, avec laquelle aucun ego ne peut cohabiter, vaut absence totale d'erreur, y compris dans les relations interpersonnelles (nullement exclues, au contraire, par Spinoza, de l'état de béatitude.)
C'est étonnant : on croit être seul dans la misère alors qu'en fait nous sommes des milliards à y être jusqu'au cou...
Mais heureusement - logiquement en fait - l'Histoire a gardé mémoire de tous les travaux - et comme il s'agit du suprêmement important, la force qui y a été mise est inégalée - qui permettent de progresser, jusqu'au bout. Spinoza y entre avec les stoïciens au premier rang, avec le Vedanta et le Bouddhisme (philosophique, ce qu'il est essentiellement.) Des auteurs modernes y participent encore et toujours ; par exemple : Alfred Adler, Paul Diel, Jiddu Krishnamurti, André Comte-Sponville, Matthieu Ricard, Arnaud Desjardins, Eckhart Tolle, ...
Serge
Connais-toi toi-même.