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Ethique I, proposition 16

 

1. Texte

" De la nécessité de la nature divine doit suivre une infinité de choses en une infinité de modes (c'est-à-dire tout ce qui peut tomber sous un entendement infini).

DÉMONSTRATION : Cette Proposition doit être évidente pour quiconque est attentif au fait que, à partir de la définition d'une chose, l'entendement conclut une pluralité de propriétés qui, en réalité, suivent nécessairement de cette définition (c'est-à-dire de l'essence même de la chose); et ces propriétés seront d'autant plus nombreuses que la définition de la chose exprimera plus de réalité, c'est-à-dire que l'essence de la chose définie enveloppera plus de réalité. Or, la nature divine comporte, d'une façon absolue, une infinité d'attributs (par la Déf. 6) dont chacun exprime en son genre une essence infinie; de cette nécessité de la nature divine devra donc suivre nécessairement une infinité de choses en une infinité de modes (c'est-à-dire tout ce qui peut tomber sous un entendement infini). C.Q.F.D."

2. Objections (merci à Bernard).

La question est : en quoi est-il nécessaire que suivent de " la nécessité de la nature divine ", qui par définition est UNE, une infinité de modes ? Il n' y a aucune nécessité, en lui-même, que Dieu crée (ou engendre) un monde. La Démonstration ne paraît pas convaincante. On a l'impression que c'est l'entendement (le nôtre, et, analogiquement , un entendement infini) qui produit les propriétés des choses en les définissant. C'est l'entendement qui " donne la définition " d'une chose ou d'un mode, mais la chose elle- même existe bien indépendamment de la pensée. Que, par définition, Dieu crée * simultanément * l'existence et l'essence des choses, il n'empêche que cela fait deux réalités distinctes. D'autre part, à supposé une infinité d'attributs chacun infini " en son genre ", on ne voit pas que cela entraîne nécessairement une infinité de modes.

3. Réponses

Première remarque : n'y a-t-il pas contradiction entre l'unité de la substance et l'infinité des modes ? Les modes sont à concevoir comme des propriétés de la substance, en ce sens ils lui restent internes - il faut absolument se défaire d'une représentation émanationiste du genre d'engendrement des modes si l'on veut pouvoir comprendre la logique de Spinoza. Si les modes étaient externes à la substance, ils seraient en effet une négation de celle-ci. Mais les modes ne sont que des affections de la substance, des façons d'être nécessaires mais immanentes de celle-ci, comme le terme "modus" le signifie suffisamment. Plutôt que de dire que la Substance crée ou même "engendre" les modes, il est plus adéquat de dire comme Spinoza que la Substance s'exprime en ses modes - je propose aussi "la Substance s'auto-affecte dans ses modes".

Pour cette raison, il n'est pas incohérent de concevoir à la fois une seule substance et une infinité de modes - pour qu'il y ait contradiction, il faudrait que les modes aient en eux-mêmes quelque chose de substantiel, alors la substance se détruirait elle-même en tant que substance mais ce n'est pas le cas. Nous ne parlons pas ici de l'unicité de la Substance mais de son unité, du fait qu'elle n'est pas qu'un simple agrégat d'éléments externes sans cohérence interne. A ce titre, on peut comparer l'unité de la Substance avec celle d'un triangle : les propriétés de celui-ci sont telles et expriment son unité même parce qu'elles se déduisent de sa nature et ne sont pas le produit d'une rencontre contingente. La propriété "la somme des angles = 180°" ne veut rien dire indépendamment de l'idée même de triangle dans un espace euclidien et n'existe pas sans elle ET n'est qu'un aspect éternel (saisi de manière discrète par un entendement fini) d'une chose qui reste identique à elle-même.

Mais maintenant en quoi est-il nécessaire que de la Su suivent une infinité de modes ? Si on comprend ce "suivre" en un sens transitif, il n'y a effectivement aucune nécessité et même plutôt une contradiction. Mais Spinoza précise deux prop. plus loin que ce "suivre" est immanent, comme le signifie déjà le terme de "propriété" employé dans la démonstration. Dès lors, il suffit de prendre pour mieux comprendre un objet assez simple comme un triangle, en considérer les propriétés et voir qu'un objet plus complexe comme un losange ou un homme auront plus de propriétés à mesure que leur nature est plus puissante. Dès lors il tombe sous le sens que la seule substance qui existe étant absolument infinie, sa nature s'exprimera nécessairement en une infinité de propriétés. Pour bien comprendre cela, il faut sans doute aussi ne pas perdre de vue que la substance ne créée pas selon un processus chronologique et historique, allant progressivement du plus simple au plus complexe, mais que l'ensemble des modes sont exprimés dans la substance de toute éternité, immédiatement.

J'en suis donc à l'idée qu'une infinité de modes suivent nécessairement de la Substance absolument infinie. Spinoza aurait pu invoquer l'axiome III : "Étant donnée une cause déterminée, l'effet suit nécessairement ; et au contraire, si aucune cause déterminée n'est donnée, il est impossible que l'effet suive." La nature divine a sa nécessité interne et d'elle doit découler une infinité de choses parce que nous restons dans cette nécessité interne : les modes étant les propriétés, c'est-à-dired les effets internes de cette qu'est la Substance.

On peut objecter que l'axiome III est un effet de langage : qui dit cause suppose "effet". Mais ce ne serait qu'un tour de passe-passe verbal si rien n'établissait que Dieu est cause. Or Dieu en tant que substance absolument infinie est nécessairement cause : de soi comme de ses modes. Le terme de cause - signifiant puissance d'affirmation - ne voudrait plus rien dire si cela n'impliquait pas nécessairement quelqu'effet : ce qui est affirmé. Cette puissance d'affirmation étant absolument infinie, il est nécessaire que ce qui est affirmé par cette cause le soit de façon infinie, autrement dit qu'il y ait une infinité de choses affirmées.

 

Maintenant, l'entendement : il ne produit ni même n'affirme quoique ce soit par sa puissance propre. Cette idée est un résidu de la vieille doctrine des facultés comme source de représentations, ce qui revenait à en faire de petites substances. L'entendement fait partie de la nature naturée : E1P30, ce qui signifie que l'entendement, en lui-même, ne produit ou plutôt n'affirme rien mais est affirmé. L'entendement, fini ou infini, n'est que l'ensemble des idées adéquates découlant nécessairement de l'attribut Pensée, celles-ci ont une puissance d'affirmation en tant que modes de cet attribut ou essence de la substance.

Une idée adéquate étant claire, distincte et *complète*, il est naturel que pour avoir l'idée adéquate de Dieu en tant que cause, il faut comprendre que de cette cause découlent une infinité d'effets. L'entendement ici n'est pas ce qui produit ces effets, ce qui les présente en quelque sorte, mais bien le résultat de leur présentation dans la pensée : leur "représentation". Et comme l'entendement est une propriété nécessaire, un mode de la substance, ses représentations ou idées adéquates sont également nécessaires.

Ainsi, une infinité d'attributs chacun infini "en son genre", entraîne nécessairement une infinité de modes parce que chaque mode d'un attribut est une propriété nécessaire, un effet interne de l'attribut et que chaque attribut est infini (cf. supra). La multiplicité qui découle de l'unité de l'attribut n'est et ne reste en fait qu'une seule et même chose que l'entendement distingue mais ne peut séparer pour en faire des substances distinctes.

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