Sescho a écrit :Dites-moi, mon bon Hokousai, ne seriez-vous pas tombé dans le panneau dressé par Louisa, qui a monté de toute pièce un faux procès sur un faux motif, pour faire débord de rhétorique dans des plaidoiries fleuves sans objet... ?
Cher Sescho,
je dirais qu'en tant que réponse à (voire réfutation de) ce que je viens de dire, c'est un peu court, non?
Sescho a écrit :Ayant dit à plusieurs reprises dans le passé (récent en particulier) que la démarche clairement affichée de Spinoza était extrêmement rationaliste (notions communes + logique, point) et ayant reproduit moult extraits dans ce sens ("les démonstrations sont les yeux de l'âme", etc.), je vois mal pouvoir être supposé prendre tout juste conscience de la chose...
en effet, donc le "procès" que j'ai "monté" moi-même (et qui en réalité n'avait rien à voir avec un quelconque "procès" ou inculpation mais était simplement une explication d'une autre interprétation et une invitation à y réfléchir) ne consistait pas à dire que selon toi Spinoza était "anti-rationaliste". Cela, c'est ce que Durtal en a fait ci-dessus (sans expliquer pourquoi il l'a lu ainsi; toujours est-il que si on a lu cela dans ce que j'ai écrit, c'est qu'on a mal lu - ou que je me suis mal exprimée, peu importe).
La question d'acta93 était de savoir si l'on peut connaître Dieu aussi bien par la religion que par la philosophie ou par les sagesses orientales. J'ai essayé de montré que dans le spinozisme, seule la philosophie peut mener à la béatitude, et non pas les deux autres voies. Il est évident (ton dernier message ici l'illustre encore une fois) que cela n'est pas ton avis.
A partir de ce moment-là, il ne s'agit pas d'intenter des procès à celui qui pense différemment, il faut simplement expliquer
pourquoi on pense différemment, ce qui est ce que j'ai fait. Si tu n'es pas d'accord avec ce que je viens de dire de Spinoza et si tu veux tenir compte du fait que ce forum n'est pas un tribunal où l'on juge des crimes ou mérites de ses intervenants mais plus banalement un endroit où l'on discute entre "amis de Spinoza" afin de pouvoir mieux comprendre ce qu'il dit, je ne peux que te proposer d'expliquer pourquoi tu crois que ce que je viens de dire ne correspond pas au spinozisme.
Sescho a écrit :Concernant Spinoza, il faut se garder de caricaturer, me semble-t-il. Comme l'a dit très justement vieordinaire, Spinoza considère Jésus de Nazareth comme un très grand sage. Pour autant, il ne semble pas qu'il ait été identifié comme un champion du raisonnement à l'époque... Mais de la parabole (ou langage symbolique, comme les mythes) oui... Quelques autres passages montrent que Spinoza admet la révélation dans les cas les plus favorables (même si ce n'est clairement pas le fond de sa démarche.)
bon, puisque tu reprends le même "argument" que Vieordinaire, voici ce que j'ai dit plus précisément, et pourquoi je ne vois pas comment interpréter à ce sujet Spinoza autrement.
D'abord, je n'ai jamais dit que pour Spinoza Jésus était un "champion de l'argument". Cela, c'est la "traduction" que Vieordinaire a faite de mes propos. Et donc oui, il faut se garder de caricaturer.
J'ai dit simplement que pour Spinoza le Christ a diffusé "la vraie religion" non plus en se limitant au premier genre de connaissance (miracles, ouï-dire, ...), comme le faisaient les prophètes, mais cette fois-ci en y ajoutant des arguments (ce que par après ont également fait les apôtres), raison pour laquelle le christianisme a pu avoir une véritable vocation "catholique" c'est-à-dire universelle. Si tu penses qu'en disant cela, j'interprète mal Spinoza, serait-il possible d'indiquer ce qui chez lui selon toi contredit cette interprétation? En attendant, voici ce qu'il dit et sur quoi je me suis notamment basée dans le message où je réponds à la question de Vieordinaire concernant le statut que Spinoza donne au Christ (TTP ch.11, qui d'ailleurs est entièrement consacré à cette question):
Spinoza a écrit :Si d'autre part nous examinons la façon dont les apôtres transmettent la doctrine évangélique, nous verrons qu'elle diffère grandement de celle des prophètes. Les apôtres usent partout du raisonnement, si bien qu'ils semblent non prophétiser, mais discuter; au contraire, les prophéties ne contiennent que des dogmes et des décrets, parce que c'est Dieu lui-même qui parle: Dieu qui ne raisonne pas, mais décrète en vertu d'un pouvoir absolu découlant de sa nature. Et cela tient aussi à ce que l'autorité d'un prophète ne s'accommode pas du raisonnement; quiconque veut en effet confirmer par le raisonnement les dogmes auxquels il adhère, les soumet par cela même au jugement de chacun. C'est bien ce que semble faire Paul, précisément parce qu'il raisonne, dans la première Epître aux Corinthiens (ch.X vers. 15), il dit: Je parle à des hommes que je suppose doués de sens, jugez vous-même de ce que je dis.(...)
C'est de cette manière qu'il faut comprendre tous les arguments de Moïse qui se trouvent dans les cinq livres: ce ne sont pas des preuves pour lesquelles il ait fait appel à la raison, mais des manières de dire par lesquelles il exprimait avec plus d'efficacité et imaginait intensément les décrets de Dieu. Je ne veux cependant pas nier absolument que les prophètes aient pu argumenter en partant d'une révélation; j'affirme seulement que plus rigoureusement ils argumentent, plus la connaissance qu'ils ont de la chose révélée se rapproche de la connaissance naturelle; et que l'on reconnaît surtout que les prophètes ont une connaissance surnaturelle à ce qu'ils énoncent comme de purs dogmes des décrets ou des sentences. C'est pourquoi le plus grand des prophètes, Moïse, n'a jamais fait un raisonnement véritable.
J'accorde au contraire que les longues déductions de Paul et ses argumentations, comme il s'en trouve, dans l'Epître aux Romains, n'ont pas du tout été écrites en vertu d'une révélation surnaturelle. Ainsi, aussi bien la manière de discuter des apôtres, dans les Epîtres, indiquent très clairement que ces écrits n'ont pas pour origine une révélation et un mandat divin, mais seulement le jugement propre et naturel de leurs auteurs et ne contiennent rien que des appels fraternels mêlés de politesse (rien de plus contraire à la manière dont s'exprime l'autorité du prophète) (...)
(...) De plus, bien que la religion telle qu'elle était prêchée par les apôtres, c'est-à-dire simplement en racontant l'histoire du Christ, ne soit pas de l'ordre de la raison, il est au pouvoir de chacun d'en atteindre par la lumière naturelle le fond essentielle qui consiste principalement, comme toute la doctrine du Christ, en enseignements moraux.
Spinoza dit ici très clairement à mon sens que le fond essentiel du christianisme est entièrement accessible à la raison, et que le christianisme, contrairement au judaïsme, a essayé de diffuser ce fond moral non plus en faisant appel à l'imagination seule, mais surtout en se servant du deuxième genre de connaissance, c'est-à-dire des raisonnements.
D'ailleurs, si l'on croit que pour Spinoza il y a un salut pour les ignorants possible, un salut par la soumission au christianisme par exemple (ce qui n'est pas mon cas), et si l'on tient compte du fait que selon lui ce que la religion enseigne la raison peut y arriver toute seule, alors déjà juste sur base de cela il faut dire que chez Spinoza la raison peut avoir accès toute seule à la béatitude.
C'est bien cela ce qu'acta93 semble contester. Tel que je comprends ce que tu dis, tu le contestes aussi, alors qu'à mes yeux il faut dire que pour Spinoza, la raison seule est parfaitement capable de nous mener à la béatitude, plus même, seule la philosophie et donc la raison peut nous mener à la vraie connaissance de Dieu (voir les citations déjà données ci-dessus). Dire cela n'est pas t'intenter l'un ou l'autre procès, c'est répondre à la question d'acta93 en rappelant qu'une toute autre interprétation est possible, voire à mes yeux s'impose. Ce qui signifie simplement que cela se discute, sans plus, et que j'espère que ceux qui disent s'intéresser vraiment à Spinoza vont être prêts à en discuter, calmement.Sescho a écrit :La Raison c'est surtout l'intelligence chez Spinoza. La grande, la vraie : celle qui est une science intuitive du Monde.
où Spinoza dirait-il que le troisième genre de connaissance, dit "science intuitive", serait la même chose que le deuxième genre de connaissance, c'est-à-dire la raison ... ?
Est-ce que tu te rends compte du fait qu'en disant cela, tu nies ce que tous les commentateurs du spinozisme disent? Et que donc ce serait intéressant si tu essaies de montrer pourquoi tu penses qu'ils se trompent tous et qu'en fait la "vraie" raison chez Spinoza ce serait la science intuitive?
Sescho a écrit :Ce n'est pas le raisonnement pour le raisonnement (même dans l'hypothèse favorable où il est effectivement juste, ce qui apparaît de toute évidence moins souvent que les prétentions à le pratiquer.)
ce que j'ai essayé de montrer ci-dessus, c'est que l'idée d'un "raisonnement pour le raisonnement" n'existe pas, dans le spinozisme. Cette idée n'est qu'un outil que certains utilisent pour montrer leur "Mépris" pour ce avec quoi ils ne sont pas d'accord. Elle ne fait pas partie de ce qui est "à combattre" d'un point de vue spinoziste, puisque la raison par définition nous donne des idées vraies donc des Joies Actives donc du bonheur. Même la logique, qui ressemble le plus à l'idée de "raisonnement pour le raisonnement", est selon Spinoza tout à fait bénéfique, et même comparable à ce que fait la médecine au niveau du corps (préface E5).
Or si tu crois que je me trompe (ce qui bien évidemment est toujours possible), et que pour Spinoza aussi un problème important une fois qu'on dit que la raison c'est la meilleure partie de l'homme c'est néanmoins un certain type de raisonnement, ce serait intéressant de savoir pourquoi tu le penses, quels sont les passages du texte qui montrent qu'il y aurait une telle méfiance par rapport au raisonnement chez Spinoza etc.
Sescho a écrit :Un autre point que je voudrais quand-même pointer à nouveau, et qui, me semble-t-il, mérite qu'on y réfléchisse sérieusement quand on a le souci de comprendre c'est : la Raison inclut des prémisses - non démontrées par nature et cependant incontournables. Or,
dans ces prémisses - non démontrées - il y a Dieu...
(dont la (re-)connaissance en vérité est notre salut même...)
Le fait est que Spinoza a besoin de pas moins d'
onze propositions, dans l'
Ethique, avant de pouvoir démontrer Dieu. Ce qui correspond parfaitement à ce qu'il en dit dans le
TIE, et qui est que la première chose qu'on doit faire pour acquérir la béatitude, c'est déduire de notions communes une idée vraie de l'essence de Dieu, c'est-à-dire démontrer la possibilité d'une telle essence et démontrer que Dieu existe nécessairement. C'est bel et bien la raison qui le démontre. Elle le démontre même plusieurs fois, puisque dans le spinozisme on a aussi bien une preuve
a priori de Dieu qu'une preuve
a posteriori. Par là le spinozisme s'inscrit parfaitement dans la longue tradition philosophique des preuves de Dieu.
Or, comme tu le dis bien, les notions communes qui constituent les prémisses de tous nos raisonnements, donc ce sur quoi la raison se base (plutôt que de l'inclure), le "fondement" comme le dit Spinoza, sont par définition indémontrables. Si Dieu était pour Spinoza, comme tu le dis, l'une de ces notions communes, c'est-à-dire idées vraies indémontrables, comment comprendre que la première chose que l'
Ethique fait, c'est exactement l'inverse, à savoir démontrer (plusieurs fois) Dieu...?
L.