Enegoid a écrit :A Sinusix
Absolument non sur votre dernier alinéa (cad pas d'accord, pardonnez ma véhémence).
Hitler est, malheureusement, un mode de Dieu et ce serait trop commode de penser, comme les chrétiens, qu'il est damné. Retour de l'enfer, et de la séparation des bons et des méchants.
La part d'éternité de l'esprit d'Hitler me parait malheureusement ne pas être négligeable.
Le potentiel (si potentiel il y a) est lui-même déterminé.
Bien qu'il l'ait tenté, Spinoza ne peut en aucun cas (selon moi), servir de fondement à une hiérarchie absolue des êtres (une hiérarchie des sages, peut-être).
Je me rattache à ce message pour dire quelques petites choses simples sur les sujets qui interfèrent.
1/ Nous sommes sur un forum philosophique consacré à Spinoza ; je suis totalement et viscéralement athée. Quand je parle de salut, je l'emploie dans le sens où je pense l'avoir compris chez Spinoza. Je me contrefous donc totalement de savoir si Hitler est damné ou pas ; je dis seulement que, à partir de ses actes, il semble plausible de considérer que la part éternelle de son esprit soit réduite, tant il a oeuvré contre l'humanité.
En aparté, sur ce premier point du salut et de la connaissance de Dieu, il n'est pas indifférent de prendre en considération ce que pouvait dire Descartes, par exemple. Je cite (lettre au Père Mersenne de mars 1642) :
"Pelagius a dit qu'on pouvait faire de bonnes oeuvres et mériter la vie éternelle sans la Grâce, ce qui a été condamné de l'Eglise ; et moi, je dis qu'on peut connaître par la raison naturelle que Dieu existe, mais je ne dis pas pour cela que cette connaissance naturelle mérite de soi, et sans la Grâce, la gloire surnaturelle que nous attendons dans le ciel. Car, au contraire, il est évident que, cette gloire étant surnaturelle, il faut des forces plus que naturelles pour la mériter. Et je n'ai rien dit touchant la connaissance de Dieu, que tous les théologiens ne disent aussi. Mais il faut remarquer que ce qui se connaît par raison naturelle, comme qu'il est tout bon, tout puissant, tout véritable, etc., peut bien servir à préparer les infidèles à recevoir la foi, mais non pas suffire pour leur faire gagner le ciel ; car, pour cela, il faut croire en Jésus-Christ et aux autres choses bien révélées, ce qui dépend de la Grâce."
Faut-il reprendre toute l'Ethique pour montrer que Spinoza ne se situe absolument pas sur ce terrain ? J'ajoute que, au delà de la signification individuelle différente de la notion de salut, il nous faudra également insister sur le fait que, de mon point de vue, chez Spinoza et au contraire de cette école chrétienne, il n'y a pas de salut individuel qui ne passe par un salut collectif.
2/ Pour ce qui concerne le Potentiel, il ne m'apparaît pas que Spinoza se préoccupe de l'effectuation des rapports caractéristiques, mais de leur connaissance par chacun. En d'autres termes, ce qui est important, dans un premier temps, c'est, par exemple, que nous nous attachions à connaître les rapports caractéristiques de convenance entre le corps humain et l'élément eau de façon à ce que, en cas de rencontre fortuite de cet élément, nous sachions réagir au mieux pour nous préserver.
3/ Ce n'est qu'un premier temps, mais, d'ores et déjà, il ne nous concerne pas qu'individuellement, il nous regarde aussi collectivement. En effet, pour les mêmes raisons, ce que dit la Nécessité, quand on se place sur le terrain de la raison et non sur celui de l'imagination, c'est qu'il ne sert à rien d'immoler dix vierges sur un autel pour éviter que la plaque indienne et la plaque australienne ne passent en subduction sous la plaque de la Sonde ; il est préférable de le comprendre et de canaliser les énergies pour en éviter les conséquences catastrophiques.
4/ Mais quelle avancée philosophique, si tant est que la formulation ait un sens (je l'emploie néanmoins à dessein), trouverait-on en Spinoza s'il fallait se limiter à cette dimension fataliste de la nécessité. Car enfin, 1600 ans avant lui, Sénèque avait déjà dit, dans sa lettre 54 à Lucilius : "Le sage échappe à la nécessité en voulant ce à quoi elle le contraint".
Se limiter aux conséquences en matière de conduite personnelle que tirait alors le philosophe, ce serait en effet ignorer le volet collectif et politique de tout le propos Spinoziste que de restreindre la nécessité à la dimension naturelle, faute de quoi effectivement on reste pantois devant le phénomène Hitler.
C'est en effet oublier que, grâce à son Histoire, l'homme franchit des étapes aux termes desquelles il reclasse le Bon et le Mauvais à la lumière d'un principe vital pour lui, son organisation collective, laquelle élargit (le combat n'a de cesse de devoir être poursuivi) la possibilité d'affects de Joie pour le plus grand nombre plutôt la sauvagerie des rapports de force abandonnée à elle-même. Les sociétés humaines donc, et non la foudre tombant sur un rocher, ont fondé un système de contraintes, qui se surajoute au précédent, sans pouvoir prétendre nous dispenser de devoir le prendre en compte, système dont il nous appartient de tenir compte dans les rencontres que nous faisons et dans nos actes. De fait, si aucune loi morale naturelle ne traite de la pédophilie, et si, stricto sensu, on peut dire que Dieu n'a aucune qualification a priori de ce type de rencontre entre un adulte et un enfant, la société humaine s'en est préoccupée, et, en la rejetant, conditionne chacun dans ses choix individuels à la lumière de principes premiers qui l'en auraient écarté.
Mais on pourrait donner d'autres exemples de cet aspect historique du champ de contraintes. Jusqu'à Zola, le CO² ne présentait qu'un risque individuel, et il importait de savoir qu'il valait mieux aérer la pièce où se tenait le poêle. Aujourd'hui, le problème est devenu collectif, parce que la société a avancé en savoir et en constat, sur d'autres conséquences. C'est toujours la même nécessité qui gouverne le tout (les lois de la nature), mais, brutalement, notre champ de contraintes s'intensifie.
Bref, arrêtons ce qui deviendrait roman fleuve, contrevient à ma méthode et va nous valoir un message ironique de qui vous savez concernant la pensée sur Internet, connaître les lois qui nous gouvernent, tant naturelles de premier rang (les lois cosmiques et telluriques), que naturelles de second rang (les lois organiques de la terre), que naturelles de troisième rang (les lois comportementales de l'homme), collectivement et individuellement, et construire à partir d'elles des procès, collectifs et individuels actifs (au sens spinoziste de ce terme).
Bref, agir selon la raison, collectivement et individuellement, doit permettre à chacun, individuellement, de chercher sa voie salutaire.
Je ne doute pas, chacun l'aura compris, qu'Hitler et Auschwitz ne trouvent nulle part aucune légitimité dans ce contexte.
C'est en ce sens aussi, me semble-t-il, que Laurent Bove parle, à juste titre, d'Affirmation et de Résistance chez Spinoza.
Amicalement