Merci beaucoup pour vos réponses !
Vanleers a écrit :Je vous donne ci-dessous un texte emprunté au blog de Bruno Giuliani qui me paraît avoir un rapport avec notre discussion.
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Cette étonnante quoiqu’évidente vérité a été exprimée en son temps par Spinoza en termes assez comiques, ce qui fait d’ailleurs de ce philosophe réputé austère peut-être le plus drôle de tous les temps : « dans la mesure où je comprends pourquoi je suis triste, écrit Spinoza, je deviens joyeux. »
Savez-vous où Spinoza aurait "écrit" cela ?
Henrique a écrit :nous continuons de percevoir la mort d'un individu comme la destruction de sa vie alors que nous savons que la vie d'un être est son effort de persévérer dans son être et que cet effort est son essence
Pourriez-vous s'il vous plaît préciser cet exemple ?
Henrique a écrit :Le passage de la conscience ordinaire à la conscience "béatitfique" est d'abord une joie puisqu'il y a augmentation de la puissance de penser mais une fois installé dans la conscience de la perfection de tout ce qui est, la béatitude est permanente. Pour autant cela n'empêche pas que se maintiennent des joies et des tristesses liées à l'exercice de l'imagination. A cet égard la joie comme la tristesse sont perçus comme faisant partie de la réalité et donc de la perfection même de toutes choses. C'est un peu comme jouer un rôle dans une pièce, être balloté de part et d'autres entre divers affects, diverses variations de puissance qu'il s'agit d'incarner comme comédien et en même temps le fait d'être spectateur : ne pas être pris complètement par l'action et les affects éprouvés et ainsi pouvoir en tirer une satisfaction esthétique. La béatitude coexiste avec la joie et la tristesse mais ne s'y ramène pas.
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Ensuite, il faut effectivement envisager à mon sens la béatitude comme un état qui surplombe les affects de joie ou de tristesse ordinaires, qui relèvent de l'imagination et qui persistent tant que nous imaginons tandis que la béatitude relève de l'intellect. Donc on peut être béat et triste à la fois.
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Là où il reste pertinent de parler de joie voire de tristesse c'est quand, même parfaitement à sa place un être peut augmenter sa force physique et mentale par rapport à d'autres activités que celle de connaître son essence.
Vous ne semblez pas souscrire à l'idée d'une certaine joie comme
conscience de cette béatitude, ligne que Spinoza m'avait semblé adopter.
Comment comprenez-vous que Spinoza parle pourtant d'une joie accompagnant la connaissance du 3ème genre, apparemment de manière aussi permanente que celle-ci produit (est accompagnée de) "l'amour intellectuel de Dieu" (corollaire de la proposition 32) ?
Henrique a écrit :Ensuite, cette joie devient béatitude puisqu'il n'y a plus augmentation possible de la perfection d'une connaissance quand on saisit un étant quelconque comme expression complète de la substance et de ses attributs. Une fois que je perçois qu'une chose quelconque est parfaitement à sa place, je ne peux désirer mieux.
Votre idée d'une béatitude vue comme dépassement de flux d'affects contradictoires nous ballottant autrement à leur gré me parle particulièrement. (A titre anecdotique, je le dois pour ma part non à Spinoza et à ses exégètes excellents, mais à un compositeur dont la musique me suggère précisément cela...)
Henrique a écrit :La béatitude coexiste avec la joie et la tristesse mais ne s'y ramène pas.
En fait, demeure là toute ma difficulté :
La béatitude doit nous permettre de ne pas désirer autre chose que ce qui est, une fois compris que ce qui est ne pourrait être autrement, s'assimilant à ce titre à la perfection.
Toutefois, en tant qu'humain, je ne peux m'empêcher de regretter que telles choses soient ce qu'elles sont (ou aient été ce qu'elles ont été), aurais-je acquis une connaissance précise de leurs causes. Autrement dit, je ne me vois pas quitter cette "imagination" (faculté au demeurant si cruciale dans la construction laborieuse de nos connaissances, soit notamment de celles qui fonderont la connaissance du 3ème genre...), serait-ce pour la faire coexister avec la béatitude dont vous parlez. Or à défaut de permettre à cette dernière de triompher, je ne vois pas ce que j'aurais gagné.
S'agirait-il peut-être d'imaginer une béatitude "subjectivement" de second niveau ?
Une astuce technique :
1) Avant une quelconque béatitude, tristesse terrible ;
2) Par une béatitude de premier niveau, tristesse moindre (cette compréhension allège mon désemparement, mais je me tiens bien loin d'une béatitude placide, a fortiori joyeuse) ;
3) Par une béatitude de la béatitude précédente, je comprendrais en quoi je l'avais nécessairement rejointe (avec cette tristesse même moindre), ce qui contribuerait encore à alléger ma tristesse... ?
4) etc. ?
Quoi qu'il en soit, au regard de la visée de cette connaissance du 3ème genre, il m'apparaît important de distinguer les choses nous affectant d'emblée négativement, de celles nous laissant d'emblée indifférents, de celles encore dont l'élucidation nous apparaîtrait d'emblée comme positivement fascinante, avec une "grande béatitude" alors plus aisément atteignable, dont la joie serait associable, une fois saisie, à ladite fascination (pensée active !).
NB -
Quant à "la béatitude", à laquelle je crois plus prudent de préférer "une béatitude" vis-à-vis de ceci ou de cela, je m'interroge toujours sur sa possibilité : à défaut d'une connaissance parfaite de quoi que ce soit (qu'est-ce qui a tout à fait été élucidé ? et qui pourrait prétendre savoir tout du peu que nous savons déjà ? (*)), cette connaissance me paraît quelque part fictionnelle, car nécessairement partielle, quoique sa poursuite me paraisse constituer un puissant motivateur pour continuer de vivre.
(*) à l'échelle de l'humanité, "la béatitude" serait-elle plus concevable ?