Comment devient-on spinoziste ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 26 mars 2016, 16:38

Pourquoi viser l’acquiescentia in se ipso ?


Il faudrait savoir si on peut ne pas la viser.
Savoir donc si on peut viser l'insatisfaction.

Autrement dit est-ce que l'affirmation est contournable ?
SI je fais le mal alors que je tendais au bien c'est néanmoins le mal que j' ai affirmé.
Théoriquement et pratiquement je suis satisfait ... sinon j' aurais opté pour une autre solution.(celle du bien par exemple)

Ayant opté pour le mal je suis néanmoins dans la satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso) qui est une joie née de ce qu’un homme se contemple lui-même ainsi que sa puissance d’agir.
Quelle que soit la décision elle DOIT me satisfaire.
C'est le propre de la volition.



Maintenant il faudrait que je puisse vouloir des décisions qui ne me satisferont pas.
Ce que je ne peux pas plus VISER que des décisions qui me satisferont.

Car elle peut être l’antichambre de l’acquiescentia,

On est d'emblée dans la chambre.

Mais c'est bien de ne pas avoir conscience d' y être qui est un problème.
Parce qu'un homme qui se pense dans l'antichambre
ne se contemple pas lui-même ainsi que sa puissance d’agir.

Avatar du membre
Vanleers
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1485
Enregistré le : 22 nov. 2012, 00:00

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 26 mars 2016, 17:26

1) Ne vous focalisez pas sur « viser ». Je voulais dire « entendre » (intelligo).
Je répondais à votre remarque : « Encore faudrait-il s'entendre sur la joie. » en disant que je privilégiais l’acquiescentia in se ipso : par joie, j’entends principalement la satisfaction de soi.

2) « Antichambre », au sens où, en E V 41, Spinoza envisage le cas de celui qui ne sait pas que son esprit est éternel.
Dans l’antichambre, pour reprendre cette image, il peut éprouver la satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso) qui est une joie mais qui n’est pas la béatitude au sens où l’entend Spinoza.
On peut montrer que « acquiescentia » (sans « in se ipso ») est un autre nom de « beatitudo ». Par exemple et entre autres, dans le chapitre 4 de l’appendice d’E IV :

« […] la béatitude n’est rien d’autre que la satisfaction même de l’âme (ipsa animi acquiescentia) qui naît de la connaissance intuitive de Dieu […] »

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 26 mars 2016, 23:10

Vanleers a écrit :2) « Antichambre », au sens où, en E V 41, Spinoza envisage le cas de celui qui ne sait pas que son esprit est éternel.


Ce que je vise pour le coup, c'est le vain espoir de ce savoir à l'issu de la emième démonstration.

J 'ai plusieurs fois évoqué Krisnamurti lequel ne fait aucune démonstration.

Avatar du membre
Vanleers
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1485
Enregistré le : 22 nov. 2012, 00:00

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 27 mars 2016, 10:28

A hokousai

Comment un homme sait-il que son esprit est éternel ?

La réponse de Spinoza est claire et nette : en comprenant les démonstrations.
Il écrit en effet dans le scolie d’E V 23 :

« Et néanmoins nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels. Car l’Esprit ne sent pas moins les choses qu’il conçoit en comprenant, que celles qu’il a en mémoire. En effet les yeux de l’Esprit, par lesquels il voit et observe les choses, ce sont les démonstrations mêmes. »

Tout se tient chez Spinoza. Nous sommes face à un système, je dirai même une machine.
Filant la métaphore, j’ajouterai que l’Ethique est une mécanique plaquée sur du vivant. D’où naît chez le lecteur, explique Bergson, une douce hilaritas, signe que sa destination est atteinte (1).
Si, quand on vous dit Spinoza, vous répondez Krisnamurti, vous ne risquez pas de comprendre Spinoza.

(1) « Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l'homme n'ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n'est qu'un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l'être vivant la conservation de la vie ; il n'indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. » (L’énergie spirituelle)

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 27 mars 2016, 15:19

Spinoza a écrit :En effet les yeux de l’Esprit, par lesquels il voit et observe les choses, ce sont les démonstrations mêmes. »


Très curieux de proposer Bergson à l'appui .Puisque le rire chez Bergson c'est justement un moyen efficace pour protéger la vie contre les assauts de la mécanique
Bergson a écrit :Dans la vie courante, les hommes disposent depuis toujours d'un moyen efficace pour protéger la vie contre les assauts de la mécanique: le rire.


Quand je cherche à protéger ma vie des assauts du mécanisme vous me dites que non, que la solution est dans l'inféodisation au mécanisme.
Chacun sa voie mais ce n'est pas la voie de Bergson.

Elle(la nature ) nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie.
Tout à fait d'accord avec Bersgson mais rien ne laisse penser que chez lui le chemin parcouru (s( il en est un) est celui des n-démonstrations .

Bergson réponds en fait que:
Bergson a écrit :si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création: plus riche est la création, plus profonde est la joie.


je veux bien que la série des démonstrations de Spinoza ait été une création de Spinoza lui- même et lui ait procuré une grande joie ... mais ce n'est pas une création du lecteur.
Au minimum c'est une re -création ( sans vouloir insinuer : une récréation)

je vois par analogie que la lecture de belles parties d'échec est plaisante mais que c'est jouer une partie ( et l'avoir bien joué ) qui est une Joie.
......................................
Si, quand on vous dit Spinoza, vous répondez Krisnamurti, vous ne risquez pas de comprendre Spinoza.
Ce qu'il est bien imprudent d'affirmer quand on n'a pas compris le deuxième cité.
.......................................
Comment un homme sait-il que son esprit est éternel ?
Personnellement ce n'est pas pour moi un savoir c'est une pressentiment .
Aucune démonstration (oeil de l'esprit) n'est valable sur cette question là .
La connaissance du troisième genre n'est pas démonstrative .

Spinoza a écrit :Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières : ou bien en tant que nous les concevons avec une relation à un temps ou un lieu déterminés, ou bien en tant que nous les concevons comme contenues en Dieu et résultant de la nécessité de la nature divine. Celles que nous concevons de cette seconde façon comme vraies ou comme réelles, nous les concevons sous le caractère de l'éternité, et leurs idées enveloppent l'essence éternelle et infinie de Dieu, ainsi que nous l'avons montré dans la proposition 45, partie 2 ; voyez aussi le scolie de cette proposition.
scolie prop 29/5

Mais laissons nous aller au jeu des démonstrations

SI vous remontez les démonstrations dans l'orde indiqué par Spinoza vous aboutissez régressivement à Axiome 1
"Tout ce qui est, est ou bien en soi ou bien en autre chose.
"
Ce qui ne se démontre pas.
Et vous faites encore confiance aux "yeux de l'esprit" . :unsure:
.....................

Moi ce que je lis dans le scolie cité est que Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières : et puis c'est tout .
Il n' y a rien de rien à démontrer, c'est comme ça .
C' est purement intuitif.
je ne vois pas quelle démonstration va m'amener à les concevoir comme contenues en Dieu et résultant de la nécessité de la nature divine.

dans le scolie de la prop 48/2 qui fait partie de la régression proposée .
Spinoza a écrit :Je parle, dis-je, de l'existence même des choses singulières, en tant qu'elles sont en Dieu. Car, quoique chacune d'elles soit déterminée par une autre d'exister d'une certaine manière, la force par laquelle elle persévère dans l'être suit de l'éternelle nécessité de la nature de Dieu.


Il me faut une intuition de la FORCE par laquelle etc ... Si je n'ai pas cette intuition, l'intuition de la FORCE alors aucune démonstration ne tiendra. Elles n' auront pas de sens. Elles seront non signifiantes .

L' oeil de l'esprit c'est l'intuition, in fine.

aldo
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 485
Enregistré le : 13 janv. 2015, 11:33

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 27 mars 2016, 17:40

Ah, très bonne intervention.
Oui je sais on s'en fout de mon commentaire. Non je dis juste : où ils sont les 7 ou 12 lecteurs qui viennent se balader et lire je-ne-sais quoi ici (ou sur l'autre fil). Pourquoi n'interviennent-il pas ?
Bref et fin de parenthèse.

Très bonne intervention donc.

Avatar du membre
Vanleers
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1485
Enregistré le : 22 nov. 2012, 00:00

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 27 mars 2016, 22:15

A hokousai

1) Le mot « récréation » me va très bien car j’essaie de faire une lecture récréative d’un ouvrage où il est question, l’avez-vous remarqué ?, d’une éthique de la joie.
J’ajoute qu’avec Spinoza, et à la différence de Kant, il n’est jamais question de devoir-être et, en particulier, de devoir-être créateur, ce qui nous enlève bien des soucis inutiles.

2) L’Ethique est une bien belle machine, croyez-moi, et très commode pour vivre plus heureux. Et lorsque certaines parties de cette mécanique se grippent, on trouve facilement des experts pour vous aider à résoudre le problème.

3) Sur les axiomes de l’Ethique, en particulier sur le premier que vous citez, voyez :

http://spinozaetnous.org/wiki/Axiome

« Principe premier de la connaissance rationnelle, évident pour tous (ou du moins pour ceux qui ne souffrent pas des préjugés) composé de notions communes. Par exemple, nous percevons d'abord dans notre expérience que nombre de réalités sont en autre chose, la lymphe est dans le sang et le sang est dans le corps, le corps est dans un environnement etc., être en autre chose est alors une notion commune à tous ces corps. Nous pouvons également considérer un corps en lui-même, comme un tout, par exemple, le sang composé de lymphe et de chyle. De là, nous pouvons comprendre le premier axiome de l'Éthique : « tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose ». Ce principe est évident par lui-même et donc premier parce qu'il ne suppose pas d'autres notions que celles qu'il contient pour être compris dans sa nécessité. »

4) Puisqu’il vous faut une intuition de la force, que la force soit avec vous.

Avatar du membre
Vanleers
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1485
Enregistré le : 22 nov. 2012, 00:00

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 02 avr. 2016, 15:45

Un terme clef de l’Ethique est le verbe « amoveo » que l’on peut traduire par lever, éloigner, détourner, écarter, bannir.
Spinoza l’emploie 20 fois dans l’Ethique, la dernière dans la proposition E V 2 où il démontre que, pour réprimer et maîtriser les passions, il est nécessaire d’éloigner une émotion de l’âme de la pensée d’une cause extérieure.
Les occurrences d’« amoveo » sont les suivantes (traduction Pautrat) :
I app. écarter les préjugés
II 49 sc. du cor. lever tout scrupule
III 13 sc. éloigner et détruire la chose qu’il a en haine
III 28 et dém. éloigner et détruire ce qui contribue à la tristesse
III 37 dém. (3 fois) éloigner la tristesse
III 39 dém. éloigner et détruire quelqu’un en haine
III 44 dém. et sc. éloigner la tristesse
III 50 sc. éloigner les obstacles et causes de crainte
III 51 sc. éloigner les choses que l’homme croit faire pour la tristesse
III 55 sc. éloigner la tristesse
III 55 sc. lever un dernier scrupule
III déf. aff. 42 expl. (2 fois) éloigner le mal
IV 35 dém. éloigner ce qu’il juge être un mal
IV 73 sc. écarter les obstacles à la connaissance vraie
V 2 éloigner une émotion de l’âme de la pensée d’une cause extérieure

Dans la majorité des occurrences, amoveo a un sens très fort et « éloigner » est même associé à « détruire » 3 fois.
Ceci souligne l’importance d’E V 2 : pour qu’une passion ne nous fasse plus souffrir et ne nous empêche pas de penser, il est indispensable de l’éloigner (de l’écarter, de la séparer) de l’idée d’une cause extérieure, que cette cause soit réelle ou imaginée.

Au passage, rappelons une citation de Bruno Giuliani, déjà donnée, sur la nécessité de se tenir éloigné (« amoveo » ?) des querelles intellectuelles :

« La révolution spinozienne est autrement plus puissante : dissolvant les conflits entre les chapelles philosophiques, l’Ethique propose de rejoindre le seul « isme » qui ne soit pas une idéologie : le réalisme. Elle nous invite à une seule joie : comprendre le réel par la science et faire de son mieux par l’éthique pour favoriser le bonheur de tous au sein d’un amour infini. Et cela implique de s’éloigner comme Spinoza de toute querelle intellectuelle pour ne se consacrer qu’à un seul art : la recherche de la sagesse par la méditation de la vie. » (op. cit. pp. 23-24) »

Avatar du membre
Vanleers
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1485
Enregistré le : 22 nov. 2012, 00:00

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 05 avr. 2016, 16:19

Eloigner (amoveo) une émotion de l’âme, par exemple une haine, de la pensée d’une cause extérieure (cf. E V 2), c’est transformer cette haine en une tristesse simple car « La haine est une tristesse qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure » – E III déf. aff. 7.
Cette tristesse ne pourra être réduite, voire supprimée que par un affect contraire, une joie (E IV 7). Où trouver cette joie ?
Séparer une haine de la pensée d’une cause extérieure, c’est, en fait, opérer un retour à soi en faisant abstraction d’une supposée cause extérieure, réelle ou imaginée. Or, de la considération de soi, naît automatiquement une joie car :

« Quand l’Esprit se contemple lui-même, ainsi que sa puissance d’agir, il est joyeux, et d’autant plus qu’il s’imagine plus distinctement lui-même ainsi que sa puissance d’agir. » (E III 53)

Cette joie, Spinoza l’appelle « satisfaction de soi » (acquiescentia in se ipso – cf. E III déf. aff. 25 –).
C’est la satisfaction de soi qui, si elle est assez forte, supplantera les affects de haine réduits au préalable à des affects de tristesse simple par application de E V 2.
Voyons cela plus précisément.
La proposition E III 53 précitée démontre que cette joie sera d’autant plus forte que l’esprit « s’imagine plus distinctement lui-même ainsi que sa puissance d’agir. ». Autrement dit, cette joie sera d’autant plus forte que l’imagination sera davantage rationalisée.
La partie IV de l’Ethique envisagera même le cas où la satisfaction de soi ne résulte pas de l’imagination mais de la raison et montrera que c’est la plus haute qu’il puisse y avoir (E IV 52).
E V 15 se fondera sur E III 53 pour montrer comment naît l’amour envers Dieu : satisfaction de soi, c’est-à-dire joie, qu’accompagne l’idée de Dieu.
Mais, déjà en E III 58, Spinoza, en se référant à E III 53, montre qu’il existe des affects actifs, et non plus passifs – des passions – de joie et de désir.
Il distingue, dans le scolie d’E III 59, deux désirs actifs : la fermeté (animositas) et la générosité (generositas). Or :

« Le Désir est l’essence même de l’homme en tant qu’on la conçoit déterminée par suite d’une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose » (E III déf. aff. 1)

Dès lors nous pouvons conclure : éloigner un affect de la pensée d’une cause extérieure, c’est opérer un retour à soi d’où naît une satisfaction de soi, c’est-à-dire une joie qui détermine un double désir de fermeté et de générosité qui s’oppose à l’affect subi et pourra même le supprimer s’il est assez fort.

Avatar du membre
Vanleers
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1485
Enregistré le : 22 nov. 2012, 00:00

Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 07 avr. 2016, 16:04

La proposition E V 2 énonce qu’en éloignant une émotion de l’âme de la pensée d’une cause extérieure et en joignant d’autres pensées à cette émotion, l’amour ou la haine à l’égard de cette cause extérieure, ainsi que les flottements d’âme qui naissent de ces affects, seront détruits.
Quelles sont ces « autres pensées » qui doivent être jointes à l’émotion de l’âme ?
La proposition E V 15 répond, au moins partiellement à cette question.
Rappelons d’abord que séparer un affect de sa supposée cause extérieure, réelle ou imaginée, revient à opérer un retour à soi d’où naît une joie : la satisfaction de soi, ce qu’a démontré E III 53.
Spinoza se réfère à cette même proposition E III 53 dans la démonstration d’E V 15. En joignant à cette joie l’idée de Dieu, ce qui est toujours possible comme l’a démontré E V 14, l’homme aime Dieu.
En effet, l’homme qui joint la satisfaction de soi à l’idée de Dieu considère nécessairement que Dieu est la cause extérieure de sa joie comme le montre la référence à E I 15 dans la démonstration d’E V 14 :

« Tout ce qui est, est en Dieu, et rien sans Dieu ne peut ni être ni être conçu »

Dès lors, la satisfaction de soi qu’accompagne l’idée de Dieu comme sa cause extérieure est, par définition (E III déf. aff. 6), l’amour de Dieu.
Spinoza précisera dans la proposition suivante (E V 16) qu’il s’agit d’un amour envers Dieu (amor erga Deum) car Dieu y est encore considéré comme cause extérieure et non comme cause immanente, ce qui sera le cas plus tard avec l’amor intellectualis Dei qui ne se fondera plus sur l’imagination mais uniquement sur l’intellect.
Pierre Macherey apporte un commentaire concret à cette proposition E V 15 :

« […] l’âme qui associe tout ce qui lui arrive à l’idée de Dieu, dans le sens d’une acceptation raisonnée de ces événements auxquels elle reconnaît une signification, du moment qu’elle les représente comme nécessaires, est joyeuse, et ceci de plus en plus : le fait de se mettre au clair avec elle-même, et d’y voir aussi plus clair en ce qui concerne les événements extérieurs, loin de la laisser indifférente, lui procure une satisfaction grandissante, qui coïncide avec le développement de sa propre activité. » (Introduction… V p. 89)

Autrement dit, en E V 2, c’est la pensée de Dieu qui, en priorité, doit se substituer à la pensée d’une cause extérieure singulière.


Retourner vers « Spinozisme pratique »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 4 invités