Comment devient-on spinoziste ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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hokousai
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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 17 févr. 2016, 15:42

Vanleers a écrit :La présence dont vous parlez n’est, à mon avis, que le sentiment que votre corps existe et cela semble vous suffire.

Disons que c'est la condition sine qua non du reste.
Le sentiment du libre arbitre découle bien de l'affirmation de la présence à soi-même.
Ce que dit Spinoza
pour la seule raison qu’ils sont conscients de leurs actions



Quant à
ignorants des causes par quoi elles sont déterminées
Peut-être mais de l'ignorance je ne tire rien . A tout le moins QUE du spéculatif sur les causes .
Si de plus comme je le pense le concept de causalité efficiente est lui une illusion, je veux bien spéculer mais avec toutes les réserves possibles sur la réalité de ces enchainements de causes supposées.

Le meilleur sur cette question des causes cachées, ce qui y répond le mieux c'est la science ... en fait.
Parce que le domaine des causes efficientes est le sien, c'est le domaine qu'elle s'est construit.
Donc la science laquelle n'est pas ramenable expressément à la connaissance du second genre de Spinoza.
La psychologie comme science. Nolens volens c' est une science.
La phénoménologie a voulu se distinguer de la psychologie sans trop y réussir,elle prétendait aussi à être scientifique. On n'en sort pas.(observer et spéculer sur les causes )
Même chez Spinoza, sa théorie des affects part de l'observation empirique et il analyse ...il fait de la psycho analyse autant qu'il le peut.
...............................................
Spinoza ne résoud pas l'antinomie entre la finitude de l'existence des choses et l 'éternité.
Il ne la résoud que pour une partie de moi même qui est l'esprit.
Ce qui est (de mon point de vue) dualiste et restrictif et bien évidemment insuffisant . La Nature y est clivée entre une partie matérielle ( étendue corporelle ) qui tombe dans le néant et une partie spirituelle qui elle est éternelle.
Et cela ne me convient pas.

Il ne semble que vous ne compreniez pas mon idée de l'éternité . Je ne peux exclure par perte et profit, la partie dite matérielle de la nature. Je ne peux l' exclure de l'éternité.
Parce que je ne suis pas dualiste.

Je suis comme Berkeley l'est immatérialiste/ moniste, pas idéaliste mais moniste.
Tout ce qui est percevant et perçu existe éternellement.
Rien ne tombe dans le néant.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 18 févr. 2016, 00:19

sur le libre arbitre c'est dans les pensées métaphysique ( à la toute fin ) que Spinoza s'exprime le plus clairement

Spinoza a écrit :Mais je réponds par cette argumentation : si l’âme, par elle-même et de sa nature, était seulement déterminée à affirmer (encore que cela soit impossible à concevoir aussi longtemps que nous pensons l’âme comme une chose pensante), alors par sa seule nature elle pourrait seulement affirmer, mais non jamais nier, quand bien même on y adjoindrait des causes en nombre quelconque. Si, par contre, elle n’est déterminée ni à affirmer ni à nier, elle ne pourra faire ni l’un ni l’autre. Si enfin elle a le pouvoir de faire les deux, et nous venons de montrer qu’elle l’a, elle pourra, par sa seule nature et sans l’aide d’aucune cause, faire l’un et l’autre ;

IL y a bien possibilité d un choix: affirmer ou nier.
sans l’aide d’aucune cause

Spinoza a écrit :Voilà donc comme je réponds à l’argument et, pour commencer, à la majeure : Si par volonté vous entendez une chose dépouillée de toute pensée, nous accordons que la volonté est indéterminée de sa nature. Mais nous nions que la volonté soit quelque chose qui soit dépouillé de toute pensée et nous affirmons au contraire qu’elle est pensée, c’est-à-dire puissance d’affirmer et de nier ; par quoi l’on ne peut entendre autre chose que cause suffisante pour l’un comme pour l’autre.


Je ne comprends pas l'acharnement de la plupart des "spinozistes" contre le libre arbitre .


Spinoza a écrit :Ils avaient accoutumé en effet d’appeler indéterminés, parce qu’ils sont en équilibre, ces corps qui sont poussés dans des directions opposées par des causes extérieures également fortes et exactement contraires. Admettant donc l’indétermination de la volonté ils semblent qu’ils veuillent la concevoir comme un corps placé en équilibre ; et, parce que ces corps sollicités par des causes extérieures n’ont rien que ce qu’ils ont reçu d’elles (d’où suit qu’ils doivent toujours être déterminés par une cause extérieure), ils ont cru que la même chose devait arriver dans la volonté. Mais nous avons suffisamment expliqué ce qui en est et nous nous arrêterons ici.

La volonté chez Spinoza n'est pas expliquée comme et par la mécanique des corps extérieurs.
Spinoza distingue le monde de la pensée de celui des corps matériels. On est renvoyé au fonctionnement ( si l'on peut parler d 'un fonctionnement) de la pensée.

Il faut alors s interroger sérieusement sur ce commet une pensée s s'apparait à elle même, comme phénomène et ne pas l'aligner sur des processus de la physique .

La question n'est plus celle du libre- arbitre dont la négation est jetée comme un anathème.

Dire que "l' homme n'a pas de libre- arbitre" est comminatoire et plus qu'explicatif de quoi que ce soit.
Pour moi l'anathème est tétanisant et entrave ma puissance d'agir.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 18 févr. 2016, 03:10

hokousai a écrit :
Vanleers a écrit :ignorants des causes par quoi elles sont déterminées
Peut-être mais de l'ignorance je ne tire rien . A tout le moins QUE du spéculatif sur les causes.
(...)
Spinoza ne résoud pas l'antinomie entre la finitude de l'existence des choses et l 'éternité.
Il ne la résoud que pour une partie de moi même qui est l'esprit.
Ce qui est (de mon point de vue) dualiste et restrictif et bien évidemment insuffisant . La Nature y est clivée entre une partie matérielle ( étendue corporelle ) qui tombe dans le néant et une partie spirituelle qui elle est éternelle.
Et cela ne me convient pas.

Il ne semble que vous ne compreniez pas mon idée de l'éternité . Je ne peux exclure par perte et profit, la partie dite matérielle de la nature. Je ne peux l' exclure de l'éternité.
Parce que je ne suis pas dualiste.

Je suis comme Berkeley l'est immatérialiste/ moniste, pas idéaliste mais moniste.
Tout ce qui est percevant et perçu existe éternellement.
Rien ne tombe dans le néant
.

Admettons. Mais que perçois-tu lors d'un choix ?
Est-ce que tu ne perçois pas aussi le néant de ce que tu ne vois pas des conséquences (comme des causes) ?
Un néant qui n'en est un qu'au vu de ta conscience (et auquel tu es confronté au moment du choix).
Où il est ce néant de l'esprit, de l'esprit soi-disant éternel ?
Que pèse-t-il face au "spéculatif" dont tu dis ne rien tirer ? Ne pèse-t-il pas exactement le même poids ?

Sinon je me demande bien ce que ça veut dire, "être moniste" (ou dualiste).
Il y a une perception duelle et une présence moniste.
La dualité s'incarne dans la présence comme on s'exprime à travers le dualisme.
...

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 18 févr. 2016, 11:56

A hokousai

1) Vous écrivez :

« Il semble que vous ne compreniez pas mon idée de l'éternité. Je ne peux exclure par perte et profit, la partie dite matérielle de la nature. Je ne peux l'exclure de l'éternité. »

Vous ne donnez pas de définition de l’éternité. Je m’en tiens à celle de Spinoza en E I déf. 8. Avec cette définition, Spinoza démontre un certain nombre de choses dont, notamment :

« Qui a un Corps apte à un très grand nombre de choses a un Esprit dont la plus grande part est éternelle. » (E V 39)

La question de l’éternité des modes est complexe et demanderait de longs développements.

2) A propos du libre arbitre, vous donnez des citations d’une œuvre de jeunesse de Spinoza. Je ne chercherai pas à les analyser ici mais, en concédant que sa pensée a peut-être évolué, je me référerai à l’Ethique, qui donne l’état de sa pensée la plus aboutie.
La question du libre arbitre est examinée en E II 48 et 49. E II 48 démontre :

« Dans l’Esprit nulle volonté n’est absolue, autrement dit libre ; mais l’Esprit est déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause, qui elle aussi est déterminée par une autre, et celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l’infini. »

La démonstration se réfère à E I 28 dont nous avons déjà parlé, pour voir que le « et ainsi à l’infini » était une antinomie résolue :

« L’Esprit est une manière de penser précise et déterminée (par E II 11), et par suite (par E I 17 cor. 2) il ne peut être cause libre de ses actions, autrement dit, il ne peut avoir la faculté absolue de vouloir et de ne pas vouloir ; mais il est (par E I 28) nécessairement déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause, qui elle aussi est déterminée par une autre, et celle-ci à son tour par une autre, etc. »

Dans le scolie d’E II 49, Spinoza examine quatre objections. Voyons la quatrième :

« On peut quatrièmement objecter que si l’homme n’opère pas par la liberté de la volonté, qu’arrivera-t-il donc s’il est en équilibre, comme l’ânesse de Buridan ? Mourra-t-il de faim et de soif ? Que si je l’accorde, j’aurai l’air de concevoir une ânesse ou une statue d’homme, non un homme ; et si je le nie, c’est donc qu’il se déterminera lui-même, et par conséquent c’est qu’il a la faculté d’aller et de faire tout ce qu’il veut. »

Et voici la réponse :

« Pour ce qui touche enfin à la quatrième objection, je dis que j’accorde tout à fait qu’un homme placé dans un tel équilibre (à savoir, qu’il ne perçoit rien d’autre que la soif et la faim, tel aliment et telle boisson à égale distance de lui) mourra de faim et de soif. Si l’on me demande : ne faut-il pas tenir un tel homme pour un âne plutôt que pour un homme ? Je dis que je ne sais pas, pas plus que je ne sais à combien estimer celui qui se fait pendu, ni à combien estimer les enfants, les sots, les fous, etc. »

Il n’est donc pas question d’anathème mais de logique et de cohérence du système.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 18 févr. 2016, 14:39

à Vanleers

Spinoza a écrit :Définition 8
Par éternité, j'entends l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue comme résultant nécessairement de la seule définition de la chose éternelle.
Explication : Une telle existence en effet, à titre de vérité éternelle, est conçue comme l'essence même de la chose que l'on considère, et par conséquent elle ne peut être expliquée par rapport à la durée ou au temps, bien que la durée se conçoive comme n'ayant ni commencement ni fin.

Ce qui me convient ( si vous voulez que je vous donne une défintion ce ne sera pas très éloigné)
L' existence de la chose ne peut être expliquée par rapport au temps (ni à la durée ) C' est ce que je vous dis antérieurement.

ce qui ne permet pas de démontrer expressément que
« Qui a un Corps apte à un très grand nombre de choses a un Esprit dont la plus grande part est éternelle. » (E V 39)


Il y a là un dualisme corps/ esprit et seule la partie spirituelle est essence même de la chose .
Spinoza est beaucoup plus idéaliste que je ne le suis.
.................

Vanleers a écrit :vous donnez des citations d’une œuvre de jeunesse de Spinoza.


Les principes de la philosophie de Descartes publié à Amsterdam en 1663,Les Pensées Métaphysiques (en latin Cogitata Metaphysica) sont une œuvre de Spinoza rédigée en latin en 1663 (probablement)

J' aime bien ce que le jeune Spinoza dit (sur la volition) dans les pensées métaphysiques
je le trouve très inspiré
et moins parfois par la suite.

Aucun spinoziste ne se prive de citer le TRE ...(écrit inachevé entre 1665 et 1670)
Tout autant Oeuvre de jeunesse mais qui a elle meilleure presse .

L'Éthique est rédigée en latin entre 1661 et 1675
Bon on est pas très certain des dates de rédaction de l Ethique .
Admettons que la première partie soit rédigée vers 1662 ou aux environs de .... on n n'est pas très éloignée de la date de rédaction des pensées métaphysiques .

Je n'insiste pas la question est très bien posée par Chantal Jaquet
ICI
http://www.youscribe.com/catalogue/tous/savoirs/philosophie/les-pensees-metaphysiques-de-spinoza-2538527

.......................

Il n’est donc pas question d’anathème mais de logique et de cohérence du système.
Le système est problématique.
Je dirais que la suite des causes tient ...mais dans le vide.
.......................

Ce que dit Spinoza est:

mais je nie que notre volonté soit plus étendue que nos perceptions ou notre faculté de concevoir, et je ne vois point du tout pourquoi l'on dirait de la faculté de concevoir qu'elle est infinie plutôt qu'on ne le dit de la faculté de sentir ;

c' est évident (pour moi) .

Ma réponse à la seconde objection, c'est que je nie que nous ayons le libre pouvoir de suspendre notre jugement.

Ce qui signifie que nous sommes obligé de choisir.

à la troisième objection
Enfin, je nie absolument que nous ayons besoin d'une puissance de penser égale, pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, et pour affirmer que ce qui est faux est vrai ; car ces deux affirmations, si vous les rapportez à l'âme, ont le même rapport l'une avec l'autre que l'être avec le non être,

Ce qui renvoie à une puissance subjective de penser.

Vous pouvez réintégrer cela dans un univers infini de causes, certes ...mais il reste un sujet qui a une puissance finie de penser et de sentir et qui ayant l'obligation de choisir ( ou d' opter ),opte.
Ce sujet est libre .
Au sens où il a une autonomie .
Il n'est pas l' effet passif des causes extérieures.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 18 févr. 2016, 15:01

Hum... on dirait que ce qui est pris pour la négation du libre-arbitre pourrait juste être l'expression (avant l'heure freudienne) d'une affirmation de l'inconscient.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 18 févr. 2016, 15:58

A hokousai

1) Sur l’éternité

Vous écriviez qu’il vous semblait que je ne comprenais pas votre idée de l’éternité.
Vous dites maintenant que la définition de l’éternité selon Spinoza vous convient et que si vous aviez à donner une définition, ce ne serait pas très éloigné.
Voulez-vous dire qu’il vous semble que je ne comprends pas l’idée de l’éternité selon Spinoza ? Dans ce cas, il faudrait argumenter et ne pas vous contenter d’une affirmation purement gratuite.

Vous écrivez ensuite que Spinoza ne démontre pas E V 39. Ici encore, c’est une affirmation sans preuve donc nulle et non avenue.

2) Sur le libre arbitre

Spinoza démontre l’impossibilité du libre arbitre par E II 48.
Ou bien vous montrez que cette démonstration est fausse, ou bien vous reconnaissez que l’homme n’est pas libre au sens qu’il n’a pas de libre arbitre, ou bien vous sortez du spinozisme.
En vérité, je pense que vous en êtes sorti depuis longtemps et même que vous n’y êtes jamais entré totalement car vous cherchez à concilier le système de Spinoza avec d’autres approches philosophiques. C’est bien entendu votre droit mais ce serait bien de le reconnaître clairement.

Pour reprendre votre expression, tout homme « a une puissance finie de penser et de sentir et qui ayant l'obligation de choisir (ou d'opter), opte ».
C’est une évidence mais ce que démontre Spinoza, c’est que ce choix n’est jamais libre (au sens du libre arbitre).

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 18 févr. 2016, 17:27

A toutes fins utiles, je donne, à nouveau, un extrait de la présentation, par Pierre Macherey, du livre de Pascal Sévérac « Le devenir actif chez Spinoza » que l’on trouve en :

http://stl.recherche.univ-lille3.fr/sem ... cipal.html

Cet extrait nous montre ce qu’il faut entendre par devenir ou être libre dans un cadre spinoziste où le libre arbitre est exclu.

« Sous une forme très simplifiée, le problème éthique peut donc être posé de la façon suivante : comment devenir libre, alors que tout paraît devoir s’y opposer, et que l’idée même du devenir est un produit, non de la raison, mais de l’imagination, qui, à la fois, espère et craint le changement dans un monde tellement massifié par la soumission à des lois, à ses propres lois, que par définition rien n’y bouge ? La réponse que propose Spinoza à cette question est on ne peut plus paradoxale, et étonnante de la part d’un penseur de l’époque classique, ce qui justifie qu’il ait été par la suite considéré comme un moderne, très en avance sur son temps : elle consiste à dire que, devenir libres, sans aucun doute nous le pouvons, tout simplement parce que nous le sommes déjà de toute éternité, hors de toute considération temporelle, sans toutefois nous en rendre compte, sinon sous la forme confuse d’une aspiration inassouvie, donc sans parvenir à tirer toutes les conséquences de cette situation effective, que cette incapacité à en percevoir les tenants et les aboutissants due à l’ignorance convertit en son contraire, c’est-à-dire en cause de servitude. Sur ce point, s’applique à plein la fameuse formule du Zarathoustra de Nietzsche : « Deviens ce que tu es ! ». C’est-à-dire que le secret de la libération consiste à exploiter des virtualités que le réel, bien loin d’en constituer l’émanation, projette en avant de lui, restant cependant à restituer toute leur plénitude à ces virtualités on ne peut plus réelles ou inscrites dans la réalité, ce qui est précisément le programme imparti à un devenir actif.
Pascal Sévérac explique en conséquence, et c’est sans doute ce qui constitue le thème directeur de sa réflexion, que ce devenir s’effectue dans la forme de la persévérance, sur le modèle d’un retour aux sources et non d’une transformation ou d’un changement de nature. Pour le comprendre, il faut s’extraire d’une logique de l’altérité, au sens d’une altérité vécue comme contrainte, ou comme un rapport en extériorité, du type de celui qui lie entre elles les choses finies (E I proposition 28), et s’efforcer de penser selon une logique intégrée de la communauté, qui rend compte, sub specie aeternitatis, de la relation que chaque être fini entretient, en tant que mode, avec Dieu qui est cause en dernière instance à la fois de son essence et de son existence. A travers cette communauté se donne à concevoir une toute nouvelle figure de l’altérité, altérité intériorisée n’impliquant nulle contrainte : pour un mode fini, qui « est en autre chose » (in alio est, E I définition 5), parce que son existence ne se conclut pas directement de son essence, ce qui est seulement le cas de la substance, cet Autre en lequel il est, et par lequel il est conçu, Dieu ou la Nature, ne se présente pas vis-à-vis de lui comme une réalité surplombante avec laquelle il entretiendrait un rapport de forces et pourrait entrer en conflit, comme c’est le cas des autres choses finies dont le réseau le conditionne à la fois en tant que cause et en tant qu’effet, ce qui a pour conséquence qu’il n’agit dans le cadre propre à ce réseau que parce qu’il est déterminé à le faire ; mais il représente la puissance à laquelle, sans avoir à entrer avec elle dans une relation d’échange, il participe intimement : elle lui communique l’élan qui le pousse à persévérer dans son être, la part de l’infini divin qui est tout au fond de lui, comme une source d’activité qui ne peut tarir, dans laquelle il lui faut replonger pour se relancer dans le sens du passage à une perfection plus grande, dont l’autre nom est l’amour de Dieu, au sens, non de l’amour qu’on porterait à Dieu comme à un être extérieur et transcendant, mais de l’amour qui vient de Dieu, amour que Dieu se porte à soi-même en nous ; car si nous ne sommes pas Dieu, en raison de notre condition d’êtres finis, nous n’en sommes pas moins de Dieu, c’est-à-dire à la fois produits par lui et produits en lui, n’y ayant rien qui puisse être extérieur à sa nature. Ceci constitue le thème central d’une philosophie de l’immanence, au point de vue de laquelle la liberté est en conséquence l’élément naturel dans lequel nous vivons, au sens où l’eau est l’élément dans lequel vivent les poissons, et non un objectif lointain, un possible abstrait dont nous serions séparés par les obstacles que lui oppose concrètement la nature des choses qui tendrait en permanence à nous ramener au statut d’êtres contraints, que leur finitude condamne à la passivité.
C’est pourquoi le problème éthique doit être posé dans les termes de l’activité et de la passivité, qui constituent ses enjeux véritables. Etre libre, c’est être actif, en exploitant au maximum la disposition à agir, la « vertu » (virtus, en un sens voisin de la virtù machiavélienne) qui résulte de la participation à la puissance infinie de Dieu. Or celle-ci doit elle-même être comprise comme une puissance agissante, produisant tous les effets qu’il est dans sa nature de produire, et ceci sans résidu, donc sans que puisse s’instaurer aucune distance entre le possible et le réel, qui est tout ce qu’il peut être, c’est-à-dire parfait. Pour nous, être actifs, c’est adhérer autant que nous en sommes capables, corporellement et mentalement, à cette activité fondamentale dans la dynamique de laquelle nous sommes de toute façon engagés. Et en conséquence, être passifs, c’est-à-dire soumis à une contrainte, c’est encore prendre part à cette activité, mais au minimum de ce à quoi elle nous dispose, par exemple en menant une existence de somnambules, qui accomplissent des gestes qu’ils ne maîtrisent pas, et qui n’ont pas pleinement conscience de ce qu’ils font.
Qu’est-ce qui décide alors du sens dans lequel s’oriente notre vie, en l’inclinant soit du côté de l’activité soit de celui de la passivité, qui est une activité minimale et non le contraire absolu ou l’absence totale d’activité, qui serait la mort ? Etre actif, avons-nous dit, c’est entrer dans l’amour de Dieu en participant à son élan : or cet amour, comme son nom l’indique, présente une composante affective, par laquelle ses impulsions s’inscrivent nécessairement au plus profond de notre être ; mais il est aussi, condition suffisante de son efficacité, un amour intellectuel, qui entraîne la raison en même temps qu’il est entraîné par elle, ce qui permet à l’être qui y est en proie d’adhérer pleinement à son propre concept en exploitant toutes les virtualités données réellement dans sa nature. Spinoza développe par ailleurs, dans la troisième partie de l’Ethique, une conception tout à fait originale de l’amour, très différente en particulier de celle de Descartes : celui-ci n’est pas, selon lui, un désir, par lequel nous tendrions à nous approprier quelque chose que nous n’avons pas ; mais il est une joie, à travers laquelle nous exprimons notre propre puissance d’être en conférant à cette expression son degré maximal. C’est pourquoi ce que nous aimons, nous l’aimons toujours en nous-mêmes, en tant qu’il représente notre puissance d’être et d’agir, qui est notre propriété la plus proche et la plus incontestable : et en conséquence, comme nous l’avons dit, aimer Dieu corps et âme, c’est aimer Dieu en nous, ou encore aimer Dieu qui lui-même s’aime en nous, en jouissant de la plénitude de son être, qu’il possède en totalité, au sens où précisément on jouit de ce qu’on possède. Etre libre, c’est jouir et se réjouir de sa propre nature, en en éprouvant sans retenue, sans rien en distraire, la dimension active, qui vient de Dieu et témoigne de la présence indéfectible du divin tout au fond de nous, présence que nous ressentons de façon plus ou moins claire, selon le degré auquel « nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels » (sentimus experimurque nos aeternos esse, E V, scolie de la proposition 23). »

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 18 févr. 2016, 22:46

Sur le texte de Macherey.
Les conditions de servitudes (extérieures) ne sont pas du tout à négliger.
Disons la liberté versus la servitude de l'esclavage. Mais Macherey traite en fait d'autre chose.

C'est un texte de Macherey et sur un texte de Sévérac. Textes orientés vers la communauté .
Il y a certainement un clivage fort entre un spinozisme orienté vers la communauté et un spinozisme orienté vers l'individu.
Ce texte manque un peu de concision.


.................

Quand vous m' écrivez ceci
Pour reprendre votre expression, tout homme « a une puissance finie de penser et de sentir et qui ayant l'obligation de choisir (ou d'opter), opte ».
C’est une évidence mais ce que démontre Spinoza, c’est que ce choix n’est jamais libre (au sens du libre arbitre).


Je vous demande quel est le sens pour vous de libre arbitre ?

Pour moi le choix est conditionné en ce que: nous n'avons pas une puissance de penser égale, pour affirmer etc... je suis moins libre si je ne suis qu' à moitié conscient que quand je suis clairement conscient.

Quelle que soit la puissance (faible ou forte) nous l' avons. Nous sommes conscient( plus ou moins ) quand nous devons décider.
C' est cette puissance qui est la liberté.
Nous avons la liberté et nous arbitrons entre des choix. C'est le libre arbitre (enfin moi c'est ainsi que je l'entends)

what else. :?:
............................................

Dans l' état de somnambulisme, ou sous hypnose, dans l'état d'activité réflexe, d'activités automatiques ou machinale, dans le rêve ... je ne parlerai pas de liberté. Je n'en parle que dans les états où je me sens libre (quand je me sais libre).
C'est une question de jugement porté .Ce n'est pas une question de réalité objective.

Vous vous spéculez sur une réalité objective de la liberté (ou plutôt une non réalité objective) ou que sais- de déterminisme qui ne me tombe pas sous les yeux .
Alors que la liberté a une réalité subjective.

Vous ne traitez pas du sujet au bon endroit.
Nous ne sommes pas du tout embarqué dans le même bateau .
.............................................

Voulez-vous dire qu’il vous semble que je ne comprends pas l’idée de l’éternité selon Spinoza ?
Je ne m'aventure pas sur ce que vous pensez de l'éternité.
A peine et avec peine sur ce que Spinoza en pensait.
J' essaie principalement de comprendre l' idée d'éternité selon moi même.

Effectivement, entrer dans un système ... ce n'est pas ma tasse de thé.

Maintenant si vous voulez poser en statue du commandeur ...libre à vous.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 18 févr. 2016, 23:43

Lors d'un choix problématique, puisqu'aucune synthèse ne semble émerger, les facultés sont obligées d'aller plus loin que la récognition, de se confronter à l'idée qu'elles doivent aller plus loin. Or le dépassement de chaque faculté qui aurait quelque chose à dire (pour faire avancer les choses) est supposé aboutir à une synthèse de type "idée claire" qui n'adviendra jamais ou presque. Alors il faut choisir.
Et qu'est-ce qui intervient, quel libre-arbitre ?
Plus chaque faculté avance vers un hypothétique point de vue, plus le rapport de force entre elles s'installe car plus elles divergent entre elles (sinon on arriverait à une synthèse qui résoudrait le problème). On se retrouve de fait dans le même type de cas de figure qu'avec une pensée "forcée", le temps en moins. Il faut donc choisir quel agencement semble le plus performant, mais pas forcément en terme de solution au problème d'origine, puisqu'effectivement le problème fait qu'on maîtrise encore moins que d'habitude les effets de nos actes (dont on maîtrise déjà rarement les conséquences)
Alors, si rien ne semble émerger, on n'a plus qu'à choisir en fonction d'autre chose que d'une pure compréhension, de ce qui, pour nous et nous seuls semble avoir une chance de faire au mieux, et là n'est-on pas en pleines statistiques ? (ou encore le choix devient une affaire entre statistiques et par exemple bonne conscience, quelque chose du genre).
Mais alors quel rapport avec les données du problème, avec le libre-arbitre ? Quel sujet face à quel problème puisque le problème a changé de nature... et donc les termes du choix ?

Aussi le libre-arbitre ne me semble intervenir que dans l'intention.
Modifié en dernier par aldo le 19 févr. 2016, 10:48, modifié 9 fois.


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