La question y était: y a-t-il un bien absolu chez Spinoza ou non, et comment définir la notion d'absolu?
Positions de départ: pour aldum et Sescho il y a un bien absolu chez Spinoza, pour moi pas.
aldum a écrit :nous sommes d'accord lorsque vous dites qu'il n'y a pas de valeur dans les choses mêmes, mais qu'elle ne dépend que des jugements que nous portons sur elles;
si l'on s'en tient à la définition aristotélicienne d'un "relatif", cela signifie qu'il n'y a pas de "bien absolu" chez Spinoza.
aldum a écrit : mais si on admet, comme il m'a semblé que vous le souteniez, que l'idée d'un bien absolu, ou faut-il mieux dire « suprême » -tel qu'il ne peut en être conçu de plus grand- n'existe pas chez Spinoza, alors comment décider d'avoir à rechercher quoi que ce soit, sauf à ravaler la démarche éthique de Spinoza au rang d'un hédonisme ordinaire, ce qui n'est clairement pas l'objectif affiché, notamment au tout début du TRE ?
ce que j'ai essayé de dire, c'est que la notion d'un summum, qu'on peut traduire par "suprême" ou "souverain", et qui signifie plus litéralement "le plus haut" ou "le plus grand", ne correspond pas à l'idée aristotélicienne d'un absolu. C'est pourquoi on ne peut pas dire que le "bien suprême" est un "bien absolu".
C'est cela aussi qu'on veut dire lorsqu'on dit qu'il n'y a pas de bien ou de mal absolus chez Spinoza. Car "le plus haut" désigne le dernier élément d'une série. Or, comme l'explique Aristote, cette notion caractérise un rapport entre cet élément et les autres éléments de la série, et non pas quelque chose que la chose dite "la plus haute" contiendrait "en soi", dans son essence. Ce que Spinoza dit dans la préface de l'E4, c'est exactement la même chose: le bien et le mal sont des relatifs, non pas des absolus, puisqu'aucune chose n'est bonne ou mauvaise en soi, elle n'est bonne ou mauvaise que selon le jugement que l'on porte sur elle, comme vous le dites.
Donc: il n'y a pas de bien absolu chez Spinoza, mais il y a très clairement un bien suprême ou souverain chez Spinoza. Les deux termes ("absolu", "suprême") ne signifient pas la même chose - du moins pas d'habitude, dans la tradition philosophique. Mais on peut bien sûr décider de ne pas suivre l'usage habituel des termes, ou simplement l'ignorer. Et alors on obtient ce que vous dites ici et ce que Sescho disait plus haut: on décide alors d'utiliser le mot "absolu" uniquement au sens de "suprême", et dans ce cas l'absolu ne s'oppose plus au relatif, l'élément absolu s'oppose à tous les éléments de la série qui ne sont pas "ultime", ce au-delà duquel il n'y a plus rien.
aldum a écrit :L'idée d'un bien absolu, qui ne dépende de rien d'extérieur à lui, et conforme à sa définition, est conçue par Spinoza, selon ma compréhension, comme constituant l'objectif en vue duquel l'homme raisonnable façonnera sa conduite, et, peut-on dire, après s'être livré à une analyse critique de l'ensemble des « biens » que nous disons relatifs, extérieurs à nous, (et c'est, sur l'idée de bien, cette opposition entre intériorité et extériorité qui me parait là déterminante pour pouvoir parler "d'absolu") biens qu'il ne rejettera pas pour autant, dans son refus, au contraire, de toute ascèse et de la tristesse qu'elle peut entrainer; (cette idée d'un bien absolu pouvant apparaître d'ailleurs, chez Spinoza, proche du platonisme, me semble-t-il...)
J'avoue que je ne vois pas très bien où vous voyez chez Spinoza quelque chose comme un "bien absolu, qui ne dépend de rien d'extérieur à lui".
S'il ne dépend de rien d'extérieur à lui, il s'agit de nouveau d'une chose "bonne en soi", non? Et alors on n'est pas en train d'utiliser le terme "absolu" au sens de "suprême", mais précisément au sens original de "caractérisant une essence et non pas un rapport entre deux choses".
Si c'est cela ce que vous voulez dire, je ne vois pas comment concilier cette idée avec ce que Spinoza dit du bien dans la préface de l'E4 et la première définition de l'E4, où justement il dit explicitement qu'il n'y a rien dans les choses elles-mêmes qui permet de les appeller "bonnes" ou "mauvaises".
Si l'on tient compte de cette préface, je pense qu'il faut au contraire dire que le "progrès éthique" et le bonheur chez Spinoza supposent que l'on abandonne la notion d'un bien absolu, au sens de "bien qui ne dépend de rien d'extérieur à lui". Tout bien est relatif. Mais parmi les biens relatifs, un est suprême (au sens de "le plus grand"): c'est vivre sous la conduite de la raison et désirer la béatitude. On ne peut pas vivre sous la conduite de la raison et en même temps imaginer que cela est non seulement le bien suprême pour l'homme, mais serait aussi un "bien en soi" ... dans l'espoir que vous voyiez la différence ... ?