hokousai a écrit : Ce qui ets en acte n'est pas ce qui nous apparait comme présent .
Sinon Dieu "en acte "serait réduit à un état des choses précis.(difficile à préciser d'ailleurs )
Il y a ce qui nous
apparaît comme présent ou en acte, par opposition à ce qui ne l'est plus, qui serait accompli, ou qui ne l'est pas encore, qui serait donc en puissance, ce qui impliquerait de la contingence, c'est ce dont Spinoza dit que cela relève de la connaissance inadéquate. Si seule cette actualité existait par rapport à une infinité d'autres, Dieu serait en effet limité.
Mais il y a aussi ce qui, du point de vue de la nature
est en acte ou présent, et c'est tout ce qui, de notre point de vue, a existé, existe ou existera. Dans ce cas, Dieu est en acte une infinité d'attributs en une infinité de modes. Il n'y a pas de "ne plus être" en Dieu, pas plus que de "ne pas encore être".
Quant à l'identification de "ce qui est présent" et de "ce qui existe en acte" faut-il que je cite à nouveau E2P17 ? "ut actu existens, vel ut sibi praesens"
Donc, c'est votre thèse , les choses , existent hors du temps dans une coexistence . Dans une coexistence il n'y a pas d'enchaînement, sauf si on introduit un antérieur et un postérieur, ce qui est y réintroduire le temps .
S' il n'y a pas d'enchaînement il n'y a pas de causes et d'effet donc pas de détermination .
Le terme français d'enchaînement suggère le passage d'un avant à un après, avec des chaînons bien distincts. Il sert ordinairement à traduire le latin "concatenatio" que Spinoza emploie et qui suggère au contraire que les choses se tiennent ensemble, qu'elles sont d'un seul tenant. Mais en fait, même une chaîne est aussi d'un seul tenant, ce n'est qu'en la considérant chaînon après chaînon qu'elle peut nous apparaître de l'ordre d'une succession ontologique, mais il suffit de prendre un peu de recul et on voit bien que tous les chaînons doivent coexister d'un seul tenant, dans une même actualité pour pouvoir être une chaîne.
La division réelle de l'existence en avant et en après a une valeur pragmatique mais pas ontologique (cf. lettre 12), de même que pour l'ici et l'ailleurs. La substance est indivisible, c'est pourtant bien connu : E1P13. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de distinction entre des essences comme variations d'une seule et même puissance d'exister. Ces variations se limitent autant qu'elles se soutiennent les unes par rapport aux autres. Cela signifie que si on peut distinguer une certaine quantité de puissance ici, par exemple votre corps, et ailleurs, par exemple votre écran, cette distinction n'est pas une différence réelle, substantielle : c'est la même chose qui existe.
De même encore, si on peut distinguer le moment où vous allumez votre machine et celui où vous l'éteignez selon une logique qui est la même que celle qui constitue la chaîne dont tous les chaînons coexistent, il n'y a pas de différence ou d'opposition ontologique réelle : il n'y a pas vraiment la substance qui a été et celle qui est, mais une seule réalité dont les aspects possibles se fondent les uns dans les autres, une seule lumière dans laquelle l'orange n'est que le passage du rouge au jaune ; passage que l'on peut percevoir dans l'arc en ciel d'un seul tenant et pas dans une temporalité.
Quant à ce qui vous paraît aporétique, Shub-Niggurath, chez Spinoza, on a été plusieurs à vous expliquer en quoi cela venait de votre part d'une projection du platonisme sur Spinoza dans le fil sur E5P40S.
Mais manifestement, c'est encore ce que Hokousai, paraît peu disposé aussi à abandonner pour lire Spinoza. Il est évident que le spinozisme est une philosophie de l'éternité.
Mais on peut distinguer deux formes d'éternalismes : celui de Platon, et à peu près de toute la philosophie occidentale qui considère que seul ce qui nous apparaît comme présent existe dans le monde sensible, ce qui nous paraît passé étant réellement passé, voire dépassé, et ce qui nous apparaît à venir étant réellement encore inaccompli ; tandis que l'éternité serait du côté d'essences séparées de la réalité sensible. Éternalisme signifie alors qu'il y a des réalités éternelles mais qu'elles sont ailleurs que dans l'existence présente et sensible, celle que nous connaissons effectivement. Les philosophies contemporaines de la temporalité, notamment celle de Heidegger et de ses continuateurs, restent sur cette opposition en se contentant de dévaloriser l'éternel par rapport au temporel. Interpréter Spinoza à partir de cette compréhension là de l'éternité, c'est classiquement butter devant un grand nombre de contradiction si on veut tenir compte de l'ensemble de ses textes et pas seulement de quelques passages qui semblent conforter cette approche.
Et il y a l'autre éternalisme que vous semblez avoir tant de mal à intégrer et qui consiste à dire que ce qui ne change pas, c'est cela même qui paraît changer parce que nous n'avons qu'un point de vue partiel sur la réalité. Ce n'est plus le ciel qui est éternel, par opposition à une terre qui serait le lieu de la mort et de la contingence ; il n'y a dans l'éternalisme que je prétends trouver chez Spinoza qu'une seule réalité, un seul monde, une seule nature où tout se tient éternellement et dans laquelle il n'y a qu'affirmation et jamais de négation réelle. Se placer de ce point de vue, au moins quelques heures, c'est voir tomber une à une toutes les difficultés qu'on croit habituellement apercevoir au niveau de la cohérence globale du spinozisme. Et c'est aussi résoudre de nombreuses apories classiques, datant de Zénon d'Élée, sur la nature du temps, du mouvement et de l'infini.