recherche a écrit :Pour ma part, j'aurais tendance à rejoindre une vision plus extrême, rendant la connaissance du 3ème genre tout à fait tributaire de celle du 2nd genre. En effet, je ne vois pas comment acquérir une idée robuste de "Dieu comme cause" (encore une fois, au-delà de l'évocation de ces trois mots assimilable au mieux à une "intime conviction" (ou intuition)) de ce dont nous ignorons les causalités internes et externes.
Dès lors, inutile de préciser (mais tant qu'à faire...) que cette connaissance du 3ème genre me paraît davantage relever d'un idéal que d'autre chose, personne ne pouvant encore prétendre détenir une connaissance du 2nd genre complète et définitive sur quoi que ce soit (à commencer par Spinoza).
Spinoza affirme qu'on détient des connaissances complètes et définitives...
Soit on affirme détenir une vérité, aussi restreinte soit-elle en extension, et alors on affirme détenir une connaissance complète et définitive, soit on nie tout accès à une quelconque vérité et vive le pyrrhonisme.
Et comme souvent on parle de connaissance complète pour évoquer une sorte de connaissance infinie en extension, je préciserais que ni le 2nd ni le 3e genre de connaissance n'ont besoin de cela pour affirmer une vérité.
En fait, pour donner une image, je décrirais les choses ainsi : notre esprit est comme une quantité d'eau agitée en surface par les affections et affects du moment. Plus il a accumulé de vérités et moins l'agitation de surface a d'importance. Le 2nd genre de connaissance est un processus d'accumulation, une manière de creuser les choses, les vérités, ou de creuser son esprit dans les choses, de proche en proche, de se faire un esprit profond, large, un océan de vérités aussi petites, "partielles" soient-elles.
Le 3e genre de connaissance est le rapport immanent entre cet esprit vrai et la pluie d'affections : plus le contenu de vérités est large et profonde, et plus une affection tombera d'emblée dessus, s'y intégrera.
L'esprit de l'ignorant est comme le contenu d'une coupelle plate, agité par la moindre goutte de pluie, se vidant et se remplissant au gré des événements, alors que l'esprit du sage, vaste et profond, est, proportionnellement, à peine modifié par l'événement (bien qu'il le soit autant en valeur absolue).
La connaissance de Dieu, la conscience de la nécessité, la sagesse etc. ne sont pas des idées abstraites détachées de nos contenus de pensée, des propositions indépendantes valant pour elles-mêmes, c'est plutôt le "volume" des vérités de l'esprit, ce qu'il intègre réellement en une unité du monde, une conscience du monde, d'où cette sorte d'appel à l'expérience multiple plutôt que spécialisée, la multiplication des aptitudes permettant une plus grande capacité d'intégration (E5p39) : à un esprit sage correspond un corps apte à beaucoup de choses, c'est-à-dire que développer sa sagesse est un travail permanent d'intégration d'expériences multiples au réservoir de vérités de l'esprit.
La béatitude, le 3e genre de connaissance ne sont pas des idéaux, c'est plutôt la mesure effective, concrète, de notre puissance de penser le monde par rapport aux affects du moment, notre aptitude à "faire monde" : le plus ignorant peut avoir son petit instant de béatitude, un moment où quelque chose tombe dans son esprit en s'y accordant pleinement et le sage ne fait que développer ces aptitudes à s'accorder à de nombreuses choses, à accorder la conscience de soi, de Dieu et des choses.
Et pour revenir à ta question initiale : quand tu parles de "drame humain", tu parles sans doute d'affect tel que tout en nous est chamboulé, qu'on perd l'accord au monde, la stabilité de son propre soi, qu'on est tellement remué qu'on en devient "informe". Cette simple définition suffit à dire que c'est contradictoire avec une joie et la puissance du sage est justement de ne pas subir ces drames, d'avoir un esprit tel que les événements qui affectent douloureusement le commun des mortels ne touchent pas le fond de son accord au monde qui s'est développé au fil du temps : un être cher meurt et on est remué, mais c'est un drame surtout pour ceux n'ayant pas d'autre amour qu'envers cet être, ceux qui ont l'impression qu'on leur prend tout parce qu'ils n'ont rien d'autre. Celui qui aime le ciel, la mer, les oiseaux, les étoiles, les hommes... pleure quand il perd son enfant, mais il lui reste une infinité d'occasions d'aimer :
"Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent " disait Victor Hugo une fois apte à penser la mort de sa fille,
"
Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Emu par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon."