Spinoza et la maitrise pratique des affects

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 déc. 2006, 11:45

Cher Hokusai,

permettez-moi pour une fois de commencer avec la fin de votre message:

Hokusai a écrit :J’ admire votre fidéisme (il y a toujours quelques chose d impressionnant dans le fidéisme et Pascal en impose , je dirai hélas !)
En science comme en philosophie , comme sur la route il faut être prudent .


si vous comprenez ce que je viens d'écrire comme fidéisme, c'est que je me suis vraiment très très très très mal expliquée. Le Petit Robert, fidéisme: "1. Doctrine selon laquelle la vérité absolue est fondée sur la révélation, sur la foi. 2. Doctrine admettant des vérités de foi et s'opposant au rationalisme."

Comment quelqu'un qui essaie de faire un parcours avec Spinoza, pourrait-il s'opposer au rationalisme ... ? Et dire que l'on appelle Spinoza le rationaliste le plus absolu de tous les rationalistes, pour qui même Dieu est entièrement intelligible. Que 'sale Spinoziste!' était ce qu'on a lancé à toute personne qui n'était PAS prêt de croire, pendant des siècles.

Donc bon, ce que je voulais dire n'a RIEN à voir avec la vérité, ni a fortiori avec la foi. Je ne parlais que d'un principe METHODOLOGIQUE et pragmatique, principe qui à mes yeux ne vaut pas seulement pour une lecture philosophique de Spinoza mais pour celle de TOUT philosophe. Ce principe consiste non pas à cultiver une foi en la vérité absolue de ce qu'écrit un philosophe, malgré toutes les contradictions entre le sens habituel et ses écrits. C'est précisément l'inverse: il consiste à maintenir vivant le doute jusqu'à la fin.

C'est effectivement une question de prudence, et votre métaphore de la route me permettra peut-être de l'expliquer autrement.

Supposons que Spinoza ne soit pas devenu un expert en philosophie, mais un 'expert ès routes', un expert en matière de routes. Qu'il n'ait pas écrit l'Ethique mais un plan de la ville de Paris. Qu'il propose de surtout ne pas croire son plan, mais d'aller voir soi-même, de VERIFIER soi-même, en personne, dans quelle mesure il est efficace ou non. Supposons que ce plan prétende indiquer le chemin pour aller du Louvre au Musée de Picasso.

Comme il aurait toujours son obsession de la précision, ce plan commencerait, bien sûr, par des définitions, c'est-à-dire une légende.
Dans ce cas-ci, le plan pourrait être écrit en lettres de l'alphabet. Alors la légende indiquerait:
A = 1e rue à droite, B = 3e rue à gauche, C = continuez tout droit pendant 500m, D= 5e rue à gauche, etc.

Le plan consisterait alors en une suite de lettre: pour aller du Louvre au Musée de Picasso, nous dirait Spinoza, je vous dis qu'il faut suivre ceci:
A-G-C-D-T-M-C-B-D-D-C-X-L-O-C-A-B.

Il ne nous demande pas DU TOUT de s'asseoir au Louvre et de contempler béatement ce plan, cultivant une foi absolue en sa vérité, se disant "oui, cela semble bien mystérieux toutes ces lettres, mais ma grande admiration du mystère me fait croire entièrement que Spinoza ait raison. Il le dit, ça doit être comme ça. Comme c'est beau!"
Spinoza garde ce type de croyance pour ceux qui vraiment ne savent pas utiliser la raison du tout. Mais pour ceux qui disposent de la raison, ne fût-ce que d'une toute petite lumière de capacité de raisonner et de sentir, il EXIGE qu'ils ne croient RIEN. Voyez-vous quelque part un 'croyez-moi!' dans l'Ethique ... ? Non.

En général, il exige donc de son lecteur de ne le donner raison, d'appeler son plan vrai QUAND ET SEULEMENT QUAND un jour on est bien obligé de constater qu'effectivement, non seulement en étudiant mais en le SUIVANT, avec toute la méfiance qu'un bon usage de la raison doit avoir, on se trouve, à sa grande surprise, devant le Musée de Picasso.

Or c'est LÁ que seulement une chose devient cruciale: votre METHODE d'utiliser un plan. Vous pouvez faire deux choses:

1) commencer au Louvre, lire rapidement la légende, prendre la première rue à droite, se demander ce que G veut dire dans la légende, puis prendre cette rue-là, continuer tout droit pendant 500m, et ainsi de suite. Puis, après avoir fait un petit bout de chemin, on commence à se lasser un peu, et on se dit: ici Spinoza veut que je fasse B, c'est-à-dire que je prends la 3e rue à gauche. Mais je suis tellement habitué à prendre la 3e rue à droite, moi, quand je vois des 'B' sur les plans que j'ai déjà utilisé, que bon, prenons la 3e à droite.
Or il va de soi que ce faisant, vous n'expérimentez plus de tout le plan de Spinoza, vous en faites une procédure qui n'existe nulle part ailleurs que dans votre tête. Ce qui est certain, c'est que vous allez découvrir un tas de choses, aussi longtemps que vous continuez réelement le chemin. Mais ce qui est très probable aussi, c'est que vous n'allez jamais arriver un beau jour au pied du Musée Picasso.
Vous pourrez errer de cette façon pendant des décennies, jamais le plan de Spinoza ne donnera chez vous l'effet pour lequel il est pourtant conçu. Ce qui ne pourra que vous décevoir. Après tant d'années de promenade utilisant ce plan, vous finira par le rejeter, déçu, constatant qu'il mène partout sauf à l'endroit où il le dit: le Musée Picasso.

2) vous décidez de suivre le plan, tout en restant très attentif et vigilant. CAUTE!!!
Vous vous OBLIGEZ de rester sceptique pendant tout le chemin, et cela jusqu'à ce que vous verrez avec vos propres yeux apparaître le musée de Picasso devant vous. Vous vous INTERDISEZ d'y CROIRE, vous voulez des PREUVES dans la REALITE, dans VOTRE réalité, et rien moins que cela.
Vous allez donc non seulement essayer de faire EXACTEMENT ce que le plan dit, mais bien retenir tout ce que vous avez fait, pour pouvoir dire par après où Spinoza s'est trompé, où il aurait dû mettre une autre lettre pour que son lecteur un jour puisse arriver de fait au musée Picasso.
C'est alors qu'AUCUNE vérité n'intervient plus, en cours de route. Comme je viens de le dire, cette méthode d'utiliser le plan exige (et c'est vraiment une conditio sine qua non) de SUSPENDRE TOUTE FOI en la vérité de ce plan jusqu'à la fin. C'est-à-dire non pas jusqu'à la fin de la lecture du plan, non, jusqu'à la fin de sa MISE EN PRATIQUE, de son exécution concrète. Le moment de vérité, si on suit cette méthode, n'intervient qu'à un seul moment: là où vous aurez appliqué soigneusement et en respectant maximalement tout détail le plan, et où le pas suivant n'est plus une lettre mais vous dit: regardez devant vous, vous verrez maintenant le musée Picasso. Là est le moment suprême, là est le moment de la vérité. Là la question se pose: est-ce vrai ou non? Si alors vous voyez que vous vous trouvez dans une banlieue sinistre et triste, et non pas devant le musée Picasso, alors là vous avez tout droit à rejeter furieusement le plan, vous disant et/ou (selon votre caractère ...) criant à tous ceux qui veulent l'entendre que cela ne vaut rien, que vous avez fait le teste, et que c'est faux.

Encore une fois, cette méthode, à mes yeux, ne vaut pas seulement pour Spinoza, elle vaut pour la lecture de tout philosophe. Et RIEN n'empêche de l'appliquer successivement à St.Thomas, Spinoza, Wittgenstein, Pascal, et ainsi de suite (chose qui est également impossible si votre méthode de lecture est un mélange de foi et de 'bon sens'). Elle consiste à se demander ce qu'est la destinée à laquelle le plan prétend mener (ce qui souvent demande déjà un petit travail de déchiffrement), à essayer de très bien comprendre la légende, et puis surtout à se mettre en route en pratique, pour juger de la vérité que quand vous avez vraiment pris caution à TOUT respecter et que le plan vous dit: ici, normalement, vous devez être arrivé au but. Si là vous ne le voyez pas, c'est qu'il est faux, tout simplement.

Il ne faut donc pas y croire absolument, il faut l'inverse: surtout PAS CROIRE, mais exiger de VOIR. En n'utilisant que la légende du plan, votre raison, et votre capacité de traduire un plan en une activité concrète: la promenade.

Est-ce que j'ai déjà fait cette expérience moi-même, avec Spinoza? Non. Je ne suis qu'à la lettre M du plan ci-dessus. Et donc ... et donc je ne pourrais vraiment PAS vous dire si le plan de Spinoza est bien VRAI ou non. Je ne suis que dans la phase de l'exploration. J'essaie donc de comprendre ce qu'il semble vouloir dire avec la légende, et j'essaie de l'appliquer, pas à pas. Mais je n'ai pas encore vu le musée de Picasso, même pas une ombre de lui. Et donc pour l'instant, je ne peux pas du tout vous dire si moi-même, je trouve que tout ça, c'est vrai ou non. Je ne suis qu'en train de me promener à Paris, en prenant ici la 3e à gauche, là la 4e à droite, etc. Je découvre plein de choses intéressantes bien sûr (souvent elles ne sont pas mentionnées sur le plan, parfois oui), sinon cela ne valait pas la peine d'entamer un si long voyage.
Mais sinon vraiment, moi-même je ne dispose d'AUCUN moyen de vous dire si l'Ethique et sa promesse (remède aux affects, liberté) est vrai ou non. Et d'ailleurs, si un jour je vois le musée Picasso, j'aurai beau vous dire: c'est vrai c'est vrai, je l'ai expérimenté moi-même!! Toujours sera-t-il que si alors vous décidez que cela ne vaut plus la peine d'entreprendre le voyage vous-même, que vous me CROYEZ ... eh bien vous ne verrez jamais de vos propres yeux le musée Picasso, vous n'y arrivera jamais. Mais libre à vous de choisir d'autres destinations, bien sûr ... . Seulement, il vaut mieux alors prendre un autre plan, et pas celui qui vous dit que, SI on le met quelque temps en pratique, on arrivera chez Picasso. D'ailleurs, une fois arrivée chez Picasso, rien ne vous empêche de vous atteler à un autre plan, et d'essayer une autre destination, celle promise par Nietzsche pe, ou celle promise par Berkeley, etc.

Donc voilà, j'espère qu'il soit un peu plus clair en quoi la méthode proprement philosophique à mon sens est tout sauf une croyance ... ?
A bientôt pour une réponse aux autres choses mentionnées dans votre message,
bon week-end,
Louisa

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Messagepar Louisa » 30 déc. 2006, 12:07

Cher fantasueno,

fantasueno a écrit :
QUESTION A LOUISA :Nous sommes tous d’accord que devant un examen rationnel, le libre arbitre perd tout son poids face à la nécessité universel.
En revanche, le lien entre la liberté et la cause adéquate n’est pas facilement concevable, à moins de passer par la médiation de la « puissance d’agir ».
La liberté, pour un être quel qu’il soit, n’est ce pas finalement le fait d’actualiser pleinement la puissance qui définit sa nature ?


merci pour cet aperçu de nos messages!!
Voici une réponse provisoire (je dois partir, donc j'y reviens). Pour Spinoza, et cela il le dit clairement (je chercherai la référence), la liberté ne consiste pas à actualiser la puissance qui me définit, car cette puissance est toujours déjà actuelle (voir les deux modes de l'existence actuelle dans la 5e partie, référence suit). Il s'agit plutôt d'éviter qu'elle diminue, et surtout de réussir à la faire augmenter. Selon lui, nous nous y efforçons nécessairement et constamment. Seulement, celui qui est le plus libre y réussit le mieux.
Pour la cause adéquate: à mon avis il faut en effet en passer par l'éternité et par Dieu, pour la comprendre, en prenant ces deux notions dans le sens très précis que leur donne Spinoza (mais que je ne suis qu'en train de découvrir moi-même). Seulement, la médiation que Hokusai semble chercher, si je l'ai bien compris, pose mal le problème, car chez Spinoza, nous avons accès à l'éternité non pas en nous situant dans le temps, c'est-à-dire en remontant de causes prochaines à la cause la plus lointaine, qui serait alors Dieu (chose impossible, car chez Spinoza la nature est infinie, on pourrait donc remonter la chaîne causale sans jamais rencontrer Dieu). L'éternité n'est pas une affaire des causes transitives (les causes prochaines et lointaines). Nous avons accès à l'éternité parce que nous sommes tous l'effet d'une cause IMMANENTE (qui est elle-même éternelle), c'est-à-dire une cause qui est à l'intérieur de nous-mêmes. Comme Spinoza le dit: il est de la nature de la raison de concevoir les choses sous une certaine espèce d'éternité. Ou encore: nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels. L'éternité ne se trouve pas au bout du chemin, elle est déjà en nous. L'Ethique est donc un moyen pour s'en rendre compte. Et si l'on passe par la 'médiation' de mettre toutes ces définitions et propositions en pratique, dans sa vie quotidienne et concrète, alors selon Spinoza on ne pourra que découvrir nous-mêmes en quoi consiste cette éternité réellement. S'il fallait parler de 'médiation', cette mise en pratique est la seule médiation que je vois, chez Spinoza. Est-ce vrai ou non que nous sommes éternels? A vérifier ... :)
Une excellente fin d'année à vous aussi,
et à très bientôt,
Louisa

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Henrique
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Messagepar Henrique » 30 déc. 2006, 17:06

Louisa je vois que tu commences à bien connaître notre cher Hokousai !
Je lui expliquai à peu près la même chose en ces termes il y a 2 ans :
Je reprendrai ce que Lagneau écrivait à Gentili à propos de la lecture de l'Ethique: "La difficulté que vous y trouvez tient, ce me semble, à ce que vous ne dépouillez pas les termes de Spinoza de tout sens qui ne résulte pas de ses définitions." Vous partez de vos propres définitions des termes employés et vous vous étonnez de ne pas bien comprendre ce que dit cet auteur et que parfois on vous reproche d'ergoter sur les mots.
(...)
Citons également Spinoza lui-même sur la méthode de lecture, dans un scolie qui touche de très près au problème abordé ici :
Ici les lecteurs vont, sans aucun doute, être arrêtés, et il leur viendra en la mémoire mille choses qui les empêcheront d'avancer ; c'est pourquoi je les prie de poursuivre lentement avec moi leur chemin, et de suspendre leur jugement jusqu'à ce qu'ils aient tout lu.


C'est à lire et à relire !


Mais je crois qu'Hokousai ne cherche pas vraiment à comprendre Spinoza, mais plutôt à créer sa propre carte à partir de quelques bouts de la carte spinozienne et quelques autres également. Sa béatitude serait dans la création de la carte, non dans l'épreuve de ce qu'indique celle de Spinoza ou de quelqu'autre carte que ce soit, y compris la sienne. Ce n'est pas tellement opposé au fond à la béatitude spinoziste bien comprise, car celle-ci consiste dans l'épreuve de la puissance infinie de penser et de s'étendre. Mais la béatitude hokousienne serait plutôt dans la puissance indéfinie de penser. Aussi, il est clair qu'Hokousai ne nous parlerait pas de Spinoza, ni même de ce qu'il en comprend, mais de ce qu'il en fait, pour la réalisation de sa carte considérée comme un objet esthétique propre, ce qui n'est pas rien non plus. Le philosophe spinoziste est un Ulysse qui a compris que sa patrie n'est pas Ithaque mais le monde qu'il parcourt avec ses embûches pour le conatus, c'est pourquoi son amour de la sagesse est en même temps une sagesse, une sagesse de l'amour (de la vie). Hokousai est un Homère dont le héros se plairait à se laisser enivrer par les sirènes, transformer en bête par Circé ou dévorer par le cyclope.

J'ajouterai pour finir que tu me sembles plus avancée que tu ne le crois sur l'essentiel, ce sont plutôt des questions techniques qui te posent problème. Et d'ailleurs, il y a un point que tu me sembles négliger dans ta comparaison avec la carte, c'est que la vérité n'est pas qu'au bout du voyage : à chaque étape, on se rend bien compte que la carte est valable puisque la rue qui est indiquée après A est bien conforme à ce qui était prévu par la carte.

Par ailleurs, avec l'Éthique, la vérité essentielle est donnée immédiatement, elle est antérieure à l'Éthique même en fait : "Le mental humain a une connaissance adéquate de l'infinie et éternelle essence de Dieu" (E2P47) puisqu'en ayant l'idée de ton corps fini, corruptible et contraint, tu as nécessairement l'idée de l'étendue infinie, éternelle et libre dont ton corps est constitué et ainsi de Dieu même. L'Éthique vise essentiellement à faire tomber les obstacles imaginaires qui nous empêchent de nous installer dans cette conscience là et de s'en réjouir. Mais on peut l'éprouver immédiatement avec un peu d'attention.

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Messagepar Louisa » 31 déc. 2006, 01:55

Salut Henrique,

difficile de ne pas sourire en lisant ta citation ... :) .

Pour prolonger un instant le 'sujet Hokusai' (et dans l'espoir que cela ne lui dérange pas):

Henrique a écrit :Mais je crois qu'Hokousai ne cherche pas vraiment à comprendre Spinoza, mais plutôt à créer sa propre carte à partir de quelques bouts de la carte spinozienne et quelques autres également. Sa béatitude serait dans la création de la carte, non dans l'épreuve de ce qu'indique celle de Spinoza ou de quelqu'autre carte que ce soit, y compris la sienne. Ce n'est pas tellement opposé au fond à la béatitude spinoziste bien comprise, car celle-ci consiste dans l'épreuve de la puissance infinie de penser et de s'étendre. Mais la béatitude hokousienne serait plutôt dans la puissance indéfinie de penser. Aussi, il est clair qu'Hokousai ne nous parlerait pas de Spinoza, ni même de ce qu'il en comprend, mais de ce qu'il en fait, pour la réalisation de sa carte considérée comme un objet esthétique propre, ce qui n'est pas rien non plus. Le philosophe spinoziste est un Ulysse qui a compris que sa patrie n'est pas Ithaque mais le monde qu'il parcourt avec ses embûches pour le conatus, c'est pourquoi son amour de la sagesse est en même temps une sagesse, une sagesse de l'amour (de la vie). Hokousai est un Homère dont le héros se plairait à se laisser enivrer par les sirènes, transformer en bête par Circé ou dévorer par le cyclope.


je suis très contente que tu as écrit ceci, car d'une part je suis tout à fait d'accord avec toi (c'est-à-dire j'ai le même sentiment par rapport à lui, ou plutôt par rapport aux messages postés ici par Hokusai, ne connaissant pas du tout Jean-Luc), d'autre part il était tout de même bien de le rappeler explicitement, dans le sens où sans doute je devrais plus y penser moi-même en écrivant ET dans le sens où c'était ce qui manquait déjà dans mes messages mais que je n'aurais jamais pu formuler si bien que toi. J'espère donc que Hokusai va nous corriger s'il n'est pas d'accord avec le 'portrait' ci-dessus, pour que l'on puisse le modifier là où il le juge nécessaire, s'il le juge nécessaire.

Henrique a écrit :Et d'ailleurs, il y a un point que tu me sembles négliger dans ta comparaison avec la carte, c'est que la vérité n'est pas qu'au bout du voyage : à chaque étape, on se rend bien compte que la carte est valable puisque la rue qui est indiquée après A est bien conforme à ce qui était prévu par la carte.

Par ailleurs, avec l'Éthique, la vérité essentielle est donnée immédiatement, elle est antérieure à l'Éthique même en fait : "Le mental humain a une connaissance adéquate de l'infinie et éternelle essence de Dieu" (E2P47) puisqu'en ayant l'idée de ton corps fini, corruptible et contraint, tu as nécessairement l'idée de l'étendue infinie, éternelle et libre dont ton corps est constitué et ainsi de Dieu même. L'Éthique vise essentiellement à faire tomber les obstacles imaginaires qui nous empêchent de nous installer dans cette conscience là et de s'en réjouir. Mais on peut l'éprouver immédiatement avec un peu d'attention.


c'est effectivement un point que j'ai laissé de côté, mais disons que cela était plutôt voulu. La raison en était qu'il me semble qu'ici, tu parles déjà de la vérité en tant que concept proprement spinoziste. Or cette vérité-là, on ne peut la découvrir que si on lit l'Ethique de manière bien attentive, et en respectant toutes les définitions.

Quand en revanche Hokusai dit qu'il ne voit pas comment la méthode spinoziste pourrait conduire à une vraie atténuation de la douleur, ou quand il dit que pour lui, il est vrai que s'imaginer comme seule cause et/ou comme cause adéquate d'un événement, c'est décider de manière consciente et donc libre, j'ai l'impression qu'il parle de la vérité non pas dans un sens spinoziste, mais dans un sens courant. Et si l'on parle de vérité au sens courant, on peut effectivement parler de croyance, comme il le suggère. Qu'il 'est libre quand il se pense libre' veut dire, à mon sens, qu'il a la forte conviction d'être libre au moment de prendre une décision consciente, bref, qu'il croit qu'en ce moment il est libre, ou qu'il est convaincu qu'il soit vrai qu'à ce moment il est libre. Dans le sens courant, toutes ces expressions sont quasiment synonymes.

Or justement, c'est ce genre de jugement de vérité que l'on ne peut faire qu'APRES avoir appliqué la 'procédure' spinoziste telle que Spinoza le demande, j'ai l'impression. Autrement dit, à ce niveau-là (celui de la vérité au sens commun) il me semble que lire la philosophie de Spinoza n'est pas différente d'une lecture de n'importe quel autre philosophe (c'est-à-dire qu'il ne faut pas encore être un spinoziste convaincu pour pouvoir appliquer ce type de lecture, une lecture qui passe par le concept courant de la vérité).

Par exemple (et ceci déjà en guise de réponse à un autre aspect soulevé par fantasueno dans son dernier message): moi-même je n'adhère pas trop à l'idée du déterminisme universel. Si on se base sur les sciences contemporaines, il me semble qu'il faudra plutôt partir de l'idée que ce déterminisme est un schème très pratique pour analyser et prévoir les (ou certains?) événements à notre échelle humaine, mais probablement assez peu utile voire impertinent pour d'autres phénomènes naturels (voir Prigogine). Scientifiquement parlant, Spinoza pourrait donc avoir 'tort' à ce sujet, dans le sens courant du terme. Je suis bien d'accord que cela n'enlève rien au concept philosophique spinoziste de la vérité, mais aussi longtemps que l'on n'a pas entièrement compris celui-ci, ou qu'on veut à tout prix maintenir des définitions incompatibles avec ce concept, cela pose problème.

Si donc je ne suis vraiment pas d'accord avec la méthode de lecture de Hokusai (telle que je crois l'avoir comprise), ce n'est pas dans le sens où je ne pourrais pas respecter son choix quant à la façon d'aborder le spinozisme ou sa façon de vivre philosophiquement. Au contraire, au niveau purement humain, il est clair que le personnage 'Hokusai' tel qu'il apparaît ici dans ce forum est pour moi très charmant (c'est pour ça que ton message là-dessus était fort bienvenu), et que j'adore discuter avec lui.

Mais là où je ne peux vraiment pas accepter ce qu'il propose, c'est quelque chose de plus 'impersonnel', si tu veux, c'est ce qui a trait à la méthode même de lire un philosophe, n'importe quel philosophe. Mais je ne sais pas si je vais arriver à m'expliquer clairement ... .

Petite tentative. Hokusai veut appeler 'liberté' ce qui est décision consciente, Spinoza non. Moi-même, je ne veux pas appeler le monde universellement déterminé, Spinoza si. Wittgenstein veut identifier clarté et pensée, moi non. Husserl cherche le fondement du fondement de la connaissance, moi-même je ne crois pas que cela existe. Spinoza prétend que (dans la version deleuzienne) les rapports n'ont pas d'existence propre, mais doivent être fondés dans un autre niveau, celui des essences, tandis que moi-même, j'ai plus de sympathie pour des essences qui sont définies par les rapports qu'ils entretiennent (mais alors le mot 'essence' n'est plus tout à fait approprié). Est-ce que je crois en l'éternité? Cette notion me semble être assez obsolète.

Bref, si Hokusai se trompe quand il parle de fidéisme en parlant de moi, c'est parce que tout comme lui, il y a certaines choses chez Spinoza où spontanément, moi-même aussi j'ai plutôt tendance à préférer d'autres manières de concevoir les choses. La question c'est: que faire avec ces sentiments, quand on lit un philosophe?
La réponse de Hokusai semble être: rejeter cet aspect-là, et continuer la lecture. Je n'en vois pas l'intérêt, mais c'est une option comme une autre. Or ce qui pour moi est tout à fait inacceptable, c'est la conclusion que Hokusai tire de cette pratique: la méthode spinoziste ne mènerait pas à l'atténuation de la douleur. C'est là le grand problème que j'ai avec la façon dont il aborde la philosophie. Car de deux choses l'une: ou bien on accepte tout, ne fût-ce que provisoirement, comme hypothèse de travail, mais alors il faut aussi faire l'effort de concevoir les choses sous un angle auquel on n'adhère pas trop. Et c'est alors et uniquement alors que l'on pourra juger l'efficacité et donc la vérité d'une pensée philosophique. Ou bien on n'accepte que ce que l'on pense déjà, ou l'on s'en tient strictement à ce que l'on croit soi-même, mais alors on n'effectue pas la pensée du philosophe en question, ET ALORS on ne peut pas en juger. On peut même prendre cela dans le sens fort: on n'a pas le droit d'en juger. Car on ne peut pas juger sans connaissance de cause. C'est un jugement incorrecte, donc inacceptable.

C'est parce que cela me semble être crucial en philosophie que je voulais/veux insister tellement là-dessus. Pas la philosophie en tant que sagesse (là tout un chacun doit choisir ce qui lui convient le mieux, et ce ne sera en effet uniquement cela, comme tu le dis, qui sera à même d'augmenter maximalement ta puissance à toi). Mais la philosophie en tant qu'activité de changer de manière révolutionnaire ta propre façon de penser. La philosophie en tant qu'activité d'élargissement de l'esprit, en tant qu'activité socratique de se rendre compte du fait que TOUTE croyance n'est qu'une croyance, et est dès lors susceptible d'être améliorée, donc modifiée.
Peut-être qu'ici je défends une conception de la philosophie qui n'est pas très spinoziste, je n'en sais rien. La suite de ma lecture de Spinoza et de mes visites à ce site pourront peut-être le dire. Mais il me semble que l'efficacité proprement philosophique d'une lecture d'un philosophe (n'importe lequel, donc aussi celui qui propose un concept non spinoziste de la vérité) dépend entièrement de la mise en suspens de toute croyance, pendant le temps de lecture. Lire de manière philosophique, cela signifie essentiellement, il me semble, faire un grand effort de concevoir les choses AUTREMENT que telles que l'on croit qu'elles soient. C'est, quand on lit Spinoza, les concevoir comme ayant toutes part à l'éternité de Dieu et comme étant toutes entièrement déterminées. C'est changer activement son regard pour arriver à les voir ainsi. Ou c'est les concevoir (quand il s'agit d'êtres humains) comme dôtées d'un libre arbitre et d'une loi morale quand on lit Kant. Sinon, impossible de ressentir/expérimenter l'efficacité propre à cette pensée. Et impossible de se libérer soi-même de ses propres 'idées fixes', de ses croyances spontanées. Et surtout: impossible de juger l'efficacité de la pensée en question.
Si Hokusai n'a aucune envie de se libérer de ses croyances spontanées (se libérer non pas en les rejetant, mais en les enrichissant par d'autres points de vue, d'autres manières de concevoir possibles, bref en devenant capable de concevoir les choses aussi bien autrement), cela est tout à fait son droit, et loin de moi de vouloir le juger, au contraire. Mais si en pratiquant une lecture d'un philosophe d'une telle façon il en conclut que la promesse spinoziste, celle de pouvoir faire diminuer la tristesse, ce n'est que du vent, alors pour moi cela ne va pas. Ou bien on lit un philosophe de manière philosophique, mais alors on ne peut pas du tout juger de la 'vérité', au sens courant, de sa pensée avant de l'avoir appliquée telle qu'elle est proposée. Ou bien on lit un philosophe à la lumière de ses propres croyances spontanées, mais alors on ne peut pas juger la pensée du philosophe en question. C'est cela mon seul problème avec ce qu'écrit Hokusai: le jugement de la non efficacité ou fausseté du remède spinoziste aux affects rendu sur base d'une lecture non philosophique de ce remède philosophique. Si on compose sa propre carte, c'est très bien, c'est parfait, comme je l'ai déjà dit, mais alors on ne peut rien dire de vrai sur la carte de l'autre. Si on le fait néanmoins, on est en train de violer un principe de base de la philosophie (je sais bien que Hokusai est quelqu'un qui est tout sauf violent, comme l'illustre bien la splendide rose à côté de son nom; je ne suis donc pas en train de juger la personne de Hokusai). C'est parce que cela est, même en facultés universitaires de philosophie, une pratique si répandue, tout en étant une pratique capable d'assassiner la philosophie (sans peut-être entraver entièrement sa fonction de sagesse, mais la philosophie ne se distingue-t-elle pas depuis toujours de la sagesse, même chez Spinoza? La sagesse n'est-elle pas ce qui appartient au troisième genre de connaissance?), que cela me semble être si important de s'opposer à elle. Mais bon, d'autre part je suis bien consciente du fait que s'opposer à quoi que ce soit n'est peut-être pas très spinoziste ... mieux vaut essayer de comprendre. Là-dessus, je ne peux qu'être entièrement d'accord avec Spinoza ... .

En tout cas, voilà la raison pour laquelle je ne voulais pas inclure la possibilité de jugements de vérité 'partiels', en cours de route, quand on suit une carte. C'est pour ça que la carte dont je voulais parler ne contient pas d'indications permettant de voir si la rue que l'on est en train de prendre est bel et bien celle qui correspond à la 3e rue. On n'a que la définition de la lettre, et rien de plus. On est au plein milieu de la ville, et on n'a rien d'autre qu'une indication qui dit d'explorer la 3e rue, tout on n'étant pas certain que l'on a bien compté. Et on peut avoir l'habitude/croyance d'utiliser les lettres autrement, donc être très méfiant par rapport à la carte que l'on met en pratique. Mais si on ne la met pas en pratique et cela jusqu'au bout, on ne sera pas capable de juger sa vérité, dans le sens courant. Sinon certes, si on adhère déjà à la vérité spinoziste, on la possède même avant de partir en voyage, et même avant d'avoir la carte en main. Disons que ma petite histoire de la carte s'adressait donc avant tout à ceux (comme moi-même) qui ont envie de se mettre en route, mais qui ne sont pas encore entièrement convaincus ou, dans les termes de Hokusai, 'fidèles' ... :)
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Messagepar hokousai » 31 déc. 2006, 13:58

à Henrique


""""""Mais la béatitude hokousienne serait plutôt dans la puissance indéfinie de penser. """"""""""""

Disons la joie et ça suffira .
Ma puissance de penser est finie ,il n’est pas en mon pouvoir ni de comprendre les causes et je dirais encore moins les effets de ce que je pense actuellement (hic et nunc) .
J’ai longtemps été peintre (artiste peintre ) et ma puissance de peindre était indéfinie . A aucun moment je ne pouvais anticiper plus que de raison , c’est à dire de manière très limitée , ce qui allait advenir . La joie procurée par cette activité résidait en cette indéfinité . Vous me ramenez là de bons souvenirs , je vous en remercie .

Mais là joie ( teintée d' appréhensions ) du pousseur de bois sur l’échiquier est la même , les règles étant posées , règles strictes s’il en est . Et la joie du mathématicien qui découvre est la même . Encore fallait-il accepter le risque de la découverte .

Lagneau dit dans cette lettre que vous citez et parlant de Spinoza puisque c’est le sujet de la lettre à Gentili
""""""" toute essence existante est donc la cause d'une série indéfinie d’ effets puisqu’elle est mouvement ou idée de mouvement """""""""""

…………………………………………….

Je vais vous citer Lagneau sur la liberté, il se réfère à Spinoza et le commente , me semble t -il (c’est le fragment 63 )

"""""" tout est nécessité en tant qu’il suppose du donné indéfiniment ; libre en tant que le donné n’ explique rien et s’ explique par autre chose dans l’autre sens .
On reste dans la nécessité si l’on suit le mouvement naturel des idées dans le même ordre , contenant le supérieur , mais ignoré , on s’ élève dans la volonté en entrant dans la connaissance proprement dite, par le doute ( conditionné encore mais non absolument ) portant seulement sur la présence des conditions d’ application de la forme , non encore conçue comme irréalisable « « 1er degré de la liberté : détachement de toute la connaissance empirique par la conscience de l’impossibilité de trouver entièrement réalisé dans la représentation les conditions d’ application de la forme . """""""""""

Quand je parle de liberté je m’en tiens à ce premier degré ( je ne parle pas de liberté/béatitude )
Lagneau est bien obligé d’ en parler
A mes yeux , Il décrit la liberté au sens commun de décision libre .

Je doute (et j‘ai bien raison d’en douter ) que ma main se ferme sans que je le décide . Mais je ne perçois pas cela comme irréalisable et preuve en est que l’acte décidé se réalise .
Ce que je perçois comme irréalisable ( voler dans les airs ) je ne le décide pas .
Ce que je perçois comme absolument conditionné ( le battement de mon cœur ) je n ‘en décide pas .
La liberté au sens usuel se loge dans cet espace où les conditions d’ une application de la forme réside dans la volonté .

............................................

"""""""""Sa béatitude serait dans la création de la carte, non dans l'épreuve de ce qu'indique celle de Spinoza ou de quelqu'autre carte que ce soit, y compris la sienne. """""""""

Pensez- vous que dans la vie ne m’ait point éprouvé ?

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Messagepar hokousai » 31 déc. 2006, 14:42

Chère Louisa

"""""""""""""""""""Qu'il 'est libre quand il se pense libre' veut dire, à mon sens, qu'il a la forte conviction d'être libre au moment de prendre une décision consciente, bref, qu'il croit qu'en ce moment il est libre, ou qu'il est convaincu qu'il soit vrai qu'à ce moment il est libre. Dans le sens courant, toutes ces expressions sont quasiment synonymes.
Or justement, c'est ce genre de jugement de vérité que l'on ne peut faire qu'APRES avoir appliqué la 'procédure' spinoziste telle que Spinoza le demande, j'ai l'impression. """""""""""""""""""""""""""""""""""""

Justement non . On le fait avant et tout le monde le fait de lui même , c'est le sens courant d’une expérience courante . Je me suis penché sur mes gestes sur mes décisions volontaires .

Il se peut que je ne soit pas d' accord avec Spinoza mais Henrique a tort de croire que je ne cherche pas à comprendre .
Je ne suis pas d' accord avec Spinoza quand il prétend qu’il n’y a pas de deux sortes de décrets "les onirique et les éveillés". Je cherche à comprendre et ce que dit Spinoza et pourquoi je ne suis pas d’ accord ( double tache )
……………………………….

Est-ce que je dis que je suis libre ? Pas vraiment ou pas seulement .

LIBRE s’entend dans différents contexte : la liberté de l’esclave affranchi , la liberté de mouvement de l’enfant qui sait marcher , la liberté des prix du marché . Le terme n’est pas ICI (dans ce dont on parle ) essentiel , il y est connoté moralement ce qui ne fait qu’ accroître l’ambiguïté .

Je dis que je suis cause proche de mes actes volontaires .
Plus exactement je ne vois pas pourquoi alors qu’une cause évidente se présente à l‘esprit on en cherche une autre ( si ce n’est pas aussi pour de raison de moralité ou de contre-moralité je veux bien qu’on me le montre )

Je ne sais pas comment je suis cause et comment le saurais- je ? Je ne sais même pas ce que c’est qu’une cause efficiente en général .
Il ne faudrait pas se payer de mot . La cause est ce qui explique mais elle n’explique rien du tout . Elle est ce qui est là avant et au plus proche et toujours là .
Est-ce que je perçois quelque chose clairement et distinctement entre la cause et l’effet ? Non je ne perçois que la succession ….. si cela n’est pas une image ?

hokousai

PS Il est vrai que je ne parle plus de votre « méthode » , je poursuis un peu mon fil de pensée sur la liberté, mais c’est aussi que sur la « méthode » mes doutes font que je n’ai rien à dire ou que des chose qui vous seraient désagréable .
Or je ne veux pas vous être désagréable .
Disons que je ne veux pas interférer ou apporter des idées négatives .

Mon épouse vient me dire (hic et nunc) « il faut que je me raisonne mais je n’y arrive pas »Elle sait depuis quelques jours qu’une de ses amies est atteinte d’un mal incurable .

bien à vous
hokousai

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Messagepar Louisa » 31 déc. 2006, 16:20

Cher Hokusai,

Hokusai a écrit :
Louisa a écrit:
"""""""""""""""""""Qu'il 'est libre quand il se pense libre' veut dire, à mon sens, qu'il a la forte conviction d'être libre au moment de prendre une décision consciente, bref, qu'il croit qu'en ce moment il est libre, ou qu'il est convaincu qu'il soit vrai qu'à ce moment il est libre. Dans le sens courant, toutes ces expressions sont quasiment synonymes.
Or justement, c'est ce genre de jugement de vérité que l'on ne peut faire qu'APRES avoir appliqué la 'procédure' spinoziste telle que Spinoza le demande, j'ai l'impression. """""""""""""""""""""""""""""""""""""

Justement non . On le fait avant et tout le monde le fait de lui même , c'est le sens courant d’une expérience courante . Je me suis penché sur mes gestes sur mes décisions volontaires .

Il se peut que je ne soit pas d' accord avec Spinoza mais Henrique a tort de croire que je ne cherche pas à comprendre .
Je ne suis pas d' accord avec Spinoza quand il prétend qu’il n’y a pas de deux sortes de décrets "les onirique et les éveillés". Je cherche à comprendre et ce que dit Spinoza et pourquoi je ne suis pas d’ accord ( double tache )


La façon dont vous avez compris ma citation ci-dessus n'était pas vraiment ce que je voulais dire, mais peut-être n'est-ce pas très important. En tout cas, je ne peux que vous donner raison, bien sûr: quand il s'agit de savoir si on peut être conscient d'une décision, il est certain que tout le monde a fait l'expérience. Et alors il est tout à fait clair qu'effectivement, c'est notre volonté qui détermine si nous allons choisir A ou B. Le fait de pouvoir choisir A ou B, on a l'habitude de l'appeler 'liberté'. La liberté comme choix entre une alternative, et où c'est la volonté consciente qui prend l'une et pas l'autre.
Là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec vous, en Occident c'est une expérience commune. Ou une évidence, si vous voulez.

J'ai l'impression que Spinoza ne nie pas du tout qu'il s'agit d'une évidence, mais là-dessus on peut discuter si vous voulez, ce n'est pas le problème principal que vos messages à ce sujet posent pour moi.

Vous dites que vous avez voulu parlé plutôt de la liberté que de la méthode, mais je ne suis pas certaine avoir bien compris pourquoi. Comme pour moi-même, les deux sont liées, j'enchaîne donc un instant sur la méthode, mais si cette question vous intéresse moins, il n'y a bien sûr pas de problème. Elle m'intéresse beaucoup, et vous lire m'a déjà obligé de repenser certaines choses, dont je vous remercie.

Donc, en ce qui concerne la méthode, vous dites que vous cherchez à comprendre deux choses: ce que dit Spinoza, et pourquoi sur certaines choses vous n'êtes pas d'accord avec lui. Ce qui est une double tâche, selon vous. Et cela correspond très bien avec l'impression que j'ai quand je vous lis. Toutefois, personnellement, j'ai l'impression que ce qu'on peut faire avec un philosophe (n'importe lequel) est beaucoup plus puissant et peut aller beaucoup plus loin si on adopte une autre méthode (ce qui ne veut évidemment pas dire que je trouve que tout le monde devrait utiliser un philosophe que de cette manière; il n'y a rien de normatif dans ce que je veux dire).
Cette autre méthode consiste à essayer de se comprendre soi-même et le monde PAR la tentative de compréhension du philosophe. Il n'y a plus de double tâche donc, car on n'oppose pas ses propres évidences aux bizarreries du philosophe, pour essayer de mieux comprendre aussi bien l'un que l'autre. On essaie de se concevoir soi-même VIA les idées que propose le philosophe.

Vous allez peut-être me dire que cela est impossible, vu que vos évidences vous disent que ce que vous pensez est vrai et ce que le philosophe dit pas, donc comment se concevoir par une pensée dont on sait déjà qu'elle fausse?
Or c'est là, à mon avis, qu'intervient la nécessaire suspension du jugement de vérité. SI on veut non seulement comprendre l'écart entre ses évidences et les pensées du philosophe, mais aussi ressentir/vivre l'efficacité propre à telle ou telle pensée philosophique, il faut se situer au niveau de l'idée en tant qu'idée, au niveau purement conceptuel, sans son lien avec 'la réalité' pré-existante (votre réalité, la réalité du monde). On ne cherche pas alors dans quelle mesure une pensée correspond à quelque chose qui lui pré-existe, ou au monde tel que nous le ressentons spontanément nous-mêmes. On suppose d'office que cette correspondance n'est pas du tout donnée, que le philosophe ne parle pas du monde tel qu'il existe. On suppose que le philosophe propose une toute nouvelle façon, un tout nouveau point de vue sur le monde. Et qui dit nouvelle façon de concevoir, dit bien sûr aller à l'encontre de certaines de nos évidences. C'est là où se situe, pour moi, la grande efficacité de la philosophie.

Or pourquoi est-ce important d'apprendre à se situer à un niveau purement conceptuel (donc au niveau de l'idée en tant qu'idée, sans se demander si quelque chose que je connais correspond bien à cette idée ou non)? Parce que nous, êtres humains, nous sommes sensibles aux idées. Les idées ont la capacité de nous toucher. Elles orientent notre regard dans une certaine direction. Elle font que nous concevons les choses plutôt ainsi qu'autrement. D'où viennent-elles? De la culture dans laquelle nous vivons, souvent, et sur laquelle notre propre pensée construit une petite variation personnelle. Cependant, si certaines idées déterminent nos comportements, rien ne dit que ces idées sont réellement les meilleures façons de concevoir le monde et de se concevoir. Rien ne dit que ce sont ces idées qui nous mèneront le mieux au bonheur, et pas d'autres.

La philosophie, pour moi, permet donc d'être MOINS déterminé par ses évidences, c'est-à-dire, justement, d'être moins déterminé par ces idées que notre culture nous a inculquées SANS que nous ayons pu prendre la décision consciente de les adopter.

Vous pouvez vous demandez pourquoi vous n'êtes pas d'accord quand Spinoza propose de ne plus appeler 'liberté' ce qui est une décision consciente. Mais ce faisant, vous restez quasiment tout aussi déterminé par l'idée de liberté qui vous a été inculquée par votre culturé. Dans ce sens, vous n'êtes pas libre (je parle de la liberté au sens courant, pas au sens spinoziste), c'est-à-dire vous vous basez sur une idée qui vous semble évidente non pas parce qu'un beau jour, vous avez eu l'occasion d'apercevoir toutes les conséquences pratiques de toutes les conceptions possible de la liberté, pour ensuite choisir consciemment celle parmi elles qui vous convient le mieux, à vous. Si vous aviez pu faire cela, vous auriez choisi librement votre conception de la liberté.

Mais cela ne s'est pas passé comme ça. Toujours déjà, vous appelez (comme nous tous) 'liberté' ce qui est une décision consciente. Cette idée n'a pas été choisie par vous, elle vous a été enseigné tellement fréquemment (non seulement à l'école mais partout où vous allez, en Occident) que c'est devenu pour vous la façon évidente de concevoir la liberté et donc vous-même et le monde.

Or qui dit évidence, quand il s'agit d'idées, dit CHOIX NON LIBREMENT DÉCIDÉ.

C'est pourquoi j'ai un problème avec votre méthode d'aborder la philosophie. Vous pouvez éventuellement chercher de bonnes raisons pour lesquelles vous ressentez telle ou telle idée comme évidente, et il va de soi que cela demande une activité de compréhension. Mais si vous vous limiter à la question de savoir pourquoi vous sentez la liberté autrement qu'un philosophe X, vous ne profitez pas de la lecture de X pour d'abord élargir votre capacité de concevoir de différentes formes de liberté, donc des formes autres que celle qui nous est évidente. Si vous faisiez cela, alors seulement là vous auriez enfin le CHOIX: maintenir l'idée que l'on adopte déjà spontanément, ou la changer pour une autre, dont on attend plus de bonheur, une fois que l'on ait pu décider consciemment quelle idée a le plus d'atouts.

Bref, si vous utilisez la philosophie d'une part pour mieux comprendre le philosophe, et d'autre part pour mieux comprendre en quoi consistent vos évidences, je ne vois pas comment faire communiquer l'une avec l'autre. Je ne vois pas comment un jour la lecture d'un philosophe pourrait vous donner la possibilité de CHANGER vos évidences. Vous allez peut-être me dire que vous ne voulez pas les changer, parce qu'elles sont vraies. Mais justement, ce que je prétends, c'est qu'aucune idée, quand on parle de concepts philosophiques, ne correspond de manière vérifiable à une réalité hors d'elle-même. Une évidence, c'est juste une idée par laquelle on a l'habitude de classifier nos perceptions de cette réalité. Ce n'est qu'un seul point de vue possible, et ce n'est pas du tout parce que c'est celui-là qui nous a été transmis par notre culture que c'est le seul possible voir le meilleur.

La grande puissance de la philosophe, c'est qu'elle ne permet pas seulement, si on s'y attèle (comme vous le faites déjà admirablement), de mieux comprendre un philosophe et de mieux comprendre pourquoi spontanément on n'est pas d'accord (pourquoi ce qui est évident pour nous est différent de ce qu'il propose). L'efficacité la plus puissante de la philosophie commence quand on l'utilise pour nous LIBÉRER de nos idées que l'on ressent spontanément comme évidentes. Pas parce que les idées du philosophe X ou Y seraient 'plus vraies', ou correspondraient mieux à la réalité que les nôtres (car de cela, on n'en sait rien du tout). Mais parce que le philosophe s'est occupé pendant toute une vie à repenser nos modes de concevoir les choses en profondeur. C'est lui, l'artisan des idées, celui dont la lecture nous permet de faire varier notre point de vue.

Essayer de se voir et de voir le monde par les yeux du philosophe (n'importe lequel) permet donc de démultiplier les points de vue sur soi-même et le monde. Si alors on expérimente, dans sa vie concrète de tous les jours, pendant un certain temps le point de vue du philosophe X, puis du philosophe Y (qui peut être contradictoire au premier, bien sûr, cela n'a aucune importance), le seul résultat de cet exercice, c'est qu'à un certain moment, on aura vécu un peu en concevant tout par une idée de la liberté X, puis Y etc. APRÈS ces expériences, on sera beaucoup plus à même de juger de l'efficacité d'une idée de la liberté par rapport à l'autre, efficacité sur la production de bonheur. On sera donc plus libre, dans le sens tout à fait courant du terme, qu'avant.

Peut-être qu'après tout cela, vous trouvez toujours que l'idée que vous aviez dès le début, qui pour vous était évidente, et qui vous est transmise par notre culture, donne le meilleur résultat de toutes les idées expérimentées. C'est très bien possible, rien ne l'exclut à l'avance. Et alors vous aller choisir celle-là comme celle qui doit guider votre vie. La grande différence consistera dans le fait, justement, que vous auriez CONSCIEMMENT pu choisir et donc DÉCIDER quelle idée de la liberté vous rend le plus heureux. Vous auriez donc peut-être in fini choisi pour une idée traditionnelle, et pas pour l'une ou l'autre idée révolutionnaire qu'un philosophe a concocté la nuit dans sa chambre. Mais vous auriez CHOISI.

Ce n'est pas, il me semble, ce que permet de faire votre méthode actuelle, qui vous oblige à rester quasiment tout autant déterminé par les idées qui vous semblent évidentes que si vous n'aviez jamais lu de la philosophie. C'est à mon sens ce qui est dommage, car vous vous privez d'une possibilité de choix et donc de libre décision, dans votre sens du liberté, sans que cela soit nécessaire.
Mais bon, sans doute ce serait mieux si j'essaie d'expliquer cela un peu plus clairement et surtout plus succinctement. Dans le cas où cela vous intéresse encore, je veux bien l'essayer plus tard.
Une excellente fin d'année à vous,
et bon courage à votre femme,
Louisa

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Messagepar hokousai » 31 déc. 2006, 18:58

chère Louisa

A défaut d être succinte vous êtes compréhensible .
Il y a un autre philosophe qui lie étroitement la lecture de ses textes à l’action c’est Marx .
J’ y pense depuis le début de notre dialogue .Il faut avoir expérimenté Marx pour juger de sa pertinence .Faut- il avoir expérimenté Nietzsche pour juger de sa pertinence ? Les enchères montent .
Et faut- il se mettre à genoux pour comprendre Pascal ? Ou se convertir au christianisme pour comprendre Kierkegaard ?
Si oui alors il n’y a guère que nous même à pouvoir comprendre .

Cette idée n'a pas été choisie par vous, elle vous a été enseigné tellement fréquemment (non seulement à l'école mais partout où vous allez, en Occident) que c'est devenu pour vous la façon évidente de concevoir la liberté et donc vous-même et le monde.


Peut- être ! Mais j’attends qu’ on m ‘en libère . Je n’ai pas lu jusqu’ à présent un philosophe qui le puisse . Quand Spinoza dit qu ‘il ne veut pas distinguer les décrets rêvés des décrets éveillés je ne suis pas d’accord avec lui .
Si en rêve je décide de courir dans la campagne et bien non je ne vais pas courir dans la campagne .

Ce n’est pas de la liberté dont je traite mais de la cause proche de mes actes décidés .Usuellement et par oppositions aux actes contraints on parle d’actes libres . On fait très bien la différence et en orient comme en occident .

Pour la signification du mot liberté j’accorde beaucoup plus d’importance aux libertés physiques ( libre déplacement de mon corps ) ou politiques .Cela dit la cinquième partie de l’éthique me convient fort bien . Je peux aussi comprendre la béatitude liberté .
Mais alors ne doit- on pas sauter par dessus toutes les déterminations, les causes particulières , les adéquates comme les inadéquates ,et peut être par dessus l’idée de cause elle même .

Au plaisir de vous lire

hokousai

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Messagepar Louisa » 02 janv. 2007, 22:33

Cher Hokousai,

Hokousai a écrit :Il y a un autre philosophe qui lie étroitement la lecture de ses textes à l’action c’est Marx .
J’ y pense depuis le début de notre dialogue .Il faut avoir expérimenté Marx pour juger de sa pertinence .Faut- il avoir expérimenté Nietzsche pour juger de sa pertinence ? Les enchères montent .
Et faut- il se mettre à genoux pour comprendre Pascal ? Ou se convertir au christianisme pour comprendre Kierkegaard ?
Si oui alors il n’y a guère que nous même à pouvoir comprendre .


en fait, ce que je prétends, c'est l'inverse: avec votre méthode de lecture, vous risquez de ne comprendre que vous-même, c'est-à-dire de seulement mieux comprendre que ce que vous avez toujours déjà pensé. La méthode dont je parle a comme effet inévitable de pouvoir élargir son propre point de vue. Cela revient-il à une 'conversion' ou une 'soumission' à un autre point de vue, comme vous le dites ci-dessus? Pas du tout. Ce serait le cas si cette méthode ne demandait pas de SUSPENDRE le jugement de vérité, mais d'accorder une vérité à cette autre pensée. Or il ne s'agit pas de commencer à lire l'Ethique en faisant comme si du coup tout serait vrai - si c'était si facile que cela que de produire la vérité, Spinoza n'aurait nullement besoin d'insérer un si grand nombre de 'démonstrations' dans l'Ethique. Puis il le répète à plusieurs endroits qu'il demande au lecteur de ne juger de la vérité qu'après avoir tout lu, et cela évidemment en comprenant les mots dans le sens dans lequel il les définit, et PAS dans le sens ordinaire.

C'est que quand Spinoza parle de liberté pe, il ne parle PAS de ce que VOUS comprenez par ce mot. C'est pourquoi cela n'a pas de sens de dire que l'on n'est pas d'accord avec Spinoza au sujet de la liberté quand on constate que l'on désigne autre chose par ce mot. Pour juger de la vérité des propositions de Spinoza cc la liberté, il faut d'abord tenir compte de l'objet que LUI il décide de désigner par cette 'étiquette', par ce mot 'liberté'. Que vous utiliser la même étiquette pour désigner un autre objet (la décision consciente) ne pose aucun problème. Ce qui pose problème, c'est de juger les énoncés de Spinoza comme s'il parle de l'objet qui se trouve sous VOTRE étiquette 'liberté', tandis que lui, quand il utilise le mot il parle d'autre chose.

Cela signifie que si l'on veut lire un philosophe, il ne faut pas faire comme si les mots n'avaient qu'un seul sens, celui qu'on leur donne habituellement soi-même, pour ensuite se demander dans quelle mesure les définitions que le philosophe propose correspondraient MIEUX au sens que l'on donne ordinairement à ces mots, car justement, le philosophe nous invite à détourner le regard de cet objet habituel désigné par ce mot, pour donner au mot un nouveau sens.
Il ne faut donc pas lire les définitions des philosophes comme 'définitions réelles' ou 'définitions de choses', mais simplement comme définitions avant tout nominales, conçues pour nous aider à concevoir les choses autrement que d'habitude. Concevoir ne veut pas du tout dire croire. Concevoir n'implique pas de jugement de vérité, concevoir demande seulement un effort conceptuel.

D'ailleurs, dans un certain sens on pourrait dire qu'en ceci philosophie et mathématiques ont toujours une approche semblable, malgré le fait qu'avec le temps, les deux disciplines divergent de plus en plus. Prenons pe Descartes qui en tant que mathématicien invente les coordonnées d'un point sur un plan, permettant par là de reformuler tout problème géométrique en un problème algébrique. Est-ce que cette reformulation est plus 'vraie' que la formulation géométrique? Non. Descartes avait bien démontré qu'il était possible de retraduire un problème géométrique en problème algébrique, mais l'important, pour le développement mathématique ultérieur, n'était pas la preuve en tant que tel. L'immense intérêt de cette proposition/invention réside ailleurs: dans l'ouverture d'un tout nouveau point de vue sur la géométrie et sur l'algèbre, créant un tas de nouveaux problèmes et de nouvelles idées. Ou comme l'écrit le mathématicien Ian Stewart: "A good problem is one whose solution, rather than merely tidying up a dead end, opens up entirely new vistas". Le philosophe lui aussi doit d'abord inventer un PROBLÈME, et ce problème ne sera vraiment intéressant que quand lui-même et sa solution ouvrent de toutes nouvelles façons de penser.

Enfin cc les 'enchères': je ne crois pas que l'on peut faire de l'expérience personnel d'un philosophe un critère qui permet de 'tester' la compréhension de quelqu'un d'autre que soi-même. C'est plutôt l'inverse. On peut seulement dire que si quelqu'un lit un philosophe utilisant les mots dans un autre sens que celui définit dans le livre, qu'alors il est impossible qu'il ait déjà pu commencer à expérimenter cette pensée, car dans ce cas il expérimente cet autre sens, et pas celui du livre. Cela ne veut pas dire que ce lecteur est dans le faux. Cela signifie simplement que ce lecteur ne peut pas juger la pensée du philosophe en question puisqu'il ne la pense pas. Il ne peut pas dire ce qui dans cette pensée pourrait être vrai, et ce qui pourrait être faux, puisqu'il ne pense pas encore la pensée en question. Il pense autre chose.
C'est comme si on se trouve sur une montagne et que votre interlocuteur indique avec son doigt une vallée à droite, disant que la rivière qui la traverse passe devant un moulin. Si alors vous regardez d'abord vous aussi à droite, vous serez capable de dire si effectivement, elle passe devant un moulin ou non. Mais si vous regardez à gauche, vous aurez beau dire que la rivière ne passe selon vous pas du tout devant un moulin mais au contraire, passe en-dessous d'un pont, vous n'auriez en rien invalidé l'énoncé de votre interlocuteur. Vous avez tout simplement regardé ailleurs, si vous voyez ce que je veux dire?

Hokousai a écrit :
Citation:
Cette idée n'a pas été choisie par vous, elle vous a été enseigné tellement fréquemment (non seulement à l'école mais partout où vous allez, en Occident) que c'est devenu pour vous la façon évidente de concevoir la liberté et donc vous-même et le monde.


Peut- être ! Mais j’attends qu’ on m ‘en libère . Je n’ai pas lu jusqu’ à présent un philosophe qui le puisse .


Ce que je prétends, c'est que c'est votre méthode de lecture qui vous empêche d'avoir cet effet libérateur en lisant un philosophe. Aussi longtemps que vous continuez à regarder à gauche, parce que vous en avez l'habitude, vous ne découvrirez pas ce qui se trouve à droite. Pourtant, ce n'est que le fait d'avoir une vue sur toute la rivière qui permet par après de choisir librement son propre point de vue. Votre interlocuteur/philosophe peut seulement vous indiquer où il faut regarder, il ne peut pas tourner votre tête à votre place. Là, c'est vous qui devez activement changer de regard, en suivant le chemin ou la direction indiquée par le philosophe. C'est seulement après avoir fait cela que vous pourrez juger de la vérité de ses énoncés sur ce qui est à voir là-bas. Or si vous espérez voir ce qui se passe à droite tout en continuant à regarder à gauche, je crains que vous alliez pouvoir attendre encore longtemps ... .

Hokousai a écrit :Quand Spinoza dit qu ‘il ne veut pas distinguer les décrets rêvés des décrets éveillés je ne suis pas d’accord avec lui .
Si en rêve je décide de courir dans la campagne et bien non je ne vais pas courir dans la campagne .


c'est précisément ce que je viens de dire: vous regardez à gauche et constatez que là, non, la rivière ne passe pas devant un moulin mais en dessous d'un pont. Bien sûr que l'on peut concevoir les decrets rêvés et ceux éveillés d'une telle façon que l'on voit avant tout ce en quoi les uns diffèrent des autres. Spinoza nous invite à chercher un point de vue à partir duquel ils commencent à se ressembler. Encore une fois, pour pouvoir le vérifier, il faut d'abord se déplacer, ou au moins tourner la tête, le regard, dans une autre direction.

Hokousai a écrit :Ce n’est pas de la liberté dont je traite mais de la cause proche de mes actes décidés .Usuellement et par oppositions aux actes contraints on parle d’actes libres . On fait très bien la différence et en orient comme en occident .


oui, mais comme déjà dit, Spinoza ne nie pas que quand on regarde à gauche, on voit que la rivière passe en dessous d'un pont. Il ne nie même pas que c'est la façon habituelle de regarder de tous les hommes, celle de regarder spontanément à gauche. Il invite seulement à regarder une autre partie de la rivière, celle de droite, où les choses se passent d'une manière différente.

Hokousai a écrit :Pour la signification du mot liberté j’accorde beaucoup plus d’importance aux libertés physiques ( libre déplacement de mon corps ) ou politiques .Cela dit la cinquième partie de l’éthique me convient fort bien . Je peux aussi comprendre la béatitude liberté .
Mais alors ne doit- on pas sauter par dessus toutes les déterminations, les causes particulières , les adéquates comme les inadéquates ,et peut être par dessus l’idée de cause elle même .


Selon Spinoza en tout cas pas. La béatitude ou liberté qui est celle du troisième genre de connaissance se caractérise par l'amour intellectuel de Dieu. L'amour se caractérise depuis la 3e partie de l'Ethique comme la Joie accompagnée d'une cause extérieure. Ici, il faut arriver à concevoir Dieu comme cause extérieure, c'est-à-dire la nature entière, dans son essence. Et on n'y arrive pas en sautant le niveau de choses singulières, mais au contraire, on ne peut avoir cette liberté qu'en comprenant l'essence singulière d'un maximum de choses particulières ... . Je me demande donc dans quelle mesure vous comprenez par 'la béatitude liberté' ce que Spinoza veut désigner par là, quand vous dites qu'il faudrait sauter l'idée de cause même ... . J'ai plutôt l'impression qu'ici, tout en continuant de regarder à gauche, vous vous dites: ah oui, je vois bien quelque chose qui ressemble à un moulin, seulement, il ne se trouve ni à l'eau, et semble plutôt produire de la fumée et des voitures que de la farine ... :) .
Bien cordialement,
Louisa

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Messagepar hokousai » 03 janv. 2007, 01:07

chère Louisa

Je me demande donc dans quelle mesure vous comprenez par 'la béatitude liberté' ce que Spinoza veut désigner par là, quand vous dites qu'il faudrait sauter l'idée de cause même ... .


je vous dis cela parce que "causa sui "ce n'est pas "cause particulière d'effet particulier ".
Il y a un saut ( je ne peux dire autrement ) du fini à l'infini .

……………………………………….
La fin de la partie 2 (de l’esprit) traite de la liberté comme faculté en fait critique l’idée de sujet libre possédant une faculté . Sa critique induit une doctrine , cette doctrine nie la " faculté ".
Le sujet de la critique n’est pas la conscience de la liberté mais l’attribution d’une faculté c est une critique philosophique des idées scolastiques .
Pour ma part je ne parle pas de faculté , je nie tout a fait la pertinence de cette idée et je suis d’accord avec Spinoza quand il la critique en quatre points .

Je ne vous dis pas que j’ai la faculté d être libre et je bien me dire que j agis sous le seul commandement de Dieu sauf que ce n’est pas la première idée qui me vient à l’esprit .
La première idée est plus proche et plus forte .
Que ce soit Dieu qui soit la cause de cette hiérarchie de puissance et que je le sache je veux bien cela ne change pas la hiérarchie .cela ne change pas mon aperception ( comme dit Maine de Biran )en l’occurrence je suis décideur des actes de mon corps quand je les décide .

Les idées ont toutes en commun l’affirmation , certes , mais bien que toutes différentes les unes des autres elles ont quelques ressemblance aussi par moment . Et les volitions ont comme un air de ressemblances .tout comme les idées de douleurs ont comme un air de ressemblance .

(Dans ce scolie Spinoza parle du rêve et s’il y dit que nous ne pouvons suspendre notre jugement sur ce dont on rêve .Il ne dit pas que le jugement éveillé a un rapport au corps qu’il n’a pas dans le rêve et pourtant ne distinguons- nous pas le rêve de l’éveil ? ..il est quand même curieux que Spinoza pour critiquer la volition libre s’ adresse au rêve )

j luc hokousai


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