Hokousai a écrit :
Citation:
Je me demande donc dans quelle mesure vous comprenez par 'la béatitude liberté' ce que Spinoza veut désigner par là, quand vous dites qu'il faudrait sauter l'idée de cause même ... .
je vous dis cela parce que "causa sui "ce n'est pas "cause particulière d'effet particulier ".
Il y a un saut ( je ne peux dire autrement ) du fini à l'infini .
relisant ma phrase, je voulais tout de même d'abord souligner que je ne prétends pas du tout avoir déjà bien compris moi-même ce que Spinoza pense exactement quand il parle de liberté ou béatitude. Disons que je commence seulement à avoir une impression de ce que ce ne serait pas, sans déjà vraiment pouvoir aller plus loin.
J'ai l'impression que ce troisième genre de connaissance est effectivement une pensée de cause, mais ni de Dieu comme causa sui, ni d'une cause particulière. Il s'agirait à mon sens plutôt de Dieu comme cause IMMANENTE. C'est pourquoi il n'y aurait pas de 'saut': il s'agit de voir en quoi telle et telle chose particulière a Dieu comme cause immanente, c'est-à-dire est une expression singulière de Dieu.
S'il n'y a pas de saut du fini à l'infini, ce serait donc parce que l'infini chez Spinoza n'est pas seulement ce que l'on voit quand on regarde le ciel, mais avant tout ce qui se trouve à l'intérieur de nous-mêmes (et des choses).
Hokousai a écrit :La fin de la partie 2 (de l’esprit) traite de la liberté comme faculté en fait critique l’idée de sujet libre possédant une faculté . Sa critique induit une doctrine , cette doctrine nie la " faculté ".
Le sujet de la critique n’est pas la conscience de la liberté mais l’attribution d’une faculté c est une critique philosophique des idées scolastiques .
Pour ma part je ne parle pas de faculté , je nie tout a fait la pertinence de cette idée et je suis d’accord avec Spinoza quand il la critique en quatre points .
j'ai l'impression que votre position est assez originale. Souvent quelqu'un qui identifie liberté et décision consciente fait effectivement de la liberté une faculté, celle du libre arbitre, qui désigne la possibilité même de pouvoir causer par décision consciente. Or cette faculté du libre arbitre, vous la refusez, tout comme Spinoza. Vous acceptez donc la proposition spinoziste de concevoir la décision consciente comme cause prochaine d'un acte dont on a le sentiment qu'il est voulu, mais qui en réalité est causé lui-même par un tas de causes que nous ignorons. Bref, vous êtes d'accord pour dire que votre décision consciente n'est pas une cause libre. Vous êtes d'accord pour dire que dans la nature, il n'y a pas de causes libres, tout est causé, donc aussi votre décision consciente.
Seulement, Spinoza y ajoute: appeler 'acte libre' le fait d'être la cause prochaine accompagné d'un sentiment de décision consciente n'a plus beaucoup de sens. Il vaut mieux chercher la liberté humaine ailleurs. Car tout bien considéré, cette idée de décision consciente est trop en contradiction avec le déterminisme omniprésent pour pouvoir donner lieu à un concept réellement cohérent et viable.
Or là, au niveau de cette conclusion finale, vous semblez refuser de suivre Spinoza. Vous préférez tout de même appeler ce genre d'actes des actes libres. Ce que je n'ai pas très bien compris, c'est pourquoi. Spinoza en donne une raison: on appelle cela liberté tout simplement par habitude. C'est parce qu'il s'agit d'une habitude que nous avons l'impression qu'il soit 'vrai' que c'est cela, la liberté. Autrement dit: on ne se rend pas compte de la contradiction intrinsèque que comporte cette notion, et donc pas non plus des grands dégâts qu'elle cause au niveau individuelle et collective. Vous n'êtes pas d'accord avec lui, mais comme déjà dit, à mon avis c'est parce que vous n'avez pas encore vraiment 'expérimenté' les démonstrations qu'il donne à ce sujet. Bien sûr, une fois cette expérimentation effectuée, vous pourrez très bien ne pas être d'accord aussi, seulement, dans ce cas ce sera réellement fondé. Si j'ai l'impression que pour l'instant, votre refus n'est pas fondé, c'est simplement parce que vous ne refutez pas les arguments essentiels de Spinoza, au contraire, avec 75% vous êtes déjà d'accord, et les 25% qui restent, vous n'en parlez pas. Mon hypothèse, c'est que pour l'instant vous n'avez pas encore réfléchi à ces 25%. D'où pe votre étonnement quant au passage où il parle du rêve. J'y reviens ci-dessous.
Hokousai a écrit :Je ne vous dis pas que j’ai la faculté d être libre et je bien me dire que j agis sous le seul commandement de Dieu sauf que ce n’est pas la première idée qui me vient à l’esprit .
La première idée est plus proche et plus forte .
Que ce soit Dieu qui soit la cause de cette hiérarchie de puissance et que je le sache je veux bien cela ne change pas la hiérarchie .cela ne change pas mon aperception ( comme dit Maine de Biran )en l’occurrence je suis décideur des actes de mon corps quand je les décide .
trois choses là-dessus:
- concevoir Dieu comme celui qui est au commandement, n'est-ce pas en faire un Dieu anthropomorphe, ce que Spinoza rejette?
- vous semblez le trouver très important de règler votre vie sur la première idée qui vous vient à l'esprit. D'où la confiance en l'utilité absolue d'une telle règle?
- si vous parlez de la hiérarchie des causes, vous parlez des causes transitives. Or la proposition 1.18 le dit déjà: Dieu est de toutes choses cause immanente, et non transitive. S'imaginer Dieu comme cause extérieure de ma Joie, cela ne peut donc pas consister à s'imaginer toute la série des causes, jusqu'à l'infini. Il est cause efficiente, mais non pas transitive. C'est pourquoi la liberté spinoziste ne consiste pas, à mon avis, à considérer toutes les causes d'une chose (cette contemplation est celle du 2e genre de connaissance, mais là nous ne pouvons qu'avoir un tas d'idées inadéquates, à côté des idées adéquates, comme le montre la deuxième partie de l'Ethique, et cela à cause de notre finitude). Le 3e genre consiste plutôt à regarder une chose singulière non pas dans tout ce qui l'a causé dans le temps, mais hors temps, du point de vue de l'éternité. Autrement dit, c'est non pas considérer la chose dans son EXISTENCE (se développant toujours selon les rencontres fortuites dans le temps) mais dans son ESSENCE singulière, c'est-à-dire dans ce qui la caractérise 'de tout temps'.
Hokousai a écrit :Les idées ont toutes en commun l’affirmation , certes , mais bien que toutes différentes les unes des autres elles ont quelques ressemblance aussi par moment . Et les volitions ont comme un air de ressemblances .tout comme les idées de douleurs ont comme un air de ressemblance .
oui, mais conclure de cette ressemblance à l'existence de quelque chose de plus général qui serait la volonté, c'est pour Spinoza faire un saut incompréhensible. On parle bien de blancheur, mais pour lui ce n'est qu'un raccourci pour désigner toutes les choses blanches, une façon de parler, une façon de s'imaginer une unité là où en réalité on ressent tellement d'images différentes que l'on n'a plus la capacité de les considérer toutes dans ce qu'elles ont de spécifique. Pour se faciliter la vie, on s'en tient donc à ce que ces images ont de semblables. Idem en ce qui concerne les volitions particulières par rapport à la volonté. C'est parce que la volonté n'existe pas que vous ne pouvez pas dire que vous étiez vous-même la cause de vos actes. Vous n'avez pas quelque chose comme une volonté, puissance causale, selon Spinoza. Votre puissance se définit par votre désir, pas par votre volonté. C'est votre désir qui est la cause prochaine de vos actes. Et votre désir, c'est votre essence, qui est entièrement déterminée par Dieu comme cause immanente.
C'est pourquoi j'ai l'impression (mais cela est à vérifier) que chez Spinoza nous ne sommes pas des causes adéquates de nos actes (au sens courant du terme 'acte'), mais seulement de nos 'actions' (au sens spinoziste d'action). Dans ce cas, nous ne serions cause adéquate que quand nous contemplons quelque chose sub specie aeternitatis, car c'est uniquement là que notre propre éternité nous permet de former de telles idées. Mais bon, cela a l'air assez vague, j'en conviens ... .
Hokousai a écrit :(Dans ce scolie Spinoza parle du rêve et s’il y dit que nous ne pouvons suspendre notre jugement sur ce dont on rêve .Il ne dit pas que le jugement éveillé a un rapport au corps qu’il n’a pas dans le rêve et pourtant ne distinguons- nous pas le rêve de l’éveil ? ..il est quand même curieux que Spinoza pour critiquer la volition libre s’ adresse au rêve )
dans le scolie de 2.49 il dit que il arrive néanmoins que dans les rêves aussi, nous suspendions notre jugement, pe quand nous rêvons que nous rêvons. Et il dit très clairement qu'il y a une différence dans le rapport au corps quand nous sommes réveillés et quand nous dormons. Il a même besoin de cette différence pour prouver ce qu'il propose, que la volonté n'est rien d'autre qu'une perception, ou rien d'autre que l'affirmation et négation qu'enveloppe toute idée. Seulement, ici il s'agit d'un cas particulier de la volonté: la volonté de juger.
Petite tentative de reprendre l'essentiel du raisonnement, tel que je l'ai pour l'instant compris.
Ce qu'il veut montrer, à mon avis, c'est que nous n'avons pas la possibilité de suspendre notre jugement 'librement', c'est-à-dire sur base d'une décision consciente. 'Suspendre le jugement' signifie ici 'ne pas adhérer à ce que nous percevons'.
Nous pouvons certes percevoir quelque chose, et ensuite se dire que non, cela n'est pas vrai. Pe nous pouvons d'abord percevoir une ombre qui ressemble à un ami, et décider après réflexion consciente que non, il ne s'agit pas de lui. La décision consciente dont vous parlez concerne ici donc seulement l'acte de déclarer vrai ou faux une perception (c'est pourquoi il s'agit d'un cas particulier de l'acte libre, dans le sens traditionnel du mot).
Or Spinoza nous invite à concevoir cet acte comme n'étant rien d'autre qu'une perception suivante, qui s'impose tout autant que la première. Il va donc montrer qu'ici aussi, la 'décision' n'en est pas une, mais ne consiste qu'en une suite d'idées que nous percevons. Car la décision implique un choix. Il va montrer qu'en réalité, nous n'avons aucun choix.
Appliqué au cas particulier du jugement: le sentiment de vérité ou de fausseté d'une perception X peut selon lui tout aussi bien être considéré comme une perception Y de la perception X. Nous n'avons pas vraiment le CHOIX de juger X vrai ou faux. Ce jugement s'impose en toute nécessité. Le fait qu'il nous faut un peu de temps avant de pouvoir l'effectuer n'enlève en rien sa nécessité intrinsèque.
S'il passe au rêve pour prouver le point de vue qu'il propose, c'est parce qu'il veut montrer que dans le rêve aussi, nous effectuons des jugements de vérité et de fausseté de ce que nos yeux perçoivent. Quand nous rêvons nous croyons être dans la réalité, donc là nous adhérons à nos perceptions, même si par après on sait que ce que l'on jugeait vrai était faux (nous pouvons rêver que notre chien est mort, mais être réveillé par lui le matin; cela n'enlève rien au sentiment de vérité de sa mort pendant le rêve). Nous pouvons même rêver que ce que nous percevons dans le rêve n'est PAS vrai, mais seulement un rêve. Cela arrive quand nous rêvons que nous rêvons.
Dans tous ces cas, ceux qui veulent définir la liberté par la conscience doivent avouer que même pendant des états tout à fait inconscients, nous effectuons toujours des jugements de vérité. Ce qui prouve que nos jugements de vérité ne dépendent PAS de notre conscience, mais ne sont rien d'autre que des perceptions. Perceptions auxquelles nous ne pouvons pas adhérer au choix, mais dont la vérité ou fausseté s'impose à nous. Car si le choix, qui par définition est lié à la conscience d'alternatives, était nécessaire pour juger une perception vraie ou fausse, on n'aurait pas de sentiment de vérité ou de fausseté de nos perceptions lorsque nous rêvons. Et pourtant, nous savons d'expérience que quand nous rêvons, nous y adhérons, tandis que quand nous rêvons que nous rêvons, nous n'y adhérons pas.
Ce qui est donc semblable dans l'état d'éveil et l'état de rêve, c'est le fait d'avoir des jugements de vérité et de fausseté. Spinoza en conclut que donc ces jugements ne sont rien d'autre que des perceptions de perceptions. Ce sont donc plutôt des perceptions que des décisions, car nous ne pouvons pas ne pas y adhérer, nous ne pouvons pas suspendre le jugement. Nous percevons que la perception X est vrai et nous n'y pouvons rien. Une fois cette perception d'une perception faite, on ne pourra plus la nier.
Ce qui est différent dans l'état d'éveil et l'état de rêve, c'est bien sûr le rapport conscient que nous avons à notre Corps et donc à notre environnement dans l'un, comparé au rapport inconscient dans l'autre. Spinoza ne nie pas du tout cette différence, mais au contraire en a besoin pour montrer que donc MÊME en étant inconscient, nous faisons toujours des jugements de vérité. Et donc nous n'avons pas besoin de la conscience pour avoir de telles expériences.
Conclusion: le jugement de vérité ne nécessite pas la conscience. Il est une simple perception d'une perception. Pendant la journée, ces perceptions intègrent ce qui se passe à l'extérieur de notre Corps. Pendant la nuit pas. Mais dans aucun des deux cas, nous pouvons choisir volontairement ce que nous appelons vrai ou faux. Et dans les deux cas, nous avons des sentiments de vérité et de fausseté. Ceux-ci doivent donc être des perceptions spécifiques, mais ne peuvent pas dépendre ni de la conscience, ni d'une décision. Nous ne pouvons pas suspendre nos jugements de vérité. La faculté d'adhérer à une perception n'est pas libre. Elle ne dépend pas de notre volonté, dans le sens traditionnel du mot. L'adhésion se fait tout à fait indépendamment de ce que nous voulons.
Il faut donc ou bien changer le sens du mot 'volonté', ou bien changer le sens du mot 'jugement de vérité', car en utilisant les sens traditionnels de ces mots, on n'a qu'une contradiction. Spinoza change un peu le sens des deux: il propose de concevoir la volonté comme l'affirmation et la négation qui est enveloppée dans l'idée même, et le jugement de vérité comme une perception particulière d'une perception (celle qui impose ou rend impossible notre adhésion).
Pourquoi ne pas juste prendre note de cette contradiction, et s'en tenir tout de même à ce que vous appelez 'la première idée qui vient à l'esprit', c'est-à-dire le sens usuel des termes?
Déjà il faudrait pouvoir montrer en quoi le sens traditionnel des mots serait d'office le plus vrai et le plus utile, ce qui me semble une affaire bien difficile. Comme déjà dit, pour moi l'essence même de l'entreprise philosophique, c'est de dépister les significations obsolètes/fausses/nocives des mots pour en proposer de nouvelles significations, dont après mûre réflexion on attend plus de vérité et plus d'utilité.
C'est exactement ce que Spinoza précise lui aussi à la fin du même scolie: il prétend que si nous apprenons (et cela demande beaucoup d'exercice, car il faut que ces nouvelles idées nous viennent immédiatement à l'esprit, et non plus les anciennes, chose qui nécessite pas mal d'entraînement) à concevoir les choses comme telles, c'est-à-dire à donner ce sens entièrement nouveau à ces mots, que nous-mêmes et la société seront beaucoup plus heureux. Plus même, il prétend que ce faisant, nous pourrons même avoir accès au bonheur suprême. C'est ce qui fait, à mon sens, que cela vaut tout de même la peine de l'essayer quelques instants. Si on ne gagne pas ce bonheur suprême, on se sera simplement adonné à un peu de gymnastique de l'esprit, ce qui ne fait jamais de mal. Et s'il s'avère que Spinoza 'ait raison', bon, là il est clair qu'il valait bien la peine de s'y risquer ... .
Au plaisir,
Louisa
PS: comme toujours, désolée pour la longueur de ce message ...