Spinoza et la maitrise pratique des affects

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar Louisa » 03 janv. 2007, 13:34

Cher Hokousai,

Hokousai a écrit :
Citation:
Je me demande donc dans quelle mesure vous comprenez par 'la béatitude liberté' ce que Spinoza veut désigner par là, quand vous dites qu'il faudrait sauter l'idée de cause même ... .

je vous dis cela parce que "causa sui "ce n'est pas "cause particulière d'effet particulier ".
Il y a un saut ( je ne peux dire autrement ) du fini à l'infini .


relisant ma phrase, je voulais tout de même d'abord souligner que je ne prétends pas du tout avoir déjà bien compris moi-même ce que Spinoza pense exactement quand il parle de liberté ou béatitude. Disons que je commence seulement à avoir une impression de ce que ce ne serait pas, sans déjà vraiment pouvoir aller plus loin.

J'ai l'impression que ce troisième genre de connaissance est effectivement une pensée de cause, mais ni de Dieu comme causa sui, ni d'une cause particulière. Il s'agirait à mon sens plutôt de Dieu comme cause IMMANENTE. C'est pourquoi il n'y aurait pas de 'saut': il s'agit de voir en quoi telle et telle chose particulière a Dieu comme cause immanente, c'est-à-dire est une expression singulière de Dieu.
S'il n'y a pas de saut du fini à l'infini, ce serait donc parce que l'infini chez Spinoza n'est pas seulement ce que l'on voit quand on regarde le ciel, mais avant tout ce qui se trouve à l'intérieur de nous-mêmes (et des choses).

Hokousai a écrit :La fin de la partie 2 (de l’esprit) traite de la liberté comme faculté en fait critique l’idée de sujet libre possédant une faculté . Sa critique induit une doctrine , cette doctrine nie la " faculté ".
Le sujet de la critique n’est pas la conscience de la liberté mais l’attribution d’une faculté c est une critique philosophique des idées scolastiques .
Pour ma part je ne parle pas de faculté , je nie tout a fait la pertinence de cette idée et je suis d’accord avec Spinoza quand il la critique en quatre points .


j'ai l'impression que votre position est assez originale. Souvent quelqu'un qui identifie liberté et décision consciente fait effectivement de la liberté une faculté, celle du libre arbitre, qui désigne la possibilité même de pouvoir causer par décision consciente. Or cette faculté du libre arbitre, vous la refusez, tout comme Spinoza. Vous acceptez donc la proposition spinoziste de concevoir la décision consciente comme cause prochaine d'un acte dont on a le sentiment qu'il est voulu, mais qui en réalité est causé lui-même par un tas de causes que nous ignorons. Bref, vous êtes d'accord pour dire que votre décision consciente n'est pas une cause libre. Vous êtes d'accord pour dire que dans la nature, il n'y a pas de causes libres, tout est causé, donc aussi votre décision consciente.

Seulement, Spinoza y ajoute: appeler 'acte libre' le fait d'être la cause prochaine accompagné d'un sentiment de décision consciente n'a plus beaucoup de sens. Il vaut mieux chercher la liberté humaine ailleurs. Car tout bien considéré, cette idée de décision consciente est trop en contradiction avec le déterminisme omniprésent pour pouvoir donner lieu à un concept réellement cohérent et viable.
Or là, au niveau de cette conclusion finale, vous semblez refuser de suivre Spinoza. Vous préférez tout de même appeler ce genre d'actes des actes libres. Ce que je n'ai pas très bien compris, c'est pourquoi. Spinoza en donne une raison: on appelle cela liberté tout simplement par habitude. C'est parce qu'il s'agit d'une habitude que nous avons l'impression qu'il soit 'vrai' que c'est cela, la liberté. Autrement dit: on ne se rend pas compte de la contradiction intrinsèque que comporte cette notion, et donc pas non plus des grands dégâts qu'elle cause au niveau individuelle et collective. Vous n'êtes pas d'accord avec lui, mais comme déjà dit, à mon avis c'est parce que vous n'avez pas encore vraiment 'expérimenté' les démonstrations qu'il donne à ce sujet. Bien sûr, une fois cette expérimentation effectuée, vous pourrez très bien ne pas être d'accord aussi, seulement, dans ce cas ce sera réellement fondé. Si j'ai l'impression que pour l'instant, votre refus n'est pas fondé, c'est simplement parce que vous ne refutez pas les arguments essentiels de Spinoza, au contraire, avec 75% vous êtes déjà d'accord, et les 25% qui restent, vous n'en parlez pas. Mon hypothèse, c'est que pour l'instant vous n'avez pas encore réfléchi à ces 25%. D'où pe votre étonnement quant au passage où il parle du rêve. J'y reviens ci-dessous.

Hokousai a écrit :Je ne vous dis pas que j’ai la faculté d être libre et je bien me dire que j agis sous le seul commandement de Dieu sauf que ce n’est pas la première idée qui me vient à l’esprit .
La première idée est plus proche et plus forte .
Que ce soit Dieu qui soit la cause de cette hiérarchie de puissance et que je le sache je veux bien cela ne change pas la hiérarchie .cela ne change pas mon aperception ( comme dit Maine de Biran )en l’occurrence je suis décideur des actes de mon corps quand je les décide .


trois choses là-dessus:
- concevoir Dieu comme celui qui est au commandement, n'est-ce pas en faire un Dieu anthropomorphe, ce que Spinoza rejette?
- vous semblez le trouver très important de règler votre vie sur la première idée qui vous vient à l'esprit. D'où la confiance en l'utilité absolue d'une telle règle?
- si vous parlez de la hiérarchie des causes, vous parlez des causes transitives. Or la proposition 1.18 le dit déjà: Dieu est de toutes choses cause immanente, et non transitive. S'imaginer Dieu comme cause extérieure de ma Joie, cela ne peut donc pas consister à s'imaginer toute la série des causes, jusqu'à l'infini. Il est cause efficiente, mais non pas transitive. C'est pourquoi la liberté spinoziste ne consiste pas, à mon avis, à considérer toutes les causes d'une chose (cette contemplation est celle du 2e genre de connaissance, mais là nous ne pouvons qu'avoir un tas d'idées inadéquates, à côté des idées adéquates, comme le montre la deuxième partie de l'Ethique, et cela à cause de notre finitude). Le 3e genre consiste plutôt à regarder une chose singulière non pas dans tout ce qui l'a causé dans le temps, mais hors temps, du point de vue de l'éternité. Autrement dit, c'est non pas considérer la chose dans son EXISTENCE (se développant toujours selon les rencontres fortuites dans le temps) mais dans son ESSENCE singulière, c'est-à-dire dans ce qui la caractérise 'de tout temps'.

Hokousai a écrit :Les idées ont toutes en commun l’affirmation , certes , mais bien que toutes différentes les unes des autres elles ont quelques ressemblance aussi par moment . Et les volitions ont comme un air de ressemblances .tout comme les idées de douleurs ont comme un air de ressemblance .


oui, mais conclure de cette ressemblance à l'existence de quelque chose de plus général qui serait la volonté, c'est pour Spinoza faire un saut incompréhensible. On parle bien de blancheur, mais pour lui ce n'est qu'un raccourci pour désigner toutes les choses blanches, une façon de parler, une façon de s'imaginer une unité là où en réalité on ressent tellement d'images différentes que l'on n'a plus la capacité de les considérer toutes dans ce qu'elles ont de spécifique. Pour se faciliter la vie, on s'en tient donc à ce que ces images ont de semblables. Idem en ce qui concerne les volitions particulières par rapport à la volonté. C'est parce que la volonté n'existe pas que vous ne pouvez pas dire que vous étiez vous-même la cause de vos actes. Vous n'avez pas quelque chose comme une volonté, puissance causale, selon Spinoza. Votre puissance se définit par votre désir, pas par votre volonté. C'est votre désir qui est la cause prochaine de vos actes. Et votre désir, c'est votre essence, qui est entièrement déterminée par Dieu comme cause immanente.
C'est pourquoi j'ai l'impression (mais cela est à vérifier) que chez Spinoza nous ne sommes pas des causes adéquates de nos actes (au sens courant du terme 'acte'), mais seulement de nos 'actions' (au sens spinoziste d'action). Dans ce cas, nous ne serions cause adéquate que quand nous contemplons quelque chose sub specie aeternitatis, car c'est uniquement là que notre propre éternité nous permet de former de telles idées. Mais bon, cela a l'air assez vague, j'en conviens ... .

Hokousai a écrit :(Dans ce scolie Spinoza parle du rêve et s’il y dit que nous ne pouvons suspendre notre jugement sur ce dont on rêve .Il ne dit pas que le jugement éveillé a un rapport au corps qu’il n’a pas dans le rêve et pourtant ne distinguons- nous pas le rêve de l’éveil ? ..il est quand même curieux que Spinoza pour critiquer la volition libre s’ adresse au rêve )


dans le scolie de 2.49 il dit que il arrive néanmoins que dans les rêves aussi, nous suspendions notre jugement, pe quand nous rêvons que nous rêvons. Et il dit très clairement qu'il y a une différence dans le rapport au corps quand nous sommes réveillés et quand nous dormons. Il a même besoin de cette différence pour prouver ce qu'il propose, que la volonté n'est rien d'autre qu'une perception, ou rien d'autre que l'affirmation et négation qu'enveloppe toute idée. Seulement, ici il s'agit d'un cas particulier de la volonté: la volonté de juger.

Petite tentative de reprendre l'essentiel du raisonnement, tel que je l'ai pour l'instant compris.

Ce qu'il veut montrer, à mon avis, c'est que nous n'avons pas la possibilité de suspendre notre jugement 'librement', c'est-à-dire sur base d'une décision consciente. 'Suspendre le jugement' signifie ici 'ne pas adhérer à ce que nous percevons'.

Nous pouvons certes percevoir quelque chose, et ensuite se dire que non, cela n'est pas vrai. Pe nous pouvons d'abord percevoir une ombre qui ressemble à un ami, et décider après réflexion consciente que non, il ne s'agit pas de lui. La décision consciente dont vous parlez concerne ici donc seulement l'acte de déclarer vrai ou faux une perception (c'est pourquoi il s'agit d'un cas particulier de l'acte libre, dans le sens traditionnel du mot).
Or Spinoza nous invite à concevoir cet acte comme n'étant rien d'autre qu'une perception suivante, qui s'impose tout autant que la première. Il va donc montrer qu'ici aussi, la 'décision' n'en est pas une, mais ne consiste qu'en une suite d'idées que nous percevons. Car la décision implique un choix. Il va montrer qu'en réalité, nous n'avons aucun choix.

Appliqué au cas particulier du jugement: le sentiment de vérité ou de fausseté d'une perception X peut selon lui tout aussi bien être considéré comme une perception Y de la perception X. Nous n'avons pas vraiment le CHOIX de juger X vrai ou faux. Ce jugement s'impose en toute nécessité. Le fait qu'il nous faut un peu de temps avant de pouvoir l'effectuer n'enlève en rien sa nécessité intrinsèque.

S'il passe au rêve pour prouver le point de vue qu'il propose, c'est parce qu'il veut montrer que dans le rêve aussi, nous effectuons des jugements de vérité et de fausseté de ce que nos yeux perçoivent. Quand nous rêvons nous croyons être dans la réalité, donc là nous adhérons à nos perceptions, même si par après on sait que ce que l'on jugeait vrai était faux (nous pouvons rêver que notre chien est mort, mais être réveillé par lui le matin; cela n'enlève rien au sentiment de vérité de sa mort pendant le rêve). Nous pouvons même rêver que ce que nous percevons dans le rêve n'est PAS vrai, mais seulement un rêve. Cela arrive quand nous rêvons que nous rêvons.
Dans tous ces cas, ceux qui veulent définir la liberté par la conscience doivent avouer que même pendant des états tout à fait inconscients, nous effectuons toujours des jugements de vérité. Ce qui prouve que nos jugements de vérité ne dépendent PAS de notre conscience, mais ne sont rien d'autre que des perceptions. Perceptions auxquelles nous ne pouvons pas adhérer au choix, mais dont la vérité ou fausseté s'impose à nous. Car si le choix, qui par définition est lié à la conscience d'alternatives, était nécessaire pour juger une perception vraie ou fausse, on n'aurait pas de sentiment de vérité ou de fausseté de nos perceptions lorsque nous rêvons. Et pourtant, nous savons d'expérience que quand nous rêvons, nous y adhérons, tandis que quand nous rêvons que nous rêvons, nous n'y adhérons pas.

Ce qui est donc semblable dans l'état d'éveil et l'état de rêve, c'est le fait d'avoir des jugements de vérité et de fausseté. Spinoza en conclut que donc ces jugements ne sont rien d'autre que des perceptions de perceptions. Ce sont donc plutôt des perceptions que des décisions, car nous ne pouvons pas ne pas y adhérer, nous ne pouvons pas suspendre le jugement. Nous percevons que la perception X est vrai et nous n'y pouvons rien. Une fois cette perception d'une perception faite, on ne pourra plus la nier.

Ce qui est différent dans l'état d'éveil et l'état de rêve, c'est bien sûr le rapport conscient que nous avons à notre Corps et donc à notre environnement dans l'un, comparé au rapport inconscient dans l'autre. Spinoza ne nie pas du tout cette différence, mais au contraire en a besoin pour montrer que donc MÊME en étant inconscient, nous faisons toujours des jugements de vérité. Et donc nous n'avons pas besoin de la conscience pour avoir de telles expériences.

Conclusion: le jugement de vérité ne nécessite pas la conscience. Il est une simple perception d'une perception. Pendant la journée, ces perceptions intègrent ce qui se passe à l'extérieur de notre Corps. Pendant la nuit pas. Mais dans aucun des deux cas, nous pouvons choisir volontairement ce que nous appelons vrai ou faux. Et dans les deux cas, nous avons des sentiments de vérité et de fausseté. Ceux-ci doivent donc être des perceptions spécifiques, mais ne peuvent pas dépendre ni de la conscience, ni d'une décision. Nous ne pouvons pas suspendre nos jugements de vérité. La faculté d'adhérer à une perception n'est pas libre. Elle ne dépend pas de notre volonté, dans le sens traditionnel du mot. L'adhésion se fait tout à fait indépendamment de ce que nous voulons.
Il faut donc ou bien changer le sens du mot 'volonté', ou bien changer le sens du mot 'jugement de vérité', car en utilisant les sens traditionnels de ces mots, on n'a qu'une contradiction. Spinoza change un peu le sens des deux: il propose de concevoir la volonté comme l'affirmation et la négation qui est enveloppée dans l'idée même, et le jugement de vérité comme une perception particulière d'une perception (celle qui impose ou rend impossible notre adhésion).

Pourquoi ne pas juste prendre note de cette contradiction, et s'en tenir tout de même à ce que vous appelez 'la première idée qui vient à l'esprit', c'est-à-dire le sens usuel des termes?
Déjà il faudrait pouvoir montrer en quoi le sens traditionnel des mots serait d'office le plus vrai et le plus utile, ce qui me semble une affaire bien difficile. Comme déjà dit, pour moi l'essence même de l'entreprise philosophique, c'est de dépister les significations obsolètes/fausses/nocives des mots pour en proposer de nouvelles significations, dont après mûre réflexion on attend plus de vérité et plus d'utilité.

C'est exactement ce que Spinoza précise lui aussi à la fin du même scolie: il prétend que si nous apprenons (et cela demande beaucoup d'exercice, car il faut que ces nouvelles idées nous viennent immédiatement à l'esprit, et non plus les anciennes, chose qui nécessite pas mal d'entraînement) à concevoir les choses comme telles, c'est-à-dire à donner ce sens entièrement nouveau à ces mots, que nous-mêmes et la société seront beaucoup plus heureux. Plus même, il prétend que ce faisant, nous pourrons même avoir accès au bonheur suprême. C'est ce qui fait, à mon sens, que cela vaut tout de même la peine de l'essayer quelques instants. Si on ne gagne pas ce bonheur suprême, on se sera simplement adonné à un peu de gymnastique de l'esprit, ce qui ne fait jamais de mal. Et s'il s'avère que Spinoza 'ait raison', bon, là il est clair qu'il valait bien la peine de s'y risquer ... :) .
Au plaisir,
Louisa

PS: comme toujours, désolée pour la longueur de ce message ...

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Messagepar Louisa » 03 janv. 2007, 15:22

PS: tentative de résumer la dernière partie du message précédent, donc mon interprétation du raisonnement de la réponse de Spinoza à la deuxième objection du scolie de 2.49.

Thèse de Spinoza: la libre volonté comme décision consciente n'existe pas. La volonté n'est rien d'autre qu'une perception, idem la décision consciente.

Objection: la différence entre perception et volonté, c'est que nous pouvons décider consciemment/librement de suspendre un jugement de vérité par rapport à une perception (nous pouvons décider de ne pas croire telle ou telle perception), mais non pas cette perception elle-même.

Réponse/démonstration de Spinoza:

- nous sommes d'accord pour dire que la perception s'impose à nous, elle ne se décide pas (je peux décider de regarder dans telle ou telle direction, mais non pas des images qui toucheront alors mes yeux)

- nous sommes d'accord pour dire qu'en rêvant, nous effectuons des jugements de vérité (nous croyons que nos perceptions sont vraies, ou, quand nous rêvons que nous rêvons, qu'elles sont fausses)

- effectuer des jugements de vérité en rêvant implique que l'on soit capable de ce type de jugements SANS intervention de la conscience

- question: comment dès lors expliquer ces jugements de vérité? Réponse de Spinoza: on peut les concevoir comme de simples perceptions qui s'ajoutent aux images (dans le sens traditionnel) que nos yeux voient, seulement il s'agit de perceptions de vérité ou fausseté de ces images, donc d'une autre perception.

- conclusion: le jugement de vérité étant une perception, et les perceptions ne se laissant pas choisir consciemment mais s'imposant d'elles-mêmes, nous ne sommes pas capables de suspendre librement nos jugements de vérité. Etre conscient d'un jugement de vérité n'implique donc aucunement que celui-ci soit effectué par une libre volonté, au contraire, tout jugement de vérité est une perception qui s'impose tout autant que n'importe quelle autre perception. Dès lors, il n'y a pas de distinction entre volonté et perception. La volonté n'est rien d'autre que l'affirmation ou la négation qu'enveloppe la perception.

Conséquence pour la thèse de Hokousai 'acte libre = acte décidé consciemment':
l'acte s'impose tout à fait indépendamment de notre conscience, et la décision n'est rien d'autre que le temps nécessaire pour percevoir une vérité ou fausseté. Quand cette vérité/fausseté s'impose immédatement, nous avons l'impression de ne pas en avoir décidé, quand cela prend du temps, nous nous sommes conscients du processus d'élaboration du jugement, et c'est cette conscience accompagnée d'un certain moment d'incertitude que nous appelons d'habitude 'décision'. Or au fond il ne se passe rien d'autre que pendant n'importe quelle autre perception. Le jugement de vérité arrive tout simplement un peu plus tard, et c'est tout. Mais dans tous les cas, la vérité s'impose. Elle n'est pas le résultat d'une décision consciente.
D'où l'inutilité de cette expression pour désigner l'acte libre, car la 'liberté' désignait toujours avant tout une faculté humaine supérieure; or il est absurde d'appeler le fait que parfois nous avons besoin d'un peu plus de temps pour l'élaboration d'une perception claire et distincte de la vérité d'une autre perception (donc le moment d'incertitude qui la caractérise) notre capacité de liberté. C'est seulement notre ordinateur mental qui fonctionne un peu plus lentement, et c'est tout.
Dans l'espoir que ceci soit un peu plus clair ...
Louisa

PPS: pour autant que je me souvienne, le philosophe américain Daniel Dennett pe accepte également l'idée d'un monde entièrement déterminé, mais propose de tout de même appeler ces moments d'élaboration plus lente nos moments de libérté, et cela parce que ce serait ce qui rend possible l'intégration d'une grande quantité de données, cette intégration étant précisément ce qui nous permet de prévoir le futur et donc de mieux adapter notre comportement au monde extérieur, ce qui nous donne la possibilité de devenir plus heureux (en utilisant mieux la nature à nos fins).
Du point de vue spinoziste, il faudrait peut-être dire que Dennett a découvert l'utilité du deuxième genre de connaissance, mais n'en a pas encore tiré l'ultime conséquence, contrairement à Spinoza? Car si prévoir le futur est possible, c'est parce que nous pouvons trouver des choses communes à toutes choses, via la raison. Or ce qui est commun à tout, et conçu comme tel par la raison, la raison l'a toujours en sa présence (5.7) et elle ne peut le percevoir qu'adéquatement (5.4). Il est donc de la nature de la raison de percevoir les choses sous un certain aspect d'éternité (2.44 scolie). Pour Spinoza, la liberté suprême consiste en l'usage maximal de cette éternité, et cela non plus pour seulement contempler ce que les choses ont en commun, mais pour contempler en plus de cela l'essence singulière des choses. Si Dennett concevait la nature propre de la raison, il découvrirait donc une liberté beaucoup plus précieuse que celle de simplement pouvoir prévoir le futur ... ?

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Messagepar hokousai » 03 janv. 2007, 16:33

à Louisa


Il s'agirait à mon sens plutôt de Dieu comme cause IMMANENTE. C'est pourquoi il n'y aurait pas de 'saut': il s'agit de voir en quoi telle et telle chose particulière a Dieu comme cause immanente, c'est-à-dire est une expression singulière de Dieu.


c'est pour cela que je vous demandais
Que pensez -vous de ces deux propositions :
(on y parle des événements particuliers et de leur cause )

""""""Il est donc clair que la cause première lointaine embrasse davantage et EST plus fortement cause de la chose que sa cause prochaine .
Pour cette raison l’opération de la cause lointaine s’ attache plus fortement à la chose que l’opération de la cause prochaine. Et il en est ainsi que parce que la chose ne subit d’ abord qu’une puissance éloignée (cause première ) ; ce n’est qu’ultérieurement quelle subit une puissance qui est subordonnée à la première .""""""""""""

………………………………………………………
Bref, vous êtes d'accord pour dire que votre décision consciente n'est pas une cause libre. Vous êtes d'accord pour dire que dans la nature, il n'y a pas de causes libres, tout est causé, donc aussi votre décision consciente


Est –ce que Spinoza parle de cause libre ? je pense qu’il parle de "chose libre " mais pas de causes libres .
Il parle de causes déterminées nécessaires à un effet .
Une cause produit l’effet
C’est la modification et nous pouvons avoir des idée vraies de modifications non existantes puisque quoiqu’elles n’existent pas hors de l’intellect leur essence est pourtant comprise en autre chose de telle sorte qu’on peut par cet autre les concevoir.

Quand je vous dis que nous sommes libre quand nous nous pensons libres , nous avons une idée vraie d’une modification inexistante hors de l’intellect .

je ne dirai pas que dans la nature il n’y a pas de « causes libres » parce que « causes libres « (au pluriel ) est un non sens s’il n’y a que Dieu seul qui soit cause libre ( la cause étant la nécessité de sa nature )

les propositions
« il y a des causes libres » ou celle « il n’y a pas de cause libres » sont des non-sens .
je dirai que tout effet suit d’une infinité de causes déterminées (modifications )
…………………………..

je vais court-circuiter

Qu’est ce que cà change de se dire c’est Dieu qui fait ouvrir ma main ou c’est moi qui fait ouvrir ma main .
Car dans les deux cas elle ne s’ouvre pas toute seule .
Ca change quelque chose , je ne le nie pas mais :
Que vais répondre à un de mes élèves qui me dit « cette division ce n’est pas moi qui l ‘ai mal calculée c’est Dieu » ?.


……………………………..
Et donc nous n'avons pas besoin de la conscience pour avoir de telles expériences.


Je comprends comme vous ce que dit Spinoza .
Je dis que nous avons besoin de la conscience pour faire d’autres expériences .Que les expériences faites en conscience ne sont pas celle du rêve .
QU'il est extrêmement important pour la vie psychique du sujet humain que de savoir distinguer le rêve de la vie éveillée …...et aussi sa responsabilité propre du fatum . .

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Messagepar Louisa » 03 janv. 2007, 17:25

Cher Hokousai,

Hokousai a écrit :Citation:
Il s'agirait à mon sens plutôt de Dieu comme cause IMMANENTE. C'est pourquoi il n'y aurait pas de 'saut': il s'agit de voir en quoi telle et telle chose particulière a Dieu comme cause immanente, c'est-à-dire est une expression singulière de Dieu.


c'est pour cela que je vous demandais
Que pensez -vous de ces deux propositions :
(on y parle des événements particuliers et de leur cause )

""""""Il est donc clair que la cause première lointaine embrasse davantage et EST plus fortement cause de la chose que sa cause prochaine .
Pour cette raison l’opération de la cause lointaine s’ attache plus fortement à la chose que l’opération de la cause prochaine. Et il en est ainsi que parce que la chose ne subit d’ abord qu’une puissance éloignée (cause première ) ; ce n’est qu’ultérieurement quelle subit une puissance qui est subordonnée à la première .""""""""""""


J'ai l'impression que Spinoza ne serait pas d'accord. Dieu est bien cause première (1.16 cor III), mais il n'est pas cause lointaine (1.28 scolie), au contraire, Dieu, des choses produites immédiatement par lui, est la cause absolument prochaine (...). Il suit que Dieu ne peut être proprement dit cause lointaine des choses singulières (...). Car par cause lointaine nous entendons une cause telle qu'elle n'est d'aucune manière conjointe à son effet. Or tout ce qui est est en Dieu, et dépend tellemen de Dieu que rien ne peut sans lui ni être ni se concevoir."

C'est que Dieu en tant que cause, c'est Dieu dans sa nature absolue. Ce qui s'en suit, ce sont les essences, pas les choses finies (car tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu est infini et éternel. Les choses finis sont causées par d'autres choses finies, c'est-à-dire non pas de la nature absolue de Dieu, mais de Dieu en tant qu'on le considère affecté d'une certaine manière. Les causes lointaines jouent à ce niveau-ci, au niveau de la finitude. Ce sont toujours les choses finies qui sont causes lointaines, jamais Dieu dans sa nature absolue ou Dieu en tant que cause première, ou Dieu en tant que cause immanente (là il est cause prochaine, mais seulement de l'essence de la chose et de son existence, pas de sa durée pe, car sa durée est finie, et s'achèvera lors de la rencontre avec une autre chose finie qui la détruira). Autrement dit: les causes lointaines sont toujours des causes extérieures de l'existence actuelle des choses fini. Dieu comme cause immanenté, en revanche, est une cause intérieure, celle qui produit l'essence et l'existence éternelles de la chose singulière.

Hokousai a écrit :………………………………………………………Citation:
Bref, vous êtes d'accord pour dire que votre décision consciente n'est pas une cause libre. Vous êtes d'accord pour dire que dans la nature, il n'y a pas de causes libres, tout est causé, donc aussi votre décision consciente


Est –ce que Spinoza parle de cause libre ? je pense qu’il parle de "chose libre " mais pas de causes libres .
Il parle de causes déterminées nécessaires à un effet .
Une cause produit l’effet


si, il parle de cause libre. Si je ne m'abuse, la première fois c'est en 1.17 cor II: Il suit que seul Dieu est cause libre. Le scolie de cette proposition va peut-être vous intéresser car il explique justement en quoi une cause libre n'est pas la même chose qu'une volonté libre.
Ensuite il reprend la notion de cause libre en 1.32, pour creuser davantage l'idée que Dieu n'a pas de volonté libre.

Hokousai a écrit :C’est la modification et nous pouvons avoir des idée vraies de modifications non existantes puisque quoiqu’elles n’existent pas hors de l’intellect leur essence est pourtant comprise en autre chose de telle sorte qu’on peut par cet autre les concevoir.

Quand je vous dis que nous sommes libre quand nous nous pensons libres , nous avons une idée vraie d’une modification inexistante hors de l’intellect .


Mais toute modification dans notre intellect est tout de même accompagnée d'une modification dans le Corps, non? Vous voulez dire que vous vous appelez libre quand vous avez une idée vraie d'une modification en vous, et pas hors de vous? Mais si on constate un cancer chez vous, vous pourriez avoir une idée tout aussi vraie de cette modification en vous, ce serait tout de même un peu bizarre de vous appelez déjà libre juste à cause de ce diagnostique correcte, non?

Hokousai a écrit :je dirai que tout effet suit d’une infinité de causes déterminées (modifications )


oui cela, pour autant que je l'ai compris, c'est le mécanisme classique. Mais chez Spinoza, ily a aussi des effets qui ne suivent pas d'une infinité de causes déterminées, mais d'une seule cause absolue: les essences des choses singulières. C'est ce niveau-là qui me semble difficile à concevoir pour quelqu'un du XXe siècle (dont moi-même), où tout a été réduit au mécanisme classique et où un 'animisme universel' est spontanément rejeté comme relevant de la pensée 'magique'.

Hokousai a écrit :Qu’est ce que cà change de se dire c’est Dieu qui fait ouvrir ma main ou c’est moi qui fait ouvrir ma main .
Car dans les deux cas elle ne s’ouvre pas toute seule .
Ca change quelque chose , je ne le nie pas mais :
Que vais répondre à un de mes élèves qui me dit « cette division ce n’est pas moi qui l ‘ai mal calculée c’est Dieu » ?.


à mon avis ce n'est pas ce que Spinoza prétend. Si vous ouvrez la main, ce n'est pas Dieu en tant que cause immanente qui en est responsable. Vos actes quotidiens ne sont pas causés par Dieu, ce sont des modifications de Dieu. Le 3e genre de connaissance, pour autant que j'ai compris, contemple Dieu dans telle ou telle modification, non pas dans le sens où Dieu l'aurait causée, mais dans le sens où cette modification EST Dieu.

Hokousai a écrit :Citation:
Et donc nous n'avons pas besoin de la conscience pour avoir de telles expériences.


Je comprends comme vous ce que dit Spinoza .
Je dis que nous avons besoin de la conscience pour faire d’autres expériences .Que les expériences faites en conscience ne sont pas celle du rêve .
QU'il est extrêmement important pour la vie psychique du sujet humain que de savoir distinguer le rêve de la vie éveillée …...et aussi sa responsabilité propre du fatum . .


je ne suis toujours pas très convaincue que nous comprenons la même chose ... :) .
Spinoza ne nie pas du tout qu'il est important de distinguer le rêve de la vie éveillée, il se base même sur cette distinction pour montrer en quoi la conscience, telle que lui il la définit (avoir une idée d'une idée), n'intervient pas en tant que cause dans nos comportements.
Qu'à part cela pour certaines choses il vaut mieux être réveillé que de dormir, oui, quoi de plus évident ... ? Seulement, on pourrait se dire que certains actes sont si compliqués qu'ils nécessitent un tas d'idées d'idées, c'est-à-dire une réflexion complexe, avant de pouvoir être effectué. Toujours est-il que cela n'implique pas nécessairement que ces idées d'idées soient ce qui cause l'acte. Du moins selon Spinoza.
Personnellement, je ne suis pas certaine d'adhérer à cette idée. Je veux dire: il me semble assez clair que la conscience n'est pas une faculté représentative, qui nous re-présente sur le plan conscient ce qui se passe dans le corps de manière inconsciente. Si on la conçoit comme cela (et si je l'ai bien compris, c'est comme ça que Descartes la pensait), alors effectivement, je vois mal comment le moi conscient pourrait avoir un quelconque pouvoir sur ce qui se passe 'en bas'. Mais si on conçoit la conscience comme une capacité d'intégration d'un grand nombre de réseaux neuronaux? L'intégration de ces réseaux ne pourrait-elle pas être la cause prochaine d'un mouvement? Si oui la conscience serait plus qu'une simple perception de perceptions. La présenter comme telle serait rester trop proche de Descartes. Elle serait plutôt une puissance organisatrice, et donc causale. Mais bon, cela, ce n'est qu'une hypothèse personnelle, sans plus.
Bonne soirée,
Louisa

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Revenons au sujet...

Messagepar Henrique » 03 janv. 2007, 19:33

Je reprends les dernières questions que Fantasueno m'avait posé pour revenir autant que possible au sujet qui avait été lancé :
Fantasueno a écrit :Si je suis une pensée ou une étendue illimitée, quelle est alors la notion d’individu chez Spinoza ? Est ce mon corps (ou mon âme), où bien l’ensemble des corps (ou des idées) qui sont en relation avec moi ? Autrement dit, puisque la substance est indivisible, comment expliquer la notion d’individu ?


Tu es individu en tant que corps composé "d'un certain nombre de corps de même grandeur ou de grandeur différente (...) ainsi pressés qu'ils s'appuient les uns sur les autres, ou lorsque, se mouvant d'ailleurs avec des degrés semblables ou divers de rapidité, ils se communiquent leurs mouvements suivant des rapports déterminés", il y a ainsi entre de tels corps "union réciproque" constituant "dans leur ensemble un seul corps, un individu, qui, par cette union même, se distingue de tous les autres" (E2P13D - nota : je cite le passage précis pour que tu puisses vérifier que c'est bien ce que Spinoza écrit, puisque c'est sur la pensée de Spinoza que tu m'interroges).

En tant que corps, et considéré séparément du reste de la nature, tu pourrais ne pas avoir de jambe, de bras, être d'une autre couleur, taille etc. mais tu ne peux te concevoir comme inétendu à moins de cesser de te penser comme corps. De sorte que ce qui se meut, se repose, est de telle ou telle grandeur, c'est-à-dire la substance du mouvement, du repos, de la grandeur etc., ce n'est pas ce corps que susbtantiellement tu es en partie, c'est ce sans quoi il n'y aurait ni mouvement, ni repos etc. à savoir l'étendue ou Dieu même en tant que puissance active de s'étendre, étendue qui est exactement la même pour l'individu Fantasueno et l'individu Henrique. C'est par imagination, connaissance mutilée, que nous tenons notre corps pour la substance de ses mouvements. Il n'en est en fait qu'un substrat intermédiaire, comme les jambes sont le substrat de la marche.

De même, tu es en tant qu'âme (ou plutôt mental) l'idée de ce corps, mais qu'est-ce qui pense cette idée ? Cela ne peut pas être ton corps, car ce qui est étendu ne saurait devenir inétendu comme une idée - supposer qu'un grain de sable puisse se transformer en neige serait moins absurde. Est-ce ton âme qui a l'idée de ce corps ? Elle est l'idée de ce corps, elle ne l'a pas, elle ne saurait donc être la substance qui possède cette affection. L'âme est idée du corps, idée secondairement active certes en ce qu'elle produit des effets qui lui sont propres (idée de tel mouvement, de telle grandeur...), mais c'est fondamentalement un être pensé et non un être pensant du fait qu'elle ne saurait s'être produite elle-même, son essence de pensée de ce corps-ci n'enveloppe pas son existence. C'est donc le pouvoir pur de penser en tant qu'attribut infini de Dieu qui pense ton corps, ce qui pense l'idée de ton corps, ce n'est ni ton corps, ni l'idée de ce corps, c'est la substance en tant qu'elle est pensante. C'est ce qui fait que si chacun des individus pensent premièrement des objets différents, l'acte de penser qui les caractérise est fondamentalement le même en chacun.

Alors, puisque la substance est indivisible, comment rendre compte de la notion d’individu ? Si les individus étaient des divisions autrement dit des parties indépendantes - comme pour notre imagination, les parties d'une montre sont d'abord existantes indépendamment de la montre - on en ferait des petites substances, dont la substance universelle ne serait que la somme. Mais à partir du moment où on a bien compris qu'un individu ne saurait être une substance, il est clair que ce ne peut être qu'un mode de la substance. La marche est une façon d'être de tes jambes, distincte de la course, il n'y a pas pour autant division autre que verbale entre tes jambes et la marche, la seconde ne pouvant exister sans les premières. Et entre la marche et la course, il n'y a pas non plus de division substantielle puisque la seconde n'est qu'une façon d'être de la première plus puissante en terme de vitesse dès lors que les pieds quittent le sol quand ils se meuvent plus vivement.

A fortiori, l'union réciproque des corps qui constituent un individu et la distingue par là même de tous les autres individus ne confère pas à celui-ci un statut de substance, pour les raisons vues ci-dessus, il peut donc y avoir continuité entre tous les individus, et non division réelle comme ce pourrait être le cas entre différentes substances (si cela pouvait se concevoir). Voir Ethique I, 12, 13 cor, et surtout 15 scolie.


Je reviens donc à mon ignorance et à mon incompréhension de la définition d’un être humain comme mode fini : Est ce que nous sommes issus d’un mode infini médiat, c'est-à-dire l’univers, ou bien du mode infini immédiat qu’est le mouvement/repos ?
Comment moi en tant que mode fini, puis-je ME déborder pour devenir un individu de plus en plus vaste, voire illimité, alors que ma puissance d’agir est forcément limitée (mode fini) ?


E1P28 montre que nous sommes, en tant qu'individus, issus d'autres modes finis, eux-mêmes issus d'autres modes finis exprimant chacun une propriété de la puissance infinie d'exister de Dieu parmi une infinité (E1P16) et non de modes infinis. Une chose découle de Dieu ou d'un de ses attributs, en tant qu'on les considère comme affectés d'un certain mode.

E2P6 indique le rapport d'immanence entre l'infini et le fini : en tant qu'il est infini, Dieu ne produit que de l'infini (E1P21), ce n'est qu'en tant qu'il s'exprime en une façon d'être particulière que Dieu est cause de l'existence du mode fini : "Les modes d'un attribut, quel qu'il soit, ont Dieu pour cause, en tant que Dieu est considéré sous le point de vue de ce même attribut dont ils sont les modes, et non sous aucun autre point de vue." En effet les modes d'un attribut supposent nécessairement cet attribut pour être pensés, ils ont donc Dieu pour cause de ce point de vue. Ainsi un corps a pour cause Dieu, non en tant qu'il est infini, mais en tant qu'on le considère comme affecté en un autre corps, corps dont Dieu est également la cause, en tant qu'affecté d'une troisième chose, et ainsi à l'infini.

Quant au rapport avec les modes infinis, le corollaire d'E2P11 indique pour le mental qu'il est une partie de l'entendement infini et que lorsque le mental perçoit quelque chose, c'est en fait Dieu qui perçoit quelque chose, "non pas en tant qu'infini, mais en tant qu'il s'exprime par la nature du mental humain, ou bien en tant qu'il en constitue l'essence", mais lorsque Dieu a en même temps dans l'entendement infini l'idée d'une autre chose, le mental humain ne perçoit quant à lui cette chose que partiellement. De même pour le corps, c'est une partie de l'univers et quand il se meut ou se repose en quelque façon, c'est Dieu qui se meut ou se repose en tant qu'il exprime sa puissance de s'étendre dans l'essence du corps humain. Mais comme Dieu est en même temps une infinité d'autres corps dans l'univers, le corps humain ne peut se mouvoir que de façon limitée.

Il ne s'agit donc pas de faire de notre corps ou de notre mental des modes infinis ! L'un et l'autre se "débordent" dans l'augmentation de leur puissance d'agir ou de comprendre, du fait qu'un mode n'est pas une expression figée de la substance mais une autoaffection de sa puissance d'exister, mais uniquement de façon indéfinie, car les autres corps et idées de corps ont aussi chacun une puissance de s'affirmer qui empêchent le corps et l'idée de ce corps de devenir d'un coup l'univers ou l'entendement infini ! Cette expérience de l'augmentation indéfinie de notre puissance individuelle d'agir, c'est l'expérience de la joie. L'expérience de la béatitude, ou de notre perfection éternelle - non soumise à augmentation ou diminution - c'est pour nous l'intuition de l'unité de l'étendue infinie (dont nous pouvons sentir avec un peu d'attention la force) et du/des corps finis que nous pouvons percevoir. Et nous pouvons sentir l'infinité de l'étendue ou de la pensée parce que notre corps et notre mental en sont constitués. Regarde ton écran, il est limité, regarde ta main, c'est le cas aussi mais l'étendue qui les constitue, tu la perçois immédiatement en chacun de ces objets sans quoi tu ne les percevrais pas du tout, peux tu en percevoir quelque limite que ce soit ? Vois tu quelque chose qui pourrait limiter l'étendue de l'étendue ? Et regarde en toi ce qui regarde tous ces objets, y compris l'étendue même, non pas tes yeux physiques ni les démonstrations qui en font voir la nécessité, mais le simple pouvoir de voir : en vois tu quelque limite que ce soit ?

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Messagepar hokousai » 03 janv. 2007, 20:06

à Louisa

J'ai l'impression que Spinoza ne serait pas d'accord.
Je le pense aussi .Je voulais seulement savoir ce que vous pensiez de ces propositions (lesquelles ne sont pas de moi )

................................................


il se base même sur cette distinction pour montrer en quoi la conscience, telle que lui il la définit (avoir une idée d'une idée), n'intervient pas en tant que cause dans nos comportements.



Je lis bien certaines de vos réserves en fin de message ,(ça c'est nouveau) , mais Je vais vous dire ,ouvrir la main ce n’est pas un acte si compliqué , ce n’est pas danser le lac des cygnes .


Bon et bref qu’est -ce qui intervient selon vous (ou Spinoza ) en tant que cause de nos comportements ?
Puisque la conscience exit /basta ne sert à rien
la conscience est un effet mais n’est cause de rien
voilà une impasse dans l’ordre des causes .


Hokousai

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Messagepar Louisa » 04 janv. 2007, 01:51

Bonsoir Hokousai,

Hokousai a écrit :Bon et bref qu’est -ce qui intervient selon vous (ou Spinoza ) en tant que cause de nos comportements ?
Puisque la conscience exit /basta ne sert à rien
la conscience est un effet mais n’est cause de rien
voilà une impasse dans l’ordre des causes .


moi-même je n'en ai aucune idée. Mais selon Spinoza (d'après moi), la conscience ne sert pas à rien et n'est pas cause de rien. Elle peut seulement être cause d'idées, et non pas de comportements corporels, et cela en vertu du parallélisme posé en 2.6.
Spînoza ne nie donc pas que la conscience, en tant qu'idées d'idées, ait des effets. Ce qu'il nie, c'est que la conscience serait cause LIBRE, donc cause non causée.
Mais dans le cas où ce sujet vous intéresse, il nous faudrait peut-être ouvrir un autre forum, et laisser celui-ci à la discussion du problème posé par fantasueno?
Cordialement,
Louisa

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Messagepar hokousai » 04 janv. 2007, 14:05

Chère Louisa


Je ne vous dis pas que la conscience est cause des actes du corps
je vous dis que j 'en ai l'idée
donc cette idée est cause d’autres idées

cela a donc un rapport avec le sujet de ce fil .

Des idées fortes comme celle qui consiste à me dire que je suis capable de tenir des promesses ou bien que je suis capable de résister contre vents et marrées au inconvénients de la vie , que je suis capable si je le veux de survivre , de continuer à vivre et qui sait d être joyeux .....
ce sont des idées ancrées dans l’idée première de la capacité à mouvoir mes membres quand je le décide .

Voilà pourquoi il est désastreux de réfuter en doute la pertinence cette idée , cela l ‘affaibli et ne peut qu’affaiblir ce qu’on appelle en général la volonté .

Il reste aux Spinozistes ( qui me critiquent ) de me convaincre que cette idée est néfaste quelle engendre la tristesse plutôt que la joie .



amicalement
Hokousai

PS je n’ouvre que très rarement de débats , je suis bien assez présent ici comme ça

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Messagepar Louisa » 04 janv. 2007, 19:14

Bonsoir à tous,

Henrique a écrit :Fantasueno a écrit:
Si je suis une pensée ou une étendue illimitée, quelle est alors la notion d’individu chez Spinoza ? Est ce mon corps (ou mon âme), où bien l’ensemble des corps (ou des idées) qui sont en relation avec moi ? Autrement dit, puisque la substance est indivisible, comment expliquer la notion d’individu ?

Tu es individu en tant que corps composé "d'un certain nombre de corps de même grandeur ou de grandeur différente (...) ainsi pressés qu'ils s'appuient les uns sur les autres, ou lorsque, se mouvant d'ailleurs avec des degrés semblables ou divers de rapidité, ils se communiquent leurs mouvements suivant des rapports déterminés", il y a ainsi entre de tels corps "union réciproque" constituant "dans leur ensemble un seul corps, un individu, qui, par cette union même, se distingue de tous les autres" (E2P13D - nota : je cite le passage précis pour que tu puisses vérifier que c'est bien ce que Spinoza écrit, puisque c'est sur la pensée de Spinoza que tu m'interroges).


En ce qui me concerne, j'avais jusqu'à présent tendance à concevoir la notion d'individu par l'idée 'cause d'un seul et même effet': si x, y et z concourent pour produire ensemble un effet t, alors en tant que causes concourantes de cet effet, ils forment un individu.
Je voulais donc ajouter ceci à ce que vient d'écrire Henrique, car parfois j'avais l'impression que concevoir l'individu d'une telle façon était plus facile à s'imaginer que si on passe par la définition ci-dessus, mais ... en cherchant la référence, je viens de constater que je me suis trompée.
On trouve effectivement une notion spécifique pour des causes qui produisent ensemble un effet. Cependant il ne s'agit pas de l'individu, mais de la 'chose singulière'. E2Déf7: "Par choses singulières, j'entends les choses qui sont finies, et ont une existence déterminée. Que si plusieurs Individus concourent à une même action en sorte qu'ils sont tous ensemble cause d'un même effet, je les considère tous, en cela, comme une même chose singulière." Quelle est donc la différence entre la chose singulière et l'Individu, et en quoi cela nous apprendrait-il quelque chose concernant l'indivisibilité? Autrement dit, qu'est-ce que Spinoza appelle plus précisement 'Individu'?

Dans le Lemme III (démo), nous trouvons que les corps sont des choses singulières aussi. Ensuite, à la fin de l'AXII, est introduite la différence entre un 'corps simple' et un 'corps composé'. C'est là qu'intervient la citation de Henrique ci-dessus. On y trouve la définition de l'Individu: il s'agit d'un ensemble de corps appelés 'unis entre eux', qui composent tous ensemble un seul corps ou Individu.
Ceci est tout de même très étonnant, car l'Individu spinoziste (spinoziste car Spinoza l'écrit avec majuscule), l'in-dividu, ce qui donc par définition n'est pas divisible, est chez lui ... par définition une entité composée. D'ailleurs jusqu'ici on ne trouve pas encore des 'individus' (avec minuscule) chez Spinoza (mais peut-être qu'il en parle avant la 2e partie de l'Ethique?). Tout cela indiquerait peut-être déjà que chez Spinoza, il faut prendre les notions d'individu, et donc de divisible et d'indivisible dans un sens nouveau. Ce qui s'oppose chez lui au composé n'est plus l'indivisible, mais le 'simple' (voir E2.15)
Alors, comme le montre le Lemme IV, si un Individu est un corps composé d'autres corps, ce qui définit sa forme ou sa nature, ce ne sont pas ces corps qui composent l'Individu, mais uniquement le rapport entre les corps qui le composent. Faudrait-il en conclure que ce qui rend l'Individu indivisible, c'est le fait qu'il est défini non pas par les parties qui le composent, ou par les termes qui effectuent sa relation, mais par le rapport ou la relation en tant que telle? L'indivisibilité se définirait-elle davantage, chez Spinoza, par le fait de lier des parties d'un certain type de lien que par le fait d'être composé de parties? Ce lien se définissant ici, s'il s'agit d'un ensemble composé de corps, par une communication des mouvements de chaque corps aux autres corps selon un rapport précis, et via un contact direct (des surfaces de contact)?
En plus, les autres lemmes y ajoutent la possibilité, pour l'Individu, d'être affecté de diverses manières sans que sa nature change. Et cela ne vaut pas seulement pour l'Individu, mais aussi pour un deuxième genre d'Individus, non plus composés de corps mais d'Individus: là les différents Individus qui composent l'Individu du second genre communiquent eux aussi entre eux leurs mouvements selon un rapport précis. De la même manière, on peut construire un Individu d'un troisième genre, composé de différentes Individus du 2e genre, et ainsi à l'infini. A chaque fois, l'Individu pourra être affecté de plus en plus de manières différentes, tout en conservant le rapport entre ses parties.
Et c'est ainsi que l'on arrive à l'indivisibilité qui caractérise la Substance ou Dieu. Le scolie du Lemme VII le dit littéralement: la nature tout entière est un seul Individu, dont les parties, c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de manières sans que change l'Individu tout entier."

Conclusion: la Substance est un Individu composé d'une infinité d'Individus, et c'est bien cela qui fait son indivisibilité. Cela restait pour moi totalement paradoxale, jusqu'à ce que j'ai lu l'explication très éclairante de Henrique ici et que j'ai commencé à relire cette partie de l'E2 que je viens de résumer (merci donc à Fantasueno pour la question, et à Henrique pour sa réponse!!).
C'est qu'aussi longtemps que l'on définit le concept de divisibilité par la composition de parties, on ne s'en sort point. Il faut prendre la divisibilité dans un tout nouveau sens, celui qui caractérise l'absence d'un lien de communication de mouvements entre parties selon un rapport précis.
Autrement dit, si la Substance est indivisible, c'est non pas parce qu'elle serait non composée (conception courante de l'indivisibilité; or la Substance est infiniment composée), mais parce qu'elle conserve le rapport qui la caractérise entre ses parties quand elle est affectée.

La question devient alors:
- quel est ce rapport entre les parties qui caractérise cet Individu qu'est Dieu?
- si ce qui existe à part les Individus, ce sont les corps simples (par définition toujours indivisible, je suppose), et si la Nature entière est composée d'Individus d'Individus, est-ce qu'il reste quelque chose de 'divisible', chez Spinoza?

Henrique a écrit :
Alors, puisque la substance est indivisible, comment rendre compte de la notion d’individu ? Si les individus étaient des divisions autrement dit des parties indépendantes - comme pour notre imagination, les parties d'une montre sont d'abord existantes indépendamment de la montre - on en ferait des petites substances, dont la substance universelle ne serait que la somme. Mais à partir du moment où on a bien compris qu'un individu ne saurait être une substance, il est clair que ce ne peut être qu'un mode de la substance. La marche est une façon d'être de tes jambes, distincte de la course, il n'y a pas pour autant division autre que verbale entre tes jambes et la marche, la seconde ne pouvant exister sans les premières. Et entre la marche et la course, il n'y a pas non plus de division substantielle puisque la seconde n'est qu'une façon d'être de la première plus puissante en terme de vitesse dès lors que les pieds quittent le sol quand ils se meuvent plus vivement.


C'est la métaphore de la marche par rapport aux jambes qui a fait que pour la première fois j'ai réussi à m'imaginer une totalité indivisible mais à l'intérieur de laquelle il y a tout de même des différences. En effet, quand on marche, le mouvement affecte nos jambes, mais on ne va pas dire que la marche est une 'division' de mes jambes. C'est plutôt une manière d'être de mes jambes. Si l'on conçoit les modes spinozistes ainsi comme la marche, beaucoup de choses, pour moi, deviennent plus claires. Là, je peux vraiment m'imaginer en quoi le fait d'être affecté n'implique pas que la Substance soit divisible. C'est peut-être une manière plus visuelle de s'imaginer un tout composé qui pourtant n'est pas divisible. Donc merci encore!

Une petite remarque/question peut-être pour terminer: cette métaphore m'a vraiment aidé à m'imaginer comment une substance peut avoir des modes tout en étant indivisible. Seulement, en m'imaginant les modes comme manières d'être de la substance, tout comme la marche est une affection de ma jambe, je ne m'imaginais plus ces manières d'être comme des 'parties' de la substance. Car ce serait absurde de dire que la marche est une 'partie' de ma jambe. La marche affecte toute ma jambe, on ne peut pas la concevoir comme partie. Pour concevoir la Substance comme ayant des modes tout en n'étant pas divisible, la métaphore fonctionne très bien.

Or la Substance est également composé d'attributs. Comme ceux-ci constituent l'essence de la Substance, je suppose qu'ils ne soient pas des modifications d'elle? Est-ce qu'ici il ne faudrait pas tout de même arriver à concevoir une Substance indivisible mais néanmoins composée de parties? C'est-à-dire est-ce que le désavantage de la métaphore de la marche n'est pas de suggérer que l'on peut maintenir, chez Spinoza, la définition traditionnelle de la divisibilité, celle qui identifie divisibilité et être composé de parties? Car on dirait difficilement que nos jambes sont 'composées' par la marche, mais en définissant l'Individu, Spinoza ne prétend pas que les parties de l'Individu, ce seraient ses affections. Il définit l'Individu par le fait même d'être composé de différentes parties d'une part, et d'autre part par une relation précise entre elles, qui n'est pas celle de l'affection mais celle de la communication selon un rapport spécifique.

C'est pourquoi je ne suis pas certaine de bien te comprendre quand tu écris "il peut donc y avoir continuité entre tous les individus, et non division réelle comme ce pourrait être le cas entre différentes substances (si cela pouvait se concevoir)". Si nous pensons à un Individu composé d'Individus, est-ce qu'entre ces derniers il y a forcément continuïté? Autrement dit, si tu ajoutes à la définition spinoziste de l'Individu l'idée de continuïté, est-ce que cela ne revient pas à effacer le fait que l'Individu est composé de différentes parties?
C'est que j'ai l'impression que l'avantage de bien distinguer la notion traditionnelle de divisibilité (être composé de parties) de la notion spinoziste d'indivisibilité (être composé de parties d'une manière spécifique: celle qui permet de maintenir le rapport entre ces parties même si l'ensemble est affecté ou si certaines parties sont remplacées par d'autres), c'est de permettre de s'imaginer les attributs comme étant des parties tout en constituant un seul Individu indivisible.
Autrement dit: vois-tu une manière de concevoir une relation de communication comme une relation de continuïté?
Cordialement,
Louisa

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Messagepar Louisa » 05 janv. 2007, 04:16

Cher Hokousai,

Hokousai a écrit :Des idées fortes comme celle qui consiste à me dire que je suis capable de tenir des promesses ou bien que je suis capable de résister contre vents et marrées au inconvénients de la vie , que je suis capable si je le veux de survivre , de continuer à vivre et qui sait d être joyeux .....
ce sont des idées ancrées dans l’idée première de la capacité à mouvoir mes membres quand je le décide .


vraiment, en vous lisant j'ai quasiment l'impression de lire un 'Spinoza expliquée à ma fille' ... :) .

Comparons pe avec l'Ethique 5.10 scolie:

"il faut penser à la Fermeté(...); c'est-à-dire qu'il faut énumérer les dangers courants de la vie et les imaginer souvent, ainsi que la manière de les éviter au mieux et d'en venir à bout par la présence d'esprit et la force d'âme. Mais il faut remarquer qu'en ordonnant nos pensées et nos images nous devons toujours prêter attention à ce qu'il y a de bon dans chaque chose, afin qu'ainsi ce soit toujours un affect de Joie qui nous détermine à agir.
(...) Qui donc s'emploie, et par seul amour de la Liberté, à maîtriser ses affects et ses appétits, s'efforcera, autant qu'il peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s'emplir l'âme du contenemnt qui naît de leur vraie connaissance; et de contempler le moins possible les vices des hommes, ainsi que de dénigrer les hommes et de tirer contentement d'une fausse espèce de liberté. Et qui observera diligemment cela (et en effet ce n'est pas difficile) et s'y exercera, oui, en très peu de temps il pourra diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison."


Hokousai a écrit :Voilà pourquoi il est désastreux de réfuter en doute la pertinence cette idée , cela l ‘affaibli et ne peut qu’affaiblir ce qu’on appelle en général la volonté .


j'espère que la citation ci-dessus vous a permis de voir en quoi Spinoza ne veut pas DU TOUT réfuter ce que vous écrivez là, au contraire, il s'agit d'une proposition dans la partie qui représente l'objectif même de sa philosophie (la Liberté)?

Je ne peux donc que répéter ce que j'ai déjà dit ici au début: pour moi le problème réside essentiellement dans le fait que vous confondez régulièrement (à mes yeux; à vous de me contredire si vous n'êtes pas d'accord, bien sûr) le sens ordinaire des mots avec le sens que Spinoza décide (consciemment et volontairement! :) ) de leur donner.

Pe: est-ce que Spinoza nie la volonté? Pas du tout! C'est même le contraire. La preuve: la définition qu'il donne de la Volonté (3.9 scolie): "Cet effort (Louisa: que l'Esprit a de persévérer dans son être, tout en étant conscient de cet effort) quand on le rapporte à l'Esprit seul, s'appelle Volonté; mais quand on le rapporte à la fois à l'Esprit et au Corps, on le nomme Appétit. Par conséquent, la "VOLONTE n'est rien d'autre que L'ESSENCE MÊME DE L'HOMME".

Bref, pour Spinoza, la volonté, c'est l'essence même de l'homme. C'est donc tout à fait le contraire de ce que vous dites ici. Appliquer la philosophie de Spinoza ne signifie pas affaiblir la volonté, car la volonté c'est ce qui est responsable pour le fait que nous existons toujours! C'est donc quelque chose de tout à fait centrale et de cruciale, chez Spinoza. Affaiblir la volonté, c'est diminuer son essence, soit exactement ce que Spinoza définit par Tristesse, ce à quoi toute l'Ethique s'oppose.

Hokousai a écrit :Il reste aux Spinozistes ( qui me critiquent ) de me convaincre que cette idée est néfaste quelle engendre la tristesse plutôt que la joie .


A ce sujet, les Spinozistes (qui d'ailleurs quand ils sont de 'vrais' spinozistes n'ont pas à vous critiquer mais à essayer à vous comprendre ... :) ... Henrique pourrait peut-être bien illustrer, par ses interventions déjà faites ici, ce qu'est un 'Spinoza pratique' ... ?) n'ont plus à vous convaincre, vous êtes déjà convaincu: affaiblir la volonté, cela ne peut que créer de la Tristesse et rien d'autre. Vous êtes entièrement d'accord avec Spinoza, à ce sujet.

Seulement, pour réellement pouvoir renforcer votre volonté, Spinoza prétend avoir trouvé quelques règles de vie beaucoup plus efficaces que celles que l'on a tendance à adopter, même si certains gens qui n'ont jamais lu une seule lettre de Spinoza les appliquent déjà tout à fait spontanément (voir le fameux 'salut des ignorants'). Comme toujours, il prétend se baser, comme fondement de sa pensée, uniquement sur des définitions de mots précises et sur des postulats, qui ne sont rien d'autre que ce que nous savons tous déjà d'expérience.
Et donc en voici effectivement la preuve: vous dites que pour vous, la volonté est hyperimportant de la vie. Spinoza est d'accord, il a même décidé d'en faire l'essence même de l'homme.
Mais il prétend aussi que si l'on cesse d'appeler la décision consciente 'libre', alors il y a moyen de renforcer cette volonté de manière absolument fabuleuse, sans que ce soit même extrêmement difficile. Car alors on peut commencer à appliquer quelques remèdes aux affects plus performantes. Ce qui est plus difficile, selon lui, c'est d'accéder à la béatitude. Mais si on est prêt à abandonner la notion traditionnelle de liberté, il faut même pas avoir accès à la Liberté pour déjà pouvoir ressentir un effet très bénéfique de son remède aux affects.
Et abandonner l'idée de liberté comme décision consciente, ce n'est même pas abandonner l'idée de décision en tant que telle. C'est juste apprendre à la concevoir autrement: comme "Détermination du Corps". Autrement dit, il faut tenir compte du fait que quand vous décidez consciemment quelque chose, cela implique que votre Corps est bien déterminé, dans tous les sens du mot.

Alors la condition de ressentir l'effet des remèdes spinozistes à l'affaiblissement de la volonté (car, je le rappelle, la Tristesse, c'est bien cela chez lui, par définition), c'est vraiment de s'entraîner non pas à abandonner la notion de volonté (au contraire!) mais de concevoir autrement la liberté. C'est aussi de cultiver maximalement son désir de comprendre un maximum de choses, et avant tout la chose singulière très étrange que nous sommes nous-mêmes.
Comment cultiver cela? D'une part en faisant ce que vous faites déjà, d'autre part - dirait à mon avis Spinoza - en lisant TRES attentivement l'Ethique, SANS y injecter des sens de mots ordinaires quand il a décidé de définir certains mots autrement ... . Sans passer par ce stade de lecture très attentive (ce qui n'est pas une lecture 'fidèle'; cela n'a rien à voir avec l'idée de 'croire' en tout ce qu'il écrit; il s'agit tout simplement de penser à ce qu'il veut dire quand il utilise le mot X, et non pas à ce que nous, gens du XXe siècle, y associent spontanément, sur base de notre usage contemporain du langage, et c'est tout), donc sans passer par ce stade, bon, il est à mon avis très difficile de ressentir l'effet concret qu'une lecture précise peut avoir sur les affects ... :) .
Chaleureusement,
Louisa

PS: j'espère par ceci indirectement un peu avoir répondu aussi à une des questions de fantasueno, celle qui concerne la maîtrise des affects précisément dans son aspect de 'maîtrise'; la volonté de puissance, n'est-ce pas un des concepts nietzschéens qui montrent le plus pourquoi Nietzsche a pu écrire, le jour où il a découvert la pensée de Spinoza, qu'enfin il n'est plus seul au monde ... ? La volonté de puissance, ou l'essence de l'homme comme volonté ET comme puissance ET comme effort d'augmenter cette puissance ... quoi de plus nietzschéen, dans un certain sens ... ?


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