La fierté

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 28 mai 2008, 01:16

Enegoid a écrit :Puissance, c’est d’abord puissance d’exister. Je note l’exemple savoureux tiré des définitions sur le présent site : la moule, dans l’eau de mer, a plus de puissance d’exister que nous. Et j’ajoute : le jeune de banlieue (puisque nous sommes un peu partis de là) a plus de puissance d’exister au pieds de son escalier que vous, si vous ne faites pas partie du paysage. La puissance dépend du contexte.


Le degré de puissance qui caractérise une chose singulière étant lui aussi singulier, correspondant à l'essence singulière de cette chose, je vois mal comment la puissance d'une chose pourrait dépendre du contexte, au sens où une seule et même chose pourrait être moins ou plus puissante qu'elle-même, en fonction du contexte dans lequel elle se trouve.

D'ailleurs ce que Spinoza dit en E1.11, c'est que non posse existere impotentia est, & contra posse existere potentia est. Autrement dit: ne pas pouvoir exister est une impuissance, pouvoir exister est une puissance. Le scolie précise que plus "il appartient de la réalité à la nature d'une chose, plus elle a de forces (vis) par soi pour exister". Mais il y ajoute immédiatement qu'ici il ne parle que des seules substances, et non pas des choses qui se font par des causes extérieures (les modes donc, ou les êtres finis). Car tout ce que celles-ci ont de perfection ou de réalité (il dira au début de l'E2 que c'est la même chose), elles le doivent tout à la vertu de la cause extérieure, "et par suite leur existence naît de la seule perfection de la cause extérieure, et non de la leur propre". En effet, le premier axiome de l'E2 confirmera que "l'essence de l'homme n'enveloppe pas l'existence nécessaire, c'est-à-dire, selon l'ordre de la nature il peut aussi bien se faire que tel ou tel home existe, ou bien qu'il n'existe pas".

Jusqu'ici, on dirait donc que seul Dieu a une puissance, tandis que l'homme est impuissant. Or on sait que par après, Spinoza va définir l'essence singulière d'une chose par un degré de puissance. A mon sens il faut en conclure que le passage cité ci-dessus ne donne pas vraiment de "définition" de ce que c'est qu'une puissance. Il ne reprend que le sens habituel (en philosophie à son époque) du mot puissance (d'ailleurs il y ajoute le fameux ut per se notum est. On ne peut donc tirer une définition proprement spinoziste de ce que c'est que d'être un degré de puissance pour une chose finie de ce passage.

Enfin, à mon avis et jusqu'à preuve du contraire, Spinoza n'utilise jamais l'expression "puissance d'exister". Une chose finie peut avoir plus ou moins de puissance qu'une autre chose, mais l'exister ne dépend pas de sa puissance, le persévérer dans l'existence ou l'être dépend de la rencontre fortuite avec le monde, et n'est pas déductible de son essence ou degré de puissance.

Sinon - chose que je n'avais pas encore remarquée - la notion de puissance est tout à fait absente de l'E2, hormis une mention de la puissance de Dieu (n'étant rien d'autre que son essence agissante) au début, et une deuxième dans le tout dernier scolie (la puissance d'affirmer vrai ce qui est vrai comparée à la puissance nécessaire pour affirmer vrai ce qui est faux).

La première véritable "définition" de la puissance d'une chose finie se trouve, si je ne m'abuse, dans la démonstration de l'E3P7, celle qui définit le conatus. On y voit que la puissance d'une chose n'est rien d'autre que l'EFFORT par lequel elle fait quelque chose (quidquam agit, ou s'efforce de faire quelque chose (agere). Enfin Spinoza y utilise la formule potentia sive conatus, quo in suo esse perseverare conatur, la puissance étant donc l'effort par lequel la chose s'efforce de persévérer dans son être. A mon sens cela confirme ce que je viens de dire au début: le degré de puissance n'est PAS la puissance d'exister ou d'être d'une chose, il désigne seulement l'effort que cette chose fait pour exister, sachant que l'existence lui est toujours "donnée", ne lui appartient jamais en propre, et donc, en fin de compte, ne dépend PAS d'elle (sinon on pourrait déduire la durée d'une chose de son essence, ce qui n'est pas possible). Enfin, Spinoza y ajoute que la puissance d'une chose n'est donc rien d'autre que son essence actuelle.

Nous obtenons donc:

CONATUS (in suo esse perseverare) = ESSENTIA ACTUALIS = POTENTIA.

Enegoid a écrit :
Ensuite puissance d’agir. De l’âme et ou du corps ? Les deux sont liés, mais distincts.


E3P11: "Toute chose qui augmente ou diminue, aide ou contrairie, la puissance d'agir de notre Corps, l'idée de cette même chose augmente ou diminue, aide ou contrarie, la puissance penser de notre Esprit".

Puissance de penser et puissance d'agir de notre Corps ne sont donc qu'une seule et même chose, considérée tantôt sous l'attribut de la Pensée, tantôt sous l'attribut de l'Etendue.

enegoid a écrit : Et agir est le contraire de pâtir. Agir c’est être une cause adéquate. (ET3 Def 2). Mais si l’on conçoit bien la capacité de l’âme à être active, par la réflexion, la capacité du corps à être actif me parait moins claire. A moins qu’il ne soit toujours actif (cause adéquate) ? A moins qu’il ne soit actif qu’en relation avec une âme aux idée adéquates ?


je me demande s'il ne faut pas dire que pour l'Esprit, agir c'est penser, tandis que penser c'est produire des idées adéquates (ce n'est qu'une hypothèse, sans plus). L'embêtant c'est que la 3e définition de l'E2 dit qu'il n'appelle "idée" que ce qui est activement produit par l'Esprit, tandis qu'il appelle "perception" ce qui se passe quand l'Esprit pâtit. Or on sait que quand l'Esprit a une idée inadéquate, il pâtit. Pourquoi parler ici d'idée, si l'idée n'est que ce que l'Esprit produit activement ... ?

Sinon je ne crois pas que Spinoza parle d'une quelconque capacité du Corps à être actif ou passif. Le Corps est une puissance d'agir, tout court. Cela veut dire qu'il produit sans cesse des effets, qu'il est "productif". Hormis cela il peut également être affecté ou affecter lui-même. Tandis que l'Esprit aussi a sa propre "puissance d'agir", qui elle consiste effectivement à produire des idées adéquates.

Enegoid a écrit :L’âme est active en tant qu’elle a des idées adéquates. Sa puissance est augmentée si elle a l’idée d’une chose qui augmente la puissance d’agir de notre corps (Et 3 p 11).
(C’est pourquoi je maintiens que l’idée de faire du sport n’est pas si a-spinoziste que cela. Voir également les grecs ! Mens sana etc.)


E3P11 dit plus précisément que la puissance de penser de l'Esprit est augmentée quand l'Esprit IMAGINE une chose qui affecte notre Corps d'une telle façon que sa puissance d'agir en est augmentée. En imaginant cette chose, nous ressentons de l'Amour par rapport à cette chose. Si l'on imagine au contraire une chose qui en affectant notre Corps en diminue la puissance, la puissance de l'Esprit par là même diminuera aussi, et nous aurons cette chose en Haine.

Or en tant que nous imaginons, nous sommes dans le premier genre de connaissance, pas dans les idées adéquates. Il s'agit ici donc de Joies et de Tristesses ou d'Affects PASSIFS. Par conséquent, quand l'Esprit imagine une chose qui affecte positivement la puissance d'agir de notre Corps, il pâtit, même si cela augmente sa puissance de penser.

Inversement, je ne suis pas certaine que l'on peut déduire de cette proposition que faire du sport augmente nécessairement la puissance d'agir du Corps et la puissance de penser de l'Esprit. Soigner son Corps pour qu'il soit en bonne forme, c'est simplement ce qu'il faut faire pour conserver sa santé, je ne crois pas que cela en tant que telle AUGMENTE déjà notre puissance. Car si c'était le cas, Spinoza aurait dû nous dire que celui qui a la plus grande puissance de penser, c'est l'athlète, ce qui est manifestement faux (raison pour laquelle il dit au contraire que la puissance du Corps ne se mesure pas à la force physique).

Alors que pourrait être plus précisément la puissance d'agir d'un Corps? Je crois toujours que le scolie de l'E2P13 peut en donner une indication: en parlant de deux choses différentes, Spinoza y dit "et pourtant nous ne pouvons pas nier non plus que les idées diffèrent entre elles comme leurs objets, et que l'une l'emporte sur l'autre, et contient plus de réalité, dans la mesure où l'objet de l'une l'emporte sur l'objet de l'autre, et contient plus de réalité; et c'est pourquoi, pour déterminer en quoi l'Esprit humain diffère des autres, et l'emporte sur les autres, il nous est nécessaire de connaître, comme nous l'avons dit, la nature de son objet, c'est-à-dire le Corps humain. (...) Je dis pourtant, de manière générale, que plus un Corps l'emporte sur les autres par son aptitude à agir et pâtir de plus de manières à la fois, plus son Esprit l'emporte sur les autres part son aptitude à percevoir plus de choses à la fois; et plus les actions d'un corps dépendent de lui seul, et moins il y a de corps qui concourent avec lui pour agir, plus son esprit et apte à comprendre de manière distincte. Et c'est par là que nous pouvons connaître la supériorité d'un esprit sur les autres (...)".

C'est notamment ce passage qui me fait penser que par "puissance d'agir" du Corps, il faut avant tout entendre "aptitude à agir et pâtir de plus de manières à la fois". Un champion de la natation sait certes très bien nager, mais cela, ce n'est qu'une seule chose, cela ne prouve en rien qu'il a augmenté l'aptitude à agir (ET pâtir) de plus de manières à la fois. Quelqu'un qui sait écouter une symphonie classique, et sait en même temps entendre les différents accords et leurs liens entre eux, les différents motifs de la symphonie, les différentes parties, les différentes instruments, et qui sait être ému par telle ou telle note, ne montrerait-il pas une plus grande puissance corporelle que celui qui fait preuve d'une grande force musculaire, sans plus (je fais un instant abstraction de toutes les exigences "spirituelles" et autres propre à une activité sportive de haut niveau)?

Enegoid a écrit :Mais si l’âme est active, est-elle puissante ?


si l'essence actuelle se définit uniquement par les idées adéquates et non pas par les idées inadéquates, alors oui, la puissance de penser de l'Esprit se définit par la mesure dans laquelle il est actif.

'Enegoid a écrit :Spinoza parle de la puissance d’agir du corps. Il parle de l’activité ou de la passivité de l’âme. Il ne parle pas de la puissance de l’âme (sauf en relation avec une diminution de la puissance du corps Et3 p13).


si il en parle. Il parle même de la puissance d'agir de l'Esprit (voir par exemple E3P53-55) - d'ailleurs il parle aussi d'une puissance d'imaginer de l'Esprit (je ne retrouve pas la référence pour l'instant). Bien sûr, en vertu du parallélisme la puissance de l'Esprit est toujours relatée et même égale à la puissance du Corps.

Sinon je crois qu'effectivement, il nous faudrait essayer de préciser l'usage du mot "agir". Quand le Corps agit, l'Esprit a-t-il toujours une idée adéquate ou non? Cela ne m'est pas encore très clair.

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Messagepar Enegoid » 29 mai 2008, 00:13

(début de réponse partielle)

Louisa a écrit :Nous obtenons donc:

CONATUS (in suo esse perseverare) = ESSENTIA ACTUALIS = POTENTIA.


D’accord, partons de là : puissance = effort (de persévérer dans l’être) = essence actuelle.

1. Dans notre discussion, l’un des thèmes est la comparaison des puissances des modes. La moule fait-elle plus d’effort pour persévérer dans son être que l’homme ? J’aurais tendance à penser que tous les efforts sont identiques, car il s’agit d’une loi générale : « toute chose s’efforce de persévérer dans son être », le caillou autant que le nuage de fumée. Ce sont les circonstances qui décident du résultat.

2. Si puissance = effort, il est en effet difficile d’éviter de se poser la question du résultat des efforts. Certains efforts sont couronnés de succès (la moule dans l’eau), certains sont condamnés à l’échec (l’homme dans l’eau).

3. Il me semble que si l’on passe ensuite aux expressions telles que « puissance d’agir », « puissance de penser » etc., c’est bien au résultat que l’on s’intéresse : est-ce que l’effort aboutit à une action réelle ? à une pensée adéquate? Il faudrait peut-être dire que « puissance » dans « puissance d’agir » n’a pas le même sens que « puissance » tout court (de persévérer dans l’être) : dans le premier cas on aurait « puissance = effort », dans le deuxième on aurait plutôt « puissance = capacité efficace à… ».

4. Enfin n’oublions pas le sens courant. Quand on compare des puissances, on peut difficilement faire abstraction de ce sens courant : une puissance supérieure est une puissance qui a la capacité à dominer, voire à détruire la puissance inférieure.

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Messagepar Louisa » 29 mai 2008, 00:45

Enegoid a écrit :1. Dans notre discussion, l’un des thèmes est la comparaison des puissances des modes. La moule fait-elle plus d’effort pour persévérer dans son être que l’homme ? J’aurais tendance à penser que tous les efforts sont identiques, car il s’agit d’une loi générale : « toute chose s’efforce de persévérer dans son être », le caillou autant que le nuage de fumée. Ce sont les circonstances qui décident du résultat.


la loi générale est plus précise que cela. Elle dit: "nul ne s'efforce de conserver son être sinon d'après les lois de sa propre nature" (E4P18 sc).

En effet, chaque chose s'efforce de persévère dans SON être, c'est-à-dire dans son existence à elle. C'est pourquoi cet effort s'identifie à son essence actuelle, essence qui elle aussi est tout à fait singulière, se caractérisant précisément par le fait de n'avoir RIEN en commun avec les autres essences.

Si tu dis que ce sont les circonstances qui décident du résultat, tu ne parles plus de l'effort de persévérer dans son être, mais de ce que Spinoza appelle la "félicité": "la félicité consiste en ce que l'homme peut conserver son être" (même scolie). Si on y réussit, on est heureux. Mais lorsqu'on n'y réussit pas, on n'était pas moins en train de s'y efforcer. Dans ce cas, des causes extérieures nous contraindront à exister moins (= Tristesse).

enegoid a écrit :2. Si puissance = effort, il est en effet difficile d’éviter de se poser la question du résultat des efforts. Certains efforts sont couronnés de succès (la moule dans l’eau), certains sont condamnés à l’échec (l’homme dans l’eau).


en effet. Mais Spinoza dit clairement que pour pouvoir exister dans un temps et un lieu précis (et non seulement de façon éternelle en Dieu, comme c'est le cas pour toute essence singulière), on a besoin de causes et de choses extérieures à nous. Le résultat de notre effort ne dépend donc jamais entièrement de nous.

Enegoid a écrit :3. Il me semble que si l’on passe ensuite aux expressions telles que « puissance d’agir », « puissance de penser » etc., c’est bien au résultat que l’on s’intéresse : est-ce que l’effort aboutit à une action réelle ? à une pensée adéquate? Il faudrait peut-être dire que « puissance » dans « puissance d’agir » n’a pas le même sens que « puissance » tout court (de persévérer dans l’être) : dans le premier cas on aurait « puissance = effort », dans le deuxième on aurait plutôt « puissance = capacité efficace à… ».


je ne crois pas que l'efficacité ou le résultat ait quelque chose à voir avec la puissance, chez Spinoza. Si tu crois que si: sur quelles propositions te baserais-tu?

Parler d'une puissance d'agir, dans le spinozisme, c'est parler d'une cause efficiente. Que cette cause efficiente rencontre sur son chemin, en produisant des effets, des obstacles ou non ne change rien à la puissance de la cause efficiente.

La puissance d'agir est donc à mon avis plutôt synonyme pour le concept de cause efficiente: pouvoir agir, c'est pouvoir produire un effet. L'idée adéquate intervient ici au sens où dans ce cas l'effet est produit par nous seuls, sans le concours d'une autre cause efficiente simultanément présente. Comme la puissance définit l'essence singulière, et l'ensemble des idées adéquates qui constituent la partie éternelle de l'Esprit la définit également, j'aurais tendance à identifier l'agir de la puissance d'agir aux Actions (Affects actifs).

Enegoid a écrit :4. Enfin n’oublions pas le sens courant. Quand on compare des puissances, on peut difficilement faire abstraction de ce sens courant : une puissance supérieure est une puissance qui a la capacité à dominer, voire à détruire la puissance inférieure.


dominer ou détruire n'est qu'un des multiples sens du mot "puissance", dans le langage ordinaire. Il suffit de penser à un autre sens pour oublier celui-ci (par exemple: être un grand chanteur en puissance, c'est-à-dire "en devenir" - on voit qu'ici la puissance n'a rien à voir avec la domination ou la destruction).

Enfin, si tu veux garder ce sens précis en lisant Spinoza: vois-tu un lien entre l'idée de destruction et le concept proprement spinoziste de la puissance? En ce qui me concerne, je suis assez convaincue de l'idée qu'un philosophe donne un NOUVEAU sens aux mots qu'il utilise comme étiquette des concepts qu'il invente. Il faut attendre les philosophes analytiques pour avoir une philosophie "du langage ordinaire", qui essaie de mieux définir que le dictionnaire LE sens d'un mot. Dans ce cas, lire un philosophe non analytique en supposant que les mots qu'il redéfinit explicitement maintiennent néanmoins le sens ordinaire est une erreur.

Sinon je crois que le 4e axiome de l'E4 réfère explicitement au fait qu'une puissance supérieure peut détruire une puissance inférieure, mais faudrait-il pour autant faire de cette destruction un élément essentiel de la puissance? Je crois que non. La puissance n'est qu'une causalité efficiente, une productivité qui s'affirme. Qu'à l'occurrence elle détruit ce qui est sur son chemin, ne fait pas de cette destruction une "cause finale" propre à la puissance, voire un élément capable de définir la notion de puissance.

Ceci étant dit, je ne suis pas encore tout à fait certaine d'avoir bien compris en quoi cette destruction constituerait un "signe" d'une puissance supérieure. L'océan a une puissance supérieure à l'homme lorsqu'il se noie. Mais quand il sait nager, l'homme a su "composer" un rapport entre son corps et celui de l'eau. Le contact avec une puissance supérieure ne détruit donc pas forcément l'homme. Tandis que je vois mal comment l'océan pourrait avoir une puissance de penser plus élevée que l'homme, là où le parallélisme nous oblige à postuler une équivalence entre puissance de penser et puissance d'agir... :?:

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Messagepar Enegoid » 29 mai 2008, 21:30

Louisa a écrit :je ne crois pas que l'efficacité ou le résultat ait quelque chose à voir avec la puissance, chez Spinoza. Si tu crois que si: sur quelles propositions te baserais-tu?


Tu donnes la réponse toi-même :

Louisa a écrit :La puissance d'agir est donc à mon avis plutôt synonyme pour le concept de cause efficiente: pouvoir agir, c'est pouvoir produire un effet.


Le résultat, c'est l'effet, et la puissance de l'effet dépend de la puissance de la cause. Si pas d'effet, pas de puissance de la cause.

Louisa a écrit :dominer ou détruire n'est qu'un des multiples sens du mot "puissance", dans le langage ordinaire. Il suffit de penser à un autre sens pour oublier celui-ci (par exemple: être un grand chanteur en puissance, c'est-à-dire "en devenir" - on voit qu'ici la puissance n'a rien à voir avec la domination ou la destruction).


A partir du moment ou la puissance d'une chose est limitée par la puissance des autres choses, je ne vois pas comment faire l'impasse, comme tu me sembles le faire, sur la lutte des puissances :

"La puissance de l'homme est limitée par celle d'une autre chose et infiniment surpassée par celle des choses extérieures"
ET4 p3 dem, et l'axiome unique de ET 4 que tu as noté toi-même.

Même le chanteur en puissance sera confronté à la puissance concurrente d'un autre chanteur.

Louisa a écrit :mais faudrait-il pour autant faire de cette destruction un élément essentiel de la puissance?


Destruction ou diminution, je crois, oui. Pas toi, manifestement !
Mais ce n'est pas le seul élément essentiel, il y en a un autre : les coopérations de puissances ("rien n'est plus utile à l'homme que..."). C'est toute la question de la vie ne société (coopération/concurrence).Il me semble qu'il ne faut occulter aucun des deux termes.

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Messagepar Louisa » 29 mai 2008, 23:03

A Enegoid,

merci de tes remarques, elles me semblent être pertinentes, j'y réfléchis.

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Messagepar Louisa » 29 mai 2008, 23:57

A Nepart

Peut-on dire que par "vouloir que les gens sont aussi puissant que nous", tu veux notamment dire "vouloir qu'ils réussissent aussi bien que nous"?

Si oui, on pourrait par exemple, en tant qu'étudiant, souhaiter d'une part que tous obtiennent un résultat égal au nôtre (si j'ai 16/20, je désire que tout le monde ait 16/20), mais en souhaitant cela, je perds la Joie d'avoir un résultat plus élevé que les autres, donc de mieux réussir, d'être plus puissant. Par conséquent, je suis tiraillé entre deux désirs qui s'opposent, et qui dès lors exigent des actions différentes:

- si je souhaite que tous obtiennent 16, je dois partager mes notes, donner des explications à ceux qui étaient absents au cours, etc.

- si je souhaite être le premier (ou parmi les premiers) de la classe, il vaut mieux ne pas trop aider les autres, car alors je risque que certains obtiennent une meilleure cote que moi.

La question est alors de savoir ce qu'il faudrait faire, d'un point de vue spinoziste, sachant que l'un exclut l'autre.


ayant entre-temps un peu réfléchi à ce problème, voici une première tentative de réponse.

D'abord, comme l'a déjà suggéré Enegoid, on peut immédiatement commencer à faire tout pour aider ceux dont on sait que même avec de l'aide, ils n'obtiendront jamais notre niveau de résultats (je suppose un instant qu'il s'agisse d'une moyenne de 16, mais n'importe quelle moyenne au-dessus de 12 permettra déjà d'illustrer l'idée de base).

Quant à ceux dont on sait qu'ils auront facilement 16 ou plus: il y en a souvent parmi eux qui sont très généreux, qui partagent déjà tout eux-mêmes, qui peuvent t'offrir une aide "morale" pendant la période des examens, te donner de bons conseils etc. Il est évident qu'essayer de les aider maximalement toi aussi sera alors précisément ce qui te donne le même genre d'aide "en retour", aide dont tu as même besoin pour avoir un résultat le plus élevé possible. Ici aussi, il est utile pour toi-même d'aider maximalement les autres. Dans ce cas, probablement celui qui a réellement le plus de capacités aura le plus de points, ce qui n'est qu'une situation "honnête".

Le dilemme ne se pose donc que dans le cas où ceux qui sont capables d'avoir plus de 16 pour l'une ou l'autre raison sont assez "égoistes", et ne partagent rien eux-mêmes. Que faire alors?

Je crois que d'un point de vue spinoziste, on ne sait pas ne pas faire ce qui est le plus utile pour soi-même. Si les autres transforment la situation en un genre de "compétition" pour être le premier, quitte à se servir de moyens peu honnêtes, bon, dans ce cas c'est chacun pour soi, donc il vaut mieux ne pas trop partager non plus. Eventuellement c'est cela qui serait le plus raisonnable/"rationnel". Car Spinoza dit en tout cas qu'il vaut mieux refuser les bienfaits des "ignorants", et ceux qui ne sont pas capables de créer des liens d'amitié et d'aide mutuelle envers des étudiants avec qui ils sont dans la même classe, en ce sens sont bel et bien des "ignorants", incapables de comprendre le grand intérêt de l'amitié et de la concorde. Il vaut toujours mieux de continuer à essayer de les aider, bien sûr, mais uniquement pour ces choses qui ne mettent pas trop ta propre position en danger.

Enfin, encore une fois, ceci n'est qu'une première tentative de réponse. Toute critique est la bienvenue.

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Messagepar Louisa » 30 mai 2008, 01:05

A Enegoid,

ne faudrait-il pas dire que la définition "puissance = cause efficiente = production d'un effet" n'est pas correcte?

Car la puissance est définie par l'EFFORT, donc ... l'effort de produire un effet?

Dans ce cas, chaque chose est cause efficiente mais plutôt au sens où elle ESSAIE de produire des effets. Y réussir ou non dépend en partie de son environnement, et partant ne dit rien de la puissance avec laquelle elle essaie. Qu'en penses-tu?

Quant à la "lutte des puissances" dont tu parles .. j'ai toujours l'impression que c'est peu spinoziste. Certes, chaque degré de puissance est limité, mais justement, Spinoza souligne que cette limitation n'a rien de positif. On ne peut pas définir une puissance par ce qu'elle n'est pas, il faut la définir par ce qu'elle est, ce qu'elle affirme. Et dans ce qu'elle affirme il n'y a que le désir, que l'effort de persévérer dans son être, pas du tout l'une ou l'autre cause finale qui faisait qu'elle voudrait détruire d'autres degrés de puissance.

La "lutte" des puissances n'est donc qu'un effet "contingent" de la nature: chaque puissance essayant de se maintenir, il se peut que, par une rencontre fortuite, une puissance plus forte en détruit une plus faible. Mais jamais on peut définir la puissance la plus forte par cette destruction, car la destruction n'en est une que du point de vue modal de la chose détruite. Pour la puissance plus forte, il s'agit de l'affirmation de soi pure et simple.

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Messagepar Enegoid » 30 mai 2008, 10:30

Pour la puissance plus forte, il s'agit de l'affirmation de soi pure et simple.


Je ne définis pas la puissance par le but de détruire les autres puissances.

Je dis que l'affirmation de soi pure et simple conduit inévitablement à la lutte des puissances. Contingente oui mais réelle. Exemple extrême : affirmer sa puissance pour monter dans le canot de sauvetage du Titanic c'est inévitablement jeter quelqu'un à l'eau.

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Messagepar Louisa » 30 mai 2008, 12:24

Enegoid a écrit :Je ne définis pas la puissance par le but de détruire les autres puissances.

Je dis que l'affirmation de soi pure et simple conduit inévitablement à la lutte des puissances. Contingente oui mais réelle. Exemple extrême : affirmer sa puissance pour monter dans le canot de sauvetage du Titanic c'est inévitablement jeter quelqu'un à l'eau.


ok, dans ce cas je crois que nous sommes d'accord. En lisant "lutte des puissances" je pensais spontanément à une lutte au sens de combat motivé par un genre de "pulsion de mort", qui est alors tout sauf contingente.

Or si tu veux plutôt dire que une destruction d'une puissance par une autre, cela arrive aussi, tout comme cela arrive que des puissances conviennent entre eux et collaborent, alors oui, lutte, collaboration, tout cela ce sont des processus qui arrivent aux puissances. Dans ce cas, si nous voulons définir la puissance, il ne faut pas tenir compte de la destruction (ma puissance ne se définit pas par le fait que chaque jour je mange un poisson) - ni d'ailleurs de la collaboration. Il faut regarder l'essence actuelle singulière en tant que telle. C'est là qu'on voit qu'elle est un conatus, indépendamment de l'effet qu'elle peut réellement produire (indépendamment de sa "félicité" donc).

Cependant, ne risquons-nous pas de retomber ainsi dans une "puissance en puissance", une essence actuelle qui ne serait pas vraiment en acte, puisque ses effets dépendent de l'environnement? La difficulté me semble consister dans le fait qu'il faut concevoir un effort qui en tant qu'effort est toujours déjà en acte. Il s'agit d'une tendance à produire, tendance qui en tant que telle est toujours en acte.

D'autre part, dans quelle(s) circonstance(s) ce conatus ne réussit-il PAS à produire l'effet voulu? N'est-ce pas uniquement quand le Corps meurt, puisque la seule chose à laquelle le conatus s'efforce, c'est de persévérer dans son être? Si oui, même si la question de l'"effet" n'est pas pertinente pour définir un degré de puissance, on peut constater que dans la pratique, aussi longtemps que la chose existe, elle produit réellement l'effet auquel elle tend, non? Elle le produit parfois avec moins d'intensité/réalité (Tristesse), cela n'empêche qu'elle produit toujours cet effet.

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Messagepar Enegoid » 30 mai 2008, 20:25

Remarque en passant

Effort = essence = puissance= conatus = appétit (corps et âme) = volonté (âme)= désir
(d'après Et 3 p9 scol)

désir de ce qui permet la persévérance dans l'être.


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