Qui a réussi ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar Durtal » 05 oct. 2009, 15:45

Louisa a écrit :
Tu crois vraiment qu'il soit possible de se comprendre parfaitement déjà après seulement trois tentatives



"Seulement" 3 tentatives? Mais, mais....est ce que ça n'en fait pas déjà au moins une de trop? Et puis le compteur pour ce qui me concerne est à 4 et non à 3 tentatives, auxquelles il convient d'ajouter les 4 (au moins) précédentes de Bardamu sur le même point, ce qui fait si je ne m'abuse 8 tentatives...La question qui se pose dès lors : est combien de tentatives faut-il faire: 50, 100, 500?

Et certes je ne suis ni très commode ni très gentil avec toi; mais lui l'est, apparemment cela ne change rien.

La question n'est pas de savoir s'il faut ou nom utiliser le mot "potentiel" ( cela serait une question pour un travail de traduction) la question est celle de savoir si l'on a une interprétation réaliste concernant les potentiels ou non. Une fois entendu et expliqué ce que peut être une conception non réaliste des potentiels ou des possibles, l'utilisation en elle même du terme "potentiel" ne fait aucun problème ( Wittgenstein disait:il y a l'argent et la vache qu'on achète avec l'argent).

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Messagepar Louisa » 07 oct. 2009, 03:04

Durtal a écrit :La question n'est pas de savoir s'il faut ou nom utiliser le mot "potentiel" ( cela serait une question pour un travail de traduction) la question est celle de savoir si l'on a une interprétation réaliste concernant les potentiels ou non. Une fois entendu et expliqué ce que peut être une conception non réaliste des potentiels ou des possibles, l'utilisation en elle même du terme "potentiel" ne fait aucun problème ( Wittgenstein disait:il y a l'argent et la vache qu'on achète avec l'argent).


Justement, Sévérac montre clairement (et encore une fois, il est loin d'être le seul) qu'il n'y a rien de réaliste dans l'idée (je ne parle même pas du mot) d'un potentiel, en ce qui concerne le spinozisme.

D'abord il réduit le potentiel à du possible (ce qui est déjà un pas énorme), puis il montre en quoi le possible chez Spinoza est purement imaginaire, donc n'existe que dans notre imagination, n'est surtout pas vraie, et est source d'idées inadéquates c'est-à-dire de Passions.

Comment dire après tout cela que le terme potentiel ne "fait aucun problème" ... ??

C'est pourquoi répondre à quelqu'un qui débarque sur ce forum et se demande en quoi consiste le bonheur spinoziste ce que n'importe quel forum de "pop psychology" lui répond ("réalisez votre potentiel", "devenez qui vous êtes" etc.) est tout simplement faux. S'il n'est pas très grave de se tromper (qui ne le fait pas de temps en temps?), il était juste nécessaire de corriger l'erreur.

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Messagepar hokousai » 07 oct. 2009, 13:58

à Louisa

Là, la solution qui se présente est exactement l'inverse que lorsqu'on pense en termes d'intention. Ici il faut tout faire, et d'urgence, pour augmenter la puissance de l'autre, car ce n'est que cela qui lui permettra de ne plus me nuire.


Vous faites les ""demandes et les réponses"" .
Que savez- vous de ce que je fais quand je raisonne en termes d'intentions ? ...vous me prêtez des intentions .

C'est comme pour potentiel
Vous vous faites une idée de ce que je peux penser par potentiel et vous me dites que ce n'est pas la bonne idée (de potentiel ). Certes dans Spinoza vous n' y retrouvez pas la votre, moi j'y retrouve la mienne .

Vous vous faite une idée de ce que c 'est que redouter les intentions et vous me dites que cela conduit à avoir de mauvais comportements .(supposés non spinozistes ).
.................................................................

Pour moi raisonner en termes d'intentions n' est pas du tout contradictoire avec ce que vous dites sur augmenter la puissance de l'autre( abaisser ses passions )
Ce n'est pas contradictoire mais ce n'est pas non plus la seule possibilité d'action .

La fuite en est une autre mais il y en a d'autres .

SI résister n'est pas Spinoziste il faut demander confirmation aux mannes de Jean Cavailles spinoziste émérite et résistant héroïque .

hokousai

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Messagepar Sinusix » 08 oct. 2009, 18:55

Bonsoir,

Je m'appuie sur cet extrait de Durtal, lequel me paraît poser l'essentiel :

Durtal a écrit :Tu peux quand même avoir la bienveillance de nous faire crédit d'être capables d'avoir saisi que ces deux informations : "Dieu est chez Spinoza pure actualité" et "Dieu chez Spinoza est tout le réel (et rien que le réel)" entraînent la conséquence que "chez Spinoza tout ce qui est réel est actuel et tout ce qui est actuel est réel".


Je traduis : le "monde" de Spinoza est totalement et inéluctablement déterministe. Autrement dit, pour les hommes en général, et chaque homme et femme en particulier, l'avenir du monde est inscrit dans son passé, quelles que soient leurs gesticulations.

Durtal a écrit :Le problème n'est pas celui là: le problème est que Spinoza ne peut pas faire l'économie de la notion d'un devenir et à plus forte raison puisque c'est l'objectif que poursuit l'Ethique, d'un "devenir actif". Ce qui, étant donné ses présupposés métaphysiques, pose un problème qu'il est intéressant de formuler et de tenter de résoudre.


Nonobstant ce devenir implacable, en effet, Spinoza confirme à l'homme la possibilité de son salut (terme ô combien lours de sens religieux qu'il reprend néanmoins), dont nul ne contestera, je pense, que, philosophiquement parlant, il considère comme une variable individuelle.
Comment donc comprendre la possibilité d'une telle variable dans un monde où tout est nécessaire.

Durtal a écrit :Ta façon de procéder revient à simplement annuler par avance le problème philosophique que cela pose et ce qui fait tout l'intérêt de cette question.


Relisons donc E538Démonstration : L'essence de l'Esprit consiste dans la connaissance ; donc, plus l'Esprit connaît de choses par les deuxièmes et troisième genres de connaissance, plus grande est la part de lui qui subsiste, et par conséquent plus grande est la part de lui que ne touchent pas les affects qui sont contraires à notre nature, c'est-à-dire qui sont mauvais. Donc, plus l'Esprit comprend de choses par les deuxième et troisième genres de connaissance, plus grande est la part de lui qui reste indemne, et par conséquent moins il pâtit des affects.

Dire par deux fois : plus grande est la part de lui n'est-ce pas tout simplement fixer ce qu'on peut appeler un potentiel dont il appartient à chacun, par la vie qu'il mène, les pensées qu'il a, les rencontres qu'il fait, majoritairement imposées, de faire en sorte qu'il en maximise la subsistance éternelle.

Notre potentiel, ou essence intensive éternelle comme dirait Deleuze, est donc bien le degré de liberté laissé à l'homme qu'il fasse que son essence ne reste pas abstraite, notre pouvoir d'être affecté n'ayant été rempli que par des affections passives, mais qu'au contraire, en le remplissant le plus possible, grâce en premier aux notions communes, puis les affections actives, nous ferons en sorte, qu'après la mort du Corps notre essence aura une part plus ou moins grande d'affections du troisième genre, donc d'éternité.

Que l'essence de tel homme puisse au final rester totalement abstraite, autrement dit qu'aucune part de son Esprit ne soit éternelle, n'est-ce pas, pour répondre à une préoccupation d'Hokousai, affirmer que, pour Spinoza également, le salut de Hitler semble compromis.

Amicalement

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 08 oct. 2009, 19:59

A Sinusix

Absolument non sur votre dernier alinéa (cad pas d'accord, pardonnez ma véhémence).

Hitler est, malheureusement, un mode de Dieu et ce serait trop commode de penser, comme les chrétiens, qu'il est damné. Retour de l'enfer, et de la séparation des bons et des méchants.
La part d'éternité de l'esprit d'Hitler me parait malheureusement ne pas être négligeable.

Le potentiel (si potentiel il y a) est lui-même déterminé.

Bien qu'il l'ait tenté, Spinoza ne peut en aucun cas (selon moi), servir de fondement à une hiérarchie absolue des êtres (une hiérarchie des sages, peut-être).
Dieu modifié en Allemands a tué Dieu modifié en dix mille Turcs...

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Messagepar hokousai » 08 oct. 2009, 22:33

pour répondre à une préoccupation d'Hokousai,



Le déterminisme ( enfin tel que je le comprends ) de Spinoza ne me pose pas de problème .

En revanche son naturalisme en morale m’ en pose .Il y a quelque chose qui résiste et qu’il faut bien expliquer autrement que par de la confusion mentale dans l’estimation qu’il y a dans Auschwitz plutôt du mal que ni bien ni mal mais seulement ( si j’ose dire ) la réalité, c’est à dire la perfection.

Je demande à plus spinoziste que moi ( sur cette question ) de m’expliquer la confusion putative et autrement que par langue de bois .
Je le demande à n’ importe qui , même moins spinoziste , mais qui défendrait des thèses indifférentialistes en morale .

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Messagepar bardamu » 08 oct. 2009, 22:37

Louisa a écrit :
Sévérac a écrit :Etre élastique, pour un corps, signifie non pas seulement pouvoir recouvrer sa forme initiale après déformation; mais être suffisamment souple - "mou", dirait Spinoza - pour être affecté par une action déformatrice (le caoutchouc peut être déformé par une action qui n'affectera en aucune manière le verre ou la pierre). Et simultanément, être élastique signifie avoir la puissance - nécessairement agissante - de résister à cette action déformatrice en s'efforçant de conserver, ou de recouvrer sa forme initiale. Et si on imagine qu'aucune action déformatrice n'affecte le corps élastique, celui-ci n'en conserve pas moins son état initial: le corps ne cesse d'agir à traver ses propriétés quelles que soient les circonstances extérieures.


Bonjour Louisa,
a priori, Séverac parle d'aptitude comme je m'efforce de parler de potentiel.

Ne dit-il pas la même chose que moi avec le ressort ?

Mais prenons l'exemple du nageur.

Par exemple, dans le film "Le grand bleu", on a un gars qui a un fort potentiel-aptitude "aquatique". Sera-t-il heureux dans le désert ? Certainement pas. Là où est sa place, là où son potentiel-aptitude s'exprime, c'est dans l'eau. C'est là qu'il est susceptible de faire les rencontres allant dans le sens de son être, son effort pour persévérer dans son être intensifiera sa relation à l'eau et c'est ainsi que se développe ce potentiel-aptitude. C'est aussi dans ces conditions qu'il sera le mieux pour trouver l'acquiescentia, c'est-à-dire un état d'esprit dans lequel on est propre à organiser ses idées.

Quand un entraîneur dit à un jeune qu'il a des aptitudes-un potentiel en natation, il ne fait que lui indiquer ce vers quoi, à l'instant où il lui parle, le jeune peut se diriger pour favoriser son développement. Et il peut lui présenter des exemples, des modèles de champion pour le stimuler dans cette voie qui lui convient. De même, Spinoza nous dit que nous avons une Raison, une puissance qu'il invite à développer notamment en donnant son modèle de Sage, de champion de la connaissance. La puissance est actuelle, effective, et le modèle sert de stimulus. Un modèle peut-être imaginaire pour l'apprenti sage mais avec en face de soi un maître qui l'incarne (pour autant qu'on accorde à Spinoza l'honnêteté de parler de ce qu'il connaît).

Le terme "aptitude" a l'intérêt de bien montrer qu'on est dans une puissance actuelle, le terme "potentiel" (synonyme d'aptitude, capacité, puissance, cf dictionnaire), à l'avantage d'une connotation orientant les idées vers le développement de cette puissance, vers la recherche des conditions propices à le faire, ne pas en rester à une sorte de fatalisme de l'instant mais à se projeter vers une puissance supèrieure. C'est une projection qui peut-être imaginaire ou de l'ordre des êtres de raison (en général les hommes peuvent...) mais en tout état de cause ses effets sont réels en nous et c'est tout l'intérêt d'écrire un livre appelé "Ethique", de communiquer autant que faire ce peut son expérience.

Enfin bon, il me semble que je dis la même chose que Séverac, et si c'est le cas nous devrions être d'accord en dépit du terme "potentiel".

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Messagepar Durtal » 09 oct. 2009, 02:21

hokousai a écrit :
pour répondre à une préoccupation d'Hokousai,



Le déterminisme ( enfin tel que je le comprends ) de Spinoza ne me pose pas de problème .

En revanche son naturalisme en morale m’ en pose .Il y a quelque chose qui résiste et qu’il faut bien expliquer autrement que par de la confusion mentale dans l’estimation qu’il y a dans Auschwitz plutôt du mal que ni bien ni mal mais seulement ( si j’ose dire ) la réalité, c’est à dire la perfection.

Je demande à plus spinoziste que moi ( sur cette question ) de m’expliquer la confusion putative et autrement que par langue de bois .
Je le demande à n’ importe qui , même moins spinoziste , mais qui défendrait des thèses indifférentialistes en morale .

hokousai


Spinoza nie le mal mais pas le malheur ni la souffrance et en particulier pas le malheur et la souffrance que les hommes s'infligent les uns aux autres. Ensuite oui je pense bien qu'il y avait une bonne grosse dose de "confusion mentale" (c'est un euphémisme) dans les esprits des hauts dignitaires Nazis: si les camps ne relèvent pas de ce que l'homme peut faire de plus fou et de plus délirant, je ne sais ni ce qu'est le délire ni ce qu'est la folie....

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Messagepar Louisa » 09 oct. 2009, 02:36

Bardamu a écrit :
Louisa a écrit :
Sévérac a écrit :Etre élastique, pour un corps, signifie non pas seulement pouvoir recouvrer sa forme initiale après déformation; mais être suffisamment souple - "mou", dirait Spinoza - pour être affecté par une action déformatrice (le caoutchouc peut être déformé par une action qui n'affectera en aucune manière le verre ou la pierre). Et simultanément, être élastique signifie avoir la puissance - nécessairement agissante - de résister à cette action déformatrice en s'efforçant de conserver, ou de recouvrer sa forme initiale. Et si on imagine qu'aucune action déformatrice n'affecte le corps élastique, celui-ci n'en conserve pas moins son état initial: le corps ne cesse d'agir à traver ses propriétés quelles que soient les circonstances extérieures.


Bonjour Louisa,
a priori, Séverac parle d'aptitude comme je m'efforce de parler de potentiel.

Ne dit-il pas la même chose que moi avec le ressort ?

Mais prenons l'exemple du nageur.

Par exemple, dans le film "Le grand bleu", on a un gars qui a un fort potentiel-aptitude "aquatique". Sera-t-il heureux dans le désert ? Certainement pas. Là où est sa place, là où son potentiel-aptitude s'exprime, c'est dans l'eau. C'est là qu'il est susceptible de faire les rencontres allant dans le sens de son être, son effort pour persévérer dans son être intensifiera sa relation à l'eau et c'est ainsi que se développe ce potentiel-aptitude. C'est aussi dans ces conditions qu'il sera le mieux pour trouver l'acquiescentia, c'est-à-dire un état d'esprit dans lequel on est propre à organiser ses idées.

Quand un entraîneur dit à un jeune qu'il a des aptitudes-un potentiel en natation, il ne fait que lui indiquer ce vers quoi, à l'instant où il lui parle, le jeune peut se diriger pour favoriser son développement. Et il peut lui présenter des exemples, des modèles de champion pour le stimuler dans cette voie qui lui convient. De même, Spinoza nous dit que nous avons une Raison, une puissance qu'il invite à développer notamment en donnant son modèle de Sage, de champion de la connaissance. La puissance est actuelle, effective, et le modèle sert de stimulus. Un modèle peut-être imaginaire pour l'apprenti sage mais avec en face de soi un maître qui l'incarne (pour autant qu'on accorde à Spinoza l'honnêteté de parler de ce qu'il connaît).

Le terme "aptitude" a l'intérêt de bien montrer qu'on est dans une puissance actuelle, le terme "potentiel" (synonyme d'aptitude, capacité, puissance, cf dictionnaire), à l'avantage d'une connotation orientant les idées vers le développement de cette puissance, vers la recherche des conditions propices à le faire, ne pas en rester à une sorte de fatalisme de l'instant mais à se projeter vers une puissance supèrieure. C'est une projection qui peut-être imaginaire ou de l'ordre des êtres de raison (en général les hommes peuvent...) mais en tout état de cause ses effets sont réels en nous et c'est tout l'intérêt d'écrire un livre appelé "Ethique", de communiquer autant que faire ce peut son expérience.

Enfin bon, il me semble que je dis la même chose que Séverac, et si c'est le cas nous devrions être d'accord en dépit du terme "potentiel".


Bonjour Bardamu,

n'ayant toujours qu'une très faible connexion internet, je ne réponds pour l'instant qu'au dernier message dans ce fil, j'espère pouvoir répondre aux autres bientôt.

Toujours est-il qu'il me semble que vous tous disez au fond la même chose (ce qui n'est pas un reproche, je suppose qu'à vos yeux moi aussi je dis dès le début de cette discussion toujours la même chose): qu'on parle de potentiel ou de possible ou d'aptitude ou de puissance ou de capacité, il y a moyen d'exprimer par ces termes différents une seule et même idée. Cette idée est la suivante: si A a un potentiel X, cela signifie qu'A a la possibilité de devenir X, à condition de croire en cette possibilité et de faire ensuite ce qu'il faut pour pouvoir le devenir (prendre des cours, par exemple, si l'on veut devenir un bon nageur).

On (c'est-à-dire moi y compris) semble être d'accord pour dire que chez Spinoza en réalité rien ne correspond à cette idée de potentiel, autrement dit dans le spinozisme le possible est une modalité logique qui n'a rien de réel. Or, puisque croire en une possibilité change déjà notre Esprit et par là même aura des effets sur le réel, Spinoza dirait que le fait qu'il s'agit d'une idée purement imaginaire n'a aucune importance, plus même, il faudrait penser le bonheur en termes de potentiel, sinon on n'y arriverait pas.

Comme vous le savez, j'ai pas mal de problèmes avec une telle interprétation du spinozisme. Seulement, il faut bien dire que je ne parviens pas du tout à les expliquer, sur ce forum. Laissons donc peut-être un instant de côté Spinoza, et essayons d'abord d'étudier cette idée même de plus près.

Ce qui pour moi est difficile à comprendre, c'est l'idée qu'on pourrait savoir pertinemment qu'une idée T est imaginaire, donc ne correspond à rien hors l'Esprit, et néanmoins y croire, donc y adhérer, la traiter comme s'il s'agissait d'une idée vraie (au sens où quelque chose dans le réel hors de notre Esprit y correspondrait). Ce serait comme si l'on peut librement décider de ce qu'on va appeler vrai et faux. On revient à Descartes: le jugement relève pour lui du libre arbitre, c'est notre jugement qui doit déterminer d'une idée si elle est vraie ou fausse, l'idée en elle-même n'a pas la puissance de s'imposer ainsi.

On pourrait répondre à cela que même chez Descartes, cette liberté de juger ne se présente que dans le cas d'idées confuses, les idées claires et distinctes s'imposant par elles-mêmes comme étant vraies, sans laisser un choix au jugement. De même chez Spinoza on pourrait prendre une idée imaginaire (qui en soi n'est ni fausse ni vraie, comme on le sait), et décider qu'elle doit être vraie. Je m'imagine donc que j'ai le potentiel de devenir un bon nageur, même si je reconnais qu'au fond je n'en sais rien, et que je verrai bien une fois que je suis des cours ce qu'il en est en réalité.

Mais est-ce que cela ne vous choque pas? Vous n'avez pas l'impression qu'on ne peut pas décider librement de ce dont on a un potentiel ou non, que si on travaille dans la vie concrète avec cette notion, c'est que quelque part on y croit tout de même un peu, c'est-à-dire on la tient tout de même pour vraie, ne fût-ce qu'un peu?

Un premier problème est donc qu'en ce qui me concerne, je n'arrive pas à concevoir comment décider, en toute lucidité, de prendre une idée imaginaire dont par ailleurs Spinoza en l'occurrence montre qu'elle est fausse, pour vraie (toujours d'un point de vue spinoziste, bien sûr). Comment faites-vous pour vous dire que vous avez le potentiel de devenir x ou y, tout en vous disant en même temps qu'il n'y a pas de potentiel dans la vie réelle? Est-ce que cela marche pour vous, et si oui, comment surmonter le problème d'être quelque part en contradiction avec ses propres croyances?

Un deuxième problème est à mon avis celui souligné par Sévérac lui-même (dans ma façon de le comprendre; à vérifier donc). C'est que lorsqu'en réalité rien n'est en puissance, l'aptitude spinoziste ne peut pas être traitée comme un potentiel, puisque dire que A a un potentiel de devenir X, c'est dire que X n'existe pas encore, il n'existe qu'en puissance. On ne peut pas avoir un potentiel sans qu'il y ait des choses qui ne sont pas encore, qui sont en puissance, et que la "capacité" va tôt ou tard "actualiser". C'est donc parce que rien n'est en puissance dans le spinozisme, que l'aptitude ne peut pas être un potentiel. L'aptitude ne peut pas être ce qui va "réaliser" ce qui n'existe pas encore. Autrement dit, ce à quoi "s'étend" l'aptitude coïncide toujours déjà avec ce qui existe au moment même où l'on a cette aptitude. C'est cela la différence entre une aptitude spinoziste et un potentiel au sens ordinaire du terme.

C'est ce que Sévérac essaie d'expliquer avec ses exemples du nageur ou du corps élastique. Une aptitude qui n'est pas un potentiel, c'est une propriété qui non seulement elle-même est déjà là (l'aptitude est en acte), c'est une propriété qui réalise toujours déjà entièrement tous ses effets possibles dans l'instant même où l'on a cette aptitude. Ce n'est pas le cas lorsqu'on parle d'une puissance considérée comme "potentiel": dans ce cas, la puissance, au moment où nous l'avons réellement, donc au moment où elle est pleinement en acte, ne produit pas déjà tous ses effets, une partie de ses effets ne seront produits que plus tard, plus même, elle ne pourra les produire sans le secours de certaines circonstances extérieures, si bien que lorsque d'aventure celles-ci ne se présentent pas, certains de ses effets, qu'elle aurait pourtant pu produire, ne se produiseront jamais.

Et c'est bien cela le problème avec l'idée de croire en un potentiel (abstraction faite de la possibilité de croire en quelque chose dont on sait déjà qu'il est purement imaginaire, voire en l'occurrence faux, c'est-à-dire abstraction faite du premier problème): elle implique que "au fond", je suis déjà quelque part un bon nageur, il me faut juste encore "développer" cette capacité. Or si par hasard je suis obligé de passer le reste de ma vie dans le désert, je devrai me dire que je n'ai pas pu réaliser tout mon potentiel, et donc que je ne pourrai jamais être entièrement heureux, ou "moi-même". C'est le contraire d'une conception du bonheur où il s'agit d'apprendre à ne se baser que sur des idées adéquates ou vraies, et de s'écarter radicalement de toute idée imaginaire ou inadéquate, puisque celle-ci est nécessairement source de Crainte (vais-je pouvoir développer mon potentiel ... ?) et d'Espoir (j'espère pouvoir devenir un jour un bon nageur!), deux Passions (c'est-à-dire appartenant à la catégorie des seules idées qui pour Spinoza jamais ne peuvent être "bonnes" ou "utiles" pour nous).

Bref, ce que vous (= tous ceux qui ci-dessus disent que potentiel et aptitude spinoziste, cela doit être la même chose) à mon sens me dites c'est que le spinozisme offrirait un type de bonheur où l'imagination devient plus important que la vérité. Peu importe qu'on sache que rien n'est potentiel en réalité, on s'en fout de la réalité, on va s'imaginer qu'elle est exactement l'inverse de ce qu'elle est, et c'est ainsi qu'on va pouvoir devenir heureux. Où se trouve alors le fameux "rationalisme" de Spinoza? Comment comprendre que chez lui le bonheur est une question de connaissance vraie?

Je suis bien sûr tout à fait d'accord pour dire que Spinoza ne rejette pas entièrement l'imagination. Elle est essentielle dans le spinozisme, cela est clair. Seulement elle n'est que le premier genre de connaissance, et donc seule source de Passions. Il faut pouvoir passer le plus vite possible au deuxième puis au troisième genre de connaissance, et indiquer comment ce faire est le but même de toute l'Ethique. Ce que vous dites à mon sens, cela est parfaitement valide, mais uniquement pour ceux qui sont encore quasiment entièrement dans le premier genre de connaissance. Ce ne sont que ce type de gens qui ont besoin d'un "maître", comme tu le dis bien, c'est-à-dire d'une figure qu'ils peuvent obéir, puisque pour eux le salut ne peut venir que de l'obéissance. On est donc entièrement dans une optique que Spinoza appelle "religieuse". Là oui, là on peut, on doit même se baser sur l'imagination seule, pour faire avancer un peu vers moins de misère. Mais je ne vois vraiment pas comment on pourrait résumer le bonheur spinoziste ou la béatitude en ne s'en tenant qu'à cela. Le propre de la raison n'est-il pas que 1) tout le monde la possède, dans un certain degré, et 2) elle est parfaitement autonome c'est-à-dire il n'a besoin d'aucun maître qui peut jouer le rôle de prophète, de "signe" de la vérité d'une idée ou d'un discours, elle est capable toute seule de rendre une idée vraie ou fausse?

A mon avis on reste donc bloqué dans le premier genre de connaissance lorsqu'on veut s'en tenir à l'idée d'une aptitude comprise comme un potentiel. Et ainsi on reste très loin de l'idée de bonheur que Spinoza propose, bonheur qui passe entièrement par la raison, sans avoir besoin de maîtres ou d'obéissance ou de croyances en des idées imaginaires. Bonheur de compréhension et non pas d'imagination. Bonheur qui consiste à comprendre en quoi je suis libre, au lieu d'espérer d'être un jour libre (lorsque j'aurai développé tout mon "potentiel"), et où le fait même d'avoir compris cela augmente déjà mon degré de liberté/puissance/réalité.

Enfin, à mon avis les deux positions défendues sur ce fil à ce sujet (la mienne d'une part, celle de quasiment tous les autres d'autre part) ont le désavantage d'être ressenties tellement comme une "évidence" par ceux qui la défendent qu'il est très difficile de l'expliciter davantage. Moi-même comme sans doute vous tous, j'ai sens cesse l'impression que ce que je dis est tellement évident que je ne vois pas comment on pourrait ne pas penser ainsi. A mes yeux c'est quelque chose de si essentiel dans le spinozisme que vous êtes en train de mettre en question que je ne comprends même pas comment vous arrivez à faire cela. Alors que vous avez probablement l'impression de ne pas comprendre comment je peux rendre problématique ce qui pour vous semble aller de soi. Je vais donc continuer d'y réfléchir, les prochains jours, pour voir si je ne trouve pas une meilleure manière d'expliquer les problèmes que je viens de signaler (à moins que quelqu'un en ait déjà compris un et voit une manière pour montrer qu'il n'en est pas un ...?).

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Messagepar hokousai » 09 oct. 2009, 14:00

A louisa

autrement dit dans le spinozisme le possible est une modalité logique qui n'a rien de réel.



Comme disent les anglais"" la preuve du Pudding c’est qu’on le mange "".
La preuve que je sache faire du vélo c’est que je tiens sur mon vélo .(aujourd’hui et demain aussi ) en français je sais et je peux faire du vélo sont synonymes .
Maintenant à chacun de juger sil est plus libre sachant faire du vélo que ne sachant pas , c’est à dire plus libre quand on sait faire ce que notre nature nous prédispose à acquérir comme savoir- faire .( à mon avis oui on est plus libre )

........................................................................................................;

Je vais carrément enfoncer le clou en citant Macherey

« « « le problème éthique peut donc être posé de la façon suivante : comment devenir libre, alors que tout paraît devoir s’y opposer, et que l’idée même du devenir est un produit, non de la raison, mais de l’imagination, qui, à la fois, espère et craint le changement dans un monde tellement massifié par la soumission à des lois, à ses propres lois, que par définition rien n’y bouge ? La réponse que propose Spinoza à cette question est on ne peut plus paradoxale, et étonnante de la part d’un penseur de l’époque classique, ce qui justifie qu’il ait été par la suite considéré comme un moderne, très en avance sur son temps : elle consiste à dire que, devenir libres, sans aucun doute nous le pouvons, tout simplement parce que nous le sommes déjà de toute éternité, hors de toute considération temporelle, sans toutefois nous en rendre compte, sinon sous la forme confuse d’une aspiration inassouvie, donc sans parvenir à tirer toutes les conséquences de cette situation effective, que cette incapacité à en percevoir les tenants et les aboutissants due à l’ignorance convertit en son contraire, c’est-à-dire en cause de servitude. Sur ce point, s’applique à plein la fameuse formule du Zarathoustra de Nietzsche : « Deviens ce que tu es ! ». C’est-à-dire que le secret de la libération consiste à exploiter des virtualités que le réel, bien loin d’en constituer l’émanation, projette en avant de lui, restant cependant à restituer toute leur plénitude à ces virtualités on ne peut plus réelles ou inscrites dans la réalité, ce qui est précisément le programme imparti à un devenir actif.
Pascal Sévérac explique en conséquence, et c’est sans doute ce qui constitue le thème directeur de sa réflexion, que ce devenir s’effectue dans la forme de la persévérance, sur le modèle d’un retour aux sources et non d’une transformation ou d’un changement de nature. « « «

http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20052006/macherey01022006cadreprincipal.html


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