Qui a réussi ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 17 oct. 2009, 01:37

Durtal a écrit :
louisa a écrit :Comme tu l'auras pu constater toi-même, Spinoza n'y parle pas de propriétés de cercles.


Je regrette Louisa mais ce que tu dis est simplement faux. S se réfère à un théorème de géométrie et donc il expose une propriété (bien connue du reste) du cercle. Il n’y a rien à faire.

Je suppose que tu comptes tirer argument, comme d’habitude, du fait que le mot "propriété" ne se trouve pas dans le texte? C’est ça ?


oui et non, j'aurais peut-être dû avoir été plus précis.

D'abord, il va de soi que le théorème auquel Spinoza réfère expose une propriété, nous sommes bien d'accord là-dessus.

Or dire que Spinoza ne parle pas de propriétés dans ce scolie, ce n'est pas du tout la même chose que de dire que Spinoza y nierait qu'il s'agit d'une propriété d'un cercle (puisque pour le nier, il aurait dû en parler, alors que, encore une fois, il n'en parle tout simplement pas, au sens littéral en effet).

Dire qu'il n'y parle pas de propriété c'est simplement dire qu'il veut apparemment parler d'un autre aspect lié à ce théorème que le fait qu'il énonce une généralité concernant les cercles et les carrés. Et en effet, il veut illustrer le scolie, qui lui ne parle pas non plus de propriétés des choses, mais des choses singulières en tant que singulières et des deux manières dont elles peuvent être dites exister (l'exemple parle donc lui aussi de tel ou tel carré et cercle singulier, et non pas de la propriété en générale). Si tu trouves que le scolie ne traite pas de cela, de quoi s'agit-il plutôt, selon toi?

Durtal a écrit :Mais tu sais il te faudrait déjà prouver que « parler d'une chose » consiste nécessairement à la nommer , et c’est être d’une très grande naïveté ou d’un très grand manque de sérieux que de le prétendre. Ajoute à ceci qu’il peut arriver par exemple que Spinoza ne dise pas telle ou telle chose tout simplement parce que cela va de soi , et que cela fait aussi partie des raisons, en général, pour lesquelles on ne dit pas quelque chose.


j'opterais pour: il ne mentionne pas ici le mot "propriété" puisqu'il va de soi qu'il s'agit d'une propriété. Mais il n'en parle pas non plus, encore une fois, parce qu'ici il ne veut pas parler d'une généralité, il veut illustrer ce qu'il vient de dire, et dans ce qu'il vient de dire il ne s'agit pas de généralités ou d'êtres de raison, il s'agit de l'existence réelle des choses singulières.

Durtal a écrit :Mais d'accord livrons nous à cet exercice laborieux et sans intérêt jusqu'au bout.


si je peux bien comprendre qu'on n'a pas tous une vocation pédagogique, j'avoue que j'ai du mal à m'imaginer comment on peut à la fois aimer la philosophie et le trouver sans intérêt d'essayer d'expliciter maximalement sa pensée. Est-ce que cela ne t'arrive vraiment jamais de découvrir des choses nouvelles, lorsque tu essaies (pour toi-même ou sur un forum) de davantage expliciter ce que tu penses ou comment tu interprètes Spinoza? C'est pas que je veux à tout prix exclure la possibilité, c'est juste que jusqu'à présent je ne peux pas m'imaginer comment ce serait possible (sans ironie).

Durtal a écrit :Donc en E16dem Spinoza explique: "étant donné la définition d'une chose quelconque, l'intellect en conclut plusieurs propriétés, lesquelles, en vérité, en découlent nécessairement ( c'est à dire de l'essence même de la chose) etc..."

Un cercle est une chose, d’autre part il appartient à sa nature, son essence, « que les "rectangles construits à partir des segments de toutes les lignes droites...ect.." la proposition 16 ( qui est absolument générale) m'autorise donc à conclure, de façon tout à fait « Spinoziste » du reste, que Spinoza parle bien ici d’une "propriété" du cercle.


ok, compris en ce sens-là, on peut effectivement dire qu'il "parle" d'une propriété (je dirais plutôt qu'il s'y réfère, mais peu importe, du moment qu'on comprend ce qu'on veut dire en utilisant tel ou tel mot).

Durtal a écrit :Voilà.

Mais on se doute quand même qu'il n'y a pas vraiment de raison ni de sens pour lui à mettre une panneau pour signaler "je suis en train de parler d'une propriété du cercle" encore une fois, sauf pour toi semble-t-il, tout cela va de soi.


non non, il s'agissait d'un malentendu, cela va bien sûr aussi de soi pour moi, ce que j'ai essayé de dire, c'est que ce dont parle Spinoza dans ce scolie, ce qu'il essaie de montré, ce n'est pas quelque chose qui a trait à une propriété, c'est quelque chose qui a trait à l'existence d'une chose singulière.

Durtal a écrit :
Louisa a écrit :Il compare bien plutôt deux carrés singuliers: l'un qui se déduit de toute façon de la définition du cercle, puis le même carré en tant qu'il est tracé par quelqu'un dans tel ou tel cercle.


Et bien non. Spinoza n'est pas en train de dire dans cet exemple qu'il existe une infinité de tracés singuliers de rectangles qui découlent de l’essence ou de la nature du cercle mais non encore tracés ou si tu préfères « tracés en lui de toute éternité », sinon, il soutiendrait cette opinion absurde que l'on peut déduire de la définition du cercle que ma main ( par ex) en tracera ou en a tracé un (car après tout il est l’un de ces tracés). Et il ne peut pas vouloir dire cela par l’exemple qu’il a choisi, parce que c’est grossièrement faux.


tel que tu le dis en effet, c'est clairement faux. Mais j'avoue que je ne vois pas le rapport entre ce que tu dis et ce que je viens de dire ... ?

Durtal a écrit :En revanche c'est que tu essayes de lui faire dire: il y a un tracé " éternel" et un "tracé temporel" pour le même rectangle.


mais non, il faut bien sûr réserver le mot "tracé", introduis par toi, pour un processus qui se déroule dans le temps. Cela n'a aucun sens de parler d'un "tracé" d'un point de vue de l'éternité, c'est précisément cette distinction entre les deux plans que l'exemple illustre.

Durtal a écrit :Sauf que c'est idiot, car, que ce tracé soit éternel ou temporel, ne fait rien à l'affaire; on ne déduit pas des définitions des objets géométriques des propositions qui concernent les figures que nous traçons. Or la proposition qui concerne l'égalité des paires de rectangles est une proposition de la géométrie ; elle affirme quelque chose de la nature d’un cercle et non une proposition qui concerne des tracés de figures que ceux ci existent temporellement ou éternellement ou de quelque autre façon qu'il te plaira de l'envisager.


oui bien sûr. Et c'est précisément sur cette propriété que Spinoza s'appuie pour dire que donc, même déjà avant de l'avoir tracée, telle ou telle figure doit être comprise dans l'idée (= essence objective) du cercle, or il n'y a pas d'essences objectives sans essences formelles chez Spinoza. Donc c'est parce que tel ou tel carré se laisse déduire de l'idée même de tel cercle qu'il faut lui accorder une essence formelle et objective, tu vois ... ? Et c'est en ce sens que ce carré existe de toute éternité. Que par ailleurs il n'existera dans le temps que lorsque ta main l'aura effectivement tracée n'y change rien. Il s'agit de deux types d'existence différents.

Durtal a écrit : Donc il s'agit de considérations qui sont foncièrement hétérogènes que tu crois juste pouvoir faire coïncider en basculant d'un adjectif à l'autre parce que tu te trompes sur la portée et le sens de cette illustration (et je ne parle même pas ici de ce qu’elle est censée illustrer)


euh ... quelles sont ces considérations hétérogènes?

Durtal a écrit :Et c'est justement sur cette hétérogénéité qu'il insiste en contrastant d’une part l'infinité de paires de rectangle qui existe dans le cercle et qui sont a) non distinguées entre elles . et b) . non distinguée du cercle lui même (et j’ajoute qui existent alors en-tant-que propriété-du-cercle) avec d’autre part deux rectangles quelconques tracés qui eux sont a) distincts l’un de l’autre et aussi de tout autre et b) qui sont distingués du cercle lui-même.


là je ne te suis plus. Comment faire pour dire que l'infinité des rectangles qui existent dans le cercles ne se distinguent pas entre eux? Et comment peut-on ne pas distinguer un rectangle d'un cercle ... ?

A mon avis tu dis cela parce que présupposes que seuls des rectangles tracés ne peuvent être distingués l'un de l'autre, alors que justement, toute cette proposition essaie de montrer l'inverse: on ne peut pas avoir une distinction de choses existant dans le temps si elle ne se distinguent pas déjà du point de vue de l'éternité. Spinoza quitte ici radicalement tout thomisme, qui stipule que ce ne serait que l'existence dans un temps et un lieu précis qui permet d'individuer et donc de distinguer les choses singulières.

Durtal a écrit :ps : Blaise Pascal tu connais?


un peu ... j'aime pas. Trop chrétien pour moi, donc trop de valorisation des Passions Tristes ... :D

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Messagepar bardamu » 17 oct. 2009, 02:45

Louisa a écrit :De même, si c'est le niveau de sagesse qui définit l'essence (ou plutôt: la part éternelle de l'essence), alors on ne pourra pas échanger son essence pour une autre, puisqu'on ne perd pas ses idées adéquates. Mais il faudra bel et bien dire qu'on change d'essence lorsqu'on passe d'un nombre X d'idées adéquates à un nombre X + Y d'idées adéquates. C'est que l'ensemble composé de X + Y a un degré de puissance plus élevé que l'ensemble composé seulement de X.

Bonjour Louisa,
je trouve vraiment bizarre d'identifier une essence à un nombre d'idées adéquates et je ne vois pas trop pourquoi tu parles de X et ensuite de Y.
Quelle différence entre passer de {X1,X2} à {X1,X2,X3}, et passer de {X1, X2} à {X1,X2,Y1} ? D'un côté tu gagnes une idée X3 et de l'autre une idée Y1 mais quel est le sens de la différence entre X et Y, que signifient les indices (1, 2, 3 etc.), pourquoi tu ne te contentes pas de parler d'une accumulation de X ?
Louisa a écrit :en effet, on touche ici à l'essentiel du débat. Pour le dire en deux phrases: chez Spinoza l'essence est définie par une certaine puissance d'agir. Lorsque cette puissance augmente, on est donc obligé d'avoir également une autre essence, de ne plus rester avec la même essence, sinon il aurait fallu définir l'essence autrement que par la puissance actuelle d'agir (et de penser).

Mais non, l'essence n'est pas définie par une puissance d'agir. Tout est puissance et l'essence d'un mode se définit par le type de puissance, son mode d'être, le rapport caractéristique de mouvement et de repos du côté des corps, une "certaine puissance" mais pas dans le sens d'une certaine quantité de puissance.
C'est justement ce qu'explique Spinoza dans le passage de E4 préface.
Ce n'est pas le nombre d'idées adéquates ou une quantité de puissance qui compte pour définir une essence c'est quelles idées adéquates, par exemple l'idée adéquate de mon rapport à l'herbe qui sera différente de l'idée adéquate du rapport à l'herbe qu'a le cheval. Jamais je n'aurais une idée chevaline de l'herbe ne serait-ce que parce que je n'ai pas d'estomac de cheval.
On ne change pas d'essence en accumulant les idées, on change d'essence lorsque le rapport qui nous caractérise est transformé.

Exemple mathématique :
disons que je suis la partie entière de 4/2 (=2). Disons que j'accumule des idées adéquates au numérateur : 4.1 et puis 4.2, 4.3 etc.
A un moment, je vais passer à 6, je serais 6/2 = 3. Et là, je pourrais me dire "j'ai changé", là je pourrais me demander si il y a vraiment un rapport entre ce que je suis et l'enfant qu'on dit que j'étais, entre ce 3 que je suis et ce 2 que j'étais.
Louisa a écrit :Tentative d'explication.

En ce qui me concerne, je ne vois pas comment on peut supposer qu'il y ait dans le spinozisme une "variation" de la puissance qui ne serait pas accompagnée d'un changement d'essence, alors qu'effectivement, il devient difficile de penser quelque chose comme un potentiel sans cette idée de variation, puisqu'il faut bien pouvoir distinguer quelque chose comme une essence déjà là mais qui pourtant n'agit pas maximalement de la même essence qui agit maximalement pour pouvoir donner un sens à la notion de potentiel.(...)

En fait, je dirais que tu fonctionnes sur le syllogisme :
- une essence est une puissance
- or la puissance varie
- donc à toute modification de puissance il y a modification d'essence

En cela, ton essence-puissance n'aurait qu'une seule dimension, une simple quantité.

Et mon syllogisme est :
- une essence est une puissance particulière, un rapport spécifique entre puissances
- or les puissances varient
- donc certaines modifications de puissance modifient l'essence, la nature de l'être

En tant que rapport de puissances, mon essence-puissance a droit à 2 dimensions :
1. en tant que puissance d'agir qui peut valoir comme quantité (conatus, effort, variation de perfection-réalité)
2. en tant que puissance d'être, puissance éternelle, "qualité" qui n'est autre que le rapport entre quantités, un rapport de mouvement et de repos.
C'est pour cela qu'on persévère (1) dans son être (2).

Dans ton système, je ne vois toujours pas ce qu'est cet être qui persévère si "Lorsque cette puissance augmente, on est donc obligé d'avoir également une autre essence". Logiquement, ça devrait aussi valoir pour les réductions de puissance et donc on changerait d'essence au gré des affections.

En fait, je crois que tout cela vient de cette tendance à penser sur une seule dimension, à faire du "singulier" une sorte de "somme d'infinitésimales particules", cette image de la ligne composée de points, à demander la prise en compte du moindre mouvement pour définir un corps, la moindre affection et d'ailleurs par la même occasion à repousser la connaissance des essences singulières à un horizon inaccessible à un entendement fini.
Heureusement, il y a d'autres manières de voir, une manière où existent spontanément des seuils définissant des choses, des transitions de phase, où des équilibres se forment et s'entretiennent.
Louisa a écrit :Mais ce serait chouette si quelqu'un sur ce forum y arrive (sans ironie).

Ca y est, c'est fait 8-)
De toute façon, je sais que mon idée de potentiel est vraie, je sais qu'elle est spinoziste et en plus je suis en accord avec Séverac (et avec Deleuze aussi, cf dans ses cours les passages sur l'essence affectée, la latitude et les quantités intensives avec leurs seuils, leurs minimum et maximum, notions a utiliser avec prudence vu qu'il y a beaucoup de Deleuze là-dedans).

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Messagepar Louisa » 17 oct. 2009, 05:08

Bardamu a écrit :je trouve vraiment bizarre d'identifier une essence à un nombre d'idées adéquates et je ne vois pas trop pourquoi tu parles de X et ensuite de Y.
Quelle différence entre passer de {X1,X2} à {X1,X2,X3}, et passer de {X1, X2} à {X1,X2,Y1} ? D'un côté tu gagnes une idée X3 et de l'autre une idée Y1 mais quel est le sens de la différence entre X et Y, que signifient les indices (1, 2, 3 etc.), pourquoi tu ne te contentes pas de parler d'une accumulation de X ?


Re-bonjour Bardamu,
j'avais utilisé une minuscule pour désigner chaque idée adéquate propre à l'essence 1 ou essence X (majuscule), et une autre minuscule pour désigner une essence 2 ou essence Y qui n'a plus aucune idée adéquate en commun avec la première essence. En cela il s'agissait "d'échanger" l'essence X (composée de x1-x10) pour l'essence Y (composée de y1-y2).
Or si l'on veut considérer chaque idée adéquate en tant qu'adéquate et l'appeler x, on peut certainement s'en tenir à des x uniquement (ou des y, peu importe). Alors on peut dire qu'échanger son essence pour une autre c'est passer de l'ensemble {x1, x2, ... x10} (= ensemble X1) à l'ensemble {x11, x12, ... x20} (= ensemble X2), tandis que changer d'essence c'est passer de l'ensemble {x1, x2, ... x10} (= X1) à l'ensemble {x1, x2, ..., x11} (= X1 + x11). Le seul inconvénient de l'appeler ainsi, c'est qu'on peut penser qu'il y a quelque chose en commun entre X1 et X2, alors que ce n'est pas du tout le cas (aucun élément de X1 ne se retrouve dans X2), raison pour laquelle j'ai voulu prendre X et Y (majuscules).

Quant à identifier une essence à un nombre d'idées adéquates: il faut dire qu'à mon sens il s'agit d'une évidence (ce qui signifie: cela fait longtemps que je n'interroge plus la vérité de cette idée, raison pour laquelle il se peut que je me trompe). A mon avis il y a nombreux passages qui deviennent incompréhensibles si l'on ne suppose pas cette identification. Juste en guise d'exemple: E3P1 corollaire:

"De là suit que l'Esprit est sujet à d'autant plus de passions qu'il a plus d'idées inadéquates, et, au contraire, agit d'autant plus qu'il a plus d'idées adéquates.

On a ici une équivalence stricte entre le nombre d'idées adéquates et la puissance d'agir, me semble-t-il, non?

Autre exemple: E3P7:

"L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être nest rien à part l'essence actuelle de cette chose."

Or la démo de l'E3P3 vient de rappeler que ce qui constitue l'essence de l'Esprit, ce n'est rien d'autre que l'idée du Corps existant en acte, idée qui se compose de beaucoup d'autres, dont certaines sont adéquates et d'autres non. En tant qu'il a des idées inadéquates, l'Esprit pâtit, en tant qu'il a des idées adéquates, il agit. Sachant que l'E3P7 démo identifie le conatus singulier d'une chose et sa puissance, puis sa puissance et son essence actuelle ou donnée, je ne vois pas comment ne pas en déduire que sa puissance (nécessairement éternelle) d'agir doit s'identifier à l'ensemble de ses idées adéquates?

Autre exemple encore: dans l'E3P11 scolie Spinoza dit littéralement que notre Esprit peut pâtir de "grands changements" (magnas mutationes), et passer à une perfection tantôt plus grande, tantôt moindre, en fonction de l'affect de Joie ou de Tristesse qu'il éprouve. Or on sait que la puissance ou essence ou réalité d'une chose c'est sa perfection. Comment ne pas en conclure que lorsqu'une chose a une idée adéquate en plus, elle devient plus parfaite, donc plus puissante, donc change d'essence ou d'Esprit ... ?

Bardamu a écrit :
Louisa a écrit :en effet, on touche ici à l'essentiel du débat. Pour le dire en deux phrases: chez Spinoza l'essence est définie par une certaine puissance d'agir. Lorsque cette puissance augmente, on est donc obligé d'avoir également une autre essence, de ne plus rester avec la même essence, sinon il aurait fallu définir l'essence autrement que par la puissance actuelle d'agir (et de penser).


Mais non, l'essence n'est pas définie par une puissance d'agir.


il me semble que le nombre de passages qui permettent de dire que l'essence singulière d'une chose s'identifie à sa puissance (d'agir et de penser) est assez important, donc cela m'étonne que tu fasses une distinction ... .

On pourrait penser notamment à la 7e définition de l'E4: "Par vertu et puissance, j'entends la même chose, c'est-à-dire (par la Prop. 7 p.3), la vertu, en tant qu'elle se rapporte à l'homme, est l'essence même ou nature de l'homme, en tant qu'il a le pouvoir de produire certains effets qui peuvent se comprendre par les seules loi de sa nature."

Ou l'E3P54 démo: "L'effort ou puissance de l'Esprit est l'essence même de cet Esprit (par la Prop. 7 de cette p.); et l'essence de l'Esprit (comme il va de soi affirme seulement ce qu'est et peut l'Esprit (...)."

La référence systématique à l'E3P7 n'est pas un hasard puisque, comme déjà dit, c'est là qu'à mon sens il identifie très explicitement le conatus, l'essence et la puissance d'une chose: potentia, sive conatus, quo in suo esse perseverare conatur, nihil est praeter ipsius rei datam, sive actualem essentiam. Traduit: "la puissance, ou le conatus (...) n'est rien d'autre que (...) l'essence de la chose même".

Bardamu a écrit :Tout est puissance et l'essence d'un mode se définit par le type de puissance, son mode d'être, le rapport caractéristique de mouvement et de repos du côté des corps, une "certaine puissance" mais pas dans le sens d'une certaine quantité de puissance.


?

De quels "types de puissance" Spinoza parle-t-il, et où?

En effet, le rapport de mouvement et de repos est une autre manière de caractériser l'essence singulière, tout comme l'est le Désir. Spinoza donne différentes manières de qualifier l'essence. Comme il le dit par exemple dans l'E4P4: "La puissance de l'homme, en tant qu'elle s'explique par son essence actuelle, est une partie de la puissance infinie de Dieu ou de la Nature". Pour Deleuze cela signifie que lorsque ce degré de puissance passe à l'existence temporelle, des "parties extensives" ou corps vont effectuer le rapport caractéristique d'une telle puissance. Mais l'un n'exclut pas l'autre. L'essence formelle et objective est précisément une certain quantité d'effort pour persévérer dans l'existence temporalle (quantum in se est. Et lorsqu'il parle de la puissance déterminée d'une chose singulière comme étant une "partie" de la puissance divine infinie, comment le concevoir autrement que comme une quantité, une quantité déterminée et tout à fait "homogène" à la puissance divine?

Bardamu a écrit :C'est justement ce qu'explique Spinoza dans le passage de E4 préface.
Ce n'est pas le nombre d'idées adéquates ou une quantité de puissance qui compte pour définir une essence c'est quelles idées adéquates, par exemple l'idée adéquate de mon rapport à l'herbe qui sera différente de l'idée adéquate du rapport à l'herbe qu'a le cheval. Jamais je n'aurais une idée chevaline de l'herbe ne serait-ce que parce que je n'ai pas d'estomac de cheval.
On ne change pas d'essence en accumulant les idées, on change d'essence lorsque le rapport qui nous caractérise est transformé.


en quoi cette préface dirait-elle que ce n'est pas une quantité de puissance qui définit l'essence, et en quoi un changement de rapport n'irait-il pas de pair avec un changement du nombre d'idées adéquates (et inadéquates)?

Bien sûr, chaque idée adéquate est propre à l'Esprit qui a l'idée en question (puisqu'elle la constitue, et que chaque Esprit est différent). Mais je ne vois pas en quoi cela ferait de l'essence quelque chose de purement "qualitative", sans plus aucun aspect quantitative?

Bardamu a écrit :Exemple mathématique :
disons que je suis la partie entière de 4/2 (=2). Disons que j'accumule des idées adéquates au numérateur : 4.1 et puis 4.2, 4.3 etc.
A un moment, je vais passer à 6, je serais 6/2 = 3. Et là, je pourrais me dire "j'ai changé", là je pourrais me demander si il y a vraiment un rapport entre ce que je suis et l'enfant qu'on dit que j'étais, entre ce 3 que je suis et ce 2 que j'étais.


pourtant, tu sais bien que 4.1/2 n'est plus égal à 2. Pourquoi ne pas déjà parler de changement lorsqu'on passe de 4/2 à 4.1/2? Pourquoi faudrait-il un nombre entier ... ?

Bardamu a écrit :
Louisa a écrit :
Tentative d'explication.

En ce qui me concerne, je ne vois pas comment on peut supposer qu'il y ait dans le spinozisme une "variation" de la puissance qui ne serait pas accompagnée d'un changement d'essence, alors qu'effectivement, il devient difficile de penser quelque chose comme un potentiel sans cette idée de variation, puisqu'il faut bien pouvoir distinguer quelque chose comme une essence déjà là mais qui pourtant n'agit pas maximalement de la même essence qui agit maximalement pour pouvoir donner un sens à la notion de potentiel.(...)


En fait, je dirais que tu fonctionnes sur le syllogisme :
- une essence est une puissance
- or la puissance varie
- donc à toute modification de puissance il y a modification d'essence


en effet.

Bardamu a écrit :En cela, ton essence-puissance n'aurait qu'une seule dimension, une simple quantité.


cela tu conclus du fait qu'ici on ne parle que de la quantité. Mais comme déjà dit, on peut tout aussi bien caractériser l'essence par un rapport de mouvement et de repos, ou par un Désir etc. A mon sens l'un n'exclut pas du tout l'autre. Il est juste important d'aussi tenir compte du fait que Spinoza dit que "L'essence de l'Esprit est constituée d'idées adéquates et inadéquates (comme nous l'avons montré dans la Prop. 3 de cette p.)" (E3P9 démo).

Bardamu a écrit :Et mon syllogisme est :
- une essence est une puissance particulière, un rapport spécifique entre puissances
- or les puissances varient
- donc certaines modifications de puissance modifient l'essence, la nature de l'être


oui d'accord, là ça me va, ce qui pose problème pour moi, c'est que tu prétends qu'il y aient des modifications de la puissance qui ne modifient pas l'essence. Spinoza dit qu'il peut y avoir des "affections" de l'essence qui ne modifient pas la puissance (comme le dit le premier postulat de l'E3), affections "neutres" donc (qui laissent le rapport de mouvement et de repos intacts; c'est le cas lorsqu'on mange, il me semble), et d'autres qui la modifient (la diminuent ou augmentent) et qu'il appelle pour cette raison "Affects", mais où dirait-il qu'il peut aussi y avoir des affections qui modifieraient la puissance mais non pas l'essence ... ?

Bardamu a écrit :En tant que rapport de puissances, mon essence-puissance a droit à 2 dimensions :
1. en tant que puissance d'agir qui peut valoir comme quantité (conatus, effort, variation de perfection-réalité)
2. en tant que puissance d'être, puissance éternelle, "qualité" qui n'est autre que le rapport entre quantités, un rapport de mouvement et de repos.
C'est pour cela qu'on persévère (1) dans son être (2).


je dirais que ces deux "dimensions" correspondent plus précisément à ce que Spinoza appelle dans l'E2P8 deux types d'existence de l'essence singulière: ou bien "en Dieu", ou bien en Dieu et dans un temps et un lieu précis. Le conatus n'a du sens qu'en tant qu'une essence singulière est dite durer. Alors que la quantité de puissance qui définit son essence est de toute éternité une partie de la puissance infinie de Dieu.

Bardamu a écrit :Dans ton système, je ne vois toujours pas ce qu'est cet être qui persévère si "Lorsque cette puissance augmente, on est donc obligé d'avoir également une autre essence". Logiquement, ça devrait aussi valoir pour les réductions de puissance et donc on changerait d'essence au gré des affections.


oui, on change certes autant lorsqu'on subit une diminution de puissance que lorsqu'elle augmente. Ce qui persévère dans son être, c'est chaque idée adéquate en tant que telle, et l'ensemble des idées adéquates lorsqu'elles constituent une idée composée qui correspond à un Esprit. Si une chose singulière a une essence "à chiffre" x, par exemple (puissance x), alors elle persévèrera dans son être (dans ses idées adéquates) avec un effort x. Si elle acquiert une nouvelle idée adéquate, sa puissance aura augmenté (x + 1), donc maintenant elle persévèrera dans toutes les idées qui constituaient x mais aussi dans l'idée qui vient de s'y ajouter. En cela, la nouvelle essence "englobe" la précédente. C'est pourquoi la meilleure façon de persévérer en son être c'est d'en augmenter la puissance, de se connecter davantage au monde. On ne peut pas s'efforcer à persévérer dans son être sans en même temps vouloir augmenter sa puissance, car rien ne garantit mieux cette persévérance de fait qu'une telle augmentation.

Bardamu a écrit :En fait, je crois que tout cela vient de cette tendance à penser sur une seule dimension, à faire du "singulier" une sorte de "somme d'infinitésimales particules", cette image de la ligne composée de points, à demander la prise en compte du moindre mouvement pour définir un corps, la moindre affection et d'ailleurs par la même occasion à repousser la connaissance des essences singulières à un horizon inaccessible à un entendement fini.


comme j'ai essayé de montrer, je ne crois qu'on est obligé de penser en une dimension seule lorsqu'on pense l'essence en termes de puissance. Mais il est vrai que, bien évidemment, chaque modification de la nature, le moindre changement, la moindre affection, représente un nouveau mode, qui a besoin lui aussi d'une essence singulière (pas de mode sans essence), donc il faut bien pouvoir penser ce qui se passe avec le mode qui est l'idée composée qui "accueille" cette nouvelle essence, on ne peut pas faire comme si le monde avant de produire cette nouvelle idée et après est resté le même, comme s'il ne s'agit que d'une "variation" du premier mode. Si variation il y a, c'est une variation de l'essence divine. Mais comment concevoir une variation au niveau d'un mode?

Enfin, je ne vois pas en quoi cela repousserait la connaissance des essences singulières à un horizon inaccessible à l'entendement fini ... ? L'entendement fini est bien plutôt l'ensemble des idées adéquates de tel ou tel Esprit singulier (tout comme l'entendement divin est l'ensemble de tous les Esprits singuliers ou de toutes les idées adéquates). Il y a à ce niveau-ci une immanence totale.

Bardamu a écrit :Heureusement, il y a d'autres manières de voir, une manière où existent spontanément des seuils définissant des choses, des transitions de phase, où des équilibres se forment et s'entretiennent.


il se pourrait qu'il est plus heureux de penser en des termes de potentiel, mais pour l'instant j'y vois plutôt des désavantages: dès qu'on pense ainsi, on peut se dire que telle ou telle chose n'a pas pu "réaliser" son potentiel, donc est devenue moins heureuse, dans sa vie, qu'elle n'aurait pu l'être. Séraphine Louis par exemple "aurait pu" être un grand peintre, car elle en avait vraiment le "potentiel", mais voilà, les circonstances de sa vie ont fait qu'elle a été sans cesse "séparée", "aliénée" de son essence singulière, donc elle est restée malheureuse. Tout cela devient inconcevable lorsqu'on laisse tomber l'idée de potentiel, on obtient alors ce que suggère déjà Pourquoipas: une peintre qui a su exprimer entièrement sa force et sa puissance, malgré des circonstances extrêmes. Ce qu'on est aujourd'hui est on l'est à 100%, et demain on pourra devenir plus puissant encore, ou moins puissant (cela, on ne le sait pas à l'avance, mais on sait qu'on ne "manquera" jamais de rien, et prendre conscience de cela est à mon sens précisément la "plus haute satisfaction de soi" possible, autrement dit la Béatitude ou Liberté spinoziste).

Bardamu a écrit :
Louisa a écrit :
Mais ce serait chouette si quelqu'un sur ce forum y arrive (sans ironie).


Ca y est, c'est fait 8-)


euh ... se trouvait plus précisément la démonstration qu'il y a du potentiel chez Spinoza, dans ce que tu viens de dire ... ?

Bardamu a écrit :De toute façon, je sais que mon idée de potentiel est vraie, je sais qu'elle est spinoziste et en plus je suis en accord avec Séverac (et avec Deleuze aussi, cf dans ses cours les passages sur l'essence affectée, la latitude et les quantités intensives avec leurs seuils, leurs minimum et maximum, notions a utiliser avec prudence vu qu'il y a beaucoup de Deleuze là-dedans).


euh ... à mon sens c'est exactement sur ce point que Sévérac critique Deleuze ... dans ce cas, comment être en accord avec les deux à la fois ... ? :?

Quant à savoir qu'une de nos idées est vraie: puisque Spinoza hélas ne dit jamais comment on pourrait savoir cela, mais dit explicitement qu'absence de doute n'est pas encore avoir une idée vraie (E2P49 scolie), je préfère me dire (caute) que toute idée qui me semble être évidente peut-être ne l'est pas, et que la seule chose qui en réalité est certaine c'est qu'une idée évidente pour moi est tout simplement une idée dont pour l'instant je ne doute pas, ce qui au fond ne veut quasiment rien dire ... :)

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Messagepar hokousai » 17 oct. 2009, 12:36

à Louisa

j'ai essayé de montrer que l'E2P8 dit exactement l'inverse. Il faudrait donc que vous me dites en quoi mon interprétation de ce scolie est fausse pour pouvoir changer d'idée, vous voyez? Vous pouvez dire que pour vous il faut l'interpréter autrement, mais juste dire cela ne permettra pas de comprendre comment faire pour l'interpréter autrement .


A vrai dire je n'ai pas de plus de solutions pédagogiques que Spinoza n' en a . Celui ci devait estimer que son exemple était suffisant .
Je vous dirais bien :""mobilisez tout ce que vous avez d intelligence !! ""

Helas! non que potentiellement vous n'en ayez , mais je vous vois partie sur des chemins de traverses.
Il faudrait faire demi tout et revenir là où les chemins bifurquent .

Je crains que rebrousser chemin ne soit pas dans vos coutumes .


(excusez la digression )

..................................................................................................................

Hokousai a écrit:

D’ où se tire la différence entre l Eternité et la Durée lettre 12 à Meyer .
Je vous laisse méditer


ce sera sans doute plus efficace de me dire comment vous faites pour en tirer cette idée


l'idée n'est pas de moi ,ce n'est pas moi qui en tire cette idée de différence ( et même si je suis d'accord avec Spinoza ) je ne fais que citer Spinoza( lettre 12 à Meyer)
D’ où se tire la différence entre l 'Eternité et la Durée l

...............................................................................................

Comme d'autres en d''autres temps accumulaient les indulgences pour gagner le paradis je vous souhaitent d'engranger le plus grand nombre de parties éternelles .

Dans ce processus d 'engrangement et relativement à la mauvaise foi je plaide pour l'indulgence .

hokousai

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Messagepar hokousai » 17 oct. 2009, 13:30

à Louisa

Vous connaissez un peu Pascal , peut être moins Corneille ..
Me voila en position d être le n- ième Curiace , lesquels de nos jours partent à la pêche .
Je ne n'en éprouve pas de joie .

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Messagepar Sinusix » 18 oct. 2009, 14:42

Cher Bardamu,

bardamu a écrit :Exemple mathématique :
disons que je suis la partie entière de 4/2 (=2). Disons que j'accumule des idées adéquates au numérateur : 4.1 et puis 4.2, 4.3 etc.
A un moment, je vais passer à 6, je serais 6/2 = 3. Et là, je pourrais me dire "j'ai changé", là je pourrais me demander si il y a vraiment un rapport entre ce que je suis et l'enfant qu'on dit que j'étais, entre ce 3 que je suis et ce 2 que j'étais.


Excellentissime image (pour Louisa, qui n'a pas bien compris, je fais observer que vous parlez de la partie entière de la division).
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus de l'existence d'un effet de seuil qui fait basculer la résistance d'un Corps par rapport aux affections contingentes qu'il rencontre, je conseille la lecture combinée de ce qui concerne les bébés et plus particulièrement E439S et E539S.

Amicalement

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Messagepar Sinusix » 18 oct. 2009, 15:27

Cher Hokousai

hokousai a écrit :à Louisa

j'ai essayé de montrer que l'E2P8 dit exactement l'inverse. Il faudrait donc que vous me dites en quoi mon interprétation de ce scolie est fausse pour pouvoir changer d'idée, vous voyez? Vous pouvez dire que pour vous il faut l'interpréter autrement, mais juste dire cela ne permettra pas de comprendre comment faire pour l'interpréter autrement .


A vrai dire je n'ai pas de plus de solutions pédagogiques que Spinoza n' en a . Celui ci devait estimer que son exemple était suffisant.


Je me permets d'insérer sur le fil partie de l'explication de ma position que j'ai expliquée à Louisa privativement, ce qui ne me paraît pas déroger aux convenances.

J'ai essayé de suivre le message de Louisa pour lui répondre et lui confirmer que notre différend n'était absolument pas là où elle le situait.

Louisa a écrit :
Car, si je vous ai bien compris, avec Sescho vous n'admettez qu'un type d'existence : l'existence "dans un temps et un lieu précis". Les choses singulières pour vous n'existent pas avant d'être nées, et n'existent plus après leur mort.


Non je ne pense pas cela. Il y a bien existence dans la durée et existence selon l'Eternité. Je m'explique plus bas.

Louisa a écrit :
D'abord je ne peux que vous dire que si l'on parle du monde, de ce qu'on pense de la réalité (donc si l'objet de la discussion c'est le monde), je suis plutôt d'accord avec vous. La fameuse phrase de Spinoza "nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels" aujourd'hui est assez étrange. On n'y adhère plutôt pas.

Mais lorsqu'on parle du spinozisme (si l'objet de la discussion est ce que dit le texte spinoziste), tout change. Là, seule une analyse détaillée et argumentée du texte peut nous apprendre ce que Spinoza pensait à ce sujet. Et là, comme déjà dit, pour moi il est difficile de nier que, pour Spinoza, il y a deux façons de concevoir l'existence actuelle : l'une concerne l'existence "dans la durée", l'autre l'existence éternelle en Dieu. Je n'ai pas encore rencontré de commentateurs "attitrés" de Spinoza qui nient cela, et pour trouver une illustration de cette idée, je ne peux que référer au dernier message de Bardamu dans le fil "liberté et déterminisme", où il montre cela beaucoup mieux que ce que j'aurais pu faire moi-même.


Je suis tout à fait d'accord sur cette double existence pour Spinoza.

Louisa a écrit :
Mais qu'est-ce à dire? Cela veut dire qu'il faut comprendre le mot "existence" en deux sens fort différents, lorsque je parle du spinozisme. Car d'après cette interprétation :
1) Dieu a une idée des choses avant qu'elles ne soient dites "durer", donc avant qu'elles n'existent "dans un temps et en lieu précis" (premier sens de l'existence) ;
2) Dieu a une idées des choses de toute éternité, idée qui s'accompagne nécessairement de l'existence de cette chose d'un point de vue de l'éternité, puisque l'essence singulière formelle de la chose existe de toute éternité en Dieu, et donc aussi son idée ou essence objective (pour la différence entre les deux : voir le TIE, et les commentaires de Pierre-François Moreau à l'ENS, vidéos disponibles sur ce site).


C'est là où nous avons une compréhension du texte tout à fait différente, que je concentre en partie seulement sur notre lecture différente de E2P8.
Le problème principal réside dans la forme que prend l'idée singulière de chose singulière existante dans l'idée de Dieu.
L'idée de Dieu relève de E1P21, autrement dit elle suit de la nature absolue de l'Attribut Pensée de Dieu, autrement dit est, par cet Attribut, éternelle et infinie (mode infini immédiat).
L'idée singulière de la chose singulière, ou essence objective comme vous le rappelez, ne peut faire partie de l'idée de Dieu, en cette forme singularisée, faute de quoi elle serait, en cette forme, une idée adéquate en Dieu, c'est-à-dire vraie et, du fait de l'Axiome 6, étant une idée éternelle en cette forme, son objet, c'est-à-dire la chose singulière, dans sa singularité, serait éternelle. Ce qui est absurde.
De fait, c'est bien ce que dit E2P8 et toute l'Ethique, cette idée de chose singulière est en Dieu, mais de manière médiate (étant ici précisé que, et nous en avons discuté longuement avec Sescho sans aboutir à un consensus, pour ce qui concerne l'attribut Pensée, la double médiatisation E2P22 et E2P23 n'est pas très claire au contraire de ce qui est dit pour l'Etendue).
Donc, ce que je dis, et ce que dit E2P8, c'est qu'il y a bien une idée éternelle de chose singulière mais en tant que modification d'une autre idée, elle-même........ etc.
Donc l'idée éternelle de Louisa n'est pas immédiatement dans l'idée de Dieu (sans quoi Louisa serait éternelle), mais médiatement, comme énième (infinie) étape d'un enchaînement infini.
Le différend est là et il est de grande conséquence.

Louisa a écrit :
C'est pourquoi dire que Dieu connaît les choses avant qu'elles n'existent et dire que Dieu connaît les choses simultanément à leur existence n'est pas contradictoire : l'une fois je parle de l'existence dans la durée, l'autre fois de l'existence dans l'éternité.


Bien au contraire, il y a bel et bien contradiction si, par connaître les choses avant qu'elles n'existent (ce qui justement n'existe pas dans le Spinozisme, la puissance de penser de Dieu étant équivalente à sa puissance d'agir), vous entendez qu'il les connaît exactement sous la forme que revêtira leur existence, au travers de leur idée, ou essence objective, clairement individualisée et exprimée.

Bien entendu, nous bénéficions, depuis cet échange, de mises au point autrement musclées de Bardamu et de Durtal.

J'ajoute comme thème de réflexion, ce qui a déjà été tenté de ma part, de savoir quelle extension aurait pu donner à E2P8 Spinoza s'il avait été au niveau scientifique actuel concernant l'évolutionnisme en général et des organismes vivants en particulier. Car en fait, bien loin même que l'enchaînement des existences se fasse sur la base d'essences de genre déjà "structurées" (les hommes, les chevaux, les chênes, le fer, la chaux, etc.), ces "natures" sont elles-mêmes issues de compositions de rapports complexifiants au fil du temps.
Si bien que, finalement, la réalité de la "remontée imaginative dans le temps" nous conduit à un "point de départ" qui s'évanouit dans la substance et ses attributs, la majeure partie de l'idée de Dieu étant alors constituée des lois qui s'appliqueront à la composition des corps de plus en plus complexes à partir de la "soupe attributive" primitive.
Le fonctionnement génétique de E2P8 trouverait alors sa pleine consécration.

Amicalement

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Messagepar hokousai » 18 oct. 2009, 19:17

à Sinusix


'ajoute comme thème de réflexion, ce qui a déjà été tenté de ma part, de savoir quelle extension aurait pu donner à E2P8 Spinoza s'il avait été au niveau scientifique actuel concernant l'évolutionnisme en général et des organismes vivants en particulier.


D'accord avec vous là dessus .

Pour le reste, je ne suis pas d'accord avec Louisa . Ce qui demanderait une explication précise à partir des textes de Spinoza lus dans l'ordre requis ( et non à partir de ceux des commentateurs lus dans le désordre )

Cela suppose que je crois encore être lu avec attention ( à défaut d être compris immédiatement ) . Or cette croyance me fait actuellement défaut .

(il n'est pas pire sourd que .. vous connaissez la suite )

bien à vous
Hokousai

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Messagepar Louisa » 18 oct. 2009, 19:38

Hokousai a écrit :
louisa a écrit :
j'ai essayé de montrer que l'E2P8 dit exactement l'inverse. Il faudrait donc que vous me dites en quoi mon interprétation de ce scolie est fausse pour pouvoir changer d'idée, vous voyez? Vous pouvez dire que pour vous il faut l'interpréter autrement, mais juste dire cela ne permettra pas de comprendre comment faire pour l'interpréter autrement .


A vrai dire je n'ai pas de plus de solutions pédagogiques que Spinoza n' en a . Celui ci devait estimer que son exemple était suffisant .
Je vous dirais bien :""mobilisez tout ce que vous avez d intelligence !! ""

Helas! non que potentiellement vous n'en ayez , mais je vous vois partie sur des chemins de traverses.
Il faudrait faire demi tout et revenir là où les chemins bifurquent .

Je crains que rebrousser chemin ne soit pas dans vos coutumes .


Cher Hokousai,

je ne vois pas comment transformer cette discussion en une situation "pédagogique".

La question n'est pas de savoir comment expliquer l'idée de Spinoza lui-même à celui ou celle qui ne l'a pas comprise, car cela, seul Spinoza sait le faire, et il l'a déjà fait.

La question pour nous, lecteurs de Spinoza, est de déterminer quelle était cette idée. En cette matière, vous n'êtes pas plus un "maître" que moi (ou n'importe qui d'autre). Si vous pensez que l'idée proposée dans l'E2P8 est ceci et cela et vous voulez qu'il ne s'agisse pas juste d'une association spontanée et purement subjective de votre part, mais plutôt d'une interprétation dont vous prétendez qu'elle soit objectivement vraie, alors il faut pouvoir démontrer la vérité de votre interprétation, ou, si vous ne voyez pas encore très bien comment la démontrer, réfuter les arguments que j'ai donnés moi-même pour une autre interprétation.

Tout cela à mon sens n'a pas grand-chose à voir avec de la pédagogie, il s'agit bien plutôt de recherche de la vérité. On ne peut pas faire dire à l'E2P8 tout et n'importe quoi. Si vous croyez que votre manière de la lire est réellement fondée dans le texte, alors je ne vois pas ce qui vous empêcherait de nous montrer comment la fonder dans le texte.

Inversement, s'attendre à ce que quelqu'un adopte par miracle votre lecture à vous sans avoir montré le lien entre cette lecture et le texte, et sinon supposer que si l'autre n'est pas convaincu cela doit être dû à un trait de caractère et non pas tout simplement à l'absence d'arguments ... pour moi c'est peu réaliste.

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Messagepar Louisa » 18 oct. 2009, 19:56

Sinusix a écrit :Le problème principal réside dans la forme que prend l'idée singulière de chose singulière existante dans l'idée de Dieu.


Bonjour Sinusix,
je reprends votre message en détail sous peu, en attendant juste déjà ceci.

En effet, lorsque je vous lis je crois que le problème principal pourrait résider là-dedans.

Sinusix a écrit :L'idée de Dieu relève de E1P21, autrement dit elle suit de la nature absolue de l'Attribut Pensée de Dieu, autrement dit est, par cet Attribut, éternelle et infinie (mode infini immédiat).


en effet.

Sinusix a écrit :L'idée singulière de la chose singulière, ou essence objective comme vous le rappelez, ne peut faire partie de l'idée de Dieu, en cette forme singularisée, faute de quoi elle serait, en cette forme, une idée adéquate en Dieu, c'est-à-dire vraie et, du fait de l'Axiome 6, étant une idée éternelle en cette forme, son objet, c'est-à-dire la chose singulière, dans sa singularité, serait éternelle. Ce qui est absurde.


je suis bien d'accord pour dire que la reductio ad absurdum est l'un des plus puissants moyens de démontrer la fausseté ou vérité d'une idée (Spinoza y a régulièrement recours, comme vous le savez).

Or, pour pouvoir constater une absurdité qui a la puissance de démontrer quelque chose, il faut pouvoir démontrer une contradiction. Il ne suffit pas du tout de nous dire que vous, Sinusix, vous ne croyez pas en l'idée x, que pour vous elle est absurde, pour déjà avoir l'une ou l'autre preuve de la fausseté de cette idée, vous voyez? A cela quelqu'un d'autre peut tout simplement répondre que pour lui ce n'est pas absurde, et c'est tout.

Par exemple: ici vous dites que pour vous, l'idée qu'une essence objective d'une chose singulière soit une idée vraie qui fait partie de l'ensemble des idées vraies qui constituent l'entendement divin, est absurde. Vous avez le droit de le penser bien sûr, mais à mon sens Spinoza dit très littéralement l'inverse. Raison pour laquelle je référais notamment au TIE. Si vous voulez donc faire un usage démonstrative de cette "absurdité", il va falloir citer les passages pertinents de Spinoza et montrer comment vous en déduisez que l'idée adéquate ou essence objective de Pierre n'existe pas en tant qu'une des idées adéquates qui composent l'entendement divin. En attendant, j'essayerai moi-même de démontrer l'inverse.

Sinusix a écrit :De fait, c'est bien ce que dit E2P8 et toute l'Ethique, cette idée de chose singulière est en Dieu, mais de manière médiate (étant ici précisé que, et nous en avons discuté longuement avec Sescho sans aboutir à un consensus, pour ce qui concerne l'attribut Pensée, la double médiatisation E2P22 et E2P23 n'est pas très claire au contraire de ce qui est dit pour l'Etendue).
Donc, ce que je dis, et ce que dit E2P8, c'est qu'il y a bien une idée éternelle de chose singulière mais en tant que modification d'une autre idée, elle-même........ etc.
Donc l'idée éternelle de Louisa n'est pas immédiatement dans l'idée de Dieu (sans quoi Louisa serait éternelle), mais médiatement, comme énième (infinie) étape d'un enchaînement infini.


oui, tout mode fini est produit médiatement et non pas immédiatement. Je ne vois pas en quoi cela pourrait avoir comme conséquence logique que "en réalité", d'un point de vue de l'éternité ce mode fini n'existe pas?

Sinusix a écrit :Bien entendu, nous bénéficions, depuis cet échange, de mises au point autrement musclées de Bardamu et de Durtal.


disons que j'aime bien les muscles mais hélas lorsqu'il s'agit de la philosophie, ceux-ci perdent toute pertinence ou "poids" ... :D .


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