Sinusix a écrit :En revanche, après le plein accord, permettez-moi de vous dire que là, vous en faîtes beaucoup.
Pour ce qui concerne l'opinion, j'accepte la majorité de vos propos. J'observe, cependant, en la matière que le fait d'être sensible à quelques opinions divergentes (ce que vous me semblez faire en la matière génétique) par rapport à un certain "consensus", peut être révélateur d'un a priori de destination, celui-là même qui font dire à certains que les chambres à gaz n'ont pas existé ou qui remettent en selle le créationisme. Malheureusement, en matière humaine, et dans le domaine des idées, il n'y a pas de neutralité scientifique "stricto sensu" et il faut ajouter au démêlage des opinions les éventuèelles visées politiques et manipulatrices qui les sous-tendent.
en effet, essayer de démêler ce qui relève de l'opinion et ce qui relève de la science me semble être essentiel, et la tâche souvent n'est pas facile. Seulement, n'y allons pas trop vite en croyant que toute idée divergeante serait déjà à blâmer et toute évidence scientifiquement prouvée. Il arrive régulièrement qu'une nouvelle découverte scientifique bouscule toutes nos évidences et tout ce que nous avait appris le sens commun à tel ou tel sujet. Cela ne rend pas pour autant cette découverte moins vraie. Tout comme le racisme peut faire partie des préjugés fondamentaux de la majorité d'un peuple (et constitue ainsi un "consensus"). Bref, si je suis tout à fait d'accord quant à l'importance d'essayer de bien distinguer opinion et science, je ne crois pas que la divergence par rapport à ce qu'on croit être un consensus soit un critère efficace.
Sinusix a écrit :Ceci dit, et pour savoir ce que vous avez derrière la tête, ou vos auteurs cités, que je n'ai pas lus (je me suis arrêté à Ruffier, Grassé, Jacob, Monod, etc.), serait-il possible de savoir ce que vous (ils) entendez (entendent) par déterminisme génétique. Un des auteurs que je cite n'a-t-il pas écrit, c'est tout dire : "le hasard et la nécessité".
il s'agit effectivement de la génération "post-Monod". Voici par exemple l'une des définitions que Kupiec et Sonigo donnent du déterminisme génétique dans
Ni Dieu ni gène (pg. 9 de l'édition 2000, Seuil collection Points):
"
Cette doctrine découle en fait, et de manière très cohérente, de la théorie génétique de l'hérédité. Elle explique chaque trait ou phénomène de la vie d'un organisme, telles la couleur de ses yeux ou de sa taille, mais aussi les maladies comme le cancer, ou les processus normaux comme le développement d'un oeuf jusqu'au stade adulte, par l'action sous-jacente d'un ou plusieurs gènes. Conséquemment, l'identification de ces gènes devrait permettre de donner la clef explicative de ces phénomènes. On cherchera alors à isoler le gène du cancer, le gène de l'intelligence, le gène du sport, ou encore celui de la schizophrénie. Les médias annoncent régulièrement des découvertes sensationnelles de ce genre. Le record semble avoir été récemment battu par la découverte du gène de la fidélité conjugale!"
Sinusix a écrit :Pour ce qui concerne le nombre de chromosomes, à part la trisomie 21 (qui reste néanmoins une "aberration fixe"), mon gendre et ma fille, médecins hospitaliers, interrogés tous deux, n'ont rien entendu sur le sujet depuis quinze ans qui contredirait ce que la communauté scientifique admet. Des articles à citer ?
tout dépend de ce que vous croyez que la communauté scientifique admet. Ce que j'ai dit moi-même, c'est qu'un professeur en médecine interne vient de me dire que le génome d'un individu subit sans cesse des mutations, dont la plupart sont immédiatement réparées, mais pas toutes. J'y ai ajouté qu'à mon sens cela signifie que ce ne sont pas les gènes qui restent identiques pendant toute la vie, mais plutôt le nombre de gènes ou de chromosomes. Or n'ayant pas les dernières données à ce sujet, j'ai dit qu'en ce qui me concerne c'est à vérifier.
Sinon le prof dont je parle fait principalement de la recherche de pointe, et est un des rares de sa spécialité à être au courant des maladies génétiques découvertes ces dernières 2-3 ans. Il m'a dit lui-même que la majorité des médecins spécialistes dans le domaine ne sont pas encore au courant de cela, simplement parce qu'un médecin en général n'a pas le temps de faire de la recherche, ni de lire toute la littérature.
Enfin, toujours est-il qu'il s'agit d'une "ouï-dire", bien sûr, qui vaut ce qu'il vaut. Seulement, il me semble qu'il est important de tenir compte du fait que dans la recherche médicale d'aujourd'hui, certains disent avoir découverts des mécanismes génétiques qui semblent être différents de ce à quoi on s'attendait communément, tandis que d'autre part la nouvelle génération des généticiens pour sa part refuse le déterminisme génétique et travaille avec des hypothèses tout à fait différentes elle aussi. A suivre donc.
Sinusix a écrit :Pour ce qui concerne la notion d'homme et d'espèce, je tombe des nues. Dieu lui-même nous (vous) donne la réponse, pour ce qui concerne les espèces, c'est ce qu'on appelle l'interfécondité. Que je sache, à part dans la mythologie, aucune femme n'a pu encore s'accoupler avec un taureau. La nature vous dit donc bien qu'il y a des rapports (jeu de mots involontaire) qui ne peuvent être effectués autrement qu'en respectant une définition d'espèce, donc de genre, etc. (pas au sens philosophique mais taxonomique).
je crois qu'il convient d'être extrêmement prudent lorsqu'il s'agit d'identifier nos idées à ce que Dieu ou la nature nous "dit". Pour autant que sache, seul l'homme parle. C'est une banalité de dire cela, mais je crois qu'elle nous permet de ne pas y aller trop vite lorsqu'on est confronté à des nouveaux résultats et hypothèses scientifiques.
Prenons par exemple ce que Kupiec et Sonigo disent dans le même livre à ce sujet (je rappelle que Sonigo est directeur de recherches à l'INSERM, et responsable du laboratoire génétique des virus à l'Institut Cochin (où il a déchiffré le génome du virus du SIDA), tandis que Kupiec est chercheur en biologie et épistémologie au Centre Cavaillès de l'ENS de la rue d'Ulm, Paris). Après avoir rappelé que la physique s'est depuis des siècles totalement débarrassé du concept d'espèce ou d'"essence spécifique" (dixit Kupiec et Sonigo), pour ne travailler qu'avec des lois en tant qu'invariants, ils passent ensuite à la question "l'homme existe-t-il?". Voici ce qu'ils en disent:
"
L'espèce et l'appareillage conceptuel qui lui est associé ont disparu des systèmes d'explication du monde. En fait, nous avons parlé de l'émergence de la physique et non de la biologie. Qu'en est-il de l'espèce biologique? Doit-elle être considérée comme l'espèce en général, ou bien doit-elle subir un traitement particulier? Possède-t-elle une réalité que n'aurait pas l'espèce appliquée aux objets physiques? La question est importante parce que, selon la réponse apportée, on sera amené à construire des théories biologiques entièrement différentes. Si l'on transcende la problématiques des espèces, la biologie pourra peut-être se libérer du système d'Aristote, comme ce fut le cas en physique; si l'on opte pour le réalisme des espèces, on en restera à une théorie dérivée de cette ancienne métaphysique. De très nombreux auteurs, d'horizons et d'options philosophiques ou scientifiques extrêmement divers, ont opté pour le maintien du réalisme des espèces. Pour Bergson, par exemple:
"Les Anciens, en effet, ne se sont pas demandé pourquoi la nature se soumet à des lois, mais pourquoi elle s'ordonne selon des genres. L'idée de genre correspond surtout à une réalité objective dans le domaine de la vie, où elle traduit un fait incontestable, l'hérédité."
On peut citer également Ernst Mayr, l'un des fondateurs du néodarwinisme, très éloigné de Bergson:
"... je me souviens toujours d'une expérience que j'ai eue quand je vivais tout seul dans une tribu primitive de Papous dans les montagnes de la Nouvelle-Guinée. Ces superbes hommes des bois employaient 136 noms pour les 137 espèces d'oiseaux que je dénombrais (ils ne confondaient que deux espèces non encore décrites de fauvettes). Le fait que l'homme de l'âge de pierre reconnaisse dans la nature les mêmes entités que l'universitaire occidental expérimenté réfute de façon définitive l'idée suivant laquelle l'espèce ne serait que le produit de l'imagination humaine. Il en est évidememnt de même de la définition finde de l'espèce dans notre voisinage. Quand vous étudiez les oiseaux de vos forêts et de vos jardins, avez-vous jamais trouvé des formes intermédiaires entre les mésanges bleues et les grandes mésanges ou entre les grives et les merles ou entre les corneilles et les corbeaux? Bien sûr que non. Chaque espèce d'oiseaux, de mammifères ou d'autres animaux supérieurs est extraordinairement bien définie dans une localité donnée et l'hybridation ou un état intermédiaire n'y est qu'une exception rare. Les espèces sont le produit de l'évolution et non de l'esprit de l'homme."
Pour ces deux auteurs parmi beaucoup d'autres, l'espèce est une réalité objective parce qu'elle est produite naturellement par les processus biologiques. Mais on peut légitimement se demander pourquoi un processus biologique qui produit des organismes se ressemblant, et que l'on appelle hommes, lapins ou chênes, conférerait à ces regroupement une réalité plus grande que celle qu'un processus géophysique, tout aussi naturel, confère aux objets qui se ressemblent et que l'on appelle pierres, montagnes ou rivières? On peut également faire remarquer que l'argument d'évidence auquel ces deux auteurs font appel n'est pas un argument scientifique. C'est le même argument d'évidence qui fondait la physique d'Aristote. Au contraire, la science se constitue progressivement en se dégageant de l'évidence du sens commun. L'espèce est une évidence, mais une évidence métaphysique, y compris en biologie. Si l'on a du mal à s'en débarrasser, c'est probablement beaucoup plus par anthropomorphisme que pour des raisons logiques. En effet, s'il nous est relativement acceptable que l'espèce soit une notion arbitraire quand il s'agit de montagnes ou de rivières, cela devient beaucoup plus dangereux quand il s'agit d'animaux parce qu'on se rapproche de l'homme et qu'inévitablement on en viendra à questionner également sa spécificité. Douter de notre existence objective en tant qu'espèce nous est évidemment impensable et insupportable. Cependant, si notre objectif est de construire une théorie rationnelle de la biologie, nous sommes obligés d'analyser calmement cette question.
Nous allons maintenant retracer succinctement l'histoire de la problématique de l'espèce dans le cadre de l'évolutionnisme. Elle aboutit à une situation contradictoire. D'un côté la théorie de l'évolution n'a pu être élaborée complètement qu'après le rejet du réalisme de l'espèce et l'introduction d'une vision nominaliste. Cette révolution conceptuelle, analogue pour la biologie à ce qu'avait été la révolution copernicienne en physique, a duré un siècle et atteint son apogée avec Darwin. Mais, d'un autre côté, la génétique a brutalement réintroduit la spécificité, sans justification expérimentale, conduisant à une incohérence profonde de la théorie biologique.Les auteurs continuent avec un exposé concernant les arguments de Darwin contre la réalité de l'espèce et pour le nominalisme, pour conclure que "
Par cet abandon de la spécificité, Darwin a ouvert la possibilité d'une théorie biologique nouvelle, en rupture avec la métaphysique d'Aristote. Et c'est effectivement ce qu'il a fait en proposant la théorie de la sélection naturelle." (pg. 33-51)
Sinusix a écrit :Bref, au cas où je pourrais prendre votre dernier paragraphe à mon compte, ce que j'admets volontiers, j'avoue être absourdi par votre capacité de commencer sur le premier point, de mon point de vue, clairement, distinctement et brillamment, pour finir par un pseudo-discours révolutionnaire et provocateur sur un thème aussi important.
pourquoi parler d'un "pseudo-discours révolutionnaire et provocateur" ... ? Parce que j'ai mentionné une idée qui vous choque .. ? Mais pourquoi lorsque je dis quelque chose avec laquelle mon interlocuteur est d'accord je serais brilliant, tandis que lorsque je dis quelque chose qui pour l'interlocuteur par hasard est nouveau (voire contre-intuitif) je serais du coup plutôt quelqu'un d'assez vicieux, qui ne veut que choquer (je pose la question parce que ces derniers temps vous n'êtes pas le seul à réagir ainsi, il me semble) ... ?
En réalité, je ne fais que rapporter ce que j'ai lu. Pour le
RESUMER:
Il se fait que la réalité objective de la notion d'espèce en biologie a déjà été abandonnée par Darwin (et beaucoup plus tôt en physique; on pourrait dire que la physique moderne abandonne l'idée d'une "espèce" de montagne plus ou moins à la même époque où Spinoza l'abandonne en passant du CT à l'
Ethique; dans les deux cas il s'agit d'abandonner la physique aristotélicienne). Aujourd'hui, après que la génétique au XXe siècle l'avait réintroduit non pas en tant que donnée prouvée mais comme hypothèse, les généticiens eux-mêmes commencent au début de ce XXIe siècle à vouloir se débarrasser de nouveau d'une telle hypothèse à cause des contradictions et impasses auxquelles elle mène. Or comme Kupiec et Sonigo le disent très clairement, de prime abord, cela est effectivement choquant. N'empêche que le nominalisme que la biologie darwiniste a fait sien était déjà fort connu, purement philosophiquement, depuis le Moyen Âge, tandis que les commentateurs de Spinoza sont plutôt d'accord pour dire que le spinozisme est lui aussi un nominalisme (= seuls les individus sont réels, et non pas les espèces ou genres).
A mon sens, cela signifie que si l'on s'intéresse en général à la question de l'espèce ou de genre, on doit essayer de tenir compte de tous ces résultats. De manière critique, bien sûr, sans croire tout et n'importe quoi. Mais tout de même, il me semble que la thèse nominaliste ne date pas vraiment de hier, et a longtemps été défendu par des érudits et des chercheurs éminents. Par conséquent, je ne crois pas qu'on puisse l'écarter par un simple argument
ad hominem. Il faudra l'examiner en détail, comparer les arguments pro et contra etc. Enfin, je ne dis pas que je demande à quelqu'un ici de faire cela, et je n'en suis pas vraiment capable moi-même. Je voulais juste montrer que lorsque je dis qu'il est possible de penser la réalité sans la notion d'espèce, je ne suis pas en train d'"inventer".
Toutefois (et pour déjà anticiper ma réponse à Bardamu), le fait même que la science moderne semble de plus en plus abandonner l'idée d'espèce ou de genre n'est bien sûr aucunement un argument pro l'idée que le spinozisme, tel que le développe l'
Ethique, refuse la réalité des espèces ou des genres. Pour démontrer que c'est cela ce que Spinoza propose, il faut bel et bien pouvoir le déduire du texte de Spinoza seul. On a commencé à parler de biologie contemporaine seulement parce que Enegoid disait qu'il faut accepter la réalité de l'essence du genre dans le spinozisme "parce que" il y aurait de fait une espèce humaine que l'on pourrait définir par son génome.
Amicalement,
L.