Bonjour et bonne année à tous,
Bon, j'avais déserté les forums mais l'arrivée d'un message privé (dont j'ai été averti par la notification automatique par courriel) m'y a momentanément rappelé.
Comme j'ai ouvert ce fil en te "visant directement", Henrique, je réponds brièvement à ton essai (

), enfin, aux principaux points...
J'aimerais néanmoins mieux comprendre sa position.
Eh bien j'espère que tu es toujours dans cette disposition là.
Maintenant je crois avoir compris ton argumentaire, et être capable de poursuivre tout seul le débat, en répondant à ta place à mes propres objections. Comme c'est sans doute réciproque, il vaut mieux en rester là. Je te remercie pour l'extrême sérieux avec lequel tu réponds à mes messages.
Henrique a écrit :Il me semble que tu parles de la définition par genre et différence auquel cas, oui, aucune définition ne peut impliquer une existence. Car une telle définition ne pose qu'une abstraction. L'homme comme "animal raisonnable" n'existe nulle part et ce concept n'a de sens qu'a posteriori, si l'on rencontre des vivants capables de raisonner. Les définitions dont part Spinoza sont des définitions génétiques : elles expriment ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est et pas autre chose, autrement dit son type de nécessité propre, toute chose ne contenant bien évidemment pas sa nécessité dans son essence. Il y a celles dont la nécessité se comprend par l'existence d'autres choses en raison même de leur essence parce qu’elle enveloppe quelque finitude, il n'est donc pas interdit a priori qu'il puisse y avoir également des choses dont la nécessité se comprend à partir de leur propre essence
Ce n'est pas interdit
a priori, mais c'est à Spinoza de prouver que de telles définitions existent (et non à moi de prouver qu'elles n'existent pas). Ou alors il faut que ce soit une évidence, évidence que je ne vois pas.
Un défaut de compréhension que tu manifestes de façon récurrente dans ton argumentation, c'est que tu pars du principe qu'une définition peut poser n'importe quoi pour peu que cela ne soit pas contradictoire, ce qui revient à dire qu'une définition ne pose qu'une chose possible, tu as alors beau jeu à la suite de Kant, d'en déduire que l'on ne peut tirer que l'existence possible de "quelque définition que ce soit".
Même réponse.
Une fois admise en réalité l'existence de la montagne, alors celle de la vallée n'est pas du tout conditionnelle : elle est nécessaire. Je vois bien que tu dis que la vallée existe à condition que la montagne existe et j'en suis tout à fait d'accord, mais ce que tu ne sembles pas voir avec assez d'attention, c'est que je n'ai pas besoin de constater empiriquement l'existence de la vallée pour savoir a priori qu'elle existe nécessairement ; une fois la montagne admise, je sais même sans l'avoir constaté empiriquement qu'il y aura une vallée parce que celle-ci est une propriété nécessaire de la montagne.
Bien sûr : cela s'appelle la logique. On n'en est pas plus avancé. Si A, alors A. D'accord. Mais cela ne prouve pas A. Continuons la lecture de ton message.
Ce n'est bien sûr pas comme cela que Spinoza raisonne, il n'est pas si bête ! Tu dis que tu as de l'admiration pour lui et en même temps tu lui reproches de faire des erreurs de logique qu'un enfant de 6 ans ne commettrait pas !
C'est comme cela en tout cas que Descartes raisonne, enfant de 6 ans ou pas. Quant à Spinoza, il ne change pas grand chose à la démonstration (sauf si on la comprend à la manière de Sescho). Ils n'échappent au sophisme qu'au prix de présupposés douteux (voire aberrants) qui, certes, me font mentir quand je dis que leur erreur est purement logique, mais qui fondent leur certitude sur du beurre. J'y reviendrai plus bas.
Ce qui fait que tu ne le comprends pas, c'est que tu pars d'un présupposé dualiste : il y aurait le monde des concepts - que tu caractérises a priori et sans véritable justification comme étant le monde des possibles - et il y aurait le monde réel, dont on suppose que c'est pour toi le monde sensible.
Bon, d'abord je suis résolument moniste. Ensuite je répète que je suis prêt à tout remettre en question : je veux seulement qu'on me prouve que le
concept de Dieu implique son existence de la même manière que
l'existence de la montagne entraîne celle de la vallée.
La démarche de Spinoza telle que je la comprends, puisque c'est surtout cette compréhension que tu critiquais, c'est que si l'existence de la vallée peut se déduire nécessairement de l'existence de la montagne, sans qu'on ait pourtant vu la vallée, il y a un pouvoir de la pensée rationnelle de connaître a priori ce qui est réel.
"Si 2+2=5, alors je suis le pape", disait Russel. Cela est nécessairement vrai, j'en conviens, mais cela ne prouve pas que 2+2=5.
"Si la montagne existe, alors la vallée existe". Cela prouve une vérité : une fois l'existence de la montagne admise, la vallée existe nécessairement. Oui, mais pour cela tu dois admettre
une existence, donc me donner raison. Je ne dis bien sûr pas que cet exemple prouve que tu as tort. Je dis qu'il ne saurait en aucun cas prouver que tu as raison.
Mais à partir d'une connaissance a posteriori me diras-tu : la montagne. Je réponds que ce qui me fait savoir que la vallée existe alors nécessairement, c'est l'essence de la montagne et non son existence.
Oui mais pour cela tu as dû admettre
une autre existence auparavant !
Mais je n'ai jamais dit que cet exemple nous montrait qu'une fois posée l'existence de Dieu, alors l'existence était nécessairement posée !
Nous sommes d'accord.
Toute ton incompréhension vient de la confusion systématique entre ce dont l'existence s'explique à partir de l'existence d'autre chose, i.e. les choses finies, et ce dont l'existence s'explique à partir de son essence, i.e. ce qui est absolument infini. Cet exemple ne visait qu'à montrer qu'il y a un pouvoir a priori de connaître l'existence réelle, qu'elle soit finie ou infinie.
En la supposant d'abord, oui.
Ce qu'il y a de comparable, c'est non que l'existence se connaît à partir de l'existence, car cela c'est propre à la relation vallée/montagne, mais c'est le fait qu'une propriété (la vallée ou l'existence) peut se connaître a priori à partir d'une essence.

Entièrement d'accord !
Mais la
propriété d'existence n'a aucune raison d'être l'existence en acte de la chose. Si j'appelle bidule un yéti jaune existant, il est clair que ce yéti a la
propriété d'existence, mais il
n'existe pas en acte.
Je comprends bien que tu réfutes cette objection en disant que la propriété d'existence
ne découle pas du concept de yéti alors qu'elle découle de celui de Dieu. J'en suis d'accord, mais cette propriété d'existence n'est pas l'existence (jusqu'à preuve du contraire, preuve impossible à donner).
Je dis que je n'ai pas besoin de constater l'existence des 180° que font les angles de chaque triangle de la terre pour savoir que ces 180° existent bel et bien et nécessairement dans chaque triangle : c'est cela la véritable nécessité, une idée qui si elle est adéquatement conçue implique aussi bien une nécessité dans la pensée que dans le réel.
Le
vrai n'est pas le
réel. Les mathématiques ne sont pour moi qu'une extension de la logique, or la logique est vraie mais pas réelle.
Passons, car là n'est pas notre problème.
Si donc on établit qu'au même titre que les 180° pour le triangle, l'existence est une propriété nécessaire de l'être absolument infini, alors cette nécessité sera aussi vraie dans la pensée que dans tout le reste de la réalité
Non, non, non et non !
Cette fois nous sommes au coeur du problème.
Tu pars du présupposé selon lequel
l'existence ne serait qu'une propriété comme une autre. Ce n'est visiblement pas le cas, car la notion de propriété suppose celle d'existence (cela n'aurait aucun sens de dire qu'un chat est jaune si on ne suppose pas d'abord qu'il existe un chat). La
propriété d'existence, pour exister, suppose donc d'abord l'existence de la chose qui possède cette propriété.
Je conçois qu'on ne soit pas d'accord avec moi. Le résultat de ce débat, c'est que j'ai perdu cette prétention que j'avais initialement à pouvoir complètement prouver que j'ai raison sur ce point. Nous partons tous deux de présupposés opposés, et nous nous en accusons mutuellement. Cela me donne toutefois raison : comment savoir quel présupposé est le bon ? Tu me répondras que c'est forcément le tien, que tu en vois "l'absolue nécessité". Tant mieux pour toi. Pour moi, cela prouve seulement que tes présupposés sont bien enracinés dans ta pensée. Note que cela n'a strictement rien à voir avec mon scepticisme.
Je ne peux pas mettre par terre les preuves de l'existence de Dieu face à quelqu'un qui croit dur comme fer à ses présupposés. Tu me répliqueras que je confonds encore la conviction et la certitude : c'est un débat que nous n'allons pas relancer.
a) Si tu distingues a priori la chose du concept philosophique, tu ne fais au final du concept qu'une fiction plus ou moins proche du réel, ce qui explique bien des choses. Un concept philosophique ou idée adéquate ne sera tel que si sa nécessité est pleinement affirmative, alors qu'en l'opposant à la chose, tu lui confères une négativité intrinsèque. Par où tu ne montres rien d'autre que tu ne sais pas ce qu'est une idée adéquate.
b) Par ailleurs, qu'est-ce qui te permet de dire que le concept et la chose sont a priori distincts ? "A priori" en philosophie ne veut pas dire qu'on prend un préjugé pour une affirmation universelle et nécessaire ! Or tu affirmes cela sans aucune justification. Par ailleurs, dans la prop. 7 d'E2, Spinoza prouve que "L'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des choses." à partir du seul axiome 4 de la partie I et non à partir de l'existence de Dieu. On ne peut donc en toute bonne foi parler ici de pétition de principe.
Le concept de chien n'aboie pas.
tu n’as pas encore pensé l’idée adéquate de Dieu et d’autre part que tu réduis l’idée de concept à une simple notion abstraite, ce que rien ne justifie a priori.
Ce que rien ne
prouve a priori. Mais beaucoup de choses le
justifient. De plus, c'est à toi qu'échoit la charge de la preuve, puisque tu prétends prouver l'existence de Dieu. Alors qu'il me suffit de prouver que Spinoza n'a pas tout prouvé pour invalider sa prétention à la certitude.
Tu coupes l’argument de son contexte. Mais passons. Ce que tu dis montre que tu te fais une idée toute empiriste de la formation des idées. Plus je te lis et plus je te trouve de sympathies avec Hume en fait.
Ma foi, ce n'est pas faux (et Hume, que je n'ai pas encore lu, m'a tout l'air d'être un génie).

A toi de montrer que j'ai tort. Si tu le pouvais, il n'y aurait plus de philosophie.
Mais il serait peut-être utile d’éclaircir un point par où je ne suis pas tout à fait d’accord avec Deleuze
Avec Sescho j'ai discuté les différentes interprétations possibles de la proposition 7 en long, en large et en travers. Je n'ai pas trop envie de recommencer...
1) il y a de l’étant.
OK, mais ce n'est qu'une constatation.
2) Ce qui est, est ou bien en soi (substance), ou bien en autre chose (modes).
OK.
3) Il ne peut y avoir que des modes car la substance est antérieure à ses modes
OK.
4) Comme elle ne peut être produite par autre chose, son existence doit donc se comprendre par elle-seule
Ca dépend de ce que tu veux dire. Je pense quant à moi que la substance n'a pas de cause (et surtout pas une cause
conceptuelle !).
5) Cette substance est nécessairement infinie
Ouille !
Il faudrait se demander comment tu peux prétendre prouver que l’étendue pourrait ne pas exister alors que tu avoues ne pas savoir ce qu’elle est.
Je ne prétends pas le
prouver car je n'en sais rien. Mais comme je n'en sais rien, je considère que c'est une
possibilité : si je ne sais pas ce qu'est X, je ne peux rien savoir de son existence.
Et de fait, croire que l’étendue sans matière n’est que du vide, c’est ne rien comprendre à l’étendue telle qu’en parle Spinoza.
Et qu'est-ce qu'il y a dans l'étendue vide ? Rien. Cela ne veut pas dire que l'étendue (même vide) ne soit rien !
seul ce qui est étendu pourrait limiter ce qui est étendu
Présupposés, présupposés... "Limité", cela ne veut pas dire "Avec frontière". Mais peu importe : l'Etendue peut parfaitement être infinie ; cela ne change pas grand chose.
Pas du tout. La notion d’infini se découvre par l’attention à la notion d’étant (être, c’est affirmer, or rien en dehors de l’être ne peut limiter cette affirmation car le non-être ne peut ni affirmer ni nier),
Le même présupposé (en bien pire si, à l'instar de Bardamu, tu prétends prouver avec cela qu'il existe une infinité d'attributs).
Mais comme Serge a raison de le dire, cela ne change rien d’essentiel au reste du système.
Si Dieu se restreint à l'attribut Etendue, alors tout discussion sur son existence n'a aucun intérêt...
Sans t’en rendre compte, tu confirmes cet axiome plutôt que tu ne le nies : en admettant que le tout existe et qu’il n’a en tant que tout pas de cause externe, tu admets implicitement que le tout est sa propre cause.
C'est une question de mots, mais elle donne lieu à de nombreux glissements.
En disant que le tout pourrait ne pas avoir de cause, tu admets donc que son existence pourrait n’être expliquée par rien. Or cela revient exactement à dire que le rien ou le non-être pourrait être cause du tout, car ce qui n’est expliqué par rien, le rien l’explique
Non, je ne dis pas que le "rien" explique le tout ; je dis que
rien n'explique le tout. Mais ce n'est qu'une possibilité.
mais je te rassure, dans sa critique de l’axiome III de l’Ethique, dans le Traité de la nature humaine, le grand Hume est lui-même tombé dans le panneau
Comme quoi les enfants de 6 ans ne sont pas les seuls.
Cela permet de comprendre au passage que le Tout n’a jamais pu être « généré », c’est-à-dire produit de façon transitive par quoique ce soit, il est cause immanente (et non intérieure, à titre de partie) et donc éternelle de lui-même.
Oui, mais cette "cause" (
qui n'est en réalité qu'un fait) n'a rien à voir avec sa définition.
En conclusion, je dirais que les tentatives de réfuter Spinoza sur un plan purement logique s’avèrent reposer essentiellement sur un manque d’attention à ce qu’il dit vraiment.
Je ne crois pas...
Ouf ! Je suis arrivé au bout de ton texte.
Comme nous allons, presque inévitablement, être amenés à tourner en rond, je ne garantis pas absolument que je répondrai à un éventuel prochain message de ta part.
-----------------------------------------------------------------------------
Compos a écrit :Il en va de même pour le concept du néant
Oui, et alors ? Le concept de néant, ce n'est pas le néant. Le concept de chien n'aboie pas.
Y a-t-il un autre concept en parlant de cause de la création sans y mettre Dieu (l’être Divin) ?
Pourquoi Dieu serait-il constitué d'une infinité d'attributs infinis ?
Le concept existe par rapport à la réalité, car la question du pourquoi et comment nous existons, nous amène à chercher des réponses sur cette réalité qui se conçoie forcément.
Mais qui ne se réduit pas au concept. Le concept de 100 euros ne m'enrichit pas.
Quant au reste de ton message, j'avoue n'y avoir rien de rien de rien compris...
