Phiphilo a écrit :Citation:
De la définition d'une chose quelconque, l'entendement conclut un certain nombre de propriétés qui en découlent nécessairement, c'est-à-dire qui résultent de l'essence même de la chose ; et ces propriétés sont d'autant plus nombreuses qu'une réalité plus grande est exprimée par la définition, ou, ce qui revient au même, est contenue dans l'essence de la chose définie. (Spinoza, Ethique, I, 16, dém.)
Phiphilo:
Autrement dit, une propriété est une connaissance adéquate de ce qui constitue l'essence d'une chose et qui se conclut démonstrativement (ordine geometrico) de la définition de cette essence.
je ne crois pas que chez Spinoza les propriétés puissent CONSTITUER l'essence d'une chose, et cela précisément parce qu'elles en découlent. Ce qui constitue par exemple l'essence de la Substance, ce sont les attributs, mais les attributs ne sont pas les propriétés de Dieu, les propriétés de Dieu sont l'existence nécessaire, l'unicité, le fait d'être cause libre de toutes choses etc. Tout cela suit logiquement et nécessairement de la définition de l'essence de la Substance. Ce n'est donc pas ce qui définit la substance (définition qui ne consiste que dans le fait qu'elle est ce qui est en soi et se conçoit par soi).
Phiphilo a écrit :Par exemple, de la définition d'un cercle comme une ligne dont, dans un plan euclidien, tous les points sont équidistants d'un même point nommé centre, on peut déduire la propriété selon laquelle deux points de ce cercle ne peuvent être plus éloignés l'un de l'autre que s'ils constituent les extrémités d'un segment appelé diamètre, donc la propriété que la longueur de toute corde est nécessairement inférieure ou égale à celle d'un diamètre, etc.
Spinoza dit plutôt (TIE G35-B95-96):
"
Pour qu'une définition soit dite parfaite, elle devra expliquer l'essence intime de la chose et éviter qu'à sa place nous n'usurpions certains propres; pour expliquer cela, j'apporterai (...) l'exemple (...) à savoir le cercle: s'il est défini d'être une figure dont les lignes, tirées du centre à la circonférence, sont égales, il n'y a personne qui ne voie qu'une telle définition explique le moins l'essence du cercle, mais seulement une propriété de celui-ci.
(...) Par exemple, le cercle (...) devrait être ainsi défini: il est une figure qui est décrite par une ligne quelconque dont une extrémité est fixe, l'autre mobile, définition qui comprend clairement la cause prochaine."
Ce que tu donnes ici comme définition du cercle est donc plutôt considéré comme une propriété du cercle, la définition ayant toujours besoin de la cause prochaine. Les propriétés d'une chose n'ont pas cette chose pour "cause prochaine", elle s'en déduisent logiquement, elles sont "contenues" dans la définition ou dans l'essence de la chose. Mais elles ne la "constituent" pas. Inversement, pas tout ce qui est "contenu" en Dieu est une propriété de Dieu: les modes sont contenus en Dieu, mais ne sont pas des propriétés de Dieu, ils sont plutôt des affections de Dieu, ayant d'autres modes comme cause prochaine.
A mon sens la démo de l'E1P16 ne démontre pas vraiment que les modes sont des propriétés de Dieu, mais que les propriétés de Dieu sont telles qu'il en suit une infinité de choses d'une infinité de manières. L'essence de Dieu étant constituée d'une infinité d'attributs, qui sont eux-mêmes infinis, tout ce qu'un intellect peut saisir doit suivre/découler de sa nature.
Ceci étant dit, j'avoue que pour moi l'usage du mot "propriété" dans cette démo n'est pas tout à fait clair. L'intellect conclut d'autant plus de propriétés de la définition d'une chose, que cette définition exprime plus de réalité ou l'essence enveloppe plus de réalité. L'essence de Dieu enveloppant une infinité d'attributs infinis, l'intellect doit donc pouvoir conclure de sa définition une infinité de propriétés, on aurait tendance à comprendre, tandis que la proposition elle-même, tout comme la démo, dit qu'on peut en conclure une infinité de choses d'une infinité de manières. Si Spinoza veut qu'on distingue les propriétés d'une chose de son essence (ce qu'il fait ici aussi, de nouveau), on pourrait tout de même croire que dans cette démo il identifie les modes à des propriétés. Or justement, il ne dit pas que de la définition de Dieu suit une infinité de modes ou manières, tandis qu'on sait que les choses singulières n'expriment que deux modes, et pas une infinité de modes. Il dit qu'il en suit une infinité de choses d'une infinité de manières. A quoi réfère donc plus précisément "une infinité de choses d'une infinité de manières"?
Phiphilo a écrit :De plus, Spinoza, dans l'appendice de la I° partie, ne sépare pas "d'une part la nature de Dieu, et de l'autre ses propriétés", puisqu'il écrit très précisément : his Dei naturam, ejusque proprietates explicui, c'est-à-dire, littéralement, "par tout ce que je viens de dire, j'ai expliqué la nature de Dieu et ses propriétés".
justement, il écrit bel et bien "la nature de Dieu ET ses propriétés". Pour autant que je sache, en latin le
-que n'est pas synonyme de
sive, celui-ci suggérant effectivement que les deux termes qu'il unit sont la même chose, tandis que celui-là désigne une énumération de choses/aspect/... différents.
L.