Durtal a écrit :Sans vouloir jeter sur l'huile sur le feu ( mais comme disait quelqu'un de ma connaissance "il ne suffit pas de dire qu'on ne fait pas une chose pour ne pas la faire" ). Le problème que je rencontre dans mes discussions avec toi Louisa, et au delà de toute "alliance circonstancielle'" avec Vieordinaire je la rejoins sur ce point, est que je n'ai jamais l'impression en général de discuter de problèmes réels avec toi. Je veux dire qu'il ne s'agit jamais à proprement parler de problèmes d'interprétations de certaines thèses philosophiques soutenues par Spinoza mais toujours de problèmes de simple lecture du texte. Or les discussions sur l'interprétation ne finissent pas quand on s'accorde sur le texte mais elles commencent au contraire par et avec cet accord.
Bonjour Durtal,
je te suis très reconnaissante de cette tentative de m'expliquer votre problème. Comme tu l'auras sans doute remarqué, pour moi cette discussion avec toi sur l'inadéquation est en général fort intéressante, sinon je n'aurais pas mis autant de temps là-dedans. Cela signifie que je suis tout à fait "motivée" à comprendre tout problème éventuel avec ma façon de penser/écrire/... , dans l'espoir de pouvoir y remédier. Mais comme tu le dis: il ne suffit pas toujours de vouloir faire une chose pour déjà pouvoir la faire.
En tout cas, si je te comprends bien tu fais une distinction entre "problèmes d'interprétation de certaines thèses philosophique" de Spinoza, et "problèmes de simple lecture de texte". J'avoue que je ne vois pas tout à fait la différence. A mon sens, nous discutons ici de la thèse "une seule et même idée peut-elle être à la fois adéquate et inadéquate chez Spinoza", en se basant sur une lecture détaillée des propositions E2P11, E2P17, E2P35 et E4P1. Ta réponse à cette question est oui, la mienne est non. Très vite, il a été clair que ce désaccord se base sur une lecture différente de ces propositions. C'est pourquoi à mon sens il faut faire l'analyse détaillée du texte, afin de voir qui interprète quelle phrase de Spinoza d'une façon que l'autre peut critiquer voire réfuter. Un peu comme quand on voit deux maisons construites: pour savoir laquelle est la plus solide, il faut aller tester les fondements. Or si tu distingues "discuter de problèmes d'interprétation de thèses" de "discuter de problèmes d'interprétation de texte" ... comment trouver ces thèses, si ce n'est pas en interprétant le texte? Comment discuter de la solidité de la maison si l'on ne va pas jusqu'au fondements? Cette question n'est pas une critique, simplement une tentative de comprendre ce que tu veux dire, et de formuler des questions plus précises afin que tu puisses voir ce que je ne comprends pas, puis clarifier, si tu le veux bien.
Durtal a écrit :Si il y a sans doute un certain nombre d'énoncés chez Spinoza qui peuvent être ambigus, être compris de telle ou telle manière, ce n'est pas le cas systématiquement de tous et ce n'est en général pas le cas de ceux dont nous discutons ici.
j'avoue que pour moi, le fait même que nous interprétons ces énoncés clairement différemment montre qu'une ambiguïté est possible. Sinon (donc si ce que tu dis ici étais vrai), comme nous sommes tous les deux des êtres plus ou moins rationnels, on aurait dû lire la même chose dans ces mêmes textes.
D'ailleurs il me semble que Bardamu par exemple lit ces propositions plus ou moins tel que je le fais moi-même, en ce qui concerne le point en discussion (donc répond "non" à la question que je viens de formuler), tandis que l'explication de Macherey de ces propositions pour moi va également plutôt (voir entièrement) dans mon sens.
C'est donc plutôt le fait que tu contestes mon interprétation qui pour moi est le "signe" d'une ambiguïté dans le texte, au sens où je constate qu'apparemment on peut lire ces passages tout différemment que moi, et néanmoins avoir le même sentiment d'évidence (voire un sentiment plus fort, si je vois la perplexité que provoque le fait de la mettre en question) - constatation qui rend précisément le dialogue potentiellement intéressant.
(A propos, comme déjà dit, Spinoza lui-même a pour moi donné une explication fort intéressante de ce genre de phénomènes, en mettant les mots non pas dans le sac des pensées, mais dans le règne des signes, ambigues par définition. Pour moi, cela implique qu'il faut vraiment un grand
caute quand en ne disposant que de mots on croit avoir compris la pensée que ceux-ci essaient d'exprimer. Mais tu vas peut-être interpréter ses passages différemment, donc laissons ceci de côté pour l'instant).
Durtal a écrit : Et il est vrai que tes interlocuteurs et moi le premier, sommes totalement démunis, parce que tu donnes très souvent l'impression de fonder tes lectures sur tes interprétations plutôt que de faire l'inverse.
c'est pour éviter de parler d'interprétations non fondées que j'essaie pour l'instant de retourner au texte même, en discutant principalement l'E2P11. Je ne parle depuis quelques messages QUE de la distinction que Spinoza y introduit entre adéquat et inadéquat, dans l'espoir que tu vas me dire comme lire cette proposition autrement sans que la logique se perde.
Puis j'avoue que je ne comprends pas tout à fait comment je peux à la fois éviter la discussion sur des interprétations de thèses pour m'en tenir à la discussion de la simple interprétation de texte, comme tu le suggères ci-dessus (et si je t'ai bien compris), tout en fondant mes lectures sur des interprétations au lieu de fonder mes interprétations sur des lectures (ce qui signifie plutôt que je ne m'en tiens qu'à des interprétations et que j'évite de discuter sur le texte, je suppose ... ?). Bref ... pour l'instant je ne comprends pas encore très bien le problème que tu essaies de signaler (ce qui ne revient guère à le nier, bien sûr ... au contraire, j'ai tout à fait compris que pour vous il y a réellement un problème, et encore une fois, ce serait très bien si on arrive à le résoudre).
Durtal a écrit :Or à jouer ce jeu là on peut aller très loin et il n'y a pas de limite claire à ce que l'on peut faire dire à un texte si on a décidé de le lui faire dire. Et il est bien clair qu'il ne peut pas être question de "démonstration" dans ces conditions. Face à quelqu'un qui lit "noir" là où on lit "blanc" il n'y a d'autre choix que d'espérer que ce quelqu'un finira un beau jour par lire "blanc". Tu vas me dire "oui mais c'est peut être vous qui..."D'accord, c'est vrai, mais que cela ne te fasses pas oublier que ce peut aussi être réellement toi. Je ne dis pas ça pour t'accabler ou te fâcher mais pour t'expliquer la cause des mouvements d'humeurs dont tu peux faire l'objet quelque fois.
encore une fois, je te remercie vraiment de ta tentative d'expliquer le problème. J'espère que cela nous permettra de le résoudre, une fois que je l'ai bien compris, et qu'on pourra continuer la discussion à la satisfaction de tous.
Sinon en effet ... pour moi ton interprétation de l'E2P11 c'est lire du "noir" quand il y a "blanc". Je crois qu'entre-temps, vu les "circonstances extra-ordinaires" dans lesquelles nous discutons, il n'y a depuis quelques jours plus aucun message où je ne dis pas explicitement que je sais que je peux me tromper, mais que j'aurais besoin d'une réfutation de votre part avant de pouvoir savoir où je me trompe, et donc avant de pouvoir changer d'avis. Puis cela fait entre-temps quelques semaines, je crois, que je souligne le fait que j'aime bien discuter avec quelqu'un qui n'est pas d'accord avec moi, car c'est une des meilleures façons pour moi de me rendre compte de mes erreurs. Et cela est déjà arrivé régulièrement, sur ce forum-ci.
Par conséquent, je ne comprends pas tout à fait ce qui vous donne (apparemment sans cesse) l'impression que j'aurais oublié tout cela. Pour l'instant, je ne vois qu'une seule explication (qui elle aussi n'est qu'une hypothèse, pas une certitude, et encore moins un reproche): pour toi ton interprétation est tellement évidente qu'il devient difficile de s'imaginer que quelqu'un a exactement le même sentiment mais dans le sens inverse, concernant la même thèse. A mes yeux, c'est ne pas suffisamment tenir compte de la très importante distinction que Spinoza fait entre absence de doute et certitude/vérité.
Car c'est cela le problème avec une interprétation décontextualisée de ce fameux "la vérité est norme d'elle-même": on oublie trop souvent que cela veut dire tout sauf "quand on ne ressent pas de doute, on doit être dans le vrai". Spinoza le dit explicitement (on peut aller voir le passage concret si tu veux): on peut tout à fait adhérer à une idée inadéquate, on peut ne pas douter du tout d'une idée même si elle est inadéquate (et il ne faut pas être un idiot ou un fanatique pour ce faire, cela arrive chaque jour, même chez les gens les plus intelligents). C'est bien la raison pour laquelle on a besoin de discuter de sa propre interprétation pour pouvoir s'approcher de la pensée de Spinoza telle qu'elle est véritablement, car si l'on en reste à ses propres lectures évidentes, on risque fortement de se tromper.
Pour le cas qui nous occupe, par exemple: entre-temps j'ai donné des exemples tout à fait formels des deux rapports différents qu'il faut à mon sens absolument distinguer chez Spinoza (partie-tout, partiel-non partiel). Comme il s'agit de distinctions formelles, illustrées par des exemples de la "vie quotidienne" (la jambe amputée, la lettre écrite dans un code secret), et que toujours cela ne semble pas être clair (juste la distinction en tant que telle, il ne faut même pas encore retourner à Spinoza), tandis que pour des choses beaucoup plus compliquées parfois tu comprends très vite, je me demande si ce n'est pas le sentiment d'évidence que tu as par rapport à ton interprétation qui "fait écran".
Car la seule chose que j'essaie de souligner, c'est qu'être une partie MUTILEE du tout, c'est différent d'être une partie d'un tout en général. Pas toute partie d'un tout est mutilée. Je ne vois pas en quoi comprendre cela pourrait être difficile. Après, tu peux trouver que cette distinction n'a pas d'importance chez Spinoza, mais pour l'instant, rien n'indique que tu l'as compris.
Or à mes yeux, Spinoza explique dans l'E2P11 de façon très claire 1) qu'il ne s'agit pas de n'importe quel genre de parties mais de parties mutilées, et 2) comment lui il va comprendre ce côté mutilée. Tandis que telle que je l'ai comprise, ton interprétation fait néanmoins comme s'il s'agit de n'importe quelle partie en général, sans tenir compte du fait que pour Spinoza une idée inadéquate est non seulement une partie mais surtout une partie d'un genre très particulier, une partie "mutilée". Du coup, on obtient une théorie des ideés inadéquates qui pour moi est peu spinoziste (non pas dans sa globalité bien sûr, puisque nous sommes d'accord sur pas mal de choses, mais dans certains "fondements" de l'édifice).
Enfin, encore une fois, ceci est comme je vois les choses pour l'instant, et JSQJPMT*. Toute critique, de n'importe qui qui a un peu lu les échanges des derniers jours à ce sujet (ou qui ne l'a pas fait mais qui reconnaît un problème similaire qu'il a déjà eu en discutant avec moi dans le passé), est plus que bienvenue. A mon sens, parler de la façon dont je discute n'est certainement pas d'emblée faire de l'ad hominem, à partir du moment où le but est d'expliquer le problème et qu'on ne demande pas d'accepter telle ou telle interprétation de Spinoza sur base de ce genre de remarques (impossible d'accepter une autre interprétation sans en être rationnellement convaincu) - au contraire, cela ne pourra qu'aider.
Si donc tu as envie de continuer cette discussion "méta": volontiers. Si en revanche tu préfères retourner à Spinoza (voire arrêter la discussion ici): pas de problème, je te remercie de la "Générosité" dont tu viens de faire preuve.
L.
* JSQJPMT: formule que j'utiliserai désormais pour dire "je sais que je peux me tromper", abréviation qui a l'avantage de ressembler au CQFD et que je pourrai insérer autant de fois que nécessaire dans ce que j'écris ...
