alcore a écrit :louisa a écrit :Lorsqu'on parle de l'existence d'une chose, on peut seulement dire que cette chose existe ou bien en soi, ou bien en autre chose (E1Ax.1). Une existence ne peut pas exister "par soi", puisqu'une existence est toujours l'existence d'une essence, il n'y a pas d'existence telle quelle.
Mais où Spinoza dit il que la substance est une chose ? Il y a CE QUI, n'étant pas une chose, existe par soi, et ce qui, étant chose, existe par autrui, cad justement par la substance
en quoi la substance ne serait-elle pas une chose? J'aurais tendance à croire que pour Spinoza est chose tout ce qui a une essence. La chose
singulière se définit par le fait d'avoir une essence "finie" (voir le début de l'E1P28). Dieu n'est certes pas une chose singulière, mais voici un passage où Spinoza semble tout de même parler de Dieu comme d'une chose (
res):
"
(...) étant donnée la définition d'une chose quelconque, l'intellect en conclut plusieurs propriétés, lesquells, en vérité, en découlent nécessairement (c'est-à-dire de l'essence même de la chose), et d'autant plus de propriétés que la définition de la chose exprime plus de réalité, c'est-à-dire que l'essence de la chose enveloppe plus de réalité. Et, comme la nature divine a des attributs en nombre absolument infini (...), dont chacun également exprime une essence infinie en son genre, de sa nécessité doivent donc nécessairement suivre une infinité de choses d'une infinité de manières (...)". (E1P16 démo)
Spinoza énonce ici d'abord une règle générale (plus la définition d'une chose exprime de réalité, plus elle a de propriétés), puis l'applique à la nature divine elle-même. Cela ne serait pas possible si cette nature divine n'était pas une chose, car alors le raisonnement de cette démo deviendrait invalide.
Sinon je suis bien d'accord avec toi pour dire qu'il y a quelque part un problème. Car les attributs expriment chacun une essence infinie en son genre, et non pas absolument infinie, alors que l'essence divine ou l'essence de la substance est quant à elle absolument infinie. Or on sait que les attributs sont éternels, ce qui selon l'E1Déf.7 signifie que leur existence ... doit suivre nécessairement de leur essence. Mais si leur existence suit nécessairement de leur essence, ne sont-ils tout de même pas des
causa sui, c'est-à-dire n'ont-ils tout de même pas, comme tu l'appelles, une "existence substantielle"?
Pour l'instant, je dirais que la démo de l'E1P19 permet peut-être de résoudre le problème.
Par définition, un attribut constitue la substance. Cela signifie, dit cette démo, qu'un attribut exprime la substance. Et non pas n'importe quoi de la substance, non pas un mode de la substance par exemple, non, un attribut exprime l'essence même de la substance. Il exprime donc ce qui appartient en propre à cette substance. Il doit donc envelopper les propriétés de la substance. Or l'éternité est une propriété de la substance, l'éternité appartient à la nature de la substance. Donc tout attribut doit envelopper l'éternité. Ce n'est donc tout de même pas l'essence de l'attribut en tant que tel qui est éternelle, ce n'est qu'en tant que l'essence de l'attribut exprime l'essence de la substance (en son genre) qu'il enveloppe l'éternité (et donc l'existence nécessaire). Donc l'attribut n'a pas le même type d'existence que la substance qu'il constitue, car il "reçoit" son éternité de l'essence qu'il constitue, et qui est plus "large" que sa propre essence (puisque l'essence de la substance est absolument infinie, alors que l'essence de l'attribut n'est qu'infinie en son genre).
alcore a écrit :Spinoza dit que la substance EST en soi, et non qu'elle EXISTE en soi. Ce qui existe, c'est effectivement la liaison d'un ETRE en soi, d'un CONCEPT par soi. Cette "liaison" définit l'essence de la substance, ses attributs explicitent, développent cette liaison absolue dans des essences qui existent.
de quelle liaison parles-tu? Je veux dire: quels sont les deux termes liés, et en quoi consiste la liaison?
Sinon tu as raison de souligner qu'effectivement, Spinoza à cet endroit parle d'être, et non pas d'existence. C'est donc moi qui fais ici le pari que lors des axiomes de l'E1, Spinoza identifie "être" avec "existence", et à mon avis il le fait jusqu'au moment où, plus tard, il introduira deux sens différents de l'existence actuelle (là ce ne sera plus qu'un des deux sens qui s'identifie à ce que la tradition appelle "être", l'autre désignant une existence éternelle en Dieu, ce qui est encore autre chose).