être et devenir dans la pensée de Spinoza

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Ulis » 27 déc. 2010, 21:50

@Louisa
Mais je pense que Pascal Sévérac a raison lorsqu'il montre qu'il n'y a pas de "potentiel" chez Spinoza. Dans ce cas, tout devenir est devenir autre, on ne "réalise" jamais l'une ou l'autre potentialité "toujours déjà là".


Pardonnez mon grain de sel mais il vous a été "démontré" antérieurement me semble-t-il que la notion de potentiel existait bien chez Spinoza même s'il n'utilisait pas le terme. Par réalité et par perfection = même chose" n'exclut pas une succession de réalités comme une succession de points forme une ligne. Le potentiel étant la ligne de vie du mode.
D'ailleurs, chez Spinoza, puissance et potentiel = même chose
Si vous commencez vos explications par ce genre de subtilité, Symbiose risque la disjonction.

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Messagepar hokousai » 28 déc. 2010, 00:39

Dans ce cas, tout devenir est devenir autre,


même moi je disjoncte

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Messagepar volataire » 28 déc. 2010, 10:20

sa theorie ne se rapprocherait'elle pas de l'hindouisme tout simplement sur le devenir ?

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Messagepar aldum » 28 déc. 2010, 11:57

je n'ai pas lu Severac, mais, sans préjudice de la réponse de Louisa, il me semble que le refus de l'idée de potentiel chez Spinoza, comme il est interprété parfois, est dû à un sens attribué, dans ce cas, proche de « virtualité », considérée comme une puissance jamais actualisée.

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Messagepar Ulis » 28 déc. 2010, 16:54

@aldum
je n'ai pas lu Severac, mais, sans préjudice de la réponse de Louisa, il me semble que le refus de l'idée de potentiel chez Spinoza, comme il est interprété parfois, est dû à un sens attribué, dans ce cas, proche de « virtualité », considérée comme une puissance jamais actualisée.

Il me semble que les "virtualité", "potentialité "et "puissance " sont susceptibles d'être actualisées

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Messagepar aldum » 28 déc. 2010, 18:37

Il n'y a pas d'idée « d'en puissance » ou de potentiel chez Spinoza, au sens d'un écart entre le « pouvoir faire » et le « faire »;
autrement dit, il s'agit simplement d'affirmer l'immédiation entre puissance et acte;
ce qui n'affecte évidemment en rien l'idée d'un « devenir »
mes excuses à Louisa pour mes interférences...

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Messagepar Louisa » 28 déc. 2010, 23:42

aldum a écrit :Il n'y a pas d'idée « d'en puissance » ou de potentiel chez Spinoza, au sens d'un écart entre le « pouvoir faire » et le « faire »;
autrement dit, il s'agit simplement d'affirmer l'immédiation entre puissance et acte;
ce qui n'affecte évidemment en rien l'idée d'un « devenir »


en effet, et c'est bel et bien ce que Sévérac montre en détail, à mon sens.

Ulis a écrit :il vous a été "démontré" antérieurement me semble-t-il que la notion de potentiel existait bien chez Spinoza même s'il n'utilisait pas le terme. Par réalité et par perfection = même chose" n'exclut pas une succession de réalités comme une succession de points forme une ligne. Le potentiel étant la ligne de vie du mode.
D'ailleurs, chez Spinoza, puissance et potentiel = même chose


je me souviens que sur ce forum certains ont essayé d'introduire la notion de potentiel dans le spinozisme, en effet. Mais j'avoue que jusqu'à présent, leurs arguments ne m'ont point convaincus, et ceux de Sévérac me semblent être beaucoup plus détaillés et puissants.

Traditionellement (= en histoire de la philosophie), le 'potentiel' est ce qui peut s'actualiser, mais peut-être ne s'actualisera jamais. Dans le christianisme, cela vaut pour les idées que Dieu a de tel ou tel homme: il peut décider de "créer" cet homme dans la nature s'il le veut, sinon l'homme en question ne restera qu'une pure "idée".

Or chez Spinoza, les seules "idées pures", ce sont les êtres de raison que se forme l'Esprit humain, et non plus les idées divines, qui elles sont toujours vraies et actuelles.

Cela lui a obligé de donner un nouveau sens au terme "actuel", au lieu de pouvoir adopter le sens aristotélicien du terme. Est désormais appelé "actuel" non seulement ce qui existe dans le temps, mais aussi tout ce qui existe de toute éternité en Dieu (E5P29 scolie, notamment). C'est-à-dire toute essence singulière d'une chose singulière, qu'elle vive/existe dans le temps ou non.

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Messagepar Louisa » 29 déc. 2010, 00:17

symbiose a écrit :Merci pour tes commentaires très enrichissants, et désolé de ma méconnaissance de certaines subtilités du corpus spinoziste. Je crois en saisir l'esprit, mais certains liens conceptuels m'échappent.


merci à toi aussi de tes commentaires!

Quant à des liens conceptuels qui nous échappent ... je pense que cela vaut pour nous tous.

symbiose a écrit :Tu me dis "Dans ce cas, tout devenir est devenir autre"

Mais Devenir quoi? Un autre attribut? Donc une autre essence éternelle et infinie, "toujours déjà là" pour reprendre tes mots? Nous passerions d'une perfection à une autre? Ou plutôt un autre mode? La perfection passerait alors d'un mode à un autre? C'est ça?


un autre mode en effet, puisque toute chose particulière est un mode, c'est-à-dire une modification d'un ou plusieurs attributs, et certainement pas l'attribut lui-même, qui lui a une essence immuable. Toi et moi, nous sommes des hommes, donc des modes, pas des attributs. Devenir autre pour nous signifier devenir d'autres modes, pas nous transformer de mode en attribut.

symbiose a écrit :Sinon, comment conclus-tu que "la nature naturée est l'ensemble de modifications ou modes de ces attributs" en lisant: "Et par naturée, j'entends tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu, autrement dit de chacun des attributs de Dieu, c'est-à-dire toutes les manières des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu, et qui sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir"?"

"Tout ce qui suit de la nécessité de Dieu" et "toutes les manières des attributs" auraient donc un rapport avec la définition spinoziste du mot mode:"Par mode, j'entends les affections de la substance, autrement dit ce qui est en autre chose. Par quoi il est aussi conçu."

Je n'arrive pas à faire le lien, sauf à peut-être considérer le mode comme un effet à l'attribut, attribut qui serait donc la cause du mode, et mode qui ne serait que l'affection de l'attribut. Me trompé-je?


non je pense que c'est tout à fait ça. Reprenons la définition du mode:

E1 DEF 5:

"Par mode/manière, j'entends les affections d'une substance, autrement dit, ce qui est en autre chose, et se conçoit aussi par cette autre chose."

et E1P16:

"De la nécessité de la nature divine doivent suivre une infinité de choses d'une infinité de manières/modes (c'est-à-dire tout ce qui peut tomber sous un intellect infini)."

symbiose a écrit :
louisa a écrit :l'essentiel, me semble-t-il, c'est de tenir compte du fait que chez Spinoza, toute chose, tout mode ou "manière", a une essence singulière, et cette essence singulière est un degré de puissance précis, expression déterminée de la puissance infinie de l'attribut dont il est l'une des modifications infinies.


L'essence singulière d'un mode serait un degré de puissance précis, ainsi un mode serait l'expression déterminée de la puissance infinie d'un attribut tout en étant une de ses modifications infinies.


que comprends-tu par "modification infinie"?

Je n'arrive pas à me faire une idée de ce que peut-être "l'expression déterminée de la puissance infinie d'un attribut" surtout si l'on envisage qu'elle soit une modification. Qu'entends-tu pas déterminé? Qu'entends-tu par modification?

Je pense que c'est Henrique, fondateur de ce site, qui un jour a donné l'analogie suivante.

Si je marche, mes jambes ne seront plus dans le même état que si je suis assis, au repos. Les muscles de mes jambes modifieront l'état de mes jambes (= différents modes de mes jambes), alors que mes jambes restent bel et bien mes jambes, et ne changent pas "essentiellement". Telle ou telle promenade est simplement une expression déterminée des deux seules et mêmes jambes.

En fait, le terme modus, qu'on peut traduire par "mode" ou "manière", a remplacé au XVIIe siècle (du moins chez Descartes et Spinoza) le terme de "qualité" ou "accident". C'est traditionellement ce qui arrive à une essence/substance, sans que celle-ci en soit modifiée. Exemple: en théorie on peut avoir des cheveux blancs au lieu d'avoir de cheveux noirs, sont que notre "essence" en soit modifiée. La couleur de nos cheveux est traditionellement (= au moins depuis Socrate) considérée un "accident", et non pas quelque chose qui définit notre essence. On peut changer de couleur de cheveux, mais on est censé rester le même Socrate ou symbiose.

Chez Spinoza, ce qui reste immuable c'est l'attribut. La qualité est devenue un mode de l'attribut, et surtout - innovation totale - les choses singulières sont devenues des modes, et non plus des substances.

symbiose a écrit :"Un degré de puissance précis" est-il envisageable dans un système de "puissance infinie" dans lequel il ne parait pas y avoir d'échelle de valeur (degré) puisque tout est perfection?


oui parce que l'imperfection n'existant pas, tout "degré" de perfection est parfait en soi, au sens où il ne pourrait être autre qu'il n'est, et exprime de toute éternité une modification particulière de l'essence divine. Ou comme le disait Bernard Pautrat: toute chose singulière, tout homme, toute femme est "du Dieu".

La totalité ou "nature" est l'ensemble de tous les degrés de perfection, mais un "degré de perfection" réfère moins à un manque qu'à une "quantité" d'existence et d'essence, de puissance précise.

symbiose a écrit :Le mode serait-il alors "une pure idée existant dans l'esprit de l'être humain", tout comme la notion de perfection? Qu'entends-tu par réduire la notion de perfection à un être de raison? Quel est le lien entre "perfection" et "raison"? Est-ce le simple fait que le raisonnement spontané de humain l'induit à penser en terme perfection et à seulement comparer les différents modes de l'attribut?


Pourquoi le mode ne serait-il qu'une pure idée?

La notion de perfection telle qu'on l'entend habituellement n'est qu'une pure idée, pas la notion de perfection telle que décide de l'utiliser Spinoza (du moins d'un point de vue spinoziste).

Ce qu'on entend habituellement par "perfection", explique Spinoza dans la préface de l'E4, c'est une "norme", un "idéal", auquel nous espérons que les choses correspondront. Lorsque c'est le cas, on les appelle "parfaites", sinon imparfaites. Ici la "mesure" de la perfection, c'est notre idée de ce que devraient être les choses.

Spinoza remplace cela par ce que les choses sont. Chaque chose correspond toujours à ce qu'elle devrait être. Si on la veut autrement, il va falloir la changer, au lieu d'essayer d'actualiser l'un ou l'autre "potentiel" que l'on s'imagine qu'elle a.

symbiose a écrit :Le mode serait-il un effet trompeur de l'attribut? Notre esprit étant amené à considérer le mode, ce qui en quelque sorte nous affecte précisément, plutôt que d'en saisir l'attribut, c'est à dire la puissance infinie en jeu?

Dans ce cas là nous ne serions que des modes d'attributs infinis, affectés par les modifications de puissances qui nous traversent. Et la pensée des prêtres serait de chercher à juger les modifications tristes (les pertes de puissance) comme un Mal intrinsèque à notre nature humaine, et à condamner tout gain de puissance, toute joie, comme responsable du Mal sur Terre. La recherche du Bien s'apparenterait à un aveux impuissance totale en entretenant les passions tristes. Ai-je bien compris?


je ne suis pas certaine de bien comprendre ce que tu veux dire. En attendant, je dirais qu'en effet, les prêtres cultivent les "passions tristes" puisqu'ils s'imaginent que les défauts des gens sont des "péchés de la nature", et qu'en se concentrant sur ces défauts et en les désignant sans cesse comme défauts, ils vont disparaître. Alors que pour Spinoza - tel que je le comprends pour l'instant - les défauts n'existent que dans la tête de tel ou tel homme, donc aller à la chasse des défauts est absurde, la seule chose que l'on peut faire c'est d'essayer de renforcer la puissance de tel ou tel homme, d'augmenter sa puissance en le rendant plus Joyeux et plus Actif, ce qui ne peut jamais se faire en lui rendant responsable de ses défauts, puisque le manque n'est rien, n'a pas de consistance propre, et n'est surtout pas l'effet d'une essence singulière.

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Messagepar hokousai » 29 déc. 2010, 01:51

chère Lousia

Vous dîtes
Traditionellement (= en histoire de la philosophie), le 'potentiel' est ce qui peut s'actualiser, mais peut-être ne s'actualisera jamais.


Voila ce qu' écrit Spinoza lettre 12

bien que les modes existent nous pouvons les concevoir comme n'existant pas ...nous en pouvons conclure de ce que présentement ils existent qu'ils existeront par la suite ou n 'existeront pas , qu'ils ont existé antérieurement ou n'ont pas existé .

Sous le concept de durée nous ne pouvons concevoir que l'existence des modes .
......................................................
Bien sur qu' un mode n'est rien tant qu'il n'est pas actualisé mais pour ça Aristote disait de même que la puissance n'est rien tant quelle n'est pas actualisé .Pire l'acte est antérieur à la puissance .

Spinoza semble en revanche plus fixiste qu' Aristote .Plus essentialiste .
On ne sait pas chez Spinoza pourquoi un organisme nait se développe et meurt .
La raison en est rapportée aux causes extérieures .
La seule puissance de l'individu est son conatus mais de mon point de vue ce conatus est indifférencié. C'est un effort qui ne porte aucune information sur la croissance et la décroissance de l'individu .
Et pour moi c'est un défaut majeur du spinozisme .

Je dis du spinozisme car on pourrait encore excuser Spinoza au vu des connaissances de l' époque sur l'évolution , en botanique , zoologie,et embryologie .
Mais actuellement les spinozistes ( certain ) forcent le trait ( et le mauvais penchant ) déterministe mécaniste de Spinoza ( Séverac en est )
Spinoza a une part de sa pensée tournée vers l 'organicisme voire le vitalisme . Il hésite, il ne sait pas trop et se range aux idées de l'époque, idées cartésiennes et mécanistes .

Pas plus que sur sa misogynie on est obligé de le suivre à la lettre et surtout quand certains passages laissent planer un doute sur le mécanisme .(lettre 32 sur le chyle )

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Messagepar Ulis » 29 déc. 2010, 08:21

Cela lui a obligé de donner un nouveau sens au terme "actuel", au lieu de pouvoir adopter le sens aristotélicien du terme. Est désormais appelé "actuel" non seulement ce qui existe dans le temps, mais aussi tout ce qui existe de toute éternité en Dieu (E5P29 scolie, notamment). C'est-à-dire toute essence singulière d'une chose singulière, qu'elle vive/existe dans le temps ou non.

Dans une vision globale cohérente et matérialiste du spinozisme, j'estime que tout mode qui a une existence éternelle en dieu est/a été/sera nécessairement actualisable, quoi qu'en pense Severac.


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