Existence de l'infini

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Libr617
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Messagepar Libr617 » 19 mars 2012, 00:02

A Bardamu,

Merci pour la référence du livre de Chr. Magnan. Je vais me le procurer.

L'alternative fini/infini était-elle bien pertinente lorsqu'il s'agit du nombre d'attributs de la Substance ? La Substance à au moins deux attributs : la Pensée et l'Etendue. Rien ne prouve qu'elle en ait plus alors pourquoi aller plus loin ?

D'ailleurs, je ne vois pas non plus pourquoi Spinoza, dans l'Ethique, introduit un "Dieu" en l'identifiant à la Substance. Il aurait pu poursuivre son chemin sans faire intervenir "Dieu" (et modifier en conséquence le titre de sa première partie...etc.). Cela n'aurait rien changé à son propos. Au lieu de parler de Dieu, il aurait parlé de Substance à deux attributs. Le "Dieu" de Spinoza est superfétatoire.

Il me semble que l'infini ou le fini de l'univers ne se comprennent pas en terme de limites. Imaginons que nous soyons des êtres plats, à deux dimensions, vivant sur la planète Terre. Nous nous déplacerions comme si nous étions des feuilles de papier sur la surface du globe. Nous ne verrions jamais de limites à nos déplacements et, pourtant, la surface sur laquelle nous évoluerions - la surface de la Terre - est bel et bien finie (exemple que j'emprunte à H. Poincaré, me semble-t-il). Autrement dit, la finitude n'implique pas nécessairement l'existence d'une limite. Idem si on considère l'infinitude (d'un point de vue théorique puisque, pour l'instant, l'existence de l'infini n'est pas démontrée).

Pour le reste, je suis entièrement d'accord avec vous.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 19 mars 2012, 00:53

Cher Libr617,
Je pense que l'essentiel de vos réserves viennent d'une méconnaissance du sens du terme d'infini chez Spinoza. Vous en restez à l'infini arithmétique qui repose sur la division de la grandeur au moyen de ces auxiliaires de l'imagination que sont les nombres. Spinoza parle principalement de l'infini au sens ontologique comme affirmation absolue de l'existence d'une essence. Voyez pour cela Ethique I, prop. 8, sc. 1 et ces documents : http://www.spinozaetnous.org/document-d25.html

Aussi je rejoins Bardamu sur le fond de ses explications. Je suis d'accord aussi avec Shub sauf quand à la question "Si l'Univers est fini, qu'est-ce donc qui existe au-delà des limites de l'Univers ?" il répond "Si c'est le néant, alors il faut admettre que l'être est issu du néant, ce qui est absurde... " ce qui en soi est vrai mais qui par rapport à la question peut présenter une ambigüité. On peut supposer l'existence primitive d'un corps premier (qui soit-dit en passant, s'il n'est pas produit par d'autres corps est cause de soi) qui serait en expansion continue et dont on pourrait évaluer la taille, soit 100.000 milliards d'années lumière de diamètre. Le fait qu'il n'y ait rien au delà de l'univers ne signifie pas qu'il serait issu de ce néant. Un non-empêchement de quelque chose n'est pas sa cause (quoique si on peut s'en assurer, cela peut être une preuve de son existence).

Seulement, s'il n'est limité par rien, alors il est proprement infini au sens exactement spinozien de ce dont l'essence peut s'affirmer absolument dans l'existence. Le fait de pouvoir effectivement lui attribuer une taille par rapport aux échelles que nous pouvons imaginer étant alors purement artificiel. Je préciserai cependant que nous ne parlons en fait avec la théorie de l'univers en expansion que de l'univers connu, aucune donnée empirique et donc "scientifique" dans le sens où vous le dites, ne nous permet donc d'affirmer avec certitude qu'il y ait réellement une taille de l'univers défini comme totalité de ce qui existe.

Vous confondez aussi, comme le suggère Bardamu, imagination et concept de l'entendement. Je peux former l'image que Sarkozy n'a pas été élu président en 2007 mais dans l'état de mes connaissances, je ne peux le concevoir. Inversement, je ne peux imaginer clairement la différence entre une foule de 10.000 personnes et une foule de 10.001 personnes, mais je peux parfaitement la concevoir.

Vous confondez encore propriété et [url=http://www.spinozaetnous.org/wiki/Définition]définition[/url].

Il est vrai en effet que le raisonnement suivant est faux :
1. Toute substance existe.
2. Or, A est une substance.
3. Donc A que je dote de la propriété P existe.
Mais ce n'est pas celui de Spinoza qui est :
1. Toute substance existe.
2. Or, A est une substance constituée d'une infinité d'attributs.
3. Donc A existe.
Ce qui est très différent. L'infinité des attributs n'est pas une propriété de Dieu mais sa définition même, l'expression "substance constituée d'une infinité d'attributs" n'étant, comme je l'avais dit, qu'une explicitation et non une déduction du concept d'être absolument infini. Car comme indiqué dans la page citée ci-dessus sur ce terme, une définition n'a pour pouvoir être posée qu'à ne pas contenir de contradiction interne. Et ce qui compte alors est le contenu conceptuel et pas principalement le mot qui sert à le désigner. Vous pouvez donc appeler salade si vous voulez l'idée que vous pouvez former d'un être absolument infini, il en découlera que la salade ne peut avoir été produite par quoique ce soit en dehors d'elle-même, puisqu'il n'y a par définition rien en dehors d'elle, ce sera donc une substance et donc votre salade existera nécessairement.

Aussi sur le plan strictement formel, vous pourrez parfaitement faire le raisonnement suivant :
1. Tous les hommes sont mortels
2. Or, Henrique, qui a des ailes de dragon, est un homme.
3. Donc Henrique est mortel.
La mortalité est une propriété d'Henrique car il suffit qu'il y ait "homme" dans sa définition et quels que soient les autres éléments qu'on y adjoint, ailes de dragons ou ami de la sagesse, il sera mortel. De même si on remplace "mortel" par "existant".

Mais avant de discuter tout cela plus avant, je voudrai aussi m'assurer que nous pouvons nous entendre sur les définitions suivantes :

Le doute, c'est la possibilité de penser une proposition et son contraire.

Le doute raisonnable, c'est la possibilité justifiée par des raisons valables de penser une proposition et son contraire. Par exemple, j'ai autant de raison de penser que le 25 décembre prochain, il neigera que il ne neigera pas.

Le doute sophistique ou artificiel, c'est la possibilité purement verbale de prétendre pouvoir penser une proposition aussi bien que son contraire, sans raison valable. Par ex., j'affirme que je ne sais pas si un cercle ne peut pas être carré, car bien que j'avoue ne pas pouvoir l'imaginer, le carré est une figure géométrique et le cercle aussi, d'où il pourrait suivre qu'un cercle ait des angles alors qu'il n'a qu'un seul côté.

La certitude, c'est la nécessité de penser une proposition, autrement dit l'impossibilité de penser le contraire.

La certitude subjective, ou persuasion, ou croyance, c'est cette même nécessité en tant qu'elle s'explique par la représentation de la seule raison qui permet de poser un jugement dans l'ignorance des raisons qui pourraient justifier le contraire. C'est donc l'ignorance de sa propre ignorance. Ainsi, j'ai par exemple la certitude que le 25 décembre prochain, il neigera parce que jusqu'à présent j'ai toujours connu cela, oubliant seulement que jusqu'à présent, j'ai passé tous mes 25 décembre dans une station de ski à 2000 mètres d'altitude et qu'il se peut que je ne puisse y être la prochaine fois ou encore qu'il y ait une longue sécheresse cette année.

La certitude objective, ou conviction, ou savoir, c'est l'impossibilité de penser le contraire d'une proposition sans contradiction. Par exemple, empiriquement, je suis certain que si je sors sous la pluie sans parapluie, mes vêtements seront mouillés, alors même que pour ma sensibilité ils sont encore parfaitement secs. Je ne peux ici concevoir qu'ayant été exposés à la pluie, mes vêtements demeurent secs parce qu'il faudrait pour cela qu'il n'y aient pas été exposés, ce qui est contredit par l'hypothèse, ou bien que la pluie puisse ne pas mouiller, ce qui est contredit par la nature même de la pluie comme précipitation d'eau à l'état liquide.

Si nous sommes d'accord sur ces définitions, alors selon la même logique que précédemment, je peux avoir des certitudes hors du champ de la sensibilité : si, dans un plan euclidien, par exemple le terrain sur lequel j'habite, un quadrilatère possède au moins trois angles droits, c'est nécessairement un rectangle, sans qu'il soit nécessaire de mesurer le dernier angle, on ne peut en effet concevoir sans contradiction que ce soit un autre type de parallélogramme comme le losange ou le trapèze. Et aussi, si j'appelle "être" la totalité de ce qui existe, ce que je peux concevoir comme je conçois que mon terrain forme un rectangle sans l'avoir entièrement mesuré, et que je considère que le néant n'a aucune propriété, alors je peux affirmer que l'être ne peut venir que de lui-même, autrement dit qu'il est cause de soi. Car si je suppose une cause en dehors de l'être, alors elle ne fait pas partie de la totalité de ce qui existe et donc ce n'est rien ; or le néant ne peut rien produire ; donc il n'y a pas de cause en dehors de l'être. Et en conséquence je peux savoir avec certitude que l'être est cause de soi.

Enfin, pour vous/nous rappeler de raccrocher cette discussion au sujet initial lancé par Marcello : "votre expérience par rapport à la compréhension et la mise en pratique de l'Ethique", à quoi j'ai donné des réponses en rapport avec cette question de l'existence de Dieu, qu'est-ce que vous avez "compris" chez Spinoza, cher Libr617, au sens où Marcello en parlait, c'est-à-dire qu'est-ce que vous avez intégré de Spinoza et éventuellement mis en pratique si vous rejetez le principe d'un étant absolument infini ?

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Messagepar Shub-Niggurath » 19 mars 2012, 15:23

Spinoza est très clair sur la notion d'infini : elle ne peut être saisie que par l'intellect, et pas du tout par l'imagination. L'imagination au contraire ne saisit que des modes finis, limités.

"Si nous considérons la quantité telle qu'elle est donnée dans l'imagination, ce qui arrive le plus fréquemment et le plus aisément, nous la trouverons divisible, finie, composée de parties et multiple.
Si au contraire nous la considérons telle qu'elle est dans l'entendement, et si la chose est perçue comme elle est en soi, ce qui arrive difficilement, alors on la trouvera infinie, indivisible et unique."

Lettre 12

C'est sans doute pourquoi les physiciens ne peuvent concevoir l'Univers que comme une chose finie, composée de parties qui sont les éléments de la matière, et qu'ils peuvent l'étudier à l'aide des nombres (qui ne sont que des "auxiliaires de l'imagination"). En effet les physiciens supposent tous que les calculs numériques peuvent nous permettre d'étudier la Nature, et ils tirent de ces calculs ce qui évidemment est impliqué par cette méthode de connaissance, à savoir la finitude des choses et leur mesurabilité. Ils tirent aussi des observations faites à partir de machines des conclusions sur l'Univers, sans penser à aucun moment que leurs outils sont limités par nature, et que d'aucun instrument matériel fini on ne pourra tirer de conclusion sur l'infini. Par suite les mathématiciens et les physiciens déraisonnent s'ils croient pouvoir conclure de leurs observations et de leurs calculs des conclusions certaines sur l'infini de l'Univers.

Il appartient donc au seul intellect humain de tenter de comprendre l'Univers, et pas du tout aux calculs mathématiques ni aux machines limitées que peuvent fabriquer les scientifiques. D'ailleurs à aucun moment Spinoza ne fait appel à des calculs ou à des observations pour déduire l'infinité de la Nature, mais au seul raisonnement sur les concepts qui sont dans la pensée. Il serait bon que l'on remette les physiciens à leur place dans ce domaine, concernant la question de l'infini, et qu'on arrête de croire que ce qu'ils disent peut nous apprendre quoi que ce soit concernant l'existence ou non de l'infini dans la Nature.

Spinoza en son temps luttait contre les théologiens, mais je pense que s'il existait actuellement parmi nous, ce serait contre les scientifiques qu'il dirigerait ses attaques. Car les scientifiques n'emploient pas moins l'imagination que les théologiens, puisque toute la mathématique emploie des nombres, qui sont des êtres d'imagination, et non des choses réellement existantes dans la Nature. Par suite il n'est pas étonnant que les scientifiques posent des limites partout, dans les vitesses des photons comme dans les températures des corps.

D'ailleurs scientifiques et théologiens sont tous d'accord pour imaginer une création de l'Univers, ce qui devrait au moins nous mettre la puce à l'oreille quant à la validité de ces théories. Il est en effet bien étrange que le concept d'explosion primordiale ou de Big Bang ait été à l'origine conçue par un prêtre : Georges Lemaître. Que rien n'empêche les scientifiques de croire en Dieu après cela n'a rien d'étonnant. D'ailleurs même le Pape Pie XII avait bien vu tout l'avantage que les religions pouvaient tirer de la théorie du Big Bang :
"Il semble, en vérité, que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire témoin de ce « Fiat Lux » initial, de cet instant où surgit du néant avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies."

Cet Univers qui surgirait du néant n'a pas beaucoup plus de sens que les affirmations des anciens chinois, qui pensaient que la terre était carrée et que le ciel était rond, ou que celles des juifs de l'antiquité, qui pensaient que la terre était plate et que le soleil se déplaçait autour d'elle.

Méfions-nous donc de ces scientifiques et de ces théologiens marchant main dans la main pour affirmer la création de l'Univers, et reposons-nous au contraire sur la seule lumière naturelle de l'intellect, qui n'emploie aucun nombre pour affirmer et nier, mais seulement des concepts clairs.

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Messagepar hokousai » 19 mars 2012, 22:52

je me suis arrêté (aussi) dans les messages de libr617 sur

<b> Le "Dieu" de Spinoza est superfétatoire.</b>

...
et puis sur l' expérience de pensée de Poincaré
je suis donc allé voir ce qui se disait de l"infini chez les "scientifiques"
http://www.gloubik.info/sciences/spip.php?article315

et puis je suis retourné lire un philosophe ( qui fut aussi un mathématicien )<b> Nicolas de Cues</b>

" Parce qu'il va de soi qu'il n'y a pas de proportion de l'infini au fini, il est aussi très clair, de ce chef, que,<b> là où l'on peut trouver quelque chose qui dépasse et quelque chose qui est dépassé, on ne parvient pas au maximum simple</b> ; en effet ce qui dépasse et ce qui est dépassé sont des objets finis ; au contraire le maximum simple est nécessairement infini. Quelque objet que l'on me donne, si ce n'est pas le maximum simple lui-même, il est manifeste qu'on pourra toujours m'en donner un plus grand.

Et, parce que nous voyons que l'égalité comporte des degrés, de sorte que telle chose soit plus égale à celle-ci qu'à celle-là, à cause des convenances et différences génériques, spécifiques, de lieu, d'influence et de temps, avec les choses qui lui ressemblent,<b> il est clair qu'on ne peut pas trouver deux ou plusieurs objets semblables et égaux à tel point que des objets plus semblables encore ne puissent pas exister en nombre infini</b>. Que les mesures et les objets mesurés soient aussi égaux que l'on voudra, il subsistera toujours des différences.<b> Donc, notre intelligence finie ne peut pas, au moyen de la similitude, comprendre avec précision la vérité des choses</b>.

En effet, la vérité n'est pas susceptible de plus ou de moins, mais elle est d'une nature indivisible, et tout ce qui n'est pas le vrai lui-même est incapable de la mesurer avec précision ; ainsi ce qui n'est pas cercle ne peut pas mesurer le cercle, car son être consiste en quelque chose d'indivisible.<b> Donc l'intelligence, qui n'est pas la vérité</b>, ne saisit jamais la vérité avec une telle précision qu'elle ne puisse pas être saisie d'une façon plus précise par l'infini ;<b> c'est qu'elle est à la vérité ce que le polygone est au cercle</b> : plus grand sera le nombre des angles du polygone inscrit, plus il sera semblable au cercle, mais jamais on ne le fait égal au cercle, même lorsqu'on aura multiplié les angles à l'infini, s'il ne se résout pas en identité avec le cercle. Donc, il est clair que tout ce que nous savons du vrai, c'est que nous savons qu'il est impossible à saisir tel qu'il est exactement ; car la vérité, qui est une nécessité absolue, qui ne peut pas être plus ou moins qu'elle est, se présente à notre intelligence comme une possibilité. Donc, la quiddité des choses, qui est la vérité des êtres, est impossible à atteindre dans sa pureté ; tous les philosophes l'ont cherchée, aucun ne l'a trouvée, telle qu'elle est ; et plus nous serons profondément doctes dans cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité elle-même....

Donc l'égalité maxima, celle qui n'a de diversité et de différence avec rien, dépasse toute intelligence ; c'est pourquoi le maximum absolu, puisqu'il est tout ce qui peut être est tout entier en acte, et, comme il est ce qu'il peut y avoir de plus grand, pour la même raison<b> il est ce qu'il peut y avoir de plus petit </b>: n'est-il pas tout ce qui peut être (1) ? Or, le minimum est une chose telle qu'il ne puisse y en avoir de plus petite. Et, comme le maximum est ainsi,<b> il est évident que le minimum coïncide avec le maximum.</b>
De la docte ignorance paragraphe 3 et 4

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Messagepar bardamu » 20 mars 2012, 02:13

Shub-Niggurath a écrit :(...) Il est en effet bien étrange que le concept d'explosion primordiale ou de Big Bang ait été à l'origine conçue par un prêtre : Georges Lemaître. Que rien n'empêche les scientifiques de croire en Dieu après cela n'a rien d'étonnant. D'ailleurs même le Pape Pie XII avait bien vu tout l'avantage que les religions pouvaient tirer de la théorie du Big Bang (...)

Lemaître était en désaccord avec Pie XII, il séparait le discours théologique et scientifique : petite synthèse de la vie et de la pensée de Lemaître.

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Messagepar Libr617 » 20 mars 2012, 16:51

Cher Henrique,

Vous parlez de l’origine de l’univers. Je ne suis pas sûr que cette notion soit pertinente (je n’ose pas dire « adéquate » eu égard à la manière dont Spinoza use de cet adjectif).

L’existence d’une origine spatio-temporelle à l’univers, ce que certains appellent le « big bang », n’est pas démontrée. Il est certain que les corps célestes s’éloignent les uns des autres un peu « à manière » dont la matière se répartit lorsqu’il y a une explosion quelconque (en partant dans toutes les directions à partir du foyer de l’explosion) ce qui prouverait que l’univers serait en expansion.

Pour autant, les astrophysiciens seraient plutôt enclins aujourd’hui à écarte cette théorie si populaire du « big-bang » au profit d’une théorie plus réaliste compte tenu de nos connaissances les plus récentes. Il semble, en effet, que l’univers serait tantôt en expansion, tantôt, en rétractation. Ce qui ne suppose pas qu’il aurait une origine.

En clair, nous ne savons pas s’il y a une origine à l’univers. Je ne suis pas sûr, à titre personnel, que la notion d’origine ait un sens en ce qui concerne l’univers.

Pour revenir à Spinoza et à la proposition I, 11, je comprends votre raisonnement qui, s'il est très habile, ne me paraît pas conforme au texte de l'Ethique. Initialement, Spinoza définit d'une part la substance, d'autre part, Dieu. Il n'y a pas encore identité entre ces deux concepts. Vous ne pouvez donc utiliser cette identité pour affirmer que le fait de posséder une infinité d'attributs est l'essence du Dieu de Spinoza.

Par ailleurs, je reste convaincu que le raisonnement qui sous-tend la démonstration de Spinoza est faux. A savoir :
1. Tout substance existe
2. Or, A est une substance constituée d’une infinité d’attributs.
3. Donc A existe.

La définition que Spinoza attribue à Dieu nécessite une démonstration car il adjoint à la substance une propriété (l'infinité d'attributs) sans vérifier, en quelque sorte, que la greffe peut prendre. Je m’explique en reprenant l’exemple dont vous dites qu’il est acceptable "sur le plan formel" :
1. Tous les hommes sont mortels.
2. Or, Henrique, qui a des ailes de dragon, est un homme.
3. Donc Henrique est mortel.
L’assertion 2 n’étant pas démontrée, ce raisonnement est peut-être cohérent mais il n’est pas vrai. Il est faux parce que l'assertion 2 est fausse : Henrique qui a des ailes de Dragon n'est pas un homme car la cohabitation "ailes de dragon" et "homme" fait d'Henrique autre chose qu'un homme.

Ce n’est pas l’habillage mathématico-scientifique (comme l'appelle Bardamu) qui va conférer à une théorie sa valeur mais plutôt sa cohérence interne et son haut degré d’adéquation au réel.

Pour le reste, je suis bien sûr d’accord avec les définitions que vous utilisez.

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Messagepar Libr617 » 20 mars 2012, 17:32

A Shub-Niggurath,

Je vous cite :

Spinoza en son temps luttait contre les théologiens, mais je pense que s'il existait actuellement parmi nous, ce serait contre les scientifiques qu'il dirigerait ses attaques

Eu égard à l'amour qu'il portait aux connaissances et à la raison, on pourrait tout aussi bien penser que Spinoza serait l'un des leurs.

Vous ajoutez :

Car les scientifiques n'emploient pas moins l'imagination que les théologiens [...]. Par suite il n'est pas étonnant que les scientifiques posent des limites partout, dans les vitesses des photons comme dans les températures des corps

L'imagination qu'utilisent les scientifiques n'a d'autre dessein de résoudre des problèmes. En tout état de cause, leur objectif n'est certainement pas d'imposer des limites artificielles ou arbitraires. Ces limites s'imposent à eux dans le cadre des observations qu'ils font. La vitesse de la lumière (ou des photons) est avéré jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas une limite arbitraire forgée par les scientifiques.

Je serais plutôt enclin à considérer que la philosophie et la science ont besoin l'une de l'autre. Quel pourrait être l'intérêt d'une philosophie ou d'une doctrine qui serait manifestement fausse ? Et quel visage aurait une science dénuée de "réflexivité" ? Peut-être, malheureusement, le visage qu'elle a actuellement...

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Messagepar hokousai » 20 mars 2012, 19:19

à libr617


L’assertion 2 n’étant pas démontrée, ce raisonnement est peut-être cohérent mais il n’est pas vrai. Il est faux parce que l'assertion 2 est fausse : Henrique qui a des ailes de Dragon n'est pas un homme car la cohabitation "ailes de dragon" et "homme" fait d'Henrique autre chose qu'un homme.


Je comprends que l' addition des attributs vous choque ( non démontrée )
Mais une substance<b> dans la tradition</b> a des attributs ( ou au minimum des accidents ). L addition n 'est pas aussi arbitraire que de rajouter des ailes de dragon à Henrique, ce qui dit en, passant ne lui enlèverait sa condition d' homme que s'il était précisé que l' homme n' est QUE mortel , ce qui nest pas dit dans la majeure .
Pire: Henrique précise "qui a des ailes de dragon et est un homme"
Ce genre de dispute n' a pas vraiment d'intérêt.

Il faut juger des idées. Ces idées sont des idées philosophiques et elles transcendent la logique de l'exposition .
Le texte de de Cues que je cite plus haut est de mon point de vue d' une puissance comparable à celui de Spinoza, il n'est pourtant pas strictement démonstratif .

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Messagepar Shub-Niggurath » 20 mars 2012, 20:41

Cette conception de l'Univers comme un coeur qui palpite est séduisante, mais ne répond pas à la question fondamentale, que j'avais déjà relevée, et qui consiste à se demander ce qui existe au delà des limites de l'Univers palpitant. Si c'est un pur néant, on attribue donc une existence à ce qui n'en a pas, ce qui est une grande absurdité. Le rien ne saurait en effet limiter ce qui est, ni agir d'une quelconque façon. Si c'est quelque chose, alors il nous faut considérer l'Univers observable comme une partie de l'Univers, et non comme l'Univers lui-même. Il est tout à fait possible que nous vivions dans un mode limité de l'Univers infini, qui se comporterait comme une cellule du coeur humain, se contractant et s'étendant dans un autre corps, et celui-ci à son tour dans un autre, et ainsi à l'infini.

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Messagepar bardamu » 21 mars 2012, 02:05

Libr617 a écrit :La définition que Spinoza attribue à Dieu nécessite une démonstration car il adjoint à la substance une propriété (l'infinité d'attributs) sans vérifier, en quelque sorte, que la greffe peut prendre.

Bonjour Libr617,
Spinoza dit pourquoi il faut définir Dieu ainsi :

E1p10 scolie : "N'est-ce pas, au contraire, la chose la plus claire du monde que tout être se doit concevoir sous un attribut déterminé, et que, plus il a de réalité ou d'être, plus il a d'attributs qui expriment la nécessité ou l'éternité et l'infinité de sa nature ? Et, par conséquent, n'est-ce pas aussi une chose très-claire que l'on doit définir l'être absolument infini (comme on l'a fait dans la Déf. 6). Savoir : l'être à qui appartiennent une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ?"

En langage plus contemporain : tout être doit être conçu d'après un caractère positif (attribut), et l'être absolument infini a une infinité de ces caractères.
L'existence de la Substance/Dieu est alors évidente puisque sa définition est justement faite d'après ce que c'est que de concevoir un être.
Pour contester sa définition, il faudrait dire que concevoir un être ne passe pas par des attributs, que pour concevoir le feu on ne passe pas par "être chaud" et "être lumineux" par exemple, ou bien on nie l'objet même de la définition, à savoir qu'il y a du sens à définir un être absolument infini.

En tout cas, l'infinité est d'emblée là puisque c'est l'objet de la recherche de définition. C'est surtout son mode de constitution qui a dérangé à l'époque : cela s'attaquait notamment aux entreprises de type "théologie négative", c'est-à-dire de ce Dieu transcendant qui dépassait toute possibilité de qualification. Ici, Dieu-Nature est d'emblée lié à une réalité positive et intelligible (en droit), ce n'est que la réalité elle-même articulée en manières d'être se concevant par elles-mêmes : le feu conçu selon le caractère "chaleur", selon le caractère "lumière" ou n'importe quel autre caractère nécessairement lié à son expression concrète.
De l'inconnu, certes, mais pas d'asile pour l'ignorance, pas de surnaturel : soit une chose existe et on peut la qualifier, soit elle n'existe pas.
Libr617 a écrit :(...) La vitesse de la lumière (ou des photons) est avéré jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas une limite arbitraire forgée par les scientifiques.

Je serais plutôt enclin à considérer que la philosophie et la science ont besoin l'une de l'autre. Quel pourrait être l'intérêt d'une philosophie ou d'une doctrine qui serait manifestement fausse ? Et quel visage aurait une science dénuée de "réflexivité" ? Peut-être, malheureusement, le visage qu'elle a actuellement...

En l'occurrence, un peu de réflexivité sur la vitesse de la "lumière" permet de voir que la conception communément présentée n'est pas très "naturelle", qu'elle entre dans ce que dit Spinoza sur le caractère pratique de la mesure du temps et de l'espace. Si au lieu de se fixer sur une métrique d'espace-temps, on se sert des causes efficientes, des énergies nécessaires à la progression des vitesses, alors on a une courbe asymptotique, la limite est à l'infini. Ca évite de se demander si on peut amener une masse au delà dès lors qu'on voit que la courbe va à l'infini.
Fini-infini, c'est souvent une question de perspective quand il s'agit de mesure, et quand on a une limite absolue (singularité, zéro absolu etc.), l'infini n'est jamais loin.

Au passage, l'ombre peut aller plus vite que la lumière... l'explication est dans cet ouvrage dont je recommande souvent la lecture, un bel exemple pour moi, de réflexivité des sciences sur elles-mêmes : "Aux contraires", de J.-M. Lévy-Leblond.


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