Babilomax a écrit :Ça ressemble un petit peu à un questionnaire pour vérifier que je ne m'imagine pas un dieu barbu assis sur un nuage.
— Pour ce que j'en comprends, le Dieu de Spinoza est le principe premier, qui ne se conçoit que par lui-même. C'est pourquoi je ne suis pas censé en former une image, mais le concevoir par l'entendement. Ce n'est pas un Dieu anthropomorphique, Deus sive natura et bla bla bla. Il s'agit de démontrer que l'existence de la Substance est nécessaire aux yeux de l'entendement.
Pour le coup, c'est justement une image "naïve" qui m'aurait intéressé.
Quand je lis "Au commencement était le Verbe", la première image qui me vient n'est pas celle évoquée par "une substance constituée d'une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie". Dans le 2nd cas, je vois une sorte de blob infini, ayant toutes les formes, tous les sons, toutes les couleurs etc. et l'existence de ce truc ne ressemble pas à une sorte de point originel ou d'esprit désincarné voire de "principe premier". Ce n'est plus le même problème d'existence.
Le "Dieu" de Spinoza, c'est un peu "le-tout-existant" : un nuage, de la boue, une idée, un président normal etc. sont "Deus quatenus...", "Dieu en tant que nuage, boue, idée, etc.", par le simple fait qu'ils sont des existants. E1p11 n'est pas là pour conclure que l'existence doit être attribuée à une chose nommée "Dieu", elle est là pour montrer que la définition donnée implique une existence immanente, se passe de toute transcendance dès lors qu'une substance se définit existante sans Créateur.
Pour une illustration colorée :soit l'univers des couleurs dans le système de
synthèse additive : rouge, vert, bleu, jaune, orange etc.
Dieu-Nature ne serait rien d'autre que toutes les couleurs et son essence serait constitué des couleurs primaires Rouge, Vert, Bleu, (substance à 3 attributs), c'est-à-dire des couleurs qui ne peuvent être produites par d'autres couleurs : l'existence du rouge n'a pas pour condition celle du bleu ou du vert parce qu'il n'est pas issu de l'un, de l'autre ou des deux, et une substance définie comme composition RVB n'est rien d'autre que l'affirmation de ces trois réalités primaires. Toutes les créatures, tous les individus, seraient des compositions de RVB, des compositions de modes des attributs RVB.
Dieu est vu et analysable partout parce qu'il n'est rien d'autre que tout ce qui existe, son essence étant sa constitution, le comment les réalités s'agencent, s'ordonnent, se composent.
Avec l'idée de "Dieu", on est d'emblée dans l'espace de l'existant comme on est ici d'emblée dans l'espace des couleurs, on ne raisonne pas sur un Etre distinct de l'Existence, si ce n'est dans les distinctions qu'on fait dans l'infinité des couleurs entre celles qui sont productibles et celles qui sont primaires.
Le problème "polémique" de Spinoza n'était pas l'existence de Dieu, chose que soutenait aussi ses adversaires théologiens, son problème était de casser l'appel à une transcendance comme fondement de l'existence.
Avec E1p11, on a une substance qui ne demande rien à un Etre précédant l'Existence, le "quelque chose" se suffit à lui-même, il est d'emblée auto-formation, la Création n'a pas besoin de Créateur, elle a l'existence nécessaire et on l'appellera Dieu, terme qui convient à la plus grande puissance concevable.
Babilomax a écrit :— Si l'on peut avoir la certitude (et non pas l'absence de doute) que l'existence d'une chose n'est pas nécessaire, alors son essence n'enveloppe pas l'existence. Autrement dit, son inexistence n'implique pas de contradiction.
Je crains que ce ne soit pas dans cet esprit que Spinoza veuille utiliser l'axiome (sauf erreur, il n'est utilisé que pour E1p11).
Je reprends les démonstrations :
E1p11 :
Si vous niez Dieu, concevez, s'il est possible, que Dieu n'existe pas. Son essence n'envelopperait donc pas l'existence (par l'Axiome 7). Mais cela est absurde (par la Propos. 7). Donc Dieu existe nécessairement.
E1p7 :
La production de la substance est chose impossible (en vertu du Coroll. de la Propos. précéd.). La substance est donc cause de soi, et ainsi (par la Déf. 1) son essence enveloppe l'existence, ou bien l'existence appartient à sa nature.
L'axiome est là pour se combiner à E1p7, c'est-à-dire l'affirmation d'un "cause de soi" comme réalité irréductible à une relation de production. On existe par soi ou par autre chose. Une chose peut être conçue comme n'existant pas uniquement quand on considère son existence comme "héritée", comme relevant d'un rapport de production dont on pourra affirmer que les conditions ne sont pas réunies (cf le scolie de E1p11 là-dessus). C'est contradictoire avec la définition d'une substance.
Dès lors qu'un attribut désigne une réalité de fait (il y a du rouge), que cette réalité n'est pas réductible à un rapport de production (le rouge ne vient ni du bleu, ni du vert), alors elle est "primaire" et l'ensemble de ces réalités primaires qualifie l'essence d'une substance. L'attribut n'est pas produit par la substance (ou vice-versa), il est constitutif de l'essence de la substance, il la qualifie, il dit de quoi elle est faite, ce qu'elle est concrètement.
Avec le "Dieu" de Spinoza, ce qui existe nécessairement, c'est une réalité multiple, un ensemble de réalités diverses toujours déjà-là, incréées, irréductibles à un point de production unique. Avec seulement du bleu dans sa palette, on ne fait pas de rouge, avec une substance à un seul attribut, on ne produit pas des réalités antinomiques de cet attribut.
Si je résume : Spinoza affirme qu'il y a des réalités indépendantes, ne relevant pas d'une production par autre chose, et que donc "Dieu", défini comme l'ensemble de ces réalités existe par soi, nécessairement et pas conditionnellement, pas par autre chose, notamment un Créateur transcendant.
Je ne vois pas là de "faille" logique même si on peut vouloir tout réduire à une seule expression de l'ordre de production et contester une multiplicité essentielle des genres de réalité (matérialisme, idéalisme...), ou qu'on se refuse à en affirmer une infinité au prétexte qu'on en expérimente que deux ("modestie" de l'agnosticisme qui m'apparaît en fait comme prétention à réduire le réel à soi-même, à se prendre pour "mesure de toute chose").