Peut-on être un spinoziste modéré, ou spinoziste athée ?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Messagepar Vanleers » 08 nov. 2013, 09:47

A Hokousai

Je tiens pour une vérité empirique que nous connaissons clairement deux genres d’être réellement distincts que l’on peut désigner, en reprenant une terminologie du XVII° siècle, par l’étendue et la pensée.

Ceci est contesté par le matérialiste et l’idéaliste qui, l’un et l’autre, soutiennent qu’il n’y a qu’un seul genre d’être : la matière pour le premier, la pensée pour le second.

Spinoza reprend cette vérité empirique dans son ontologie.

Cela la ruine-t-elle ?

Si vous pensez que oui, il vous appartient de démontrer que, compte tenu des définitions de la substance et de l’attribut, nous ne pouvons pas concevoir clairement et distinctement une substance à plusieurs attributs réellement distincts.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 08 nov. 2013, 10:59

à Vanleers

Vous posez très bien la question . Une fois distingués clairement il est loin d 'être absurde comme le dit Spinoza etc ... scolie prop 10/1

Le problème est dans la "vérité" empirique. Disons cette certitude de connaitre deux genres d être réellement distincts.
Distincts n'est pas encore la question mais "différents", essentiellement différent. Différence entre la corporéité ( matière , étendue , les corps, les choses , tout ce que vous voudrez de ce genre là ) et les idées .

Il y a une corporéité intermédiaire ( les affects en fait ) qui semble faire le pont entre deux mondes qui ne me semblent pas si hétérogènes. Spinoza ( partie 3 et suivante mais déjà partie 2) s'installe dans les affects , dans l'union , dans la non distinction ontologique du corps et de l'esprit .

Mais toujours plus ou moins l 'ontologie de la partie 1 fait barrage . Il faut toujours s' y référer. Pour moi son systématisme encombre plus qu'il ne sert à comprendre.

C' est donc l' expérience de cette "vérité empirique" que je conteste. La distinction corps/ pensée n'est pas empirique. Pas en première instance. En première instance je ne distingue pas la conscience de mon affect de l'affection du corps .
Ce que dit très bien Spinoza def 3 par affect, j entends ... (partie 3)

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Messagepar Vanleers » 08 nov. 2013, 17:37

A Hokousai et Enegoid

L’énoncé : « Nous connaissons clairement deux genres d’être réellement distincts : l’étendue et la pensée » est, pour moi, un axiome aussi évident que « L’homme pense » (E II ax. 2).

Spinoza l’introduit implicitement dès la deuxième définition de l’Ethique.

En conséquence, en vertu de cet axiome, de E I 11 et E I 14 et considérant que nous ne pouvons pas démontrer qu’il est absurde de concevoir une substance à plusieurs attributs : la pensée et l’étendue sont des attributs divins réellement distincts.

Je ne vois pas que les affects relèvent d’une « corporéité intermédiaire ».
La définition E III 3 est claire : Spinoza parle d’une affection du corps, ce qui relève de l’étendue, et de l’idée de cette affection, ce qui relève de la pensée.

Il n’y a pas de conscience de l’affection du corps mais idée de l’idée de cette affection, ce qu’on peut appeler la conscience de l’idée de l’affection du corps.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 09 nov. 2013, 00:47

à Vanleers

Il n’y a pas de conscience de l’affection du corps mais idée de l’idée de cette affection, ce qu’on peut appeler la conscience de l’idée de l’affection du corps.



ce qu’on peut appeler la conscience de l’idée de l’affection du corps.

Vous êtes encore plus idéaliste que moi . Parce que de votre proposition, je ne vois pas comment déduire l'existence du corps. Il me semble que vous n'avez jamais accès à l' affection du corps ( mais à l' idée ).

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Messagepar Vanleers » 09 nov. 2013, 12:03

A Hokousai

Je ne vois rien là d’idéaliste.

Voudriez-vous vous référer à E II ax. 4 ? :
« Nous sentons qu’un certain corps est affecté de beaucoup de manières »

Cet axiome n’est cité qu’une seule fois dans l’Ethique, dans la démonstration d’E II 13 :
« […] or (par l’axiome 4 de cette p.) nous avons les idées des affections d’un corps. »

Il est donc clair que les sensations dont parle l’axiome 4 sont des idées.

La question est définitivement réglée ave E II 19 :

« L’esprit humain ne connaît le corps humain lui-même et ne sait qu’il existe que par l’entremise des idées des affections dont le corps est affecté. »

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 09 nov. 2013, 15:22

« L’esprit humain ne connaît le corps humain lui-même et ne sait qu’il existe que par l’entremise des idées des affections dont le corps est affecté. »


ce qui me semble conciliable avec :

En première instance je ne distingue pas la conscience de mon affect de l'affection du corps .

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Messagepar Vanleers » 09 nov. 2013, 16:14

A Hokousai

Vous écrivez :

« En première instance je ne distingue pas la conscience de mon affect de l'affection du corps. »

Comment démontrez-vous, vous fondant sur Spinoza uniquement, qu’il n’y a pas de distinction entre « la conscience de mon affect » et « l’affection du corps » ?

Bien à vous

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Messagepar QueSaitOn » 09 nov. 2013, 16:29

J'ai parcouru les échanges, un peu vite peut être.

Je ne suis pas encore en mesure de bien le formaliser, mais tout cela me rappelle vaguement l'expression de K. Marx qui disait qu'il s'agissait de construire une méthode qui permette de "s'élever de l'abstrait au concret".

C'est à dire de qu'il faille commencer en philosophie par des catégories "logiques": "logiques" signifiant ici "possibles" (et non forcément efffectives), "formelles" (structures formelles) et "abstraites" (hors du "concret", abstraire de la réalité immédiate telle qu'elle est perçue).

Sartre le disait autrement dans la "Critique de la Raison Dialectique":

Ce qui importe c'est de définir les moments de l'expérience dans leur pureté, même si elle est seulement logique, pour ne jamais risquer d'attribuer aux réalités constituées des caractères que l'observation confuse et hâtive nous révèle, mais qui appartiennent en fait à un autre moment du processus dialectique.


Exposition du simple au complexe, de l'abstrait au concret de la situation vécue, c'est à dire ici de la séparation formelle des attributs "Pensée" et "Etendue" au concret des Affects.

La partie I en d'autres termes releverait plus de la catégorie logique définie par l'expérience individuelle de n'importe-qui, nécessaire à la méthode que de l'apodictique (la nécessité indémontrable ou les catégories a priori de "l'Ethique") ?

Cette séparation dans l'unité de la substance, permet de nous garder de l'hégémonie, de la tentation de pratiquer l'assymétrie d'un champ sur un autre, tout en recherchant leur inter-pénétration.

Le "parallèlisme" nous permet par exemple, de ne pas perdre de vue dans la démarche philosophique, que si les faits sociaux (les faits de pensée et les pratiques liées) sont des choses, les choses sont aussi des faits sociaux (les choses de l'univers sont investies localement partout sur Terre, par notre pratique et notre idéologie -rien n'y échappe - , et globalement par notre regard).

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Messagepar hokousai » 09 nov. 2013, 19:54

à Vanleers

Comment démontrez-vous, vous fondant sur Spinoza uniquement, qu’il n’y a pas de distinction entre « la conscience de mon affect » et « l’affection du corps » ?


Je ne me fonde pas explicitement sur Spinoza mais sur moi même.
Je ne fais pas de distinction entre la conscience de ma douleur et la douleur . Ce qui signifie que je n'ai pas de douleur inconsciente.
Je doute que Spinoza ait eu lui des douleurs inconscientes et je ne lis pas dans son texte qu 'il en ait envisagée l'existence .

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Messagepar Vanleers » 10 nov. 2013, 10:00

A Hokousai

Ce n’est pourtant pas difficile à démontrer.

En effet, entendant par affect (affectus) l’idée d’une affection (affectio) du corps :

D’une part, l’affection du corps et l’idée de cette affection, c’est-à-dire l’affect, c’est la même chose vue sous deux aspects différents.

D’autre part, entre l’affect et l’idée de l’affect, c’est-à-dire la conscience de l’affect, il n’y a qu’une distinction de raison (cf. E V 3 dém.)

A Enegoid

Les derniers échanges devraient vous avoir éclairé.
Vous êtes venu sur le fil en disant : « Je ne comprends pas… un certain nombre de choses sur la substance, l’attribut, etc. c’est-à-dire sur Dieu »
Si par « comprendre » vous voulez dire « imaginer », vous avez raison : nous ne pouvons pas imaginer Dieu.
C’est ce que dit Spinoza dans la lettre à Boxel (lettre 56) : il a une idée claire de Dieu mais il n’en a pas d’image.
Dans le scolie d’E II 47, Spinoza écrit :

« Quant au fait que les hommes n’ont pas une connaissance de Dieu aussi claire que des notions communes, cela vient de ce qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme les corps, et qu’ils ont joint le nom de Dieu aux images des choses qu’ils ont l’habitude de voir ; […] »

La compréhension de l’Ethique, notamment de la partie I, est une affaire d’entendement (intelliger les définitions et les démonstrations) et non d’imagination.
Comme l’écrit aussi Spinoza dans la lettre précitée :
« […] nous ne pouvons en effet imaginer Dieu, mais nous pouvons assurément le comprendre. »

A QueSaitOn

L’Ethique, du début à la fin, est démontrée selon l’ordre géométrique, c’est-à-dire selon la connaissance du deuxième genre.
Je ne vois pas qu’il y ait passage de l’abstrait au concret.
Vous direz, peut-être : la partie I concerne Dieu et les quatre suivantes l’homme, ce qui est plus concret.
Oui, sauf que l’homme est considéré ici comme un mode de la substance, une expression de Dieu.
En réalité, il n’est question que de Dieu, du début à la fin de l’ouvrage.
Par exemple, comment pourrions-nous comprendre la formation d’idées dans l’esprit sans faire appel au « Deus quatenus » (E II 11 cor.) ?

Non seulement l’ontologie de la partie I ne fait pas barrage, comme l’écrit Hokousai, mais sans cette ontologie et, plus largement, sans la partie I, les quatre parties suivantes de l’Ethique resteraient incompréhensibles.

Bien à vous


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