"Dieu miséricordieux"

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar hokousai » 07 mai 2015, 19:16

Il y a un passage qui est m interroge à la fin de l'appendice de la première partie de l' Ethique.

Spinoza a écrit :Tout cela, dis-je, est aisé à réfuter ; car la perfection des choses doit se mesurer sur leur seule nature et leur puissance, et les choses n'en sont ni plus ni moins parfaites pour charmer les désirs des hommes ou pour leur déplaire, pour être utiles à la nature humaine ou pour lui être nuisibles. Quant à ceux qui demandent pourquoi Dieu n'a pas crée tous les hommes de façon à ce qu'ils se gouvernent par le seul commandement de la raison, je n'ai pas autre chose à leur répondre sinon que la matière ne lui a pas manqué pour créer toutes sortes de choses, depuis le degré le plus élevé de la perfection, jusqu'au plus inférieur ; ou, pour parler plus proprement, que les lois de sa nature ont été assez vastes pour suffire à la production de tout ce qu'un entendement infini peut concevoir, ainsi que je l'ai démontré dans la proposition 16.
Ce que je souligne. Spinoza lache qu'il y a des degrés de perfection.

On retrouve perfection dans la définition des affects ( partie 3)


La tristesse est le passage d'une perfection plus grande à une moindre perfection.
Explication : Je dis que la joie est un passage à la perfection. En effet, elle n'est pas la perfection elle-même. Si l'homme, en effet, naissait avec cette perfection où il passe par la joie, il ne ressentirait aucune joie à la posséder ; et c'est ce qui est plus clair encore pour l'affect contraire, la tristesse. Car personne ne peut nier que la tristesse ne consiste dans le passage à une moindre perfection, et non dans cette perfection elle-même, puisqu'il est visiblement impossible que l'homme, de ce qu'il participe à une certaine perfection, en ressente de la tristesse. Et nous ne pouvons pas dire que la tristesse consiste dans la privation d'une perfection plus grande ; car une privation, ce n'est rien. Or, l'affect de tristesse étant une chose actuelle ne peut donc être que le passage actuel à une moindre perfection, en d'autres termes, un acte par lequel la puissance d'agir de l'homme est diminuée ou empêchée (voir le scolie de la proposition 11, partie 3)

Cette idée là est négligée par les commentateurs.
Sous le prétexte que réalité est perfection, alors il n' y a pas de degrés de perfection dans la réalité.

D'autre part
suffire à la production de tout ce qu'un entendement infini peut concevoir,
Désolé mais Dieu ne produit pas tout ce qu'un intellect infini peut concevoir.
Là ce ne sont plus les degrés de perfection qui seraient en question mais les états précis du monde tels qu'ils se présentent.
Il y a une manière de noyer le poisson du réel que je retrouve chez tous les commentateurs spinozistes.

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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar sescho » 08 mai 2015, 10:01

hokousai a écrit :Il y a un passage qui est m interroge à la fin de l'appendice de la première partie de l' Ethique. ... Ce que je souligne. Spinoza lache qu'il y a des degrés de perfection.

On retrouve perfection dans la définition des affects ( partie 3)

Oui : il apparaît de fait une grande difficulté intellectuelle à admettre que quoique tout soit toujours parfait en Dieu (et cela c'est bien l'affirmation maîtresse : perfection = réalité), il puisse quand-même y avoir une Éthique, c'est-à-dire des lois du mieux et du moins bien, pour l'Homme. C'est que l'Homme n'est pas Dieu, du moins en tant qu'il a peu ou prou perdu la claire vision intuitive de l'Être unitif parfait, qui doit présider sans aucune diminution à toute autre considération, précisément... Car sinon il y aurait effectivement contradiction, Dieu-Nature étant une connaissance intuitive parfaite (la catastrophe serait au contraire de vouloir affirmer tout parfait en lisant Spinoza - tout en vitupérant contre plein de choses, dans ce cas-là... -, à commencer par soi-même bien sûr, tout en n'ayant aucune vision intuitive de Dieu-nature.)

On peut mentionner comme illustration E1P33S2.

Pour ce qui concerne le relatif, le bien et le mal de l'éthique sont des images de lois de Dieu-Nature, lesquelles sont aussi parfaites que les autres, voilà tout. Ce sont de purs êtres de raison, en tant qu'ils contiennent une comparaison, au même titre - et dans le même sens - que les "degrés de perfection" que Spinoza emploie par ailleurs. Et ces degrés de perfection ne se conçoivent (comme êtres de raison, uniquement, donc : théorie) évidemment qu'au sein d'une "essence de genre" (espèce) donnée - l'Homme ici - pour lequel ce qui fait référence est le maximum de puissance (concept encore) que cette espèce puisse atteindre de fait. C'est pourquoi par exemple Spinoza dit dans le premier extrait "la perfection des choses doit se mesurer sur leur seule nature."

Le meilleur passage qui l'explique selon moi, mais il y en a d'autres, c'est E4Pré :

Spinoza a écrit :E4Pré : ... Quant à cette pensée du vulgaire, que la nature est quelquefois en défaut, qu’elle manque son ouvrage et produit des choses imparfaites, je la mets au nombre de ces chimères dont j’ai traité dans l’appendice de la première partie. Ainsi donc la perfection et l’imperfection ne sont véritablement que des façons de penser, des notions que nous sommes accoutumés à nous faire en comparant les uns aux autres les individus d’une même espèce ou d’un même genre, et c’est pour cela que j’ai dit plus haut (Déf. 6, part. 2) que réalités et perfection étaient pour moi la même chose. Nous sommes habitués en effet à rapporter tous les individus de la nature à un seul genre, auquel on donne le nom de généralissime, savoir, la notion de l’être qui embrasse d’une manière absolue tous les individus de la nature. Quand donc nous rapportons les individus de la nature à ce genre unique, et qu’en les comparant les uns aux autres nous reconnaissons que ceux-ci ont plus d’entité ou de réalité que ceux-là, nous disons qu’ils ont plus de perfection ; et quand nous attribuons à certains individus quelque chose qui implique une négation, comme une limite, un terme, une certaine impuissance, etc., nous les appelons imparfaits, par cette seule raison qu’ils n’affectent pas notre âme de la même manière que ceux que nous nommons parfaits ; et ce n’est point à dire pour cela qu’il leur manque quelque chose qui soit compris dans leur nature, ou que la nature ait manqué son ouvrage. Rien en effet ne convient à la nature d’une chose que ce qui résulte nécessairement de la nature de sa cause efficiente, et tout ce qui résulte nécessairement de la nature d’une cause efficiente se produit nécessairement.

Le bien et le mal ne marquent non plus rien de positif dans les choses considérées en elles-mêmes, et ne sont autre chose que des façons de penser, ou des notions que nous formons par la comparaison des choses. Une seule et même chose en effet peut en même temps être bonne ou mauvaise ou même indifférente. La musique, par exemple, est bonne pour un mélancolique qui se lamente sur ses maux ; pour un sourd, elle n’est ni bonne ni mauvaise. Mais, bien qu’il en soit ainsi, ces mots de bien et de mal, nous devons les conserver. Désirant en effet nous former de l’homme une idée qui soit comme un modèle que nous puissions contempler, nous conserverons à ces mots le sens que nous venons de dire. J’entendrai donc par bien, dans la suite de ce traité, tout ce qui est pour nous un moyen certain d’approcher de plus en plus du modèle que nous nous formons de la nature humaine ; par mal, au contraire, ce qui nous empêche de l’atteindre. Et nous dirons que les hommes sont plus ou moins parfaits, plus ou moins imparfaits suivant qu’ils se rapprochent ou s’éloignent plus ou moins de ce même modèle. Il est important de remarquer ici que quand je dis qu’une chose passe d’une moindre perfection à une perfection plus grande, ou réciproquement, je n’entends pas qu’elle passe d’une certaine essence, d’une certaine forme, à une autre (supposez, en effet, qu’un cheval devienne un homme ou un insecte : dans les deux cas, il est également détruit) ; j’entends par là que nous concevons la puissance d’agir de cette chose, en tant qu’elle est comprise dans sa nature, comme augmentée ou diminuée. Ainsi donc, en général, j’entendrai par perfection d’une chose sa réalité ; en d’autres termes, son essence en tant que cette chose existe et agit d’une manière déterminée. Car on ne peut pas dire d’une chose qu’elle soit plus parfaite qu’une autre parce qu’elle persévère pendant plus longtemps dans l’existence. La durée des choses, en effet, ne peut se déterminer d’après leur essence ; l’essence des choses n’enveloppe aucune durée fixe et déterminée ; mais chaque chose, qu’elle soit plus parfaite ou qu’elle le soit moins, tend à persévérer dans l’être avec la même force par laquelle elle a commencé d’exister ; de façon que sous ce point de vue toutes choses sont égales.

Reste éventuellement à préciser par quel mécanisme et sous quelles conditions parler d'éthique permet une augmentation de puissance de fait d'un "individu" (qui change d'essence réelle en permanence, en fait, tout en restant dans la même essence de genre, commune à tout le genre sans autre distinction.)

hokousai a écrit :D'autre part
suffire à la production de tout ce qu'un entendement infini peut concevoir,
Désolé mais Dieu ne produit pas tout ce qu'un intellect infini peut concevoir.

Si, vu qu' "un entendement infini" c'est Dieu-Nature même sous l'attribut de la Pensée.


P.S. J'ai noté en passant dans E2P17S, qui commence à traiter de la nature de l'"erreur" (E2P49S étant une autre référence à garder sur ce thème), une équivalence concernant, de mon point de vue, "se trompe en ce qu'il se croit libre" :

Spinoza a écrit :... Or ces affections du corps humain, dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents, nous les appellerons, pour nous servir des mots d’usage, images des choses, bien que la figure des choses n’y soit pas contenue. Et lorsque l’âme aperçoit les corps de cette façon, nous dirons qu’elle imagine. Maintenant, pour indiquer ici par avance en quoi consiste l’erreur, je prie qu’on prenne garde que les imaginations de l’âme considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d’erroné ; en d’autres termes, que l’âme n’est point dans l’erreur en tant qu’elle imagine, mais bien en tant qu’elle est privée d’une idée excluant l’existence des choses qu’elle imagine comme présentes. Car si l’âme, tandis qu’elle imagine comme présentes des choses qui n’ont point de réalité, savait que ces choses n’existent réellement pas, elle attribuerait cette puissance imaginative non point à l’imperfection, mais à la perfection de sa nature, surtout si cette faculté d’imaginer dépendait de sa seule nature, je veux dire (par la Déf. 7, partie 2) si cette faculté était libre.
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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar hokousai » 08 mai 2015, 12:17

sescho a écrit :Si, vu qu' "un entendement infini" c'est Dieu-Nature même sous l'attribut de la Pensée.

Mais on peut aussi comprendre qu'un intellect infini peut concevoir tout ce qui peut se concevoir et non pas seulement tout ce qu'il produit ...
Spinoza opte me semble -t-il pour la première option. Cette option présente une difficulté en ce que ce qui est produit est précis.
C'est pourquoi j'ai dit "Dieu ne produit pas tout ce qu'un intellect infini peut concevoir."

Mais on me dit que c 'est par inadvertance ou hasard ( heureux ) et que cela in fine n'a pas de sens autre qu' un heureux hasard.
( je dois dire que Spinoza incline à penser ainsi ...ce qui me choque quelque part )

Mais cela serait -il advenu par inadvertance l' affaire est faite, il y a la vie et la conscience dans la nature ...donc du sens, car une conscience qui à tout le moins le cherche (et/ou en donne ).

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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar sescho » 08 mai 2015, 22:47

hokousai a écrit :Mais on peut aussi comprendre qu'un intellect infini peut concevoir tout ce qui peut se concevoir et non pas seulement tout ce qu'il produit ...
Spinoza opte me semble -t-il pour la première option. Cette option présente une difficulté en ce que ce qui est produit est précis.

L'entendement est la faculté de connaître ; s'il est infini il est sous-entendu parfait et donc exclusivement et entièrement dans la connaissance de ce qui est (dans) la nature de la Nature. Si ce qui est en question est une pensée de quelque chose qui n'y entre pas : cheval ailé par exemple et par hypothèse, ce qui est réel c'est cette pensée même, mais rien d'autre. C'est l'objet du TRE de faire le tri là-dedans ; l’Éthique y revient.

Spinoza a écrit :E2P49S : ... En commençant mon premier point, j’avertis le lecteur de distinguer soigneusement entre une idée ou un concept de l’âme et les images des choses, telles que les forme notre imagination. Il est nécessaire en outre de faire distinction entre les idées et les mots par lesquels nous exprimons les réalités. Car les images, les mots et les idées, voilà trois choses que plusieurs confondent totalement, ou qu’ils ne distinguent pas avec assez de soin ou du moins assez de précaution, ...

De plus ceux qui confondent les mots avec l’idée, ou avec l’affirmation que l’idée enveloppe, croient qu’ils peuvent opposer leur volonté à leur pensées, quand ils n’opposent à leur pensée que des affirmations ou des négations purement verbales.

On se dépouillera aisément de ces préjugés si l’on fait attention à la nature de la pensée qui n’enveloppe nullement le concept de l’étendue ; et alors on comprendra clairement qu’une idée (en tant qu’elle est un mode de la pensée) ne consiste ni dans l’image d’une chose, ni dans des mots. Car ce qui constitue l’essence des mots et des images, ce sont des mouvements corporels, qui n’enveloppent nullement le concept de la pensée.
...
Ainsi donc j’accorde que personne ne se trompe en tant qu’il perçoit, c’est-à-dire que les représentations de l’âme, considérées en elles-mêmes, n’enveloppent aucune erreur (voir le Schol. de la Propos. 17, part, 2) ; mais je nie qu’il soit possible de percevoir sans affirmer. Percevoir un cheval ailé, qu’est-ce autre chose en effet qu’affirmer de ce cheval qu’il a des ailes ? Car enfin si l’âme ne percevait rien de plus que ce cheval ailé, elle le verrait comme présent, sans avoir aucune raison de douter de son existence, ni aucune puissance de refuser son assentiment ; et les choses ne peuvent se passer autrement, à moins que cette représentation d’un cheval ailé ne soit associée à une idée qui exprime qu’un tel cheval n’existe pas ; en d’autres termes, à moins que l’âme ne comprenne que l’idée qu’elle se forme d’un cheval ailé est une idée inadéquate ; et alors elle devra nécessairement nier l’existence de ce cheval ailé, ou la mettre en doute.


hokousai a écrit :Mais on me dit que c 'est par inadvertance ou hasard ( heureux ) et que cela in fine n'a pas de sens autre qu' un heureux hasard.
( je dois dire que Spinoza incline à penser ainsi ...ce qui me choque quelque part )

Il n'y a rigoureusement pas de hasard chez Spinoza... Le hasard n'est qu'un mot mis sur notre ignorance. Mais Spinoza dit bien que, pour la commodité de la vie humaine, en conséquence de cette ignorance, il est préférable de considérer les choses à venir comme contingentes et non comme nécessaires.

En passant, à l'inverse sur l'a posteriori, il y a chez certains auteurs de haute volée (Eric Baret, swami Prajnanpad, par exemple) des affirmations assez surprenantes telles : "ce qui vous arrive est exactement ce dont vous avez besoin" ou "ce qui vous arrive, vous l'avez attiré"... (Mais ce "qui vous arrive" est peut-être en même temps sujet à caution, comme la réalité des "situations" en général ...)

hokousai a écrit :Mais cela serait -il advenu par inadvertance l' affaire est faite, il y a la vie et la conscience dans la nature ...donc du sens, car une conscience qui à tout le moins le cherche (et/ou en donne ).

Oui, ne serait-ce que parce qu'il y a des lois qui enfument la vision de Dieu-Nature, et des lois qui lient le bonheur (entendu dans sa plus haute acception) à cette vision, outre évidemment d'ordonner sans contrainte de "prendre" le bonheur même sans réserve (eudémonisme, immédiatement évident et indiscutable selon moi, comme pour Spinoza, qui omet même de le préciser - de fait car E3P6 et E3P9 ne prouvent pas vraiment la chose - dans la démonstration de E3P12.)
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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar hokousai » 09 mai 2015, 11:02

Sescho a écrit :Si ce qui est en question est une pensée de quelque chose qui n'y entre pas : cheval ailé par exemple et par hypothèse, ce qui est réel c'est cette pensée même, mais rien d'autre.


Non non, je vous parle d'un cheval qui va à droite plutôt qu' à gauche ( un cheval réel ). L'entendement infini pense ce qui est réel (le cheval va à droite par exemple). Il ne pense pas tout le réel possible.

Le mot hasard (disons le concept ) n' a pas pour moi de sens sinon un sens pour la vie quotidienne, mais pas de sens métaphysique.

ll me semble que vous ne voyez pas mon soucis.

Je pars d'Albert Camus: Le mythe de Sisyphe (texte important pour moi simple, très bien écrit, profond et qui a très désobligeamment taxé de philosophie pour classe terminale )

Mon idée( j'y tiens ) est que Spinoza in fine incline à penser que la nature est absurde .( désolé si ça choque les spinozistes ).

Sa critique de la finalité est drastique et toujours reprise en première ligne des commentaires…s'adjoint la critique du libre- arbitre , voila les deux piliers du spinozisme. Des dogmes. Spinoza est connu pour ça.
On a donc l'image d un automatisme aveugle ( un horloger aveugle dirait Dawkins ...et dans la même mouvance Spinoza plait à Antonio Damasio).
Un automatisme qui n'a pas de sens.

Pas de sens signifie que cette Nature là avec ces lois là est pensée comme arbitraire, égale à d'autres possibles.
On n' attribue pas une valeur à cette nature là contre d'autres qui aurait pu exister ( la nature sans la vie par exemple ).
La solution( ce qui est advenu ) n'est pas meilleure que d'autres.( par un heureux hasard il y eut la vie!!! )
La solution n'est pas valorisée mais elle est simplement tenue comme nécessaire ( ceci existe ).

La vie et la conscience ne sont pas tenues telles que SANS elles la Nature n' aurait pas moins de valeur.

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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar sescho » 10 mai 2015, 12:11

hokousai a écrit :L'entendement infini pense ce qui est réel (le cheval va à droite par exemple). Il ne pense pas tout le réel possible.

Si. Selon Spinoza, l'entendement infini recouvre la Nature dans l'intégralité de sa nature. Il est quasiment impossible de s'en faire une idée, puisqu'il n'a quasiment rien à voir avec le nôtre. C'est une unique idée immuable qui est consubstantielle à Dieu-Nature. Au lieu d'être pensé au travers d'une collection de modes plus ou moins statiques, et de mouvements de ceux-ci, il peut l'être en terme d'acte, ici et maintenant, et de toutes les lois de sa nature, etc. Mais on peut dire aussi (toutes ces formulations sont plus ou moins critiquables) que dans l'infinité du temps, qui est la conséquence de l'éternité divine (elle-même n'y étant pas soumise par définition), tout ce qui est possible se produit nécessairement : le cheval va à droite, le même cheval (même essence) va à gauche, tout droit, etc., etc. C'est pourquoi chez Spinoza l'entendement divin ne se distingue pas de sa puissance.

hokousai a écrit :Mon idée( j'y tiens ) est que Spinoza in fine incline à penser que la nature est absurde .( désolé si ça choque les spinozistes ).

La Nature est. Ceci admis elle est neutre prise en elle-même.

Mais, comme ajoutent Desjardins / Prajnanpad : "et c'est cela qui est sacré". Et qui dit "sacré" dit "sens" au plus haut point. Qu'il y ait quelque chose et non pas rien c'est déjà fantastique ! (habitués que nous sommes à voir un début et une fin à tout, il nous est déjà renversant de devoir admettre qu'il n'y a pas de "début" admissible là...)

L'homme n'est pas la Nature, mais de et dans la Nature. Sa capacité à l'erreur et sa capacité à la béatitude sont deux faces d'une même médaille : la conscience d'elle-même que Nature "s'est donnée" est à ce prix, coût et bénéfice.

De là la Valeur (autre nom du sens.) Voir pleinement que tout fait est neutre n'est pas neutre du tout pour l'homme qui le voit intuitivement, directement, mais sacré...

C'est quand on reste au milieu du gué qu'on ne l'accepte pas : le faux-moi qui se croit créateur séparé ne supporte évidemment pas qu'on lui dise à l'inverse qu'il n'est qu'une mécanique réglée pour l'éternité. Il convient donc de poursuivre au-delà de ce premier mouvement, pour participer pleinement, sans se fourvoyer dans la vision en miroir - soit faire du sujet un objet pour lui-même, ce qui est aberrant -, à la marche du monde.
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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar hokousai » 11 mai 2015, 09:40

sescho a écrit :Si. Selon Spinoza, l'entendement infini recouvre la Nature dans l'intégralité de sa nature. Il est quasiment impossible de s'en faire une idée, puisqu'il n'a quasiment rien à voir avec le nôtre.
Certes mais c'est renoncer à toutes propositions sur la nature de Dieu ( ou de la Nature ). On est dans une théologie négative ( Eckhart) tautologique, on ne peut rien dire sinon qu'on ne peut rien en dire.

tout ce qui est possible se produit nécessairement : le cheval va à droite, le même cheval (même essence) va à gauche, tout droit, etc., etc.

J'insiste ( lourdement sans doute ) mais si le cheval, précisément tel cheval, en tel lieu et à tel moment, va à droite, il ne vas pas au même moment à gauche.
Il me semble que vous floutiez le paysage tel qu'il n'y a plus d'événementiel.
Il existe quelque chose plutôt que rien, certes, mais on n'en reste là.

Mon problème est qu'il existe ceci plutôt que cela et non pas l' Etre plutôt que le Néant.
C'est à dire que je penche vers des métaphysiques qui incluent comme problème la différenciation précise du monde. La question du sens ( versus l' absurde ) vient de là.
Il n 'y a effectivement aucun sens exprimé par :pourquoi l'existence plutôt que rien ?.La question est un non- sens.
Mais la question pourquoi il y a- t- il ceci ou cela plutôt qu'autre chose a un sens ( à mon avis ).

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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar sescho » 11 mai 2015, 11:31

hokousai a écrit :... c'est renoncer à toutes propositions sur la nature de Dieu ( ou de la Nature ). On est dans une théologie négative ( Eckhart) tautologique, on ne peut rien dire sinon qu'on ne peut rien en dire.

Je dirais que ce qui est à la fois totalement concret et totalement sûr, et qui justifie le terme de "divin" c'est l'unité de ce qui est, dans EST, (très concrètement encore une fois : il y a un monde de compréhension entre l'Être conçu comme la généralissime des notions générales - cela c'est l'étant, et non pas l'Être - et l'Être perçu directement comme unifiant le concret même. C'est pourquoi aussi que tant qu'on met - de fait sinon en dire a posteriori - les choses particulières en premier, tout est déjà manqué.

En conséquence vient : "rien ne vient de rien" car ce qui s'affirme comme ceci, ne s'affirme pas comme cela, et c'est absolu : l'être est, le non-être n'est pas. Autrement dit, l'être est à lui-même sa propre raison (cause immanente.)

Ce n'est pas rien cela, c'est le moins qu'on puisse dire : Dieu est nécessairement (puisque c'est EST...), un et unifiant tout ce qui se manifeste (sans rien lui retirer d'être, évidemment.)

Après, on ne peut pas déduire les modes d'être de la considération de l'être en général (ce qui est d'ailleurs déjà une erreur de compréhension : de le prendre comme notion générale existant séparément de sa manifestation), c'est évident. Nous sommes par ailleurs très très loin de pouvoir tout connaître avec une infinie précision de l'état global de la Nature à "un instant" donné et des lois du Mouvement, mode d'être universel, et de pouvoir tout prédire à la suite. Même notre perception des objets est variable, non absolue ; lorsque je regarde une feuille au microscope puissant, je vois ce que je ne voyais pas précédemment, et c'est même très différent. Mais en fait je ne vois plus du tout la feuille, à ce moment là, mais autre chose. Notre perception n'est pas "déficiente" pour autant (l'histoire du noumène n'est en fait qu'une extrapolation indue à une précision infinie de l'objectivité à toutes les échelles, qui en fait n'existe tout simplement pas) puisque s'il n'y a pas de révélation du monde, il n'y a pas à proprement de monde (quand bien même Nature est immuable et ne subit donc jamais ni perte, ni ajout.) Donc, suivant un certain angle au moins, la réalité, c'est d'abord ce qu'on voit / perçoit directement, tel-que, point... L'empirisme est là la règle (mais c'était même déjà le cas pour l'Être, en fait : c'est juste que c'est infiniment simple et évident.) La conceptualisation peut néanmoins apporter quelque chose, en apportant en soutien des principes généraux, etc.

hokousai a écrit :J'insiste ( lourdement sans doute ) mais si le cheval, précisément tel cheval, en tel lieu et à tel moment, va à droite, il ne vas pas au même moment à gauche.

Il n'y a ni lieu précis ni temps précis dans l'entendement infini - qui n'est pas du tout le nôtre, encore une fois. Donc dans l'infinité du temps, tel cheval (exactement le même : même essence), parce que son environnement a changé en quelque chose, va à gauche... Pas au même moment sans doute, mais Dieu-Nature n'est pas soumis au temps, donc son supposé Entendement infini non plus... Du problème du Temps et de l’Éternité...

Une façon plus directe de se représenter la chose conceptuellement est, dans une optique matérialiste et donc distordue vers l'objet : il n'y a que la Matière et ses lois, point ! Le temps est une apparence que prend le mouvement pour les modes conscients. (Et l'espace ? Certains de haute volée disent qu'on ne peut pas parcourir l'espace sans en prendre le temps...)

hokousai a écrit :Mon problème est qu'il existe ceci plutôt que cela et non pas l' Etre plutôt que le Néant.
C'est à dire que je penche vers des métaphysiques qui incluent comme problème la différenciation précise du monde. La question du sens ( versus l' absurde ) vient de là.
Il n 'y a effectivement aucun sens exprimé par :pourquoi l'existence plutôt que rien ?.La question est un non- sens.
Mais la question pourquoi il y a- t- il ceci ou cela plutôt qu'autre chose a un sens ( à mon avis ).

La "considération" (perception immédiate) de l'être - bien concret encore une fois - ne nie rien du tout de la Nature : elle en affirme l'unité. Il existe ceci plutôt que cela en général, et SURTOUT (là au moins Spinoza a bien raison : le général c'est l'imagination...) ceci maintenant : très bien ! Voyons ce que c'est... (car dans l'existence, cela se découvre dans un esprit d'ouverture totale à ce qui advient : tout le contraire d'un truc prédéterminé en tout, en fait...) Où est le problème ?

La question n'a pour moi absolument aucun sens, au contraire. La bonne réponse c'est "parce que". Voire elle nie implicitement l'Être qui s'impose très concrètement, comme ceci, cela, ... de soi, soit Dieu-Nature, sens ultime chez Spinoza... Elle est donc bien dans le sujet, en revanche...

Le sens (de même que, et conjointement avec, la souffrance psychologique et la Béatitude ou Amour) ne vient qu'avec le mode conscient. Et une composante majeure, pour le moins, c'est que les faits sont neutres pris en eux-même, car c'est cela qui est sacré...
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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar hokousai » 11 mai 2015, 12:20

C'est pourquoi aussi que tant qu'on met - de fait sinon en dire a posteriori - les choses particulières en premier, tout est déjà manqué.


Je dis que ce sont elles qui posent problème ... Heidegger prétend lui que l' Etre pose problème et qu'on a oublié la question de l' Etre. Vous vous différenciez d' Heidegger en ce que pour vous l' Etre ne pose pas problème. Pour Spinoza il n'en pose pas.
...............................
Il n'y a ni lieu précis ni temps précis dans l'entendement infini - qui n'est pas du tout le nôtre, encore une fois. Donc dans l'infinité du temps, tel cheval (exactement le même : même essence), parce que son environnement a changé en quelque chose, va à gauche... Pas au même moment sans doute, mais Dieu-Nature n'est pas soumis au temps, donc son supposé Entendement infini non plus...

Ce n'est pas du tout mon problème .
Si je suis éternaliste , il reste que certains faits/événements sont (éternellement) et d'autres pas.
..................................
c'est que les faits sont neutres pris en eux-mêmes,


Pour moi non, les faits ne sont pas neutres ... du fait qu'il existe dans la nature une conscience ( celle des sujets conscients ) qui les différencie. Donner du sens ce ne peut être égal à ne pas en donner ( égalité qui serait la neutralité)
Il existe (au moins un) un fait dans la nature qui n'est pas neutre et qui est la valorisation.( en général ...ou donner du sens ), ce qui se voit très bien dans les volitions ( choisir selon la valeur ou le sens )
On ne choisit pas l' absurde mais ce qui a du sens ...on est très loin d être neutre.

Et on ne peut extraire de la Nature cette partie de la Nature.

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sescho
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Re: "Dieu miséricordieux"

Messagepar sescho » 11 mai 2015, 14:08

hokousai a écrit :Heidegger prétend lui que l' Etre pose problème et qu'on a oublié la question de l' Etre. Vous vous différenciez d' Heidegger en ce que pour vous l' Etre ne pose pas problème. Pour Spinoza il n'en pose pas.

Je connais très mal Heidegger, donc je ne commente pas sa position. Je sais que chez lui il y a l'Être et l'étant, et/dont le "dasein" : l'être-là qui se pose en tant qu'acte, et pas en tant qu'objet : le sujet. Sauf erreur... L'étant c'est la notion généralissime que conteste Spinoza dans E2P40S1-2, au contraire de l'Être ou Dieu-Nature, révélé empiriquement mais assurément en toute simplicité, dans toute sa manifestation.

hokousai a écrit :Si je suis éternaliste , il reste que certains faits/événements sont (éternellement) et d'autres pas.

Certes. Sinon il n'y aurait pas d'Être du tout, puisque pour qu'il y en ait, il faut qu'il y ait quelque chose - déterminé, donc - et non pas rien... et pour qu'il y ait quelque chose il faut qu'il y ait une raison à ce quelque chose, raison / détermination qui n'est pas à chercher en-dehors de la pure et simple constatation qu'il-y-a... La détermination, et donc l'être-ceci et l'être-cela, est indissociable de l'Être. Lavelle dit que tout premier terme est forcément circulaire (forcément, sinon ce n'est pas un premier terme...) J'ajoute que la Substance (qui contient indissociablement ses modes chez Spinoza) est un nom pour cette circularité.

hokousai a écrit :
c'est que les faits sont neutres pris en eux-mêmes,


Pour moi non, les faits ne sont pas neutres ... du fait qu'il existe dans la nature une conscience ( celle des sujets conscients ) qui les différencie. Donner du sens ce ne peut être égal à ne pas en donner ( égalité qui serait la neutralité)

J'ai bien précisé "pris en eux-mêmes", et pas comme socle d'une intention. J'entends bien que lorsqu'il y a décision d'un sujet, il va choisir - sauf à être contraint extérieurement ou intérieurement par l'imagination à l'inverse - de se nourrir plutôt que de mourir de faim, par exemple. Ce qui relie la valeur à la volonté d'un sujet, mais pas aux faits proprement dits. En revanche, je ne vois pas quelle valeur il y aurait à nier un fait patent, bien au contraire. Note : je suppose bien admis qu'un fait comparé à une imagination de fait contraire, étant imaginaire, ne change rien à l'affaire. Le bien et le mal réels, tels que ressentis donc, sont la joie et la tristesse même (ce qui n'empêche pas la pire des passions, l'Orgueil, d'être une joie...) - ceci ne supposant pas leurs causes identifiées.

La valeur est dans l'intention, pas dans le fait. Et l'intention n'est pas à proprement parler un fait (donné), mais un acte. La valeur est par contre assurément dans l'acceptation pleine et entière de tout fait patent (ce qui ne veut pas dire "approbation", dans le sens où il serait considéré sain de le laisser perdurer alors qu'on peut agir, sans contrepartie de même importance ou supérieure, à l'inverse.)

hokousai a écrit :Il existe (au moins un) un fait dans la nature qui n'est pas neutre et qui est la valorisation.( en général ...ou donner du sens ), ce qui se voit très bien dans les volitions ( choisir selon la valeur ou le sens )
On ne choisit pas l' absurde mais ce qui a du sens ...on est très loin d être neutre.

Et on ne peut extraire de la Nature cette partie de la Nature.

On choisit suivant ce qu'on croit être la valeur seulement. Le fait s'impose ensuite par soi et est seulement constaté. Seul le sage accompli agit spontanément, sans aucun choix - ou presque, tellement il est immédiat, en accord avec la valeur vraie - et donc immédiatement accompagné d'effet positif. Mais il est bien de la nature de la Nature, neutre prise en elle-même du point de vue de la valeur, de donner un sens aux modes conscients, savoir bonheur/malheur, dirais-je...

On peut peut-être dire aussi que la volonté du mode conscient n'est pas neutre, mais que l'existence même de cette volonté l'est (au-delà de ce qu'exister n'est précisément pas rien...) Bref, la volonté est déterminée à vouloir, et à nouveau : ce qui est EST, et cela est neutre (en terme de valeur) pris en soi.
Connais-toi toi-même.


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