Louisa a écrit :
D'où ma question à Faun, Miam et Hokousai: quel est selon vous le sens et l'utilité de toute la suite de la démo? Et d'autre part, en quoi le fait de rappeler qu'une chose infinie ou susceptible de l'être ne peut pas être finie peut-il PROUVER la vérité de la PROPOSITION, qui prétend quelque chose de tout à fait différent, qu'il existent des modes infinis, et qui énonce en plus leur condition d'existence (suivre de la nature absolue d'un attribut)?
Je vais tenter de reprendre le fil de la démonstration pas à pas, et pour ce faire je prend la traduction de B. Pautrat :
Proposition XXI
Tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu a dû exister toujours et être infini, autrement dit est, par cet attribut, éternel et infini.
Démonstration
Conçois, si c'est possible (et au cas où tu le nierais), que dans un attribut de Dieu il suive de sa nature absolue quelque chose de fini, et ayant une existence ou durée déterminée, par ex. l'idée de Dieu dans la pensée.
Spinoza part de l'hypothèse que Dieu est absolument infini, et qu'il consiste en une substance constituée d'une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie (définition 6 partie 1), et proposition 11 il démontre que Dieu existe nécessairement, autrement dit éternellement. Par conséquent il en déduit que "Dieu, autrement dit tous les attributs de Dieu sont éternels" proposition 19. Par suite considérer un attribut de Dieu de manière absolue n'est rien d'autre que le concevoir en tant qu'il existe nécessairement, c'est à dire en tant qu'il est éternel et infini (proposition 23, démonstration).
On a donc un premier degré qui est Dieu ou la substance, et qui est éternel et infini, et qui existe nécessairement par la proposition 11.
On a ensuite un second degré qui est constitué par l'infinité des attributs et qui sont également éternels et infinis par la proposition 19.
On suppose que d'un attribut de Dieu, suive au troisième degré quelque chose, et l'on se pose la question de savoir si cette chose est éternelle et infinie, ou bien non.
Spinoza prend cette dernière hypothèse, à savoir que ce qui suit d'un attribut de Dieu en tant qu'il est éternel et infini est fini et possède une durée également finie.
or la pensée, puisqu'on la suppose un attribut de Dieu, est nécessairement (par la prop.11) de sa nature infinie.
Seconde hypothèse : la pensée est un attribut de Dieu.
La seule définition 6 ne suffit pas à prouver que la pensée, si elle est un attribut de Dieu, est infinie, puisqu'en tant que telle on ne sait pas encore si elle existe ou n'existe pas. Or Spinoza a besoin de l'existence nécessaire de Dieu afin d'en déduire la nécessité de l'infinité et de l'éternité de ses attributs, qui expriment son essence. D'où la référence à la proposition 11.
mais, en tant qu'elle a l'idée de Dieu, on la suppose finie.
Rappel de l'hypothèse, à laquelle Spinoza ajoute que si l'idée de Dieu est finie, alors la pensée qui la contient est finie également. Il y a là comme une petite difficulté, qui peut se résoudre par le rappel de l'axiome 4 :"la connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause et l'enveloppe". D'autre part, par le corollaire 2 proposition 14 : "la chose étendue et la chose pensante sont ou bien des attributs de Dieu, ou bien (par l'axiome 1) des affections de attributs de Dieu."
Par suite la pensée, en tant qu'elle contient l'idée de Dieu, est, si l'idée de Dieu est une chose finie, une modification finie d'un attribut de Dieu.
Or (par la définition 2) elle ne peut se concevoir comme finie que si elle est bornée par la pensée elle-même.
Définition 2 : "Est dite finie en son genre, la chose qui peut être bornée par une autre de même nature. Par exemple, un corps est dit fini, parceque nous en concevons toujours un autre plus grand. De même, une pensée est bornée par une autre pensée. Mais un corps n'est pas borné par la pensée, ni une pensée par un corps."
Donc la pensée, en tant qu'elle contient l'idée de Dieu, puisqu'on la suppose une chose finie, doit être bornée par, c'est à dire contenue dans, une chose plus grande, c'est à dire une autre pensée, ou une autre idée.
Mais non par la pensée en tant qu'elle constitue l'idée de Dieu, car en tant que telle on la suppose finie [...]
On a donc une chose finie, la pensée, qui contient, ou bien d'où suit l'idée de Dieu, et une autre chose, finie ou infinie, mais en tous cas plus grande que la première, qui est également une pensée mais qui ne contient pas l'idée de Dieu, ou bien dont ne suit pas l'idée de Dieu.
[...]c'est donc par la pensée en tant qu'elle ne constitue pas l'idée de Dieu, laquelle pourtant (par la proposition 11) doit exister nécessairement[...]
Or la pensée est supposée être un attribut de Dieu. Donc, par la proposition 11, si elle est un attribut de Dieu, alors elle existe absolument, c'est à dire nécessairement, comme éternelle et comme infinie.
[...]il y a donc une pensée qui ne constitue pas l'idée de Dieu, et c'est pourquoi de sa nature, en tant qu'elle est pensée absolue, ne suit pas nécessairement l'idée de Dieu.
Ici la pensée dont on parle est celle qui borne la pensée finie, et qui est infinie, puisqu'elle est un attribut de Dieu. Et pourtant d'elle, qui est la pensée infinie, ne suit pas l'idée de Dieu, tandis que l'idée de Dieu suit (dans l'hypothèse) d'une pensée finie.
(On la conçoit en effet comme constituant et ne constituant pas l'idée de Dieu)
Donc en tant qu'elle est une pensée limitée, d'elle suit l'idée de Dieu, et en tant qu'elle est pensée illimitée, il ne suit pas d'elle l'idée de Dieu. Et donc de la pensée, soit en partie soit absolument, suit et ne suit pas l'idée de Dieu.
ce qui est contre l'hypothèse
Ici l'hypothèse est que de la nature absolue d'un attribut de Dieu suit une idée de Dieu finie et ayant une existence déterminée. Or la démonstration vient de montrer que cette idée de Dieu, si elle est finie, doit suivre de la pensée en tant qu'elle est finie, c'est à dire en tant qu'elle est bornée par la pensée infinie, et non de la pensée infinie elle-même, c'est à dire de la pensée considéré absolument.
Et donc une idée de chose finie suit d'une autre idée de chose finie, et une idée infinie suit d'une idée d'une autre chose infinie, et plus généralement d'une chose finie et déterminée suit une autre chose finie et déterminée, et d'une chose infinie suit nécessairement une autre chose infinie.
CQFD.