Démonstration de Ethique I 21 : des modes infinis

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Faun
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Messagepar Faun » 26 mars 2007, 10:37

Comme exemple d'autre mode infini qui suit nécessairement de la nature absolue de Dieu, ou d'un attribut de Dieu, ou d'une modification éternelle et infinie d'un attribut de Dieu, je pense qu'on peut citer l'Amour, et plus précisément l'Amour intellectuel de Dieu pour lui même, qui comme l'indique la proposition 35 est également infini. Et cet amour doit se rattacher à l'idée de Dieu comme à sa cause, par la proposition 22 partie 1. En effet l'amour infini de Dieu est la conséquence nécessaire de l'idée de Dieu, qui elle-même est la conséquence nécessaire de la nature de Dieu.
Dans l'attribut étendue les deux modes infinis qui en suivent nécessairement sont sans doute le repos et le mouvement, dont Spinoza précise que leur rapport est constant dans tout l'univers. (voir lemme 2 partie 2)

La proposition 23 explique en peu de mots en quoi consiste considérer un attribut de Dieu de manière absolue :

"Si donc un mode est conçu comme nécessaire et infini, ce ne peut être que par son rapport à quelque attribut de Dieu, en tant que cet attribut lui-même exprime l'infinité et la nécessité ou (ce qui est la même chose par la Déf. 8) l'éternité de l'existence, en d'autres termes (par la Déf. 6 et la Propos. 19), en tant que cet attribut est considéré d'une manière absolue."

D'autre part le genre de connaissance utilisé par Spinoza dans la proposition 21 partie 1 semble bien être d'abord le troisième, car :"Celui-ci va de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l'essence des choses. " (scholie 2 proposition 40 partie 2)
La démonstration n'est là que pour appuyer, par les moyens du raisonnement, cette intuition fondamentale qui va de la nécessité de l'existence de Dieu à la nécessité de l'existence de l'idée de Dieu, puis à la nécessité de l'amour intellectuel de Dieu pour lui-même.

ok, je veux bien, mais est-ce que tu crois que l'on peut utiliser ces significations, qu'il ne nous donne que par après, déjà dans la démo de la I 21? Ne faut-il pas supposer que jusque-là, on ne sait pas trop ce que cela veut dire, 'suivre de la nature absolue d'un attribut'?


Je ne pense pas qu'on puisse comprendre la pensée de Spinoza si on ne recoupe pas sans cesse les idées qui sont contenues dans toutes les parties de l'Ethique, et aussi celles du traité de l'amendement de l'intellect, et les lettres, ouvrages qui traitent des mêmes sujets. Et la raison qui fait que Spinoza prend pour exemple l'idée de Dieu dans la proposition 21 partie 1 ne s'explique que si on considère le livre 5 et le but que Spinoza se propose, dans l'introduction à la deuxième partie.

"Ici les lecteurs vont, sans aucun doute, être arrêtés, et il leur viendra en la mémoire mille choses qui les empêcheront d'avancer ; c'est pourquoi je les prie de poursuivre lentement avec moi leur chemin, et de suspendre leur jugement jusqu'à ce qu'ils aient tout lu." (scholie proposition 11 partie 2)

De plus, on apprend seulement dans la cinquième partie de l'Ethique que outre les modes infinis et éternels, il existe également des modes finis mais qui sont eux aussi éternels, comme les esprits humains en tant qu'ils sont composés d'idées adéquates, et qui suivent les uns des autres comme dans la proposition 28 partie 1.
Modifié en dernier par Faun le 26 mars 2007, 21:41, modifié 4 fois.

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Messagepar Faun » 26 mars 2007, 11:00

J'ajoute que la structure de l'Ethique, si elle est présenté sous la forme classique d'un livre, est en réalité bien plus proche d'un réseau à n dimensions, dont tous les points communiquent les uns avec les autres, que d'une ligne dont les propositions, ou points, se suivent les unes les autres, même si on imagine cette ligne se divisant en différentes branches comme un fleuve à partir d'une source. Il y a bien un centre à cette structure, qui est précisément Dieu, ou l'idée de Dieu, mais dont toutes les idées rayonnent et auquel toutes sont liées, à l'imitation de la toile de l'araignée.

Image

D'où la necessité, si on veut comprendre cette oeuvre et sa structure, de ne pas se contenter de suivre les idées selon l'ordre mathématique, mais de construire la strucure selon son vrai plan, qui peut se représenter en première analyse comme cinq cercles concentriques reliés entre eux par des lignes, dont les intersections sont les propositions. Toile d'araignée, réseau, et non arbre.

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Messagepar hokousai » 26 mars 2007, 17:16

à Miam



Parce que je n ai guère de temps disponible je n’ai pas lu tout ce que vous avez écrit sur ce fil . (désolé )

Vous m’imputerez très injustement de tenir de la scolastique médiévale . Je connais la scolastique médiévale de première main mais je ne suis pas aristotélicien .

Car Je suis tombé un peu par hasard là dessus
3. La référence à I 11 sert à montrer que la pensée (l'attribut pensée) est infinie. Pas l'idée de Dieu comme le croit Hokusaï et sa vulgate scolastique. Sans quoi Spinoza aurait fait une pétition de principe.


Bien évidemment NON
la prop 11 est requise pour rappeler que l’idée de Dieu doit exister nécessairement .
La prop 11ne montre pas du tout que la pensée est infinie

Que la pensée est de sa nature infinie ce n'est pas la pro 11 qui le montre car le texte de 1/ 21 redit que la pensée puisqu’on la suppose un attribut de Dieu est nécessairement de sa nature infinie
il n y a pas à recourir à pro 11

Quand je vois faire un tel [b]contresens[/] sur la référence à prop 11dans prop21 je n ‘ai pas envi d’en lire plus de ce que dit miam quand il se fait plaisir à jargonner .

Essayer de le dire brièvement . Je peux faire erreur , certes , mais Guéroult ni Macherey eux même (paraît-il )ne s’y sont pas risqué .
Ils ont préfèré de courtes paraphrases , je veux bien.
Mais tant qu à faire, tant qu à s’y risquer, trois grammes d’erreurs seront toujours plus digestes que trois tonnes de délayage .

hokousai

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Louisa
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Messagepar Louisa » 26 mars 2007, 17:58

Faun a écrit :J'ajoute que la structure de l'Ethique, si elle est présenté sous la forme classique d'un livre, est en réalité bien plus proche d'un réseau à n dimensions, dont tous les points communiquent les uns avec les autres, que d'une ligne dont les propositions, ou points, se suivent les unes les autres, même si on imagine cette ligne se divisant en différentes branches comme un fleuve à partir d'une source. Il y a bien un centre à cette structure, qui est précisément Dieu, ou l'idée de Dieu, mais dont toutes les idées rayonnent et auquel toutes sont liées, à l'imitation de la toile de l'araignée.


on peut en effet accentuer l'unité fondamentale de l'Ethique, et je suis tout à fait certaine que bien comprendre le début, dans toutes ses implications, nécessite d'avoir lu la fin. Mais le titre même du livre contient le 'more geometrico', et si le troisième genre de connaissance nous donne à connaître par intuition et immédiatement, il est manifeste que le LIVRE de l'Ethique, en tant que tel, relève du deuxième genre, c'est-à-dire de la raison. Or il est propre à la raison d'être 'médiate', et donc d'avoir besoin d'arguments convaincants, de mouvements déductifs parfaits, de conclusions qui suivent de manière nécessaire des prémisses. Si Spinoza y prétend conduire son lecteur 'par la main', c'est précisément parce qu'il croit, à mon sens, avoir trouvé une méthode et un chemin permettant à ceux qui n'ont pas encore atteint le troisième genre de connaissance, d'y arriver un jour. Cette méthode n'est pas du tout intuitive, il me semble, mais déductive.

Et alors chaque démonstration doit tenir non pas en soi mais en se basant sur ses articulations purement logiques et en ce qui a déjà été prouvé. On peut toujours objecter que ceci n'est qu'un idéal, que même pour les Eléments d'Euclide il est possible de trouver des choses cruciales pour la vérité de la conclusion et qui ne sont ni dans les définitions et axiomes, ni dans les propositions précédentes. Mais il s'agit là d'exceptions. Si donc Spinoza affirme si clairement qu'il veut construire une éthique dans le style de la géométrie, il me semble qu'en principe, le lecteur peut EXIGER de lui que la progression du livre respecte ce à quoi oblige une méthode déductive.

C'est pourquoi il me semble absolument nécessaire de pouvoir reconstruire, en tant que lecteur, le mouvement de chaque raisonnement démonstratif. Et dans le cas où éventuellement, il faudrait supposer que l'endroit où Spinoza demande de d'abord continuer la lecture avant de juger une démonstration obscure, n'a rien de spécifique et que cette demande vaut partout ailleurs aussi, toujours est-il qu'à mon avis on ne respecte pas l'objectif même de l'oeuvre si on ne réussit pas à expliciter les démonstrations dans leur mouvement logique.

Cela implique que si pe vous trouvez que l'exemple donné dans la démo de I 21 doit être un exemple d'un mode infini (ou 'susceptible d'être infini', comme le dit Miam), il faut pouvoir expliciter tout le raisonnement de la démo en tenant compte de cela. Il ne suffit pas de ressentir vaguement que certaines phrases tiennent la route en pensant déjà à un exemple de mode infini, pour négliger ensuite les autres, qui restent incompréhensibles, car cela détruit l'idée même d'une 'demonstratio', mot qui revient constamment dans l'Ethique. Il faudrait alors remplacer partout 'demonstratio' par 'intuitio'.

J'ai donc deux problèmes fondamentaux avec les interprétations de Faun, de Miam et de Hokousai (mais j'y ajoute que j'ai des difficultés à comprendre le raisonnement de Hokousai, donc je sais qu'il est possible que pour l'instant je l'interprète mal):
1) vous n'explicitez pas le sens de chaque phrase de la démo en partant de l'idée que l'exemple donné est un exemple de mode infini. Dès lors, on ne voit pas comment votre exemple puisse réellement s'insérer dans la démo.
2) je viens de montrer qu'en prenant un exemple de mode fini, déjà purement formellement on est obligé de déduire de la démo la vérité de la proposition. Or pour l'instant, je n'ai pas encore vu d'argument contre ce que j'ai écrit là-dessus.

Conclusion: il me semble que dans ce cas-ci, comprendre la démo de manière à ce qu'elle prouve effectivement la vérité de ce qu'elle doit prouver, est non pas aisé mais néanmoins possible, et cela en prenant un exemple de mode fini. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait remplacer cet exemple par un exemple de mode infini, car cela détruit pour moi toute la force de la démo, sans qu'apparemment ceux qui le proposent réussissent à la reconduire dans ses détails.

La seule objection que l'on puisse faire, il me semble, à l'idée de supposer un mode fini dans l'exemple, c'est le fait qu'ici Spinoza a tout de même pris l'idée de Dieu comme exemple, et pas l'idée d'un chat. C'est pourquoi cela aurait peut-être été plus intéressant encore de non pas refaire la démo en prenant un chat comme exemple, comme l'a fait Pourquoipas, mais l'IDEE d'un chat. Car là, on remplacerait l'idée de quelque chose d'infini par l'idée de quelque chose de fini. Mais d'abord, est-ce que l'IDEE de Dieu est, en tant qu'idée, infinie? Spinoza dit certes plus tard que notre Esprit a nécessairement une idée de l'essence de Dieu. Mais je ne vois nulle part un endroit où il dit que cette idée-là, dans notre Esprit, est elle-même infinie. Il dit seulement qu'en tant que nous avons cette idée, notre Esprit est éternel, ce qui n'est pas la même chose, bien sûr. Et notre Corps est bien composé d'une infinité d'individus, mais l'Esprit n'a pas une idée de chacun, il a seulement une idée de ce qui nous affecte.
Faudrait-il dire que l'idée de quelque chose d'infinie est 'susceptible' d'être elle-même infinie? Je ne vois pas pourquoi.
On pourrait toujours dire qu'en fait, on ne sait pas très bien s'il s'agit ici de l'idée de Dieu telle que Dieu l'a de lui-même, ou de l'idée de Dieu dans l'Esprit d'un homme. Et que donc Spinoza veut laisser ouvert la possibilité des deux (ce serait ça alors, le 'susceptible de' de Miam). Mais dans ce cas, la démo devrait être censé prouver l'infinité de l'idée de Dieu, je suppose? C'est-à-dire elle nous permettrait, à la fin, de trancher: l'exemple dont il s'agissait au début est bien l'idée que Dieu a de lui-même, et non pas ma petite idée à moi de Dieu. Mais d'une part prouver qu'il existe une idée de Dieu qui est elle-même infinie, ne prouve pas du tout la proposition, qui dit que TOUT ce qui suit de la nature absolue d'un attribut est infini. D'autre part il me semble que si l'on croit que le but de la démo serait d'aboutir à l'existence d'une idée de Dieu qui est infinie, un deuxième problème majeur surgit.

Ce problème, c'est qu'en tout cas, dès que vous travaillez avec un exemple susceptible d'être infini ou étant infini, vous réduisez toute la démo à une tentative de prouver l'impossibilité d'avoir quelque chose dont on sait qu'elle est infinie ou susceptible de, et qui serait en même temps fini. Mais pour moi, si vous supposez cela, il suffit de la première phrase pour comprendre l'impossibilité de cela ... !

Conçois, si c'est possible (et au cas où tu le nierais), que dans un attribut de Dieu il suive de sa nature absolue quelque chose de fini (...), pe l'idée de Dieu dans la pensée.

Dès que vous croyez qu'il s'agisse ici d'une chose infini ou susceptible de l'être, vous avez une demande entièrement impossible. En effet, Spinoza demanderait à son lecteur d'essayer de concevoir quelque chose d'infinie qui serait en même temps finie. Est-ce possible? Non. Point à la ligne. Tout simplement. On n'a plus du tout besoin du reste de la démo pour lui accorder cela. Un enfant de dix ans nous le confirmera déjà. On n'a plus besoin de trouver quelque chose qui est contre l'hypothèse, car déjà à la simple lecture de celle-ci on constate qu'elle non pas mène nécessairement à sa propre contradiction (reductio ad absurdum), mais qu'elle EST tout simplement contradictoire en tant que telle.

D'où ma question à Faun, Miam et Hokousai: quel est selon vous le sens et l'utilité de toute la suite de la démo? Et d'autre part, en quoi le fait de rappeler qu'une chose infinie ou susceptible de l'être ne peut pas être finie peut-il PROUVER la vérité de la PROPOSITION, qui prétend quelque chose de tout à fait différent, qu'il existent des modes infinis, et qui énonce en plus leur condition d'existence (suivre de la nature absolue d'un attribut)?
Bien cordialement,
Louisa

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Messagepar Louisa » 26 mars 2007, 19:22

PS: tentative d'adapter mon message précédent à ceux qui préfèrent la brièveté ... :

- la proposition nous dit que tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut doit forcément être infini.
- la démo, à mon sens, propose d'essayer de concevoir l'inverse: que quelque chose pourrait être finie et néanmoins suivre de la nature absolue d'un attribut (= l'hypothèse dont il est question plus loin dans la démo, hypothèse absurde selon Spinoza, mais ce ne sera que quand il a montré cette absurdité que nous pourrons être convaincus de la vérité de l'inverse, c'est-à-dire de la proposition elle-même).
- pour ce faire, la démo prend un exemple de quelque chose de fini (une idée singulière, comme l'idée de Dieu)
- ensuite, elle ne va pas montrer que cette chose en réalité est infinie. Elle va juste déduire de différents énoncés à partir de cette hypothèse, de telle sorte qu'à un certain moment, on constate qu'un de ces énoncés est nécessairement vrai (que l'attribut x en tant qu'il est infini ne constitue pas un mode fini), tandis qu'il contredit un autre de ces énoncés également nécessairement vrai (que le même attribut x en tant qu'il est fini constitue bel et bien ce même mode fini).
- si une seule et même hypothèse mène nécessairement aussi bien à p qu'à non p (x constitue le mode fini y, et x ne le constitue pas), c'est que l'hypothèse elle-même est absurde.
- conclusion: il n'est pas possible qu'en même temps une chose suit de la nature absolue de Dieu, et est finie. CQFD

Je demande seulement à ceux qui voient dans l'exemple quelque chose d'infinie ou quelque chose susceptible d'être infinie, de me montrer en quoi consiste alors la structure de la démo. Car à partir de ce moment-là, la structure telle que je la vois maintenant s'effondre, et donc je ne vois plus quels sont les arguments qui prouvent la vérité de la proposition.
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Messagepar Faun » 26 mars 2007, 21:41

Louisa a écrit :
D'où ma question à Faun, Miam et Hokousai: quel est selon vous le sens et l'utilité de toute la suite de la démo? Et d'autre part, en quoi le fait de rappeler qu'une chose infinie ou susceptible de l'être ne peut pas être finie peut-il PROUVER la vérité de la PROPOSITION, qui prétend quelque chose de tout à fait différent, qu'il existent des modes infinis, et qui énonce en plus leur condition d'existence (suivre de la nature absolue d'un attribut)?


Je vais tenter de reprendre le fil de la démonstration pas à pas, et pour ce faire je prend la traduction de B. Pautrat :

Proposition XXI

Tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu a dû exister toujours et être infini, autrement dit est, par cet attribut, éternel et infini.

Démonstration

Conçois, si c'est possible (et au cas où tu le nierais), que dans un attribut de Dieu il suive de sa nature absolue quelque chose de fini, et ayant une existence ou durée déterminée, par ex. l'idée de Dieu dans la pensée.


Spinoza part de l'hypothèse que Dieu est absolument infini, et qu'il consiste en une substance constituée d'une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie (définition 6 partie 1), et proposition 11 il démontre que Dieu existe nécessairement, autrement dit éternellement. Par conséquent il en déduit que "Dieu, autrement dit tous les attributs de Dieu sont éternels" proposition 19. Par suite considérer un attribut de Dieu de manière absolue n'est rien d'autre que le concevoir en tant qu'il existe nécessairement, c'est à dire en tant qu'il est éternel et infini (proposition 23, démonstration).
On a donc un premier degré qui est Dieu ou la substance, et qui est éternel et infini, et qui existe nécessairement par la proposition 11.
On a ensuite un second degré qui est constitué par l'infinité des attributs et qui sont également éternels et infinis par la proposition 19.
On suppose que d'un attribut de Dieu, suive au troisième degré quelque chose, et l'on se pose la question de savoir si cette chose est éternelle et infinie, ou bien non.
Spinoza prend cette dernière hypothèse, à savoir que ce qui suit d'un attribut de Dieu en tant qu'il est éternel et infini est fini et possède une durée également finie.

or la pensée, puisqu'on la suppose un attribut de Dieu, est nécessairement (par la prop.11) de sa nature infinie.


Seconde hypothèse : la pensée est un attribut de Dieu.

La seule définition 6 ne suffit pas à prouver que la pensée, si elle est un attribut de Dieu, est infinie, puisqu'en tant que telle on ne sait pas encore si elle existe ou n'existe pas. Or Spinoza a besoin de l'existence nécessaire de Dieu afin d'en déduire la nécessité de l'infinité et de l'éternité de ses attributs, qui expriment son essence. D'où la référence à la proposition 11.

mais, en tant qu'elle a l'idée de Dieu, on la suppose finie.


Rappel de l'hypothèse, à laquelle Spinoza ajoute que si l'idée de Dieu est finie, alors la pensée qui la contient est finie également. Il y a là comme une petite difficulté, qui peut se résoudre par le rappel de l'axiome 4 :"la connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause et l'enveloppe". D'autre part, par le corollaire 2 proposition 14 : "la chose étendue et la chose pensante sont ou bien des attributs de Dieu, ou bien (par l'axiome 1) des affections de attributs de Dieu."
Par suite la pensée, en tant qu'elle contient l'idée de Dieu, est, si l'idée de Dieu est une chose finie, une modification finie d'un attribut de Dieu.

Or (par la définition 2) elle ne peut se concevoir comme finie que si elle est bornée par la pensée elle-même.


Définition 2 : "Est dite finie en son genre, la chose qui peut être bornée par une autre de même nature. Par exemple, un corps est dit fini, parceque nous en concevons toujours un autre plus grand. De même, une pensée est bornée par une autre pensée. Mais un corps n'est pas borné par la pensée, ni une pensée par un corps."

Donc la pensée, en tant qu'elle contient l'idée de Dieu, puisqu'on la suppose une chose finie, doit être bornée par, c'est à dire contenue dans, une chose plus grande, c'est à dire une autre pensée, ou une autre idée.

Mais non par la pensée en tant qu'elle constitue l'idée de Dieu, car en tant que telle on la suppose finie [...]


On a donc une chose finie, la pensée, qui contient, ou bien d'où suit l'idée de Dieu, et une autre chose, finie ou infinie, mais en tous cas plus grande que la première, qui est également une pensée mais qui ne contient pas l'idée de Dieu, ou bien dont ne suit pas l'idée de Dieu.

[...]c'est donc par la pensée en tant qu'elle ne constitue pas l'idée de Dieu, laquelle pourtant (par la proposition 11) doit exister nécessairement[...]


Or la pensée est supposée être un attribut de Dieu. Donc, par la proposition 11, si elle est un attribut de Dieu, alors elle existe absolument, c'est à dire nécessairement, comme éternelle et comme infinie.

[...]il y a donc une pensée qui ne constitue pas l'idée de Dieu, et c'est pourquoi de sa nature, en tant qu'elle est pensée absolue, ne suit pas nécessairement l'idée de Dieu.


Ici la pensée dont on parle est celle qui borne la pensée finie, et qui est infinie, puisqu'elle est un attribut de Dieu. Et pourtant d'elle, qui est la pensée infinie, ne suit pas l'idée de Dieu, tandis que l'idée de Dieu suit (dans l'hypothèse) d'une pensée finie.

(On la conçoit en effet comme constituant et ne constituant pas l'idée de Dieu)


Donc en tant qu'elle est une pensée limitée, d'elle suit l'idée de Dieu, et en tant qu'elle est pensée illimitée, il ne suit pas d'elle l'idée de Dieu. Et donc de la pensée, soit en partie soit absolument, suit et ne suit pas l'idée de Dieu.

ce qui est contre l'hypothèse


Ici l'hypothèse est que de la nature absolue d'un attribut de Dieu suit une idée de Dieu finie et ayant une existence déterminée. Or la démonstration vient de montrer que cette idée de Dieu, si elle est finie, doit suivre de la pensée en tant qu'elle est finie, c'est à dire en tant qu'elle est bornée par la pensée infinie, et non de la pensée infinie elle-même, c'est à dire de la pensée considéré absolument.

Et donc une idée de chose finie suit d'une autre idée de chose finie, et une idée infinie suit d'une idée d'une autre chose infinie, et plus généralement d'une chose finie et déterminée suit une autre chose finie et déterminée, et d'une chose infinie suit nécessairement une autre chose infinie.

CQFD.
Modifié en dernier par Faun le 26 mars 2007, 23:22, modifié 2 fois.

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Messagepar Louisa » 26 mars 2007, 22:12

:?:
PPS: en relisant le début de la deuxième partie de la démo, j'ai l'impression que les choses sont peut-être tout de même un peu plus compliquées que ce qu'on vient de dire.

Car même si la structure du raisonnement me semble être entièrement la même (réduction à l'absurde de la 2e partie de l'hypothèse énoncée au début de la 1e partie), Spinoza prend soin ici de bien distinguer les deux parties de l'hypothèse avec laquelle ouvre cette 2e partie de la démo. Et il dit d'abord qu'il faut supposer qu'une chose qui suit de la nécessité de la nature d'un attribut de Dieu, se trouve dans un attribut de Dieu. Exemple de cela: l'idée de Dieu dans la pensée.

Ce qui est remarquable, c'est que ce qu'il faut supposer, c'est le fait qu'une chose, qui suit de la nécessité de la nature d'un attribut, se trouve dans un attribut de Dieu. Cela ne va donc pas de soi que quand une chose suit de la nécessité de la nature d'un attribut, elle se trouve aussi dans cet attribut??? L'idée de Dieu ne serait-elle qu'un exemple de cette catégorie de choses qui ET suivent de la nécessité de la nature de l'attribut, ET se trouvent dans l'attribut? Contrairement aux choses qui suivent de la nécessité de la nature de l'attribut mais qui ne se trouveraient pas dans l'attribut???? Si oui, quelles pourraient être ces dernières choses?
En plus, si l'idée de Dieu dans la pensée est ici un bon exemple de ce qui suit de la nécessité de la nature de l'attribut et qui est dans l'attribut, on ne peut que constater que cette exigence d'être dans l'attribut vaut aussi pour la 1e partie de la démo. Faut-il en déduire que cette idée de Dieu serait tout de même infinie???
Bref, je crains qu'il va falloir refaire tout le raisonnement, car comme déjà dit, le fait de concevoir l'idée de Dieu comme finie était nécessaire pour que mon explication précédente tienne ... .
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Messagepar Louisa » 26 mars 2007, 22:17

A Faun,

merci de ta réponse, je ne l'avais pas encore lue quand je postais mon dernier message. J'y réfléchis, et y réponds bientôt.
Louisa

Pourquoipas
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Messagepar Pourquoipas » 27 mars 2007, 02:25

A Faun,

Merci de cet effort.

Pour le moment, trois remarques.

Faun a écrit :(...)

Définition 2 : "Est dite finie en son genre, la chose qui peut être bornée par une autre de même nature. Par exemple, un corps est dit fini, parceque nous en concevons toujours un autre plus grand. De même, une pensée est bornée par une autre pensée. Mais un corps n'est pas borné par la pensée, ni une pensée par un corps."

Donc la pensée, en tant qu'elle contient l'idée de Dieu, puisqu'on la suppose une chose finie, doit être bornée par, c'est à dire contenue dans, une chose plus grande, c'est à dire une autre pensée, ou une autre idée.
Mais non par la pensée en tant qu'elle constitue l'idée de Dieu, car en tant que telle on la suppose finie [...]



On a donc une chose finie, la pensée, qui contient, ou bien d'où suit l'idée de Dieu, et une autre chose, finie ou infinie, mais en tous cas plus grande que la première, qui est également une pensée mais qui ne contient pas l'idée de Dieu, ou bien dont ne suit pas l'idée de Dieu.


Dans la déf 2, il n'est pas question de "pensée plus grande", il ne dit cela que des corps, et il me semble au minimum hasardeux d'employer cette expression pour les pensées (idées) - qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire dans ce cas-là ? Spinoza lui se contente de parler de "(dé)terminé". Et que veut dire une pensée contenue dans une autre ?

Faun a écrit :(...)
Ici l'hypothèse est que de la nature absolue d'un attribut de Dieu suit une idée de Dieu finie et ayant une existence déterminée. Or la démonstration vient de montrer que cette idée de Dieu, si elle est finie, doit suivre de la pensée en tant qu'elle est finie, c'est à dire en tant qu'elle est bornée par la pensée infinie, et non de la pensée infinie elle-même, c'est à dire de la pensée considéré absolument.

Non. La démonstration vient de montrer que cette idée de Dieu, si elle suit de la nature absolue de l'attribut Pensée, est éternelle et infinie. En d'autres termes (ce qui ne sera dit que dans la dém. de la 28) : ce qui n'est ni éternel ni infini (comme on ne peut être que soit éternel soit temporel, soit infini soit fini, donc = ce qui temporel et fini) ne peut être conséquence de la nature absolue d'un attribut.

Faun a écrit :Et donc une idée de chose finie suit d'une autre idée de chose finie, et une idée infinie suit d'une idée d'une autre chose infinie, et plus généralement d'une chose finie et déterminée suit une autre chose finie et déterminée, et d'une chose infinie suit nécessairement une autre chose infinie.

Encore plus concis que Spinoza, et ça, faut le faire ! Ce que j'ai mis en gras ne sera prouvé que dans la prop. 28 (dont l'énoncé est beaucoup plus long que d'habitude – une fois n'est pas coutume), qui fait intervenir dans sa démonstration, dans l'ordre : la 26, le coroll. de la 24, la 21, l'ax. 1, les déf. 3 et 5, le coroll. de la 25, la 22, enfin la première partie de la dém. de la 28 trois fois. Finalement, Spinoza n'est qu'un grand bavard : tout était déjà dans la 21 !

CQFD.

Je dirais plutôt : quod est demonstrandum.
Modifié en dernier par Pourquoipas le 08 juin 2011, 11:15, modifié 2 fois.

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Faun
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Messagepar Faun » 27 mars 2007, 11:58

Pourquoipas a écrit :
Dans la déf 2, il n'est pas question de "pensée plus grande", il ne dit cela que des corps, et il me semble au minimum hasardeux d'employer cette expression pour les pensées (idées) - qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire dans ce cas-là ? Spinoza lui se contente de parler de "(dé)terminé". Et que veut dire une pensée contenue dans une autre ?


Il me semble qu'il faut garder à l'esprit la troisième démonstration de la proposition 11, qui fait intervenir l'argument des puissances.
Dieu est une puissance, les attributs expriment cette puissance, et les modes expriment chacun la puissance de Dieu d'une manière précise. Par suite un mode, qu'il soit dans l'étendue ou dans la pensée, ou dans n'importe quel attribut, peut être sans difficulté plus puissant qu'un autre, c'est à dire plus grand qu'un autre.

Voir aussi la proposition 34 partie 1, qui est démontrée par la proposition 11 et la proposition 16, et donc peut sans difficulté être utilisé pour démontrer la proposition 21.

Pour ce qui est de comprendre pourquoi une pensée est contenue dans une autre, cela suit de l'axiome 1 : "Tout ce qui est est ou en soi ou en autre chose" et de la définition 5 :"par manière, j'entend les affections d'une substance, autrement dit, ce qui est en autre chose, et ce conçoit aussi par cette autre chose".
Et la proposition 15 :" Tout ce qui est est en Dieu, et rien sans Dieu ne peut ni être ni se concevoir", comporte dans la démonstration cette phrase : "et les manières (par la définition 5) ne peuvent sans la substance ni être ni se concevoir ; et donc elles ne peuvent être que dans la nature divine, et se concevoir que par elle."

Non. La démonstration vient de montrer que cette idée de Dieu, si elle suit de la nature absolue de l'attribut Pensée, est éternelle et infinie. En d'autres termes (ce qui ne sera dit que dans la dém. de la 28) : ce qui n'est ni éternel ni infini (comme on ne peut être que soit éternel soit temporel, soit infini soit fini, donc = ce qui temporel et fini) ne peut être conséquence de la nature absolue d'un attribut.


L'hypothèse de Spinoza est que de la nature infinie (absolue) d'un attribut de Dieu suit une idée finie, ce qu'il réfute dans la démonstration.

Mais la difficulté me semble être ailleurs, dans cette affirmation :

"Mais, en tant qu'elle [la pensée] a l'idée de Dieu, on la suppose finie."

Pourquoi Spinoza dit il que si l'idée de Dieu est finie, la pensée qui la pense est également finie, sans démonstration ?

A nouveau l'argument des puissances peut résoudre le problème, comme ceci :

Si Dieu forme de lui-même une idée finie, c'est qu'il ne peut pas la penser autrement. Et donc sa puissance de penser doit être nécessairement finie. Et par suite la pensée, qui est supposée être un attribut de Dieu, est elle aussi finie.

Or la puissance de Dieu est son essence même (par la proposition 34), et Dieu est absolument infini (par la proposition 11),donc la puissance de Dieu ne peut qu'être infinie. Par suite les attributs de Dieu, qui constituent son essence (par la définition 4) doivent posséder chacun une puissance infinie, et par suite sont infinis.

Ce qui est contre l'hypothèse. On suppose en effet que la puissance de penser de Dieu, autrement dit l'attribut pensée, est finie.

Par suite, ou bien les attributs de Dieu sont finis, ou bien ils sont infinis.
Mais ils ne peuvent être finis, car (par la définition 2) ils devraient être bornés par un autre attribut de même nature. Et comme l'attribut est ce que l'intellect perçoit d'une substance comme constituant son essence (par la définition 4), cela revient à supposer qu'il existe plusieurs substances de même attribut. Ce qui (par la proposition 5) est absurde.


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