la connaissance des essences

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Snark
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la connaissance des essences

Messagepar Snark » 06 juin 2007, 22:20

Bonjour à tous!

Que veut dire connaître intuitivement une essence?
La connaissance du 3è genre= « connaissance que prend le degré (que je suis) de soi-mm et prend des autres degrés ». Cette essence singulière, dit encore Deleuze, est exprimé par mes rapports caractéristiques – ces rapports caractéristiques que le 2è genre de connaissance a pour tâche d’éclairer.
Je comprends bien ce qu’est le deuxième genre, mais le troisième, nullement. Qqn veut m’expliquer? Ou encore, qqn veut m’illustrer ce que c’est au moyen d’un exemple littéraire?

Je saute les 125 premières p. de l’Intégralité des cours de Deleuze, hop! Et… :

« Selon le troisième genre de connaissance
Qu’est-ce que ce serait le troisième genre ? Là, Lawrence abonde. En termes abstraits, ce serait une union mystique. Toutes sortes de religions ont développé des mystiques du soleil. C’est un pas de plus. Van Gogh a l’impression qu’il y a un au-delà qu’il n’arrive pas à rendre. Qu’est-ce que c’est que cet « encore plus » qu’il n’arrivera pas à rendre en tant que peintre ? Est-ce que c’est ça les métaphores du soleil chez les mystiques ? Mais ce ne sont plus des métaphores si on le comprend comme ça. Ils peuvent dire à la lettre que Dieu est soleil. Ils peuvent dire à la lettre que « je suis Dieu ». Pourquoi ? Pas du tout qu’il y ait identification. C’est qu’au niveau du troisième genre on arrive à ce mode de distinction intrinsèque. C’est là qu’il y a quelque chose d’irréductiblement mystique dans le troisième genre de connaissance de Spinoza : à la fois les essences sont distinctes, seulement elles se distinguent à l’intérieur les unes des autres. Si bien que les rayons par lesquels le soleil m’affecte, ce sont des rayons par lesquels je m’affecte moi-même, et les rayons par lesquels je m’affecte moi-même, ce sont les rayons du soleil qui m’affectent. C’est l’auto-affection solaire. En mots, ça a l’air grotesque, mais comprenez qu’au niveau des modes de vie c’est bien différent. Lawrence développe ces textes sur cette espèce d’identité qui maintient la distinction interne entre son essence singulière à lui, l’essence singulière du soleil, et l’essence du monde. »

Je crois comprendre… jusqu’à temps qu’il dise : « Si bien que les rayons par lesquels le soleil m’affecte, ce sont des rayons par lesquels je m’affecte moi-même, et les rayons par lesquels je m’affecte moi-même, ce sont les rayons du soleil qui m’affectent. C’est l’auto-affection solaire. »
Il semble que c’est… se fondre dans les choses. Je me fonds dans l'affection du soleil sur moi-même. Et de cette union mystique, d,abord corporelle, nait mes pensées… ??? 8O Je ne comprends mm pas ce que je dis moi-mm!
Et alors,quelle différence entre le 2è et le 3è genre? Partons de l,exemple de la musique. J’écoute cette musique inouïe : http://www.youtube.com/watch?v=ryafx_NWIoU . La connaître à la manière du 2è genre, ce serait, par exemple, choisir de l’écouter pque je sais qu’elle me fait triper! (maffecte de joie dune certaine façon) … Alors que la connaître à la manière du 3è genre, ce serait, par exemple, me « fondre » en elle, et laisser jaillir les idées, enfants de notre rapport immédiat, sur une feuille…? :roll: Cela me semble pas très rationnel! Pour celui qui comprend bien ce qu'est l'intuition de Spinoza, ça montre peut-être à quel point jy comprends rien...

Voici quelques passages de la belle nouvelle de d.h. Lawrence, "Soleil" :
« Elle sentait le soleil qui pénétrait jusqu’à la moelle de ses os, plus loin encore jusqu’à ses émotions et ses pensées. La sombre tension de ses sentiments se relâcha, les caillots sombres et froids de ses pensées commencèrent à se fondre. Elle sentait enfin la chaleur envahir son être. Elle se retourna pour laisser ses épaules, ses reins, ses cuisses et mm ses talons se dissoudre au soleil. Et elle demeurait stupéfaite de la transformation qui s’opérait en elle. Son cœur las et glacé se fondait et s’évaporait au soleil. »
Ah, Lawrence, je voudrais tes yeux!
« Elle rentra chez elle, éblouie; elle y voyait à peine, aveuglée, grisée par le soleil. Mais cette cécité lui apportait un trésor d’images éclatantes et dans sa demi-inconscience vague, chaude et lourde, elle trouvait le sentiment de bien-être. »
Cette femme connaît l’auto-affection du soleil sur elle-mm? C’est cela, la connaissance des essences? Lawrence parlait plutôt d’un éveil à l’antique conscience du sang...

Merci à celui ou celle qui voudra bien m'aider à comprendre...
Snark

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Henrique
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Re: la connaissance des essences

Messagepar Henrique » 08 juin 2007, 03:11

Snark a écrit :Bonjour à tous!

Que veut dire connaître intuitivement une essence?
La connaissance du 3è genre= « connaissance que prend le degré (que je suis) de soi-mm et prend des autres degrés ». Cette essence singulière, dit encore Deleuze, est exprimé par mes rapports caractéristiques – ces rapports caractéristiques que le 2è genre de connaissance a pour tâche d’éclairer.
Je comprends bien ce qu’est le deuxième genre, mais le troisième, nullement. Qqn veut m’expliquer?


Bonjour !
Si on veut bien faire attention à ce que Spinoza appelle une essence, à savoir ce sans quoi une chose ne peut ni être, ni être conçue et réciproquement ce qui ne peut être conçu sans la chose (E2D2), alors une essence est connue intuitivement ou n'est pas connue. En effet, le 2nd genre de connaissance ne peut connaître l'essence d'aucune chose singulière : E2P37, il ne connaît que ce qui est également présent dans le tout et dans la partie. Or l'intuition est précisément la connaissance immédiate du singulier, à la différence de la raison qui est connaissance médiate du général. Cela signifie qu'une essence singulière n'est jamais définissable, c'est-à-dire réductible à un certain nombre de noms communs, qui dans le meilleur des cas expriment des notions communes à différents corps mais jamais l'essence d'un seul en particulier, c'est pourquoi elle ne peut être qu'intuitive, c'est-à-dire indicible - sans pour autant être obscure, confuse ou mutilée le moins du monde.

Bon, soit la connaissance rationnelle de ce qu'il y a de commun à tous les corps. En remontant de généralité en généralité, on arrive à l'extension ou étendue. Mais ce pouvoir de l'être de s'étendre en 1, 2, 3, 4 ou n dimensions (longueur, largeur, profondeur, temporalité etc.), qui est exactement le même dans un brin d'herbe ou dans une étoile, dans l'univers comme dans la dernière des supercordes venue, n'est plus une simple généralité. C'est à la fois une notion commune, une entité universelle et un étant singulier : l'extension est ce en dehors de quoi rien n'existe (la pensée n'étant pas extérieure à l'extension mais la même chose considérée selon un angle différent), elle est donc universelle, et elle est incomparable à quoique ce soit d'autre, elle ne peut être subsumée sous un genre supérieur, elle est donc singulière.

Au passage, l'identité de l'universel et du singulier est connue depuis longtemps avant Spinoza en logique. Dire que Socrate est mortel est une affirmation à la fois singulière et universelle, puisqu'il n'existe qu'un seul Socrate : cela revient à la fois à dire que tout Socrate est mortel puisque dans l'ensemble "Socrate", il n'y a qu'un seul représentant, et conséquemment que l'affirmation complète n'est valable que pour Socrate (Même si Aristote est mortel, dire "Socrate est mortel" ne peut valoir pour Aristote).

Examinons alors ce pouvoir de s'étendre : dire que c'est l'être en trois dimensions (au moins) n'est qu'une façon de le désigner, une définition nominale, ce n'est pas le définir génétiquement (Spinoza s'en garde bien justement). Mais nous n'avons pas besoin d'une telle définition génétique pour savoir complètement ce que c'est, il nous suffit d'être un corps, qui possède l'étendue comme n'importe quel autre corps, pour le comprendre immédiatement. L'Ethique nous permet de comprendre que notre corps, comme n'importe quel autre, est expression relative du pouvoir absolu de s'étendre de la nature. En effet si j'ai l'idée adéquate de l'essence réelle de l'extension, je sais notamment que celle-ci est puissance de production illimitée : perpétuel débordement de soi-même, et non comme dans l'idée inadéquate d'espace, milieu homogène et inerte. Je peux comprendre cela médiatement, par le raisonnement en lisant l'Ethique (E1P16et 36), comme intuitivement en étant attentif à ce pouvoir de s'entendre dont mon corps est un mode. Et pour cause, le troisième genre de connaissance procède de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l'essence des choses (E2P40S2). En conséquence, je pourrai avoir l'idée claire, distincte et complète de mon corps non comme d'une pseudo-substance close sur elle-même, qui ne serait animée que par on ne sait quelle puissance extérieure, mais comme d'une façon d'être de la substance universelle en tant qu'elle est étendue, nécessairement dynamique : exercice immanent de la force d'exister de la substance selon une configuration unique.

Connaître intuitivement l'essence d'un corps, ce n'est donc rien d'autre qu'y être attentif en étant débarrassé des préjugés issus de l'imagination, qui font ordinairement obstacle à la conscience de l'immanence de l'infini dans le fini. Inspire, expire et tu sens la substance qui te pousse à t'étendre et à te conserver en même temps (sachant que tu es cela, substantiellement, tout en étant modalement ce corps singulier). Pose ton bras sur une table et tu sens la puissance de la substance de conserver la forme de ton bras comme de celle de la table tant qu'il y a équilibre entre la puissance de l'un à persévérer dans son être et puissance de l'autre à faire de même. Autrement dit, tu sens que l'extension singulière de ton bras est ce sans quoi tu n'aurais ni de bras, ni d'idée de ton bras et inversement que sans ton bras, il n'y aurait ni d'extension singulière de celui-ci, ni idée de cette extension.


Ou encore, qqn veut m’illustrer ce que c’est au moyen d’un exemple littéraire?


Je citerai cet extrait de la Lettre à Lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal :

Lorsque l'autre soir, sous un noyer, je trouve un arrosoir à moitié plein, oublié là par quelque jardinier, avec son eau, assombrie par l'ombre de l'arbre, et sillonnée d'un bord à l'autre par un insecte aquatique, tout cet assemblage de choses insignifiantes me communique si fort la présence de l'infini qu'un frisson sacré me parcourt de la racine des cheveux à la base des talons, au point que je voudrais éclater en paroles, dont je sais, si je les trouvais, qu'elles terrasseraient ces Chérubins auxquels je ne crois pas.

L'essence appréhendée ici est celle de l'arrosoir, qui est comprise comme inséparable de toute la concaténation des corps extérieurs qui en limitent l'affirmation, lui donnent ses contours, tout en participant cependant de cette affirmation même, du fait que la lumière déclinante, le noyer, l'eau, le jardinier, l'insecte affirment chacun éternellement la même puissance fondamentale d'exister : tout ce qui empêche à l'arrosoir de devenir l'univers est en même temps ce qui fait que cet objet a des contours, un territoire, une essence singulière à affirmer.

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Snark
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Messagepar Snark » 12 juin 2007, 19:46

:amen: :amen: :amen:

Merci pour ton temps, merci pour ton intelligence, merci pour ton texte

(je nai pas eu le temps de vous répondre plus tôt...)

1.Je résume :
Le troisième genre de connaisance= intuition immédiate (y être attentif) du corps comme intensité, comme pouvoir de s’étendre en x dimension, comme puissance de production illimité de la substance, comme partie infini de Dieu.

2.J,avoue être un peu déçu par ce que c’est. Dans mon coco confus, je m’étais mis à idéaliser ce genre…

Je reviens sur l’extrait de la Lettre à Lord Chandos pque… je sais pas, il me semble que ce que fait l’auteur, ce n’est que renvoyé à une sorte « d’impression de l’entendement ». Il ne fait que renvoyer à une sensation qui me semble assez pauvre. Peut-on seulement appeler cette impression un « genre de connaissance »? Elle n’est pas même traduisible en mots. En fait, j’en ai souvent vécu, et alors, naissait en moi une sorte d’amour pour tout ce qui est, une félicité et une curiosité infinie… genre d’amour qui contre une suite d’idées noirs. En ce sens, j’estime absolument ce genre de connaissance.Mais peut-il vraiment donner à voir ce qui fait être les choses? Je ne crois pas que le fait d’avoir l’intuition de l’essence de x individu (entendu comme être attentif à… comme vous l’avez dit) ne me permettra pas de connaître ce qui lui convient à elle en particulier. Il semble faire sentir ses lois indicibles, mais pas complètement.

Henrique a écrit :
Si on veut bien faire attention à ce que Spinoza appelle une essence, à savoir ce sans quoi une chose ne peut ni être, ni être conçue et réciproquement ce qui ne peut être conçu sans la chose (E2D2), alors une essence est connue intuitivement ou n'est pas connue.

Je crois qu’elle ne peut pas être connu. Est-il possible de connaître ce qui fait être un individu dans toute l’amplitude de son âme? Un individu ne cesse de changer de « disposition de corps » (ce que j’appel un système nerveux) suivant les affections des autres individus et des choses (surtout la nourriture, le sport)… Comment pourrait-on connaître les métamorphoses incessantes de cette graine mutante qu’est notre corps dans ce qui le fait être??? Y être attentif, il me semble, ne peut pas révéler ce qui le fait être. Peut-être est-il possible de voir d’une manière immédiate ce qui fait être actuellement x individu, sentir les forces invisibles qui le fait être, c’est-à-dire la part de Dieu, d’infini qui le fait penser actuellement. Par exemple, en écoutant Sophie penser à haute voix, je suis attentif et sent ce qui la fait être, les forces qui insistent ou s’expriment dans le fil des ses idées, dans sa voix, dans ses gestes… Mais comme on change sans cesse de disposition du corps, ce sera tjs partiel : les forces invisibles qui nous animent sont en constantes mutations. Le pouvoir de création illimité du corps sera jamais saisit dans toute son amplitude par une quelconque intelligence. C’est là qqch d’impossible, il me semble. / Sauf peut-être lorsqu'on crée dans un violent chaos. Alors, le corps étonne, tous ses cricuits comme un mélange de fils électriques et d'éclairs... Dans cet état, sentir plus complètement l'indicible vie (ou Dieu)... mais tjs partiellement, quand mm.


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